21
L’équation magique
Dimanche 6 mai
Nous nous sommes préparés au pire même si l’espoir de voir notre président reconduit ne nous a jamais quittés.
Après m’être interrogée sur l’issue de cette campagne, hésitant entre une défaite et un désastre, j’ai constaté la remontée de notre champion, admirative de sa combativité. Mais, depuis ce matin, les estimations qui sortent des urnes le donnent perdant. En cette journée de second tour, elles varieront assez peu, et surtout ne s’inverseront pas !
Quand, à dix-huit heures, je retrouve mes collaborateurs pour préparer mes interventions programmées dans les médias, nous avons définitivement écarté l’hypothèse d’une victoire.
Nous réfléchissons alors aux questions que les journalistes ne manqueront pas de poser et nous prolongeons notre analyse de l’échec. Nous évoquons notamment la stratégie du candidat UMP dont nous ne pouvons juger de la pertinence avant d’avoir les chiffres des reports de voix. Nous évoquons la crise qui a saboté la confiance. Nous nous remémorons les erreurs fatales, du Fouquet’s à l’affaire de l’EPAD, qui ont consommé le divorce avec les Français.
Notre réunion ne fait rien émerger de nouveau, mais elle me permet de rassembler les éléments et de les clarifier, une dernière fois.
Vers dix-huit heures trente, je décide de faire un saut à Matignon pour m’entretenir avec le Premier ministre et prendre la température de cette soirée électorale qui risque d’être brève pour nous…
Dans le bureau de François Fillon, la tension et la fatigue sont palpables. Des indications de vote arrivent toutes les dix minutes et donnent Hollande gagnant entre 52 et 53 %. La participation est meilleure qu’au premier tour.
Les proches du Premier ministre avec lesquels je discute me plaignent d’avoir à prendre la parole dans les médias dans un tel contexte et saluent mon courage. En réalité, je compare l’échec à la délivrance d’un malade déjà condamné et suis partagée entre l’abattement et le soulagement.
Devant des tendances de vote quasi définitives, je suggère une tournée générale ! Et je m’applique cette prescription en buvant une coupe de champagne. Certains, peu nombreux il est vrai, croyaient au miracle, prenant pour argent comptant des pronostics donnant à Nicolas Sarkozy une très légère avance et mettant leur foi dans la mobilisation des abstentionnistes. Mais pour l’avoir appris de mon père, je sais depuis longtemps que motiver les abstentionnistes entre les deux tours profite à parts égales aux deux camps… Après un court échange en privé avec François Fillon pendant lequel nous validons le contenu du discours à tenir, je file à LCI où je suis invitée pour commenter les résultats qui vont tomber dans un quart d’heure.
*
En coulisses, sur les écrans de la chaîne, je vois la tête de François Hollande se dessiner en direct. Personne autour de moi ne manifeste de réelle réaction car chacun s’attendait à un tel dénouement.
André Vallini, élu socialiste, pressenti pour être le prochain ministre de la Justice, se tient à côté de moi, une expression de gravité sur le visage. Pour le dérider, je lui fais remarquer que la maquilleuse a eu la main lourde. En réalité, ses traits figés ne sont pas tant dus à l’épaisseur du fond de teint qu’à la solennité liée à l’imminence du pouvoir. Au micro, il n’accable pas Nicolas Sarkozy, mais se contente de le désigner comme étant un président « extravagant ». En creux, la « normalité » du nouveau président de la République est louée. Cette opposition discutable et cet éclairage psychologisant seront récurrents tout au long de la soirée, me conduisant à souligner la superficialité de ce genre d’analyse.
Étant donné le faible écart entre les deux candidats, je suis aussi dubitative lorsque j’entends parler de « rassemblement de tous les Français ». Au contraire, la France se montre très partagée dans son vote. Un fossé s’est créé dans le pays et, contrairement à ce qu’affirme l’opposition, il n’est pas seulement entre les pauvres et les riches.
L’élection d’aujourd’hui prouve que l’antagonisme se situe entre ceux qui sont protégés et veulent continuer à l’être, et ceux qui ne le sont pas. Les jeunes, les ouvriers et les professions libérales ont majoritairement choisi Nicolas Sarkozy.
Autre singularité du vote, les Français se révèlent particulièrement rétifs aux consignes des appareils et n’ont pas suivi les directives de Marine le Pen et de François Bayrou qui appelaient respectivement à voter blanc et socialiste. Le report des voix s’est fait substantiellement sur l’UMP, révélant une équation magique pour Nicolas Sarkozy qui réalise in fine, en dépit de circonstances difficiles, un score plus qu’honorable voire inespéré.
*
Le discours de Nicolas Sarkozy à la Mutualité m’émeut profondément, par sa hauteur de vue et sa sincérité. Il adresse un message d’encouragement à son successeur et « souhaite de tout cœur que la France réussisse à traverser les épreuves ». Chacun de ses mots est encore habité par la grandeur et la noblesse de la fonction qu’il quitte, et empreint du courage avec lequel il l’a occupée.
Il assume pleinement les responsabilités de notre échec et remercie les Français avec cette superbe phrase : « Jamais je ne pourrai vous rendre ce que vous m’avez donné. »
Pour la première fois de la soirée, je ressens un pincement au cœur, où l’émotion se mêle à l’inquiétude. L’allocution du président sortant contraste singulièrement avec celle du nouveau venu.
Depuis mon ministère, en compagnie de mes collaborateurs, nous écoutons attentivement le discours de François Hollande à Tulle. Sa platitude nous fait osciller entre rire et larmes. Quand nous l’entendons énoncer que « l’austérité n’est pas une fatalité », nous sursautons ! En fait, ce premier discours renforce nos inquiétudes sur sa capacité à gouverner par gros temps.
C’est le paradoxe inouï de cette soirée : un candidat, Nicolas Sarkozy, qui renoue avec une stature présidentielle dont il s’était parfois départi pendant la campagne ; et un nouveau président qui fait une allocution de candidat, sans souffle, sans vision, sans inspiration. Pour ma part, si je ne cède pas totalement à la déprime, c’est que l’alternance a des vertus de respiration démocratique.
Enfin nos adversaires vont mesurer les difficultés, affronter des interlocuteurs toujours trop revendicatifs, des budgets toujours trop maigres, des journées toujours trop harassantes.
*
À RTL, je rejoins des journalistes politiques que je connais bien comme Alain Duhamel, Serge July et Jean-Michel Aphatie pour continuer le commentaire de la soirée électorale.
L’avenir de l’UMP est évidemment au centre de leurs préoccupations. Les conflits larvés vont-ils éclater au grand jour maintenant que nous sommes dans l’opposition ? Quand ils essaient de me déstabiliser en mentionnant la supposée rivalité entre Jean-François Copé et François Fillon, je réponds que la défaite favorisera, par la force des choses, l’unité.
Mais il est vrai que les voies pour parvenir à cette unité font l’objet de divergences d’appréciation : certains voudraient reconstituer à l’intérieur de l’UMP une multitude de petites chapelles qui auraient un fonctionnement indépendant, d’autres – dont je suis – prônent une organisation unitaire, sans pour autant se priver de la richesse de sensibilités différentes. Mais c’est bien après les élections législatives que nous trancherons ce débat.
Ces enjeux sont essentiels car le parti va jouer un rôle fondamental dans les mois à venir. Lorsqu’un courant politique passe dans l’opposition, c’est le parti qui structure le débat, donne les orientations et les moyens de l’action.
Quand il est au pouvoir, par contre, il se délite. En cela, notre échec présente des vertus : nous allons être obligés de nous repenser entièrement. Nous aurons enfin le temps de réfléchir en profondeur, d’avoir une vision claire de l’avenir, et d’esquisser des pistes pour le reconstruire…