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Une défaite ou… un désastre
Samedi 21 janvier 2012
Le dîner a commencé dans une ambiance plutôt joyeuse. Nous fêtons ce soir l’anniversaire de Christine Lagarde au restaurant du musée du quai Branly.
L’ambiance de la surprise ménagée par Xavier, le compagnon de Christine, n’est pas mondaine : l’entourage familial, quelques amis chers du monde politique ou médiatique composent l’assistance. Les conciliabules de préparation ont donné lieu à quelques séances de joyeux fous rires. En effet, avec Valérie Pécresse, Jérôme Chartier et Bruno Le Maire, nous avons préparé un petit numéro pour notre amie : nous allons interpréter en quatuor un titre du groupe Abba, I Have a Dream, remanié dans une version assez calamiteuse, il faut bien l’avouer.
La dernière répétition se tient dans le vestiaire du restaurant et nous n’avons plus qu’à espérer que l’auditoire sera particulièrement bienveillant.
Mais ce dîner est surtout l’occasion d’avoir une longue conversation avec Bruno Le Maire, mon voisin de table. À dire vrai, le contenu de notre échange contredit le titre de notre chanson. À trois mois de l’échéance, le ministre de l’Agriculture n’est plus guère enclin à rêver, il éprouve un sentiment mêlé de profonde lassitude et d’intense pessimisme.
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Quand je fais le bilan de la semaine qui vient de s’écouler, je suis, moi aussi, inquiète sur l’issue de la campagne. Notre candidat se trouve en mauvaise posture.
Après le Sommet social, nous n’avons pas réussi à faire comprendre l’augmentation proposée de la TVA dans l’opinion, et le désordre s’est installé dans la communication du gouvernement. Le lendemain du sommet, j’ai d’ailleurs pris l’initiative d’envoyer un message à François Fillon lui suggérant de mettre un terme à la cacophonie. Et j’ai insisté le lendemain au téléphone : « Il faut que tu nous dises, à chacun et sans ambiguïté, que les choses sont tranchées et que nous ne sommes plus en négociation. »
La confusion et les contradictions qui règnent depuis mercredi dans les interventions des ministres alimentent l’incompréhension des Français et leur rejet d’une mesure qui, pourtant, promet d’être profitable à notre compétitivité.
Le débat entre les ministres fait surgir deux approches : ceux qui militent pour que la baisse de charges permise par la hausse de la TVA augmente le salaire direct et ceux qui pensent qu’elle doit diminuer le coût du travail et améliorer la performance économique de nos entreprises. En fait, le président a fait le bon choix : il a décidé de ne pas manger le blé en herbe et de miser sur la compétitivité.
Les réactions dans l’opinion, relayées par les médias, font la preuve une nouvelle fois du trouble des Français que le débat sur cette taxe égare davantage. Le manque de cohérence et de pédagogie dans la parole du gouvernement nourrit leurs doutes. Il faut dire que même les citoyens les plus instruits méconnaissent largement la structuration des finances publiques. Il y a quelques jours, dans une réunion avec des médecins, je me suis rendu compte qu’aucun d’entre eux n’était capable de déterminer de façon basique l’origine des financements de l’assurance maladie qui, pourtant, les rémunère… Plusieurs facteurs augmentent le trouble des citoyens : d’abord cette TVA dite « sociale » était déjà sortie dans le passé, lors des élections législatives de 2007, et s’était sévèrement ramassée. Elle avait même été accusée d’être à l’origine de la défaite de plusieurs dizaines de députés UMP. Ensuite, la terminologie maladroite renvoie à une amputation supplémentaire du pouvoir d’achat et amènera plus tard le président à la requalifier de TVA « compétitivité ». Enfin, cette proposition, à quelques semaines des échéances électorales, est apparue comme une annonce opportuniste et précipitée plutôt que comme une vraie réforme de fond.
Tout était donc agencé pour réaliser la chronique d’un plantage sur toute la ligne.
Devant cet imbroglio, le président et le Premier ministre décident de tenir des rencontres permettant d’expliquer leurs positions à des interlocuteurs importants. C’est ainsi que je suis aux côtés de Nicolas Sarkozy à l’Élysée pour recevoir, ce 19 janvier, les Associations familiales (Unaf) qui ne participaient pas au Sommet social.
Il est important de les réunir puisque le cœur de la réforme proposée transfère le financement de la politique familiale d’une cotisation assise sur les salaires à une taxe assise sur la consommation. Les défenseurs de la famille pourraient avoir des craintes qu’il s’agit d’apaiser. Mais l’entretien va être aussi l’occasion, pour le président, de faire le point sur un certain nombre de sujets sociétaux et en particulier le mariage homosexuel.
C’est un refus clair et net qui est exprimé par Nicolas Sarkozy à la grande satisfaction de l’Unaf et à ma grande désolation.
Je suis d’autant plus déçue qu’un article du journal Libération avait laissé entendre qu’il avait évolué sur ce sujet. Il fallait évidemment se méfier de cet article, et se demander s’il ne s’agissait pas d’une grossière manipulation fondée sur des allégations approximatives pour forcer le candidat à se découvrir. Sa représentation à la une en gay version sadomaso pouvait apparaître comme une provocation destinée à le desservir dans un électorat traditionnel. Le groupe UMP, même s’il est majoritairement hostile à cette possibilité, est moins fermé qu’il l’avait été sur le Pacs en 1998. J’avais alors été la seule, dans mon camp, à voter cette réforme.
Aujourd’hui, de jeunes députés, comme Franck Riester, des ministres, comme Nadine Morano, Benoist Apparu, Bruno Le Maire, sont favorables au « mariage gay ». Ils sont d’ailleurs en phase avec l’évolution des mentalités, puisque 60 % des Français sont de cet avis.
Mais le discours de Nicolas Sarkozy à ce sujet m’afflige. Je ne suis pas de ceux qui taxent systématiquement d’homophobes ceux qui refusent le mariage homosexuel, mais je ne supporte pas les argumentations faussement compassionnelles des opposants soucieux de tenir un discours politiquement correct.
La phrase « Je comprends les douleurs et je ne veux pas les stigmatiser… » me fait tout particulièrement bondir, parce que je ne vois pas en quoi le fait d’être homosexuel constitue en soi un malheur.
Il est tombé dans le piège tendu par le quotidien au moment où François Hollande vient de déraper, lui, sur les complexités du quotient familial. Non seulement je suis favorable au mariage des homosexuels mais aussi à leur droit à adopter. Ce sont des convictions profondes que je porte depuis très longtemps. Refuser le mariage et l’adoption s’apparente, selon moi, à une attitude rétrograde et à une ignorance évidente de l’histoire du mariage dans notre société et de son sens moderne.
Institué au moment du passage d’une société de pêche et de cueillette à une société agricole, le mariage s’est présenté comme le meilleur moyen de garantir la traçabilité de la filiation nécessaire à la transmission du patrimoine. Le besoin de bras pour assurer la production des terres agricoles a également été l’une des raisons de création de cette institution : il fallait pouvoir posséder ces bras et les ventres qui les procréaient en donnant au chef de famille son pouvoir légitime et absolu. En instituant le mariage civil, la Révolution française a brisé la possibilité pour le père, le seigneur ou le curé d’utiliser le mariage d’un jeune homme ou d’une jeune fille afin d’asseoir leur pouvoir politique ou économique.
Ainsi, en étant libres de se marier selon leur choix, les mariés devenaient des « sujets » de droit alors qu’ils étaient auparavant des « objets » de droit. La contraception et l’allongement de la durée de la vie ont fini de bouleverser le sens du mariage en le déconnectant du seul impératif de filiation. Parce que le mariage est devenu un choix individuel, personnel, soumis à aucun autre enjeu que le bonheur de s’aimer, je ne trouve aucune raison de l’interdire aux homosexuels.
Il arrive que je ne sois pas d’accord avec Nicolas Sarkozy. En tant que femme politique ayant une vision holistique de la société, je ne suis pas tenue d’adhérer à la totalité de ses propositions. Si c’était le cas, je serais une groupie, dédiée à une adhésion inconditionnelle. Il est des sujets sur lesquels je me situe en rupture avec mon propre camp.
Concernant le mariage des homosexuels, interrogée par les journalistes sur cette question, j’ai réaffirmé simplement mes positions sans provocation mais avec fermeté, y compris pendant la campagne. Je dois dire que je n’ai reçu aucune désapprobation de la part de Nicolas, et encore moins une demande de renoncement à mes convictions.
Je suis d’ailleurs persuadée qu’au fond Nicolas Sarkozy est favorable au mariage homo, son positionnement est un calcul électoral à la pertinence contestable, et non une conviction profonde. Le soutien doit laisser une marge de liberté.
Je suis triste, mais sereine car, plus ou moins tard, le mariage homosexuel se fera et je fais confiance à la maturité des Français.
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Mais revenons à notre dîner d’anniversaire ! Alors que la fête bat son plein, Bruno Le Maire me confie ses inquiétudes. Il me livre que, dans sa circonscription, la montée du Front national est importante, jusqu’à 50 % d’intentions de vote, craint-il. Il envisage même la possibilité que Nicolas Sarkozy soit évincé du second tour.
Et, même s’il semble très négatif sur le cours de la campagne, je suis sensible à son argumentation sans partager son pessimisme. Il faut quand même avouer que certaines images sont dévastatrices, notamment une photo parue dans Le Monde montrant le président en pirogue avec Nathalie Kosciusko-Morizet lors d’un déplacement en Guyane. Le questionnement sur les affaires de financement ayant repris de plus belle, il y montre une tête d’enterrement.
Avec Bruno, au bout d’un moment, nous sommes acculés à nous demander si la campagne s’achèvera par une défaite ou par un désastre. La première hypothèse, c’est la défaite au second tour, suivie d’une défaite honorable aux législatives préservant un groupe parlementaire consistant. La seconde version correspond à un second tour sans Nicolas Sarkozy, suivi d’un tsunami aux élections législatives.
Évidemment, ce n’est pas la même chose de revenir à l’Assemblée avec 240 députés, ou 120, voire 80, comme sont revenus les socialistes en 1993. Il n’y aurait plus aucun contre-pouvoir, les villes étant à gauche, les départements, les régions et le Sénat aussi. L’UMP deviendrait un champ de ruines et nombre de nos leaders se verraient battus aux législatives ; tout serait à reconstruire.
Heureusement que le dîner est délicieux, car c’est peu de dire que Bruno broie du noir, et son pessimisme devient contagieux. Je me remémore une réflexion de Nicolas Sarkozy qui affirmait : « Quand la vrille s’amorce dans une campagne pour un candidat, il devient impossible d’en casser le mouvement. »
Un bilan si mal défendu, un désamour profond, des bourdes trop nombreuses et un programme encore trop peu lisible m’apparaissent comme les facteurs principaux d’un échec probable.
Je me ressaisis aussitôt : en politique, il faut croire aux miracles même si les séquences s’enchaînent pour nous de manière calamiteuse et que nous semblons précipiter notre propre chute.
Vient le moment de notre interprétation de I Have a Dream. Devant ce public amusé et bienveillant, nous faisons un triomphe. Je fais un rêve, le temps d’une chanson.
Mais, à la sortie du restaurant du musée, nommé comme par prémonition Les Ombres, je me dis : « Il faut se préparer au pire. »