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Faux résultats

Mardi 25 avril

Il est défiguré de fatigue, mais quelque chose, comme une flamme nouvelle, émane de lui. Les ministres et les parlementaires sont en réunion avec Nicolas Sarkozy pour analyser les résultats de dimanche et préparer au mieux le second tour.

Il commence par se réjouir du faible taux d’abstention, à rebours de l’ensemble des pronostics : « Ce premier tour est un tour de force parce qu’on avait raconté que la campagne n’intéressait pas les Français. On a tout fait pour les dégoûter de venir aux urnes. Certains sondeurs avaient prédit jusqu’à 30 % d’abstention. Ils se sont lourdement trompés : les Français sont venus voter. »

Il poursuit en se plaignant une fois encore du traitement peu amène qui lui est réservé dans les médias. Depuis le début de la campagne officielle et compte tenu de la profusion des candidats, il ne bénéficie plus que de 10 % de temps de parole et n’apprécie que modérément d’être soumis au même traitement que Jacques Cheminade ou Nathalie Arthaud, relégué à des heures indues sur les chaînes de télévision. L’avantage de l’entre-deux-tours, selon lui, est bien de « pouvoir lutter à armes égales, projet contre projet ».

Évoquant la soirée du 22 avril, il ne refrène pas sa colère au sujet de ces résultats erronés qui, pendant vingt-quatre heures, ont circulé et le plaçaient à bonne distance, avec cinq points d’écart, de son adversaire François Hollande. « Alors, en fait, s’amuse-t-il, la vague serait à vingt-huit et le naufrage à vingt-sept ? »

Son ironie se fait plus mordante encore sur les diverses prédictions qu’il juge largement invalidées par les résultats effectifs : « On nous a raconté que Le Pen menait une campagne nullissime et que Mélenchon était le tribun qui parlait au peuple. Or, il n’y a aucune vague de gauche. »

Il ne faut pas oublier que, quelques mois plus tôt, l’hypothèse de l’absence de Nicolas Sarkozy au second tour était même évoquée… alors que dans les faits aujourd’hui « Hollande me suce la roue » ! François Hollande va même jusqu’à calquer sa stratégie à l’égard du Front national sur la sienne, poursuivant ce singulier parallélisme qu’il avait déjà initié lors de la tragédie de Toulouse.

Les médias tentent de piéger le candidat-président avec la question délicate des législatives, sujet sur lequel il est parfaitement clair : « Ce n’est pas la question du jour. Nous n’aurons pas d’accord de gouvernement avec le FN. Il n’y aura pas non plus d’accord pour les législatives. » Il dit : « Pourquoi nous placer dans une hypothèse, celle d’un choix entre le PS et le FN, qui ne se produira de toute façon pas ? Nous avons partout des candidats qui réaliseront au moins 12,5 % des suffrages et qui pourront se maintenir et passer devant le FN. Donc je ne vois pas pourquoi on nous somme de nous justifier sur cette affaire. »

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À l’issue de ce premier tour, il est manifeste que notre candidat a renoué avec sa pugnacité.

Il a même retrouvé son humour dévastateur dont Hollande et son comportement de vierge effarouchée devant la proposition de débat faite par les radios font les frais : « On m’a proposé une date et, quand il a refusé, je me suis dit : c’est un problème de date et je vais proposer un autre jour. C’était le soir : refus. Je me suis dit que si ça ne lui convient pas, je vais opter pour le matin. Mais le matin, ça ne lui convenait pas. Alors faisons le débat le midi. Je me suis dit que ce sont peut-être les journalistes qui ne lui plaisent pas ; eh bien, il va choisir les journalistes. Et puis il va choisir la couleur du studio. Je suis d’accord pour tout ! »

Après ce petit one-man-show, Nicolas Sarkozy revient avec gravité sur les erreurs figurant dans les résultats du premier tour. Ces estimations faussées, outre le sentiment d’imposture qu’elles ont pu légitimement susciter, ont mis les commentateurs politiques dans une situation très inconfortable le dimanche soir. J’en ai moi-même pâti.

Dès mon premier débat sur France Info, peu après vingt heures, je dois me livrer à un exercice passablement surréaliste qui consiste à analyser et commenter des données qui, jusqu’à environ vingt-trois heures, s’avéreront largement erronées. On me jette ainsi à la figure les quatre ou cinq points qui séparent Sarkozy de Hollande. Au sourire triomphant de Marisol Touraine, j’oppose l’argument classique du « rien est joué ». Elle parle même de « désaveu » du président alors qu’il est en fait devancé d’un cheveu par son champion socialiste. Une même vague porte l’un, mais noie l’autre !

Le pire est dans le score attribué à Marine Le Pen : 20 %, alors que le pourcentage des voix de l’extrême droite Le Pen-Mégret était supérieur en 2002. On impute évidemment ce prétendu tsunami frontiste à la stratégie « droitière » de notre candidat.

J’essaie à travers plusieurs émissions au cours de cette soirée de remettre les choses en perspective en soulignant d’une part que ce résultat s’inscrit dans une percée générale des populismes, en réfutant d’autre part l’idée absurde selon laquelle les électeurs du FN attendraient la bénédiction idéologique de Nicolas Sarkozy pour passer à l’acte.

Sur France 2, c’était bien pire : les commentateurs se sont cramponnés contre toute évidence à leurs estimations erronées et il a fallu attendre vingt-trois heures pour qu’ils apportent des correctifs. Le mal était fait et s’étaient installés dans l’esprit des citoyens deux axes : la nette suprématie de Hollande, présenté comme fatalement vainqueur in fine et un prétendu et inégalé succès du FN.

Toutes ces contre-vérités m’irritent d’autant plus que cette soirée s’inscrit dans le prolongement logique de la campagne, empreinte d’un « sarkobashing », de ce tir permanent, à basse altitude, à contre-vérité. Quand je découvre d’ailleurs le lendemain la une du journal L’Humanité, je suis outrée de voir une photo de Pétain à côté de celle du président avec, en titre, « Le raid de Sarkozy sur le 1er mai ».

Je n’imagine pas une seconde Le Figaro apposer le visage de Staline à côté de celui de Hollande et je m’interroge sur l’analogie implicite que le journal du Parti communiste établit entre les électeurs du Front national et les collabos…

Après avoir subi ce maquillage du scrutin et le décuplement de la hargne médiatique à l’égard de Sarkozy, je le retrouve à la Mutualité, au milieu d’une foule enthousiaste qui est venue nombreuse. La tonalité de la réunion est bien différente de celle du meeting de la Concorde. Nicolas Sarkozy s’est enfin départi de sa majesté inaccessible pour aller au contact des militants après un discours empreint d’émotion. Il fend l’armure et un instinct de conquête lourd de promesses et d’espoir le possède. François Fillon, que je retrouve en bas de l’estrade, partage la même impression puisqu’il me dit doucement : « Tu sais, ce n’est peut-être pas impossible… »

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Les socialistes, quant à eux, ne sont toujours effleurés par aucun doute. Les amis que je croise ce soir-là me le confirment. Quand je les interroge sur les résultats au final assez décevants en termes d’écart entre leur champion et le mien, sur leur étiage au premier tour inférieur à celui qui a fait gagner la gauche par le passé, sur ces 44 % qui ne leur permettent pas de vaincre exclusivement avec leurs propres forces, ils me répondent qu’ils sont sûrs de leur coup au motif que « Sarkozy est tellement haï ! » C’est un peu court comme argumentation, mais les quelques prestations médiatiques que je suis amenée à effectuer lors de cette semaine sont édifiantes. L’antisarkozysme qui s’y déploie est hallucinant.

Invitée à débattre avec Gérard Collomb sur Public Sénat, je subis une interview totalement partisane. La journaliste qui anime la discussion ne se contente pas de reprendre les arguments de mon adversaire socialiste, elle les développe et s’en fait l’ardente promotrice. Je finis par m’insurger par tant de partialité, ce qui la conduit, tout de même, à prendre conscience de son dérapage et à revenir à plus de modération.

En ce jour de premier tour, les socialistes apparaissent donc plus triomphants que jamais. Et libres. En effet, la nouvelle qui n’a pas varié au fil de la soirée est celle du tassement du Front de gauche. La bulle Mélenchon a éclaté, même si son score est honorable.

Mais il a eu tort de commettre un péché d’orgueil en se voyant déjà comme le troisième homme de cette présidentielle. Piqué au vif, c’est sans même le citer explicitement, en faisant ainsi un « innommable », qu’il déclare au soir de ce premier tour qu’il se reporte sur François Hollande. Le nom de celui qu’il traitait de « capitaine de pédalo » ne franchit pas ses lèvres. D’ailleurs, après le meeting à la Mutualité, je me rends à Europe 1 où Éric Coquerel, le premier lieutenant de Jean-Luc Mélenchon, est mon interlocuteur. Je ne résiste pas à l’envie de me moquer légèrement : « Ça me fait mal au cœur, vous allez être obligé de voter pour le capitaine de pédalo ! »

Certains, dans nos rangs, se sont réjouis du score décevant du Front de gauche sans percevoir la liberté que cela conférait à François Hollande. Il n’était pas pris en otage par ce résultat, encore moins par celui des Verts. Dans les couloirs de la radio, je croise Yves Cochet qui rase les murs avec ses 2 %. Aux écologistes, Hollande ne doit rien non plus. Aucune négociation avec des partis amis ne vient plus le contraindre. Ils constituent des réservoirs gratuits de voix, sans nécessité de contrepartie.

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Certains se sont inquiétés du changement de ton possible de Nicolas Sarkozy entre les deux tours, d’un glissement droitier. Cette réunion d’aujourd’hui à l’Espace Moncassin a rassuré les modérés – dont je fais partie – puisque le candidat y a réaffirmé sa ligne de campagne : « De toute façon, ma campagne, c’est mon interview dans Le Figaro Magazine avant le début de la campagne. Je ne change rien, je suis toujours sur ces thèmes. » Jusqu’ici, tout va bien…