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- Faut qu’on prenne une décision pour l’autre taré, fit le Poulpe en coupant le contact. Va chercher Francis, s’il te plaît. Dis-lui qu’on a le colis.
- T’as besoin d’en parler à Francis ?
- Une décision, et surtout un endroit tranquille pour le mettre au frais. Dans ta situation, m’étonnerait que t’aies un placard insonorisé, non ?
Don Quichotte se gratta furieusement la nuque. Il éclata d’un bon rire gras.
- Tout à l’heure, j’t’ai dit que Joël, il avait une bonne nouvelle, hein ? Eh ben, il en a deux, mon pote… Arago !
- Vas-y, dégoise.
- Je vais te montrer mon home, Poulpe.
- Tu squattes une baraque, c’est ça ?
- Mieux qu’ça, Poulpe.
- C’est plus un secret, alors !
- Allez, démarre, je vais te guider.
- Faut quand même prévenir Francis. C’est sa caisse, ho !
- Il est pas à un quart d’heure près. Démarre…
Trois coups secs dans le contreplaqué. Cendrine s’impatientait.
- Hé, les mecs ! Qu’est-ce que vous foutez ?
Le Poulpe l’ignora.
- Et la première bonne nouvelle, c’est quoi ? fit-il en mettant le contact.
- L’autre, c’est… que la petite Yanissa, elle est revenue, à présent.
- Revenue ?! Yanissa ! Mais!
- Joël, il sait, murmura Don Quichotte.
Le Poulpe crispa ses mains sur le volant, époustouflé.
- Attends, attends, on remet nos montres à l’heure, là… Tu es bien en train de me dire que Yanissa, la copine de Cendrine, qui avait disparu, et qu’on cherche partout, est re-ve-nue ?
- Oui, oui. J’rigole pas avec ça, arago.
- Et tu le disais pas ! Et nous, pendant ce temps-là, on remue ciel et terre comme des cons… Je rêve, là !
- Je le disais pas… parce que j’étais pas sûr.
Le Poulpe tourna la clef dans le démarreur. La manœuvre produisit un bruit désagréable, avec tout ça il avait oublié que le moteur tournait déjà.
- Parce qu’il était pas sûr !
- J’allais te l’dire quand les skins sont arrivés. C’est pour ça qu’je suis v’nu…
- Et tu sais où elle est, aussi ?
- M’engueule pas, Poulpe…
Tout à coup, Joël se mit à pleurer comme une Madeleine. Le Poulpe n’en revenait pas. Il attendit un peu avant de continuer :
- Excuse-moi, Joël, je pouvais pas deviner… T’as… t’as une façon de t’exprimer tellement incroyable.
Nouveaux coups sur le contreplaqué.
- Ho ! les mecs ! Vous avez fini de vous engueuler !
- Où elle est, Yanissa ?
- Dans mon home, murmura Joël en reniflant.
Le Poulpe se le fit répéter deux fois. Il avait bien entendu.
- Ah ben merde alors… Par où on va ?
- Tu fais comme si t’allais aux Petites Usines, après je te dirai, répondit Joël en se tassant contre la portière.
Encore abasourdi par ce qu’il venait d’entendre, le Poulpe déboîta et enfila le boulevard de la Fraternité. Il tourna à gauche quelques rues après les voies ferrées et s’enfonça dans un lacis de petites rues avec des pavillons en meulière où il n’avait jamais mis les pieds. Ensuite, un drôle de terrain vague. De petites parcelles envahies par les broussailles et les herbes folles. Les anciens jardins ouvriers de Charençon. Aussitôt après, un bâtiment aux toits en dents de scie et aux vitres brisées. Joël lui indiqua un chemin de terre sur la gauche, juste après l’entrepôt. C’était donc ça, son squat de luxe ! À droite, le chemin était bordé par un mur interminable recouvert de lierre.
- C’est la campagne, chez toi. On se croirait pas à Charençon.
- Gare-toi après le transfo. Va falloir lui bander les yeux, à l’autre, ajouta Joël. Je tiens pas à être repéré.
- J’ai bien du chloroforme, mais il fait son poids, l’animal.
- T’inquiète pas, Poulpe, j’ai la solution.
Le Poulpe roula jusqu’au bout du chemin et se gara sous le couvert des arbres, derrière un transformateur EDF. La voie était en impasse. De la rue le véhicule était invisible.