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Samedi 28 janvier 2012

Je l’ai annoncé aujourd’hui, mais je l’ai décidé depuis longtemps. Je ne briguerai pas un nouveau mandat de député.

Les mauvaises langues ont cherché à interpréter mon choix comme une fuite devant une défaite toujours possible. Pourtant, il y a dix ans, j’en avais déjà pris l’engagement, et Alain Rémond dans Marianne m’avait mise au défi de tenir ma parole. Je la tiens à présent. Je ne me dérobe pas. Je pars après vingt-cinq ans de vie parlementaire, soit cinq mandats consécutifs.

La question des modalités d’exercice de la vie politique n’est pas subsidiaire, loin s’en faut. De la manière dont la gouvernance est exercée dépendent la nature des décisions qui sont prises, la qualité des relations avec les citoyens et la façon dont ils perçoivent les politiques. La question du cumul « horizontal » des fonctions est fréquemment abordée, et les « cumulards » sont souvent vilipendés.

Pourtant, certains élus déploient des capacités d’organisation et mobilisent des compétences intellectuelles et techniques telles qu’ils parviennent à composer talentueusement avec leurs multiples casquettes. Mais on parle moins du cumul « vertical », c’est-à-dire celui qui s’inscrit dans le temps et qui provoque souvent une véritable sclérose de l’action politique. C’est très manifeste pour le mandat municipal : le premier est celui de l’apprentissage, le deuxième celui de la réalisation, mais le troisième, bien souvent, celui de l’immobilisme, voire du pervertissement de l’action. De façon plus ou moins pernicieuse, on prend des habitudes, on se met à travailler de manière clientéliste, on fait appel aux mêmes réseaux, on emploie les mêmes personnes. L’intérêt général en pâtit souvent grandement, et cette situation n’est pas saine.

Je veux le redire : la politique n’est pas un métier, mais une fonction qui n’a pas à s’inscrire dans la durée. Elle prend son sens dans un temps donné, dévolu tout entier à l’exercice d’une mission, d’une charge lourde et noble qui dépasse celui qui l’accepte.

Bien sûr, et je l’annonce dans la conférence de presse que je tiens à Angers, je continue la politique, mais autrement : en écrivant, en participant au débat des idées, en aidant à la promotion des femmes. Et surtout, je veux rénover le fonctionnement du débat démocratique comme je l’ai fait lors de l’élaboration de la charte de l’Environnement, lors des états-généraux de la bioéthique ou récemment lors de la réflexion sur la dépendance.

Mais en politique, trop nombreux sont ceux qui partent contraints et forcés en se drapant dans leur dignité offensée alors qu’ils ne sont en rien propriétaires de leur mandat. Être nommé ministre par exemple est un honneur, pas un dû, encore moins une rente de situation. C’est aussi la conscience de cette fragilité qui nous conduit à cet engagement absolu, quand on considère l’ampleur inouïe de la tâche à accomplir dans un ministère…

Non seulement il faut envisager son départ, mais il est impératif de le décider et le préparer quand il est temps. Cela suppose une certaine dose d’humilité que de considérer qu’il y a un avenir politique possible après soi !

Oserais-je dire que je pense qu’il s’agit d’une qualité plus souvent féminine que masculine : les femmes, parce qu’elles sont aussi mères, ont ce souci de la transmission, du passage de témoin. Une succession bien préparée prouve que l’on a su détecter, autour de soi, les talents, que l’on fait confiance à la jeunesse, que l’on a eu foi dans le nécessaire renouvellement du personnel politique. C’est ainsi que l’on renoue avec la confiance des électrices et des électeurs. C’est ce qu’on pourrait appeler l’ascèse de l’adieu.

Aux élections législatives de 2007, j’ai donc acté mon choix en prenant un suppléant plus jeune, Paul Jeanneteau, talentueux et expérimenté pour assurer une relève fiable et prometteuse.

En le recrutant, je l’ai immédiatement mis en situation de me remplacer : « Je vous laisse la boutique et c’est vous qui vous installez. Vous n’êtes pas un suppléant, vous êtes le député ! »

Quelle magnifique fonction que celle de parlementaire ! J’ai adoré être députée parce que la bataille des idées me plaît, et parce que c’est véritablement au sein de l’Assemblée que l’on peut agir dans le sens du progrès.

J’ai gardé des souvenirs épiques de mes années de députation, en premier lieu sans doute la lutte en faveur du Pacs. Cette bataille a été en quelque sorte mon image de marque, et elle a assis à juste titre une réputation d’indépendance et de courage que je revendique. Elle m’a aussi permis de créer des liens et même des amitiés, bien au-delà de ma famille politique…

*

Contrairement à la fonction de ministre, celle de député a l’avantage du libre arbitre et d’une durée logique, légitime et juste.

À tout poste ministériel – certains sont plus minés que d’autres –, on risque d’être éjecté n’importe quand, n’importe comment, d’une manière arbitraire qui intervient parfois au beau milieu d’un dossier important. Au mieux, votre successeur fait tout pour récupérer la mise en occultant votre rôle, au pire, il abandonne le dossier de peur de passer pour un suiveur.

Comme le mandat de Jacques Chirac, le quinquennat de Nicolas Sarkozy a joué la valse des ministres. Je suis, par exemple, son cinquième ministre des Affaires sociales en trois ans et demi !

Ces changements, trop rapides, ont considérablement nui au président. Comment appréhender son rôle quand on ne connaît pas les dossiers, ni même parfois la limite exacte de ses attributions ?

Je me rappelle qu’en 2009, quand Brice Hortefeux a été nommé ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, il était un peu perdu… Un journaliste, lors d’une conférence de presse, lui avait posé une question sur le droit des femmes. Il s’était tourné vers son conseiller pour lui demander, les yeux écarquillés : « Parce que je m’occupe de ça aussi ? » Ce dernier avait hoché la tête…

J’ai bien noté par la suite que certains sujets n’avaient pas été sa priorité. Il faut dire qu’il n’était resté que six mois en fonction.

Alors, quand le président se plaint de n’être pas soutenu par ses ministres, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Avec des erreurs de casting et un turn-over gouvernemental excessif, il s’est tiré une balle dans le pied, mettant ses fidèles – et ses infidèles – en position d’échouer, faute de temps pour prendre la mesure des dossiers, créer des liens de confiance avec les acteurs de la société civile, et se faire obéir par leur administration.

Je trouve donc injuste cette façon que notre candidat a, depuis le début de la campagne, d’écarter ses ministres comme s’ils étaient malades d’une peste qu’il a lui-même inoculée…

*

Si nous ne trouvons pas grâce aux yeux du président, ce n’est pas le cas d’Angela Merkel.

Loin de l’ambiance frelatée qui règne à l’Élysée et des reproches muets qu’il croit lire dans tous les yeux, la chancelière allemande lui offre un bol d’oxygène et une main secourable. Éloigné du climat délétère de la politique intérieure, il semble respirer. Avec son amie Angela Merkel, il peut fuir les tensions inhérentes à des enjeux nationaux et se réfugier dans la bonne humeur allemande, la relation amicale sincère, un peu brusque, mais claire comme la camaraderie militaire.

Bien que les Allemands n’apprécient guère ce goût de leur chancelière et critiquent son soutien au président français, elle persiste à l’inviter, à le solliciter et à montrer ouvertement leur relation amicale.

Pendant l’un de nos déplacements, il me confie avec humour les coulisses de son débat avec elle et les anecdotes qui alimentent leur complicité. La chancelière allemande lui a offert un podomètre, connaissant son amour du sport, ainsi qu’un humidificateur à cigares spécialement conçu pour lui. Il ajoute, d’un air enjoué : « Elle est très sympa, tu sais, Angela. Quand elle a aimé un film, elle me l’envoie. Et puis elle est habillée… Elle a de ces vestes… Mais elle n’est pas moche, tu sais. Elle adore le vin. Elle mange du pain beurré avec son fromage. Et quand on a une réunion, elle veut qu’on prenne notre petit déjeuner dans la salle à manger. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il y a moins à manger lorsque le petit déjeuner est servi en chambre, tandis que dans la salle à manger il y a un buffet ! Et quand on termine la réunion, elle voudrait qu’on aille prendre un pot au bar. Je lui ai pourtant dit que je ne buvais pas d’alcool. »

Les rapports de franche cordialité entretenus par le président français et Angela Merkel me font rire.

Il achève son éloge par une anecdote réjouissante : « Finalement, elle est très sentimentale. Au moment du sommet de Cannes, j’ai dû prendre fait et cause pour Obama contre elle sur un point technique. Elle était sur le point de pleurer, j’ai vu ses mains trembler et j’ai dit à Obama : ‘‘Je vais me réconcilier avec elle.’’ Elle est très émotive… »

Je connais Angela Merkel que je rencontre à Bayreuth ou Salzbourg car nous sommes des « lyricophiles » déterminées. Mais j’ai quelques doutes sur la question. Angela Merkel me paraît typiquement le genre de leader qui contrôle ses sentiments et ne se complaît pas dans l’affect. Sa représentation en Sissi pétrie de fragilité ne me convainc guère. Finalement cette conversation est passionnante, car elle montre bien que deux personnages politiques, dont personne ne conteste la stature internationale, ont établi des liens sinon d’affection, mais de camaraderie. Ses liens privilégiés avec la chancelière allemande confortent le président dans son positionnement et ses options stratégiques à l’international.

Cette relation, sans relâcher la défense des intérêts de notre pays, a souvent permis à Nicolas Sarkozy d’emporter des arbitrages essentiels en cette période de tension extrême. Mais cela rend aussi très dommageable la funeste pratique qui consiste à faire valser les ministres tout au long d’une mandature. Nous usons notre cinquième ministre des Affaires européennes depuis 2007 avec Jean Leonetti, après Jean-Pierre Jouyet, Bruno Le Maire, Pierre Lellouche et Laurent Wauquiez. Aux Conseils des ministres, les collègues européens ne se donnent plus la peine de retenir nos noms. Au suivant !

Nicolas Sarkozy semble plus reposé et convaincant lors de sa prestation télévisée dans une émission spéciale sur TF1 face à quatre journalistes, le dimanche 29 janvier. J’ai suivi le débat depuis La Réunion où je fais un déplacement sur les thèmes du RSA et des crèches. Il m’est apparu bon, maîtrisé, serein.

Bien qu’il n’enregistre pas de remontée nette dans les sondages, il est parvenu à réorganiser le débat autour de ses propositions, telles que la TVA sociale devenue TVA compétitivité. Les Français semblent plus ouverts à la proposition. Quand la question est : « Est-ce que vous trouvez qu’il est bon de faire payer, par un impôt à la consommation, la protection familiale ? », la moitié d’entre eux répond par l’affirmative.

Le président a su se montrer pédagogue et faire admettre que les mesures adéquates pour l’avenir impliqueraient une part de sacrifices compte tenu de l’âpreté du contexte économique. Lors d’un Conseil des ministres, il avait plaisanté de façon grinçante : « Nous avons le choix entre des mesures antipathiques ou très antipathiques ! »

Je suis rassérénée par cette intervention présidentielle qui replace le candidat au centre de la campagne. Mais il y a toujours un décalage entre l’accélération du candidat et les troupes sur le terrain.

Le lendemain, tandis que je dîne avec une douzaine de cadres UMP à Saint-Denis de La Réunion, à l’unanimité, ils me déclarent : « Sarko est cuit ! Notre seule chance, c’est que Juppé soit notre candidat ! » Évidemment, j’argumente et réussis à les convaincre de la justesse et de l’opportunité de la candidature présidentielle. D’autant que le débat qui a opposé la semaine précédente le ministre des Affaires étrangères au candidat François Hollande n’a pas tourné à l’avantage du premier.

Alain Juppé, qui court les routes du monde, n’avait consacré qu’un demi-après-midi à sa préparation alors que François Hollande s’était réservé plus de trois jours à peaufiner ses coups.

Quoi qu’il en soit, ces objurgations au renoncement venant de notre cœur de militance n’ont rien de rassurant.