10
— On va s'éclater !
Sunny glissa la voiture dans une étroite place de parking, sous une agressive enseigne lumineuse qui proclamait : « Club Rendez-Vous ». Voyant Jacob considérer les lettres rouges clignotantes avec un air de doute, elle couvrit sa main de la sienne.
— Crois-moi, J. P., nous en avons besoin.
— Si tu le dis.
— Je le dis. De plus, si je découvre que tu ne sais pas danser, je pourrai te larguer là et ainsi gagner du temps.
Il lui tordit l'oreille, ce qui ne l'empêcha pas de rire.
— Et puis tu as une dette envers moi.
— Voyez-vous ça.
Tournant vers elle le rétroviseur, elle vérifia le peu qu'elle voyait de son visage, puis, sur une impulsion, sortit un bâton de rouge d'un ton éclatant et s'en rehaussa les lèvres.
— Eh oui ! Si je n'avais pas été aussi rapide à nous trouver des excuses, tu serais en train de dîner chez mes parents.
— Je les ai trouvés très sympathiques.
Touchée par ces mots, elle se pencha pour l'embrasser sur la joue. Découvrant l'empreinte écarlate qu'elle y avait laissée, elle se hâta de l'effacer du pouce.
— Nom de...
— Reste tranquille, grogna-t-elle tandis qu'il détournait la tête. Voilà, c'est presque enlevé.
Satisfaite, elle laissa retomber le bâton dans son sac.
— Je sais que tu apprécies mes parents. Moi aussi je les apprécie. Mais tu n'aurais jamais mangé de nachos ni bu de margaritas chez « Will & Caro »... C'est ma mère qui cuisine, ajouta-t-elle à voix basse.
Refusant de prendre le moindre risque, il termina lui-même le travail sur sa joue.
— C'est un crime, dans cet Etat ?
— Elle concocte des trucs genre fondue à la luzerne.
— Oh !
Dès qu'il eut réussi à se représenter le mets en question, il décida qu'il préférait de loin le plat mexicain épicé qu'ils avaient dégusté peu de temps auparavant.
— Il semble en effet que j'aie une dette envers toi.
— Tu vois ?
Ouvrant sa portière, elle se faufila dans le passage exigu entre le véhicule voisin et le leur. Les lumières de l'enseigne dansaient sur elle, lui donnant l'allure exacte de ce qu'elle était : excitante et exotique.
— Et après deux semaines loin de toute civilisation, de la musique en direct plein les oreilles, un bon bain de foule et une atmosphère enfumée ne pourront pas nous faire de mal.
— L'image même du paradis.
Tant bien que mal, il parvint à son tour à s'extirper de la voiture.
— Sunny, je suis gêné à l'idée que tu doives changer tout ton argent.
Elle haussa les sourcils, à la fois amusée et déconcertée par sa formulation.
— L'argent, on le change quand on se rend à l'étranger, J. P. Ce que tu m'as vu faire s'appelle le dépenser.
— Peu importe. Il se trouve que je n'en ai pas sur moi.
Quelle pitié, songea-t-elle, qu'un homme d'une telle intelligence et d'une telle conscience professionnelle reçoive un aussi maigre salaire.
— Ne t'en fais pas pour ça.
Elle-même avait dû compter les cents dès qu'elle avait commencé à voler de ses propres ailes. Jusqu'à présent, elle n'avait pas été particulièrement brillante à cet exercice.
— Si je vais à Philadelphie, c'est toi qui paieras.
— Nous en parlerons plus tard.
Guère désireux de s'étendre sur ce point, il trouva un changement de sujet à portée de main.
— Je voulais te demander : comment s'appelle ce vêtement que tu portes, là, sous ton manteau ?
— Ça?
Elle baissa les yeux sur sa mini robe de cuir rouge, moulante et sans bretelles, et se passa la langue sur les dents.
— Suggestif, répondit-elle.
— D'accord, mais comment ça s'appelle ?
— Nous en parlerons plus tard, répliqua-t-elle à son tour.
Glissant son bras sous le sien, elle franchit le trottoir fissuré.
Les quelques décimètres carrés de cuir qu'elle portait offraient une piètre protection contre le vent, mais c'était bon de sentir sur soi autre chose qu'un jean. C'était encore meilleur de s'apercevoir que Jacob ne cessait de lorgner ses jambes.
Le froid fut oublié dès qu'elle ouvrit la porte sur une explosion de chaleur et de musique.
— Ah, la civilisation...
Pour sa part, Jacob ne vit qu'un espace sombre traversé par des flashs de lumière intermittents. La musique était aussi forte que Sunny le lui avait promis, avec des basses puissantes et des cuivres cinglants. On y respirait un air saturé d'odeurs de fumée, d'alcool, de sueur et de parfums, le tout dans un constant brouhaha de rires et de conversations.
Tandis qu'il découvrait le lieu, Sunny déposa leurs manteaux au vestiaire et glissa dans son sac le talon qu'on lui remit.
Elle avait raison, il en avait besoin. Pas seulement de stimulation sensorielle ni de foule anonyme, mais de pouvoir observer en direct le comportement social au XXe siècle.
Globalement, il y avait très peu de différence avec ce qu'il aurait trouvé à son époque. De temps à autre, les gens se réunissaient pour se divertir. Ils voulaient de la musique, de la compagnie, à boire et à manger. Les temps changeaient peut-être, mais les besoins des individus, au fond, demeuraient les mêmes,
— Viens.
Elle le tira par la main à travers la foule, vers un endroit où des tables étaient serrées les unes contre les autres sur deux niveaux. Au premier se trouvait un long bar, où un homme — pas un « synthétic » — servait des boissons ainsi que des coupes dans lesquelles les gens se servaient avec les doigts. Ici, les clients étaient hanche contre hanche.
Au second, il découvrit une scène en demi-lune où se produisait un groupe de musiciens. Il en compta huit, portant toutes sortes de tenues et jouant d'instruments dont le son, assourdissant, était diffusé par de grosses boîtes noires placées de part et d'autre de la scène.
Face à eux, sur une petite aire carrée, des bras, des jambes et des corps enchevêtrés se tordaient dans des poses variées sur le rythme de la musique. Etudiant les différents accoutrements, il ne releva aucun standard particulier. Pantalons serrés ou très larges, minijupes et robes longues, couleurs vives et noir d'encre se côtoyaient. Les femmes étaient chaussées de souliers à talons plats ou, comme ceux de Sunny, munis de longues pointes.
Celles qui les portaient, supposa-t-il, voulaient sans doute paraître plus grandes. Cela étant, leurs jambes en étaient du coup particulièrement agréables à regarder.
Il apprécia ce non-conformisme et cette manière saine d'exprimer ses goûts personnels. Il se rappelait qu'entre cette ère et la sienne était intervenue une période où l'uniforme était devenu la norme. Si elle avait été relativement brève, elle n'en avait pas moins été d'une tristesse affligeante.
Sur les deux niveaux, des serveuses en jupe courte s'affairaient entre les tables, un plateau à la main, griffonnant sur un calepin les commandes qu'on leur adressait.
Peu pratique, songea-t-il, mais intéressant. Il était tellement plus simple de presser le bouton d'un boîtier de commande et d'être promptement servi par un droïde ! Mais cette méthode-ci avait un côté plus convivial.
Sans lui lâcher la main, Sunny lui fit gravir une volée de marches courbes et chercha des yeux une table libre.
— J'avais oublié qu'on était samedi soir, lui cria-t-elle. C'est toujours la cohue le samedi.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est le jour où les couples sortent, répondit-elle en riant. Ne t'inquiète pas, nous allons nous trouver un coin quelque part.
Abandonnant sa fouille oculaire, elle se tourna vers lui en souriant.
— Alors, qu'en penses-tu ?
Il leva la main et se mit à jouer avec les trois boules suspendues à son oreille par une fine chaîne.
— Pas mal.
— Ce que font les Marauders est excellent, fit-elle remarquer en désignant le groupe, tandis que le saxo attaquait un solo hurlant. C'est très chaud.
— Il fait très chaud, corrigea-t-il.
— Non, je veux dire... Oh, et puis laisse tomber.
Quelqu'un la heurta dans le dos. Sans se formaliser, elle s'accrocha au cou de Jacob.
— C'est notre première sortie en couple, minauda-t-elle.
Ignorant le monde autour d'eux, il l'embrassa.
— Et jusqu'à présent, ça te plaît ?
— A fond.
Comprenant que par là elle entendait « beaucoup », il l'embrassa derechef. Son soupir de satisfaction déclencha une réaction en chaîne au fond de lui.
— Nous pourrions rester des heures ici, lui glissa-t-il à l'oreille. Je ne pense pas qu'on nous remarquerait.
— Tu as raison, déclara-t-elle avec un nouveau soupir. Il fait une chaleur d'étuve. Peut-être devrions-nous...
— Sunny !
Quelqu'un la saisit par la taille, la fit pivoter et ponctua le tout par un baiser appuyé sur la bouche.
— Mon petit cœur, tu es revenue.
— Marco.
— Dis plutôt ce qu'il en reste. Je me morfonds depuis des semaines, la tança-t-il en lui passant un bras amical autour des épaules. Où avais-tu disparu ?
— Dans la montagne, répondit-elle en souriant, heureuse de le voir.
Il était maigre, sans prétention et inoffensif. Malgré ce baiser théâtral, ils avaient décidé des années plus tôt de ne pas gâcher leur amitié par des relations plus poussées.
— Qu'est devenu le monde ?
— Les loups continuent à s'entre-dévorer, Sun. Et c'est tant mieux.
Reportant son regard par-dessus son épaule, il se vit aussitôt fusillé par une paire d'yeux verts implacables.
— Ah... Euh, comment s'appelle ton ami ?
— J. P., répondit-elle en posant la main sur le bras de Jacob. Voici Marco, un vieux partenaire de poker. Ne joue jamais contre J. P., Marco. C'est un tueur.
Il n'avait pas besoin de se le faire dire deux fois.
— Comment allez-vous ?
— Très bien, répondit Jacob en le jaugeant du regard.
S'il s'avisait d'embrasser de nouveau Sunny, estima-t-il, il
ne serait guère difficile de briser son cou de moineau.
— Il se trouve que J. P. est le frère du mari de ma sœur.
— Le monde est petit.
Jacob ne bougea pas un cil.
— Beaucoup plus que vous ne l'imaginez.
— Certainement.
Si Marco avait eu une cravate, il l'aurait desserrée sur-le-champ. Mais son col était déjà ouvert, et il se demanda comment éliminer cette déplaisante sensation d'étranglement.
— Euh, au fait, vous cherchez une table ?
— On ne peut rien te cacher.
— Je suis avec quelques amis, là au fond. Si vous voulez vous joindre à nous...
— Pourquoi pas, répondit Sunny, avant de se tourner vers Jacob. Qu'en dis-tu ?
— D'accord.
Il était déjà fâché contre lui-même. Mais sa jalousie était justifiée, se dit-il en considérant les longues jambes de Sunny tandis qu'elle marchait entre les tables. Les hommes avaient peut-être évolué, mais ils conserveraient à jamais un indécrottable instinct de possession.
Une demi-douzaine de personnes interpellèrent Sunny par son prénom lorsqu'ils arrivèrent à la table. Comme les présentations étaient noyées dans le bruit et la musique, Jacob se contenta de hocher la tête en prenant place sur son siège.
— Cette tournée est pour moi, annonça Marco lorsqu'il réussit à accrocher une serveuse. La même chose, commanda-t-il. Plus un verre de chardonnay pour la demoiselle, et...
Il interrogea Jacob d'un haussement de sourcil.
— Une bière. Merci.
— Pas de problème. J'ai vendu trois voitures aujourd'hui.
— Génial ! fit Sunny, avant de se pencher légèrement en avant et de hausser la voix à l'intention de Jacob Marco est vendeur de voitures.
Jacob se le représenta battant des voitures et les distribuant à une table de poker.
— Félicitations, lui parut le commentaire le plus sûr.
— Je me débrouille bien. Faites-moi savoir si vous en cherchez une. Nous avons eu un arrivage de vraies merveilles cette semaine.
Jacob lança un coup d'œil à la jolie brune assise à son côté, et qui frottait son bras contre le sien.
— Je n'y manquerai pas.
Soulagé de voir que le nouvel ami de Sunny n'avait plus l'air de vouloir lui rectifier le portrait, Marco rapprocha son siège.
— Dites-moi, quel modèle conduisez-vous, J. P. ?
Sa question déclencha un concert de récriminations autour de la table. Avec un haussement d'épaules bon enfant, Marco plongea une poignée de cacahuètes dans sa bouche.
— Ben quoi ? C'est mon job.
— Tout comme donner des leçons de conduite à des petites vieilles, plaisanta quelqu'un.
— Il faut bien vivre, protesta Marco en souriant. Tout le monde ne peut pas être concepteur de fusées spatiales.
— J. P. l'est, déclara Sunny.
— Vraiment ? fit la jolie brune en collant aussitôt son siège à celui de Jacob.
Elle avait de grands yeux marron, nota-t-il. Des yeux qui invitaient à toutes sortes de choses.
— C'est une façon de parler.
— Oh, j'adore les hommes intelligents.
Amusé, Jacob se saisit du verre de bière que la serveuse venait de poser devant lui. Et remarqua le regard que Sunny dardait sur lui depuis l'autre côté de la table. Ce genre de regard, il le connaissait. Apparemment, la jalousie était un phénomène contagieux. Rien n'aurait pu lui faire davantage plaisir. Il prit une longue gorgée de sa bière, indulgent pour la fumée que soufflait sa voisine dans sa direction. Inutile de lui dire que derrière ses séduisants attributs, elle mettait en danger ses pauvres poumons.
— C'est vrai ?
Les yeux rivés dans les siens, elle écrasa avec application son mégot dans le cendrier.
— Mais oui. Je suis très attirée par l'intelligence.
— Allons danser, décréta Sunny en repoussant son siège.
Accrochant Jacob par la manche pour l'emmener vers la piste de danse, elle ajouta entre ses dents :
— Bien essayé, Sheila.
— Elle s'appelle Sheila ?
Pivotant vers lui, elle approcha son visage du sien, le menton haut.
— Pourquoi ? Ça t'intéresse ?
— Tu ne veux pas que je sois gentil avec tes amis ?
Il posa les mains sur ses hanches. Avec ses talons hauts, leurs yeux étaient à la même hauteur. Et leurs corps s'épousaient à merveille.
— Non, répondit-elle, la moue menaçante, tout en glissant les bras autour de son cou.
Le sourire aux lèvres, elle le gratifia d'un bécot, avant d'observer :
— Je ne peux pas lui reprocher d'avoir tenté sa chance. Tu es tellement mignon.
— Mignon ? Les petits chiens sont mignons, maugréa-t-il. Les bébés sont mignons.
— Tu les aimes, n'est-ce pas ?
— Quoi, les bébés ? Oui. Pourquoi ?
Elle se mit à entortiller sur ses doigts les cheveux de ses tempes.
— Pour rien. Je voulais juste savoir. Quoi qu'il en soit, tu es mignon. Et très attirant...
Elle lui mordilla la lèvre inférieure.
— Et intelligent.
Il l'attira contre lui. Elle colla sa joue à la sienne.
« Et à moi, ajouta-t-elle in petto. Tout à moi.
— Que signifie le « P. » ? murmura-t-elle soudain.
— Quel « P. » ?
— Dans J. P.
— Rien.
— Il doit bien signifier quelque chose, insista-t-elle, avant de soupirer de plaisir. Tu danses bien...
Le saxo résonnait de nouveau, cette fois dans un blues à fendre l'âme. Sunny ferma les yeux, blottie contre le cœur et le corps de celui qu'elle aimait. Ils oscillaient à peine au milieu de la houle des danseurs. Les mains de Jacob se déployaient dans son dos, ses lèvres glissaient sur sa gorge, et elle se moquait de savoir s'ils bougeaient encore.
Les hanches de Sunny frottaient les siennes. Le cuir rouge lui faisait comme une seconde peau, qu'il s'imaginait déjà lui enlever. Tandis qu'elle ondulait entre ses bras, lentement, avec sensualité, il pencha la tête pour goûter à la chair nue de son épaule. Malgré la puissance de la musique, il percevait le bourdonnement du désir sous sa peau. D'un mouvement languide, il remonta la bouche vers la sienne.
— Tu as un parfum incroyable. Un parfum de source dans le désert, où se mêlent des effluves de fleurs sauvages.
Incapable d'y résister, elle se jeta à corps perdu dans leur baiser, jusqu'à ce que la tête commence à lui tourner.
— J. P. ?
— Oui?
— Je n'en suis pas sûre, mais je crois qu'on pourrait nous arrêter pour ça.
— L'expérience peut être intéressante.
Elle rouvrit les yeux et croisa les siens.
— Rentrons. Je n'aime plus les foules comme avant.
Ils restèrent une semaine à Portland, de sorte que Sunny put emmener Jacob au cinéma, faire du lèche-vitrines et découvrir d'autres boîtes de nuit. Quant à la perpétuelle fascination qu'il affichait, elle l'attribuait au fait qu'il n'était jamais venu dans le Nord-Ouest. A chacune de leurs sorties, c'était comme s'il voyait les choses pour la première fois. Et grâce à cela, elle appréciait comme jamais auparavant ces heures passées au hasard des flâneries et des déambulations.
Lorsqu'ils étaient seuls, lorsqu'elle frémissait entre ses bras, elle se rendait compte que le lieu où ils se trouvaient n'avait pas la moindre importance. Ils étaient ensemble. Et si à chaque minute qui passait elle se sentait un peu plus amoureuse, c'était en toute liberté et avec une joie incommensurable.
Pour la première fois de sa vie, elle commençait à envisager l'avenir avec un homme. Avec cet homme. Elle s'imaginait tournant les pages des années avec lui — avec certes des hauts et des bas, mais toujours satisfaite. Elle voyait une maison, et si la palissade blanche et les trois voitures n'entraient pas dans ses fantasmes, les enfants oui. Elle entendait d'ici les disputes, le bruit, les rires...
Avant peu, songea-t-elle, ils en parleraient. Et feraient des projets.
Jacob s'accordait cette dernière semaine. Une poignée de jours qui signifiait si peu au regard de l'immensité du temps, mais tellement pour lui. Il notait tout ce qu'il pouvait et gravait le reste dans sa mémoire. Il n'avait pas l'intention d'en oublier ne fût-ce qu'un instant.
Pourtant, il s'inquiétait de savoir comment dire la vérité à Sunny lorsque le moment serait venu de la quitter. Il voulait lui faire le moins de peine possible. Mais le plus grave était qu'il n'était plus du tout sûr d'avoir le courage de vivre sans elle.
Lorsqu'ils reprirent la route du chalet, il savait au fond de lui que c'était le début de la fin. Et puisque cette fin était inéluctable — s'il existait une alternative, il ne voyait pas laquelle —, elle ne pouvait avoir lieu que dans l'honneur et le respect. Il lui dirait tout.
— Tu es bien calme, observa-t-elle tandis qu'ils bifurquaient sur la longue piste accidentée qui menait au chalet.
— Je réfléchissais.
— Ce n'était pas un reproche, mais je remarque que tu n'as engagé aucune dispute en cinq heures, et ça m'inquiète.
— Je ne veux pas me disputer avec toi.
— Ça, ça m'inquiète vraiment.
Elle sentait que quelque chose le tracassait, quelque chose d'assez grave pour qu'elle en ait les mains moites. C'est d'un ton délibérément enjoué qu'elle poursuivit :
— Dans quelques minutes nous serons arrivés. Une fois piégé au chalet, à devoir rentrer le bois et à manger des conserves, tu redeviendras le même ours mal léché.
— Sunny, il faut que nous parlions.
Elle s'humecta les lèvres.
— Très bien.
Ses nerfs se mirent à bourdonner à l'instant où elle arrêta le véhicule devant le chalet.
— Avant ou après que nous déchargions ?
— Maintenant.
Ce devait être maintenant. Il lui saisit la main et prononça les premiers mots qui lui vinrent à l'esprit.
— Je t'aime tellement.
La première crispation de peur se manifesta dans l'estomac de Sunny.
— Nous n'allons jamais nous disputer si tu commences comme ça.
Elle se pencha pour l'embrasser sur la joue. C'est alors qu'elle remarqua la fumée qui s'échappait de la cheminée.
— Jacob, il y a quelqu'un.
— Quoi ?
— Dans le chalet.
Elle vit la porte d'entrée s'ouvrir.
— Libby !
Avec un grand rire, elle ouvrit sa portière et bondit hors du 4x4.
— Libby, tu as failli me faire mourir de peur !
Sous les yeux de Jacob, elle se jeta au cou de la mince femme brune qu'il avait vue en photo.
— Regarde-moi ça ! Comme tu es bronzée !
— Il y a beaucoup de soleil à Bora Bora. expliqua Libby en embrassant sa sœur sur les deux joues. A notre retour, hier soir, nous avons cru que tu avais filé sans nous attendre.
— Nous sommes juste allés faire un saut dans le monde réel pour recharger nos batteries.
Le rire de Libby fut doux et spontané. Elle connaissait sa sœur sur le bout des doigts.
— C'est ce que j'ai dit à Cal. Tous tes livres étaient encore ici.
Elle serra les deux mains de sa sœur.
— Oh, Sunny, je suis si heureuse que tu sois là, je ne pouvais pas attendre de le dire. Je...
Son œil remarqua un mouvement. Reportant son attention derrière Sunny, elle vit Jacob descendre de la Land Rover. A peine leurs regards se furent-ils croisés que son demi-sourire de bienvenue s'évanouit, et que ses doigts se crispèrent sur ceux de sa sœur.
— Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Oh !
Sunny se retourna, le sourire aux lèvres.
— Devine qui a débarqué ici ! Jacob, le frère de Cal.
— Je sais.
Libby eut l'impression que le sol venait de se dérober sous ses pieds. Elle connaissait son visage, pour l'avoir vu sur la photo que Cal avait gardé dans son vaisseau. Ici, il ne s'agissait plus d'une photo, mais de l'homme en chair et en os, et la mine furieuse. Le sang reflua lentement de son visage tandis qu'ils se dévisageaient en silence.
Il était venu pour Cal, comprit-elle en refoulant le cri de protestation qui montait du plus profond d'elle-même.
Elle est terrifiée, songea Jacob. Un pincement de compassion le saisit que, têtu, il ignora. Il ne voulait rien ressentir pour elle. Il ne voulait voir en elle que l'obstacle qui empêchait son frère de rentrer à la maison.
— J. P. ?
D'instinct, Sunny passa un bras protecteur autour des épaules de Libby. Il se passait quelque chose, réalisa-t-elle. Quelque chose dont elle était la seule à ne rien savoir.
— Libby, tu trembles. Tu ne devrais pas rester dehors sans manteau. Allons à l'intérieur, la pressa-t-elle en jetant un regard par-dessus son épaule. Allons tous à l'intérieur.
— Je vais très bien, répliqua Libby en l'accompagnant dans le chalet.
Secouée, elle s'avança devant l'âtre et tenta de réchauffer ses mains glacées. Mais aucun foyer ne pouvait réchauffer son cœur tremblant. Jusqu'à ce qu'elle ait recouvré un semblant de maîtrise de soi, elle éviterait de reposer les yeux sur lui. Dans un coin reculé de son esprit, elle avait toujours pressenti qu'ils viendraient un jour le chercher. Mais elle ne s'était pas attendue à ce que ce soit si tôt. Ils avaient eu si peu de temps.
Le temps, songea-t-elle avec amertume. Un mot qu'elle n'aurait aucune difficulté à haïr.
Sunny se tenait entre eux, désorientée. La tension dans la pièce était si lourde que son odeur saturait presque autant l'atmosphère que celle du feu de bois.
— Très bien, dit-elle en regardant alternativement le dos rigide de Libby et le visage de pierre de Jacob, sans disposer de la moindre clé pour comprendre. L'un de vous deux aurait-il la bonté de m'expliquer ce qui se passe ?
— Hé, Libby, si c'est ta charmante petite sœur que je viens de voir, il faut que je lui dise que...
Pieds nus, le sweat-shirt déchiré, Cal fit irruption depuis la cuisine. Le trio se tourna vers lui dans un lent et étrange ballet. Son sourire se figea, et tout s'immobilisa.
— J.P.
Sa voix était à peine plus qu'un murmure, tandis qu'une joie indicible le disputait en lui à l'incrédulité.
— J. P..., répéta-t-il.
Le temps de comprendre qu'il ne rêvait pas, il fut de l'autre côté de la pièce et étreignait son frère avec force.
— Oh, Seigneur, Jacob ! C'est vraiment toi ?
Libby les observa jusqu'à ce que les larmes lui brouillent la vue, et elle détourna la tête.
Sunny rayonnait. Les deux frères se prodiguaient mutuellement une solide embrassade. Les émotions se télescopaient sur le beau visage de Jacob.
— Je n'arrive pas à y croire, murmura Cal, écartant son frère pour mieux l'étudier, mieux le dévorer des yeux. Tu es vraiment ici. Mais comment...
Il ne lâchait pas les bras de Jacob, se refusant à rompre ce contact simple et réel.
— De la même façon que toi, mais avec plus de finesse. Tu m'as l'air en forme.
Quelque part, il s'était attendu à trouver un Cal pâle, amaigri, fatigué par son séjour au XXe siècle, songea Jacob. Au lieu de cela, son frère affichait une mine hâlée, débordait d'énergie et respirait le bonheur.
— Toi aussi, répondit-il, avant de froncer légèrement les sourcils. Et maman ? Papa ?
— Ils vont bien tous les deux.
Cal hocha la tête. C'était une douleur avec laquelle il avait appris à vivre.
— Vous avez donc reçu mon message, hein ?
— Oui, nous l'avons reçu, convint Jacob sans enthousiasme.
— Et tu viens de rencontrer Libby.
Ses remords s'envolèrent et il se retourna, la main tendue vers son épouse. Elle ne bougea pas.
— Nous nous sommes rencontrés, en effet.
Jacob inclina la tête et attendit. Il n'avait pas l'intention de faire le premier pas.
— Vous devez avoir une foule de choses à vous dire, se contenta-t-elle de déclarer, peinant à conserver une voix stable.
— Libby, murmura Cal en s'avançant vers elle.
Il posa la main sur sa joue et l'y maintint jusqu'à ce qu'elle relève les yeux. Il y vit son amour. Et sa peur.
— Je t'en prie...
— Ça ira.
Puisant dans la force de sa volonté, elle serra sa main.
— J'ai des choses à faire en haut. Je vous laisse rattraper le temps perdu, ajouta-t-elle avant de se tourner vers Jacob. Je sais que vous vous êtes beaucoup manqué l'un à l'autre.
Pivotant sur ses talons, elle se hâta de gagner l'escalier.
Le regard de Sunny passa du dos de sa sœur au visage fermé de Cal, puis à la mine sévère de Jacob.
— Au nom du ciel, que se passe-t-il ici ?
Tout en continuant à suivre sa femme des yeux, Cal lui posa une main sur l'épaule.
— Sois gentille, va la rejoindre. Je ne veux pas qu'elle soit seule.
— Très bien.
Rien qu'à leur expression, elle savait qu'elle n'obtiendrait d'explications d'aucun d'eux. Mais, bon sang, Libby allait lui en fournir une !
Cal attendit que Sunny ait disparu avant de faire de nouveau face à son frère, dont les yeux disaient toute la colère, toute l'émotion et toute la peine.
— Il faut que nous parlions.
— En effet.
— Mais pas ici.
Il songeait à sa femme. Jacob songeait à Sunny.
— Non, pas ici. Allons à mon vaisseau.
Sunny s'immobilisa devant la porte de la chambre, prit une profonde inspiration et l'ouvrit. Libby était assise sur le bord du lit, les mains croisées. Elle ne pleurait pas. Mais la vue de larmes lui aurait moins fendu le cœur que la détresse qui se lisait sur ses traits.
— Ma chérie, qu'est-ce qui se passe ?
Libby ne savait plus si elle vivait un rêve ou la réalité. Levant les yeux, elle se concentra sur celle de la présence de sa sœur.
— Quand est-il arrivé ?
— Il y a à peu près trois semaines.
S'asseyant près d'elle, Sunny prit ses deux mains dans les siennes.
— Parle-moi. Je croyais que tu serais heureuse de rencontrer enfin le frère de Cal.
— Je le suis... pour lui.
Espérant que cela au moins était vrai, elle plaqua une main sur son ventre saisi de légères convulsions.
— T'a-t-il expliqué pourquoi il était là ? D'où il vient ?
— Bien sûr.
Perplexe, Sunny la secoua gentiment.
— Allons, Libby. Reviens sur terre. J. P. est peut-être un peu brut de décoffrage, mais il n'est pas un monstre. Il se fait juste du souci pour Cal, et il est sans doute un peu blessé par le fait qu'il ait choisi de t'épouser et de vivre ici.
— Oh, Seigneur.
Incapable de rester assise, Libby se leva et s'avança vers la fenêtre. Un ronronnement de moteur lui parvint aux oreilles, et elle vit la Land Rover s'enfoncer dans la forêt.
— Je l'aurais laissé partir, dit-elle d'une voix calme, avant de fermer les yeux. A ce moment-là j'y étais préparée. Je n'aurais pas pu lui demander d'abandonner sa famille, sa vie. Mais à présent il m'est impossible de le laisser partir. Je le refuse.
— Où irait-il ?
Libby appuya le front sur la vitre.
— Là d'où il vient. A des années-lumière, répondit-elle avec un petit rire sans joie. Jacob a dû te dire comme tout cela est atrocement compliqué.
Se levant à son tour, Sunny s'approcha d'elle et posa les mains sur ses épaules. Elles étaient contractées, nouées à l'extrême. Spontanément, elle entreprit de les masser.
— Cal est adulte, Libby. Et rester ici était son libre choix. Il faudra bien que J. P. l'accepte.
— Mais le fera-t-il ?
— A son arrivée ici, il était plein de colère et de ressentiment vis-à-vis de son frère. Il était tout simplement incapable de comprendre ses sentiments. Mais les choses ont changé. Pour lui comme pour moi.
Lentement, Libby se retourna. Ce qui était dans le cœur de sa sœur, ses yeux le proclamaient. Une onde de panique la traversa.
— Oh, Sunny !
— Hé, ne me regarde pas comme ca ! s'insurgea celle-ci en souriant. Je suis amoureuse, pas une malade incurable en phase terminale.
— Mais que vas-tu faire ?
— Je vais repartir avec lui.
Lâchant un cri inarticulé, Libby lança les bras autour du cou de Sunny, puis la serra contre elle en se balançant d'avant en arrière.
— Au nom du ciel, Libby ! Tu es aussi insupportable que Jacob. Ce n'est que Philadelphie, que diable ! Tu te comportes comme si je devais aller m'installer sur Pluton.
— Il n'y a pas de colonies sur Pluton.
Avec un rire étranglé, Sunny se libéra de son étreinte.
— Eh bien, au moins sommes-nous sûrs que ce ne sera pas là. Il faudra nous contenter d'un appartement à Philly.
Libby scruta le visage de sa sœur et son expression changea peu à peu. Les larmes qui lui avaient mouillé les joues séchèrent.
— Tu ne comprends pas, n'est-ce pas ?
— Je comprends que j'aime J. P. et qu'il m'aime. Nous n'avons pas encore parlé d'engagement sérieux, mais ce n'est qu'une question de temps.
Elle s'interrompit, l'œil méfiant.
— Libby, pourquoi me regardes-tu comme si tu voulais me tordre le cou ?
— Non, pas le tien.
Sa voix s'était raffermie. Elle était peut-être la plus calme des deux, mais lorsque ceux qu'elle aimait étaient menacés, même une tigresse se serait enfuie devant elle.
— Le salaud.
— Je te demande pardon ?
— J'ai dit que c'était un salaud.
Elle avait beau adorer sa sœur, Sunny sentit la moutarde lui monter au nez.
— Attention, Libby...
Libby secoua la tête. Elle n'allait pas s'arrêter maintenant.
— Il t'a dit qu'il t'aimait ?
Prête à exploser, Sunny étouffa un juron, avant de répondre
— Oui.
— Et tu as couché avec lui.
Sunny plissa les yeux.
— Tu as pris des leçons avec papa ?
— Bien sûr que tu as couché avec lui, marmonna Libby en commençant à arpenter la petite pièce. Il t'a rendue amoureuse de lui, t'a emmenée au lit et n'a même pas eu la décence de te le dire.
Sunny battait nerveusement le plancher du pied.
— Me dire quoi ?
— Que lui et Cal viennent du XXIIIe siècle.
Le pied s'immobilisa. Dans le silence soudain, Sunny considéra sa sœur bouche bée. Trop de soleil, songea-t-elle. Les neurones de sa pauvre sœur avaient grillé à Bora Bora. Lentement, elle s'avança vers elle.
— Lib, tu vas t'allonger et je vais aller te chercher une serviette froide.
— Non, répliqua Libby en secouant la tête, toujours aussi furieuse. C'est toi qui vas t'allonger et je vais te chercher un cognac. Crois-moi, tu vas en avoir besoin.
Lorsque Cal mit le pied dans l'habitacle du vaisseau, une immense vague de nostalgie le submergea. Les avions cargo qu'il pilotait dans la vie qu'il avait choisie satisfaisaient son besoin de voler, mais leur technologie n'avait rien de bien stimulant. Incapable de résister, il passa une main sur le vaste tableau de bord.
— C'est une beauté, J. P. Un nouveau modèle ?
— Oui. J'ai pensé qu'il valait mieux en concevoir un spécialement pour ce voyage. Nous avons procédé à quelques adaptations pour les hautes températures et la manœuvrabilité.
Cal ne put empêcher sa main de se refermer sur la poignée de puissance.
— J'aimerais beaucoup voir ce qu'il a dans le ventre.
— Je t'en prie. Il est à ta disposition.
Cal éclata de rire.
— En moins de cinq minutes nous serions repérés, et nous ferions la une du prochain National Enquirer.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Il y a certaines choses qu'il faut que tu voies par toi-même.
A contrecœur, il se détourna de la console et de la tentation. Puis il étudia de nouveau, longuement, le visage de Jacob.
— Bon sang, c'est bon de te voir.
— Comment as-tu pu faire ça, Cal ?
Avec un profond soupir, il s'assit dans le siège du pilote.
— C'est une longue histoire.
— J'ai lu ton rapport.
Cal riva son regard dans celui de son frère, avant de déclarer :
— Certains paramètres n'y figurent pas. Tu as vu Libby.
— Oui, je l'ai vue.
— Je l'aime, J. P. Tu ne peux pas imaginer à quel point.
Jacob sentit poindre en lui un début de compréhension,
qu'il s'empressa d'étouffer. Il ne pouvait pas penser à Sunny maintenant.
— Nous t'avons cru mort. Pendant presque six mois.
— Je suis désolé.
— Vraiment ? rétorqua Jacob en pivotant vers l'écran panoramique pour contempler la neige. Cinq mois et vingt-trois jours après que tu as officiellement été porté disparu, ton vaisseau s'est écrasé à soixante kilomètres environ de la base McDowell, dans le Baja. Vide. Mais nous avons pu mettre la main sur ton rapport.
Il lança un regard oblique à son frère.
— Et j'ai dû voir maman et papa endurer de nouveau toutes les affres du chagrin.
— Je voulais que vous sachiez où j'étais, et pourquoi. Je n'ai pas décidé de cela, J. P. Tu as vu le journal de bord.
— Je l'ai vu, agréa-t-il, la mâchoire serrée. Tu devrais être mort. J'ai calculé le facteur de probabilité pour que tu te sortes en un seul morceau de ta rencontre avec ce trou noir. Il est de zéro.
Pour la première fois, il sourit.
— Tu as toujours été un pilote hors pair, Cal.
— Ouais, mais on ne peut pas faire entrer le destin dans les données d'un ordinateur.
Durant ces derniers mois, il avait longuement réfléchi à la question.
— J'étais fait pour Libby, reprit-il. Tu peux effectuer tous les calculs que tu veux jusqu'au prochain siècle, cette réalité ne changera pas. J'éprouve un profond amour pour toi, J. P., mais il m'est impossible de la quitter et de retourner là-bas.
Jacob le considéra sans mot dire. Plus que tout, il détestait se rendre compte qu'il comprenait. Quelques semaines plus tôt à peine, il se serait insurgé, se serait emporté. Il aurait enfermé son frère dans une cabine du vaisseau et l'aurait ramené à la maison sans autre forme de procès.
— Est-ce qu'elle t'aime autant que tu l'aimes ?
L'ombre d'un sourire flotta sur les lèvres de Cal.
— Elle ne m'a jamais demandé de rester. En fait, elle a fait tout son possible pour m'aider à préparer mon voyage de retour. Elle voulait même venir avec moi. Elle était prête à tout abandonner.
— Au lieu de cela, c'est toi qui es resté. Et tu as tout abandonné.
— Crois-tu que cette décision m'a été facile ?
Il se leva d'un mouvement brusque, en proie à une colère aussi intense que l'était sa frustration.
— C'est la chose la plus difficile que j'ai eu à faire de ma vie. Bon Dieu, la question ne se posait même pas ! J'ignorais si le vaisseau tiendrait le coup. J'étais préparé à risquer ma vie, mais il était hors de question que je risque la sienne. Si je l'avais laissée là, je me serais dirigé droit vers ce trou noir, et... Et je n'en aurais eu cure.
Jacob voulait ne pas comprendre. En vain.
— J'ai passé deux ans à concevoir ce vaisseau, à élaborer, tester, affiner ce projet de voyage, à vérifier et revérifier toutes les équations. Je ne prétends pas que quelques réglages supplémentaires n'auraient pas été nécessaires, mais j'ai réussi sans rencontrer de problème majeur. Le facteur de succès est de 88,57. Rentre avec moi, Cal. Emmène-la avec toi si tu veux.
Cal regarda le paysage blanc de l'autre côté de l'écran. Il avait beaucoup appris durant l'année écoulée. La plus importante des leçons était que la vie n'était jamais simple, et qu'aucun choix ne devait être fait à la légère.
— Il reste un point que tu n'as pas pris en considération, J. P. Libby est enceinte.