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Porte-parole au secret

Lundi 20 février

Ce sera donc Nathalie Kosciusko-Morizet le porte-parole de notre candidat. Objectivement, ce choix est légitime.

La ministre de l’Écologie est l’une des femmes les plus brillantes de l’UMP, elle affiche une liste de diplômes impressionnante, une saine détermination et une connaissance affûtée des dossiers. Seule réserve : peut-être projette-t-elle une image un peu trop élitiste pour séduire et convaincre le peuple que Nicolas Sarkozy souhaite rassembler. Il faut mesurer aussi combien la « droite populaire » déteste celle qu’on appelle NKM pour son ouverture d’esprit sur de nombreux sujets de société, ses combats écologiques, son inscription résolue dans la modernité et son opposition determinée au Front national.

Je me sens, pour ma part, pleinement en phase avec elle.

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Subjectivement, ce choix est terrible : cette jeune femme, qui a été ma première directrice adjointe de cabinet, le temps – très court – d’être recrutée par l’Élysée, et que j’apprécie, figurera parmi les personnes les plus exposées à la cruauté croissante de la campagne.

Nathalie est aujourd’hui investie d’une responsabilité qu’on ne lui laissera pas assumer. D’abord parce que les conseillers « semi-occultes » qui gravitent à l’Élysée, comme Patrick Buisson, chercheront, dès que l’occasion se présentera, à vider son rôle de ses attributions effectives.

Ensuite, parce que Nicolas Sarkozy s’exprime directement, au titre de président et de candidat, que son omniprésence ne concédera donc aucun espace de parole à celle qu’il a pourtant nommée à cet effet ! De fait, NKM se condamne, en revêtant l’habit de porte-parole du président-candidat, à disparaître des écrans radars. Sans compter le machisme rampant qui décrédibilise systématiquement la parole des femmes dans l’espace public.

Au-delà de Nathalie, on peut d’ailleurs légitimement remettre en question l’utilité du porte-parole dans l’absolu.

Si j’étais candidate, je privilégierais un porte-parole organisationnel, chargé de transmettre le calendrier et autres informations pratiques indispensables aux journalistes. Pour occuper une telle fonction, un chargé de communication expérimenté, riche d’un carnet d’adresses fourni, serait parfaitement adéquat. En aucun cas, il ne serait voué à monter sur des estrades pour tenir des discours en lieu et place du candidat. Et quel gâchis de n’être que le porte-voix d’un autre alors qu’on a tant de talents !

C’est frustrant, et peut-on être performant quand on est frustré ?

On attend d’un porte-parole la visibilité et une connaissance polyvalente sur tous les dossiers. C’est une attente surdimensionnée, plus irréaliste encore dans la situation présente, car le président-candidat délègue peu, a fortiori quand l’enjeu est d’importance. Plus au fond, il faut s’interroger sur le côté désuet du porte-parole et réinterroger sa fonction à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux. NKM a d’ores et déjà plus d’impact sur Twitter et sur les outils de la galaxie numérique qu’elle connaît d’ailleurs à fond… Au sortir de l’élection présidentielle, il nous faudra d’ailleurs réfléchir sur cette démocratie « réticulaire ». Ouvrir un compte Twitter ou Facebook est insuffisant. Il faudra mobiliser des intervenants formés, des messages adaptés et des stratégies d’interactivité.

Dans un tel contexte, la porte-parole est alors condamnée à l’effacement et à l’incompréhension, prise en étau entre la malveillance de l’entourage du président et l’hyper visibilité de ce dernier.

En 2002, comme Nathalie, j’ai vécu cette situation absurde, mais dans une configuration inversée, en qualité de porte-parole de Jacques Chirac.

Ces derniers mois, les manèges divers autour de Nicolas Sarkozy candidat pour obtenir de lui ce fameux titre – ou le cadeau empoisonné – allaient bon train. De nombreux noms circulent : Xavier Bertrand, Valérie Rosso-Debord, Laurent Wauquiez ou Nadine Morano. De la même façon, en 2002, les basses manœuvres se déployaient dans l’ombre.

Pour moi, ce fut par un coup de fil anthologique que Jacques Chirac m’a annoncé sa décision.

Mot pour mot, il m’a dit : « J’ai l’intention que tu sois ma porte-parole. Tu n’en parles même pas à ton miroir parce que ton miroir le répéterait à des journalistes. »

J’étais autant émue par la nouvelle qu’amusée par la recommandation qui semblait tester ma fiabilité. En fait, par cette phrase légère, il me condamnait à un secret bien plus lourd que celui de mon rôle dans la campagne de 2002.

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Dominique de Villepin, secrétaire général de l’Élysée, m’attend dans son grand bureau d’angle, voisin de celui du président de la République. Il semble préoccupé.

Je le suis également, depuis la veille, depuis que Jacques Chirac m’a téléphoné pour me faire part de son choix. Je viens consulter la seule personne à laquelle je peux livrer mes hésitations : « Serai-je à la hauteur de la tâche ? » Il est amusant d’ailleurs qu’en politique seules les femmes se posent ce genre de questions !

Nous sommes maintenant l’un en face de l’autre, et je lui expose mes craintes. Il serre mes genoux entre les siens et mes mains entre les siennes et je l’entends me dire : « Aie confiance en toi, tu es capable de grandes choses. »

Touchée et réconfortée par ce mouvement d’amitié et d’encouragement, exprimé avec son lyrisme caractéristique, je décide alors de ne plus avoir peur d’accepter cette fonction dont nous savons, l’un et l’autre, qu’elle s’avérera cruciale et délicate, étant donné les circonstances : en dépit des ressources que Jacques Chirac déploie, son entourage le trouve affaibli, voire amoindri.

Certains symptômes s’étaient déjà manifestés sans que l’on sache alors ce qui modifiait ainsi subrepticement cet homme que je connaissais bien et depuis longtemps. Et puis, petit à petit, au fil des jours, j’ai constaté les petits détails qui avaient changé dans le comportement de Jacques Chirac. Sa fille, Claude, omniprésente, admirable de dévouement et de constance veillait sur lui et n’autorisait jamais plus de spontanéité ou d’improvisation.

C’était d’autant plus manifeste pour nous, qui étions ses familiers, que cette soudaine rigidité était aux antipodes de la personnalité et du comportement du Chirac que nous connaissions : chaleureux, sincère, impulsif, libre en un mot.

Avec Dominique de Villepin, nous sommes lucides sur la difficulté de la tâche qui m’incombe maintenant : protéger au maximum le candidat Jacques Chirac, toutes les fois où cela sera possible. Et affronter tous ceux qui, sachant ou pas ce qui ronge le président, cherchent à pousser leurs pions.

En acceptant le job, je n’avais pas anticipé sur l’angoisse du second tour, je me concentrais d’abord sur tout ce qu’il fallait mettre en place pour le premier depuis le QG de la rue du Faubourg-Saint-Martin. QG où Chirac n’apparaissait quasiment jamais. Mais une inquiétude, partagée par ceux qui étaient dans la confidence, s’était insinuée.

L’issue inattendue, et consternante, du premier tour aura au moins préservé notre champion d’un affrontement télévisé redoutable...

Certes, les sondages interdits de publication éloignaient ce péril, mais Lionel Jospin n’y a pas cru et il a été puni pour son orgueil.

Et c’est à Rennes, entre les deux tours, que Jacques Chirac prononça un des plus beaux discours de sa carrière politique. Un ami, électeur de gauche, m’avait accompagnée. Il voulait entendre cet homme pour qui il allait voter par esprit républicain. En sortant du meeting, les larmes aux yeux, il m’a dit : « J’allais voter pour lui par discipline, je voterai par adhésion. »

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Ma camarade Nathalie Kosciusko-Morizet s’est, en disant « oui » au porte-parolat, résignée, voire condamnée à l’ombre.

Le président ne doute pas de l’entier dévouement de Nathalie et la sait suffisamment intelligente pour ne pas se griller par un activisme excessif. Il a aussi probablement prévu que les prétendants au titre déchus, ainsi que les éminences grises de tous poils, la prendront pour cible… et qu’elle se défendra, sans trop de dommages collatéraux, même si on a du mal à imaginer les bénéfices à tirer d’une telle guerre.

De la même manière, Claude Chirac en 2002 a soufflé mon nom à l’oreille de son père parce qu’elle était absolument sûre de mon dévouement et de ma loyauté. Elle savait que je n’essaierais pas de tirer profit de ma position de remplaçante principale, de la vulnérabilité du président.

C’est peut-être cette analogie que je fais entre sa situation aujourd’hui et la mienne hier qui m’a incitée à accepter l’invitation de NKM à l’aider. Nous avons dîné ensemble en janvier pour réfléchir aux contours de son rôle politique futur, car elle a tous les atouts pour être une personnalité politique de premier plan. Je suis toujours disposée à donner un coup de pouce à de jeunes politiques, à leur faire profiter de mon expérience, particulièrement quand ce sont des femmes. Ce premier rendez-vous discret a été suivi d’un dîner plus large avec d’autres personnes : j’en avais contacté certaines pour lui dénicher un correspondant dans chaque département. Je continuerai à activer mes réseaux pour une femme qui a, malgré la dureté du milieu politique à l’égard du sexe faible, le courage de s’engager, voire une certaine témérité.

Certains pensent que le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes est terminé et que nous avons acquis notre légitimité dans le débat public. Il n’en est rien.

Certes, le temps du sexisme borné et vulgaire est fini. Celui, par exemple, qui amena le président du conseil général de Maine-et-Loire à me présenter en 1982, à l’assemblée où je venais d’être élue, par ces mots : « Madame Bachelot, dont chacun connaît le charmant sourire. » Il venait de présenter les cinq hommes fraîchement élus à mes côtés par leurs titres et mérites…

Aujourd’hui, l’entreprise de délégitimation des femmes est plus sournoise, donc, paradoxalement, plus difficile à combattre. On nous accepte, mais à condition d’être dans le courant dominant. Chaque tentative d’autonomie, vue chez un homme comme une marque de personnalité, est, chez une femme, sévèrement réprimée. Non mais, pour qui se prend-elle ? Chez un homme, une défaite électorale est considérée comme un marchepied qui capitalise pour une victoire à venir. Chez une femme, cet échec est la preuve de notre insuffisance et nous éjecte du champ de bataille. À cause de cela, en moyenne, les carrières politiques des femmes sont plus courtes.

Une seule stratégie est alors à mettre en œuvre et les femmes, peu nombreuses aux postes clés, ont du mal à l’appliquer : combattre en groupe, en réseau, et ne pas penser que le succès de l’une d’entre nous se fera contre les autres.

Bien au contraire !

C’est pourquoi j’ai voulu de façon indéfectible être aux côtés de mes collègues femmes ministres. Un bouquet, un coup de fil dans les coups durs, un compliment sur leurs vêtements, une pensée pour leur anniversaire, tout cela peut paraître futile, mais c’est un peu de douceur dans ce monde de brutes, si dur aux femmes. Outre mes petites chéries, Claude Greff et Marie-Anne Montchamp, j’ai eu la chance de côtoyer au gouvernement de François Fillon des femmes bien et pour certaines remarquables, comme Christine Lagarde ou Valérie Pécresse. Elles honorent toutes la République.