20

 

 

Le Poulpe ouvrit la porte du cagibi, l’Astra au poing. Le gorille avait retrouvé ses esprits, il était accroupi et s’escrimait sur ses liens. À en juger par la nécropole de cafards qui gisait à ses pieds, il n’avait pas eu le temps de s’ennuyer pendant ses vingt minutes de captivité. Le Poulpe arracha le sparadrap et lui ôta le collant de la bouche.

- Ça va te coûter cher, cette petite plaisanterie, mon pote, lança Génessier.

- Il rentre quand, ton patron ?

- ‘ça peut te foutre…

Le Poulpe braqua l’Astra sous le nez du gorille.

 

- Quand ?

- Pas… pas avant deux ou trois jours.

- Où il est ?

- Je sais pas, je…

Le canon de l’Astra s’énerva sur le menton de Génessier.

- Où ?

- À Deauville, je crois. Me demandez pas ce qu’il fout là-bas, j’en sais rien.

- Depuis quand il est parti ?

- Dim… Euh, samedi matin.

- Tout seul ou avec sa femme ?

- Il est divorcé.

- Comment on ouvre la porte, à l’entresol ?

- C’est lui qui a la clef… Lui seul.

- Qu’y a-t-il dans cette pièce ?

- J’en sais rien, j’y ai jamais mis les pieds.

- Il y a longtemps que tu bosses pour le peintre ?

- Trois ans.

- Tu bosses ici depuis trois ans et t’as jamais mis les pieds dans cette pièce, tu te fous de ma gueule, ho !

- Je… je suis là que quand il s’absente. Je m’en fous, moi, de cette pièce. Il fait ce qu’il veut.

- Dis-moi, tu connais le mot de passe du Mac ?

- Je sais pas me servir de ces machins-là ! Il s’en sert jamais, le patron.

- Hum… T’as entendu les coups de feu l’autre soir ?

- Les coups de feu du meurtre ? Non.

- Pourtant t’étais aux premières loges. T’es pas très vigilant pour un vigile.

- J’aurais eu du mal à entendre, j’étais pas là, laissa échapper le gorille.

- Je croyais que Rosciolli était parti samedi matin ?

- Oui, et alors ?

- Et alors, qui gardait la baraque samedi soir ?

- Ça, j’en sais rien. Moi, je suis arrivé dimanche matin.

- Si j’ai bien compris, tu sors pas d’ici avant le retour du patron ? T’as de quoi bouffer, et tout ?

Le gorille hocha la tête.

- Il doit te téléphoner d’ici là, ton patron ?

- Il passe un coup de fil tous les soirs.

- Et ton chien, il est pas avec toi ?

- Il… il est mort le mois dernier, fit Génessier d’un air accablé. D’un cancer.

- Comment elle s’appelle, ta femme ?

- Martine. Pourquoi vous me demandez ça ?

Le Poulpe exhiba le portefeuille du gardien et en sortit la photo d’une jeune femme tenant un chiot dans ses bras. Un berger allemand d’à peine un mois.

- Et le gentil toutou, comment il s’appelle ?

- Grognard.

- Si tu la fermes, il n’arrivera rien à Grognard.

Le gorille piqua une suée.

- Qu’est-ce que vous avez fait de mon chien ?

- Ta Martine, elle serait un peu furax si elle savait qu’elle passe après ton clebs. D’ici là, je garde aussi tes papiers.

- Quoi, d’ici là ?

- D’ici ma prochaine visite, dans pas longtemps. Je laisse la porte ouverte, ajouta le Poulpe en sortant. Fais pas le con, pense à ton clébard.

Quand il repassa tranquillement le seuil de la maison Rosciolli, peu après, les deux cloqués avaient regagné leur poste, et la police urbaine avait dégagé le carrefour.

- Pas trop de bobo, l’accident ? interrogea-t-il en pianotant sur sa sacoche de gazier. J’ai vu ça en arrivant, il avait l’air mal, le gars.

- Juste un peu sonné, répondit le gros flic, apparemment pas surpris de le voir sortir de chez Rosciolli.

Le Poulpe coupa court à la conversation et tourna dans la rue des Coudriers. Il réalisa alors qu’il avait complètement oublié de jeter un œil à la cave. Du publiphone du métro, il fit le numéro de Génessier. Occupé. La fille avait marché à fond ; plus c’est gros, et mieux ça passe. Le gorille devait vraiment commencer à se faire du mauvais sang dans sa tanière. Ensuite il laissa un message sur le répondeur d’Adèle et fila directement rue de Pali-Kao.