CHAPITRE XI
Finalement les évolutions serrées en Flèche étaient nettement plus éprouvantes qu’en Saucisse. Les pilotes encaissaient davantage de g à la mise en puissance et au freinage. Ils comprenaient maintenant pourquoi c’était toujours les Géos qui abandonnaient le combat en premier. Physiquement il fallait une grande résistance.
On leur recommanda de dormir plus souvent pour récupérer. Et les deux derniers jours d’entrainement furent ponctués de sommes dans la salle de repos. Ils n’avaient d’ailleurs pas de peine à s’endormir. Tout le monde se débrouillait bien avec les nouveaux appareils, même les jeunes.
Gurvan faisait très attention à ne pas s’entraîner seul à portée de vue des autres pour éviter des commentaires qui le gênaient.
Le second soir ils apprirent qu’effectivement ils étaient en route pour une autre planète dénommée 90 PJH 34 d’un système voisin ou un débarquement allait avoir lieu. Et ils seraient utilisés pour soulager les troupes au sol. Ils attaqueraient les troupes ennemies, leurs points retranchés, pour faciliter le travail des groupes d’assaut.
Padge ne leur cacha pas qu’ils seraient tirés par des thermiques lourds sur véhicules, ne serait-ce que les Blindés, et qu’il faudrait découvrir la meilleure méthode pour être efficaces, d’abord, puis s’en tirer…
Il semblait que cette technique ait été employée à d’autres occasions récentes et qu’on avait enregistré beaucoup de dégâts ! Le bruit courait qu’avec ce truc la statistique descendait à 44 missions…
Il ne fallut que cinq jours au 6021 pour être sur place. Il lança immédiatement ses Transports de débarquement qui entamèrent leur ronde pour se rassembler et attaquer. Les troupes furent débarquées différemment. Il y avait quatre continents sur cette grande planète vivable, chaque Porteur de la Task-Force en prit un en charge – Le 6021 reçut un continent à cheval sur l’équateur et fut chargé de son « nettoyage », comme disait le Commandement.
Deux Escadres devaient descendre s’installer tout de suite au sol, la 122 et la 347, du moins dès que les troupes auraient solidement prit pied. Quand même ! Padge obtint de n’envoyer immédiatement que deux des trois Escadrons afin d’en garder un en réserve. Le B et le C furent désignés.
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— C’est votre première mission de ce genre, alors ouvrez les yeux, tâchez de réfléchir pour ne pas vous lancer n’importe comment sur les objectifs, mais de les détruire. Avec notre puissance de feu, ça ne doit pas prendre bien longtemps.
Padge était souriant et Gurvan se demanda si c’était de la comédie ou si, vraiment, ça l’amusait. Les pilotes du B et du C étaient assis dans la salle de repos faisant face au chef d’Escadre qui avait installé un tableau lumineux sur lequel étaient tracés la forme du continent et l’endroit qu’ils devaient attaquer.
Karang prenait une quantité de notes, à la main, sur un petit miroir à mémoires de signes. Un joli petit objet qu’il trimbalait toujours sur lui.
Ils venaient juste de recevoir les sacs de survie qu’ils devraient désormais emmener à chaque mission, avec un thermique de poing dans un étui de ceinturon passé autour de leur taille. La plupart l’avaient en ce moment pendant à l’épaule, ou posé avec leur casque.
— Si vous êtes abattus, utilisez donc ces localisateurs, dit Padge en montrant un petit objet sur le côté gauche du ceinturon. La veille radio sera permanente, en orbite, et on viendra vous chercher en Tracteur. Mais attention, très peu de Tracteurs ont pu être modifiés pour ce boulot car il faut en cannibaliser trois à chaque fois. Alors veillez vous-mêmes à la sécurité des gars qui viendront vous récupérer. Pas question de les appeler si votre coin n’est pas sur. Attendez le temps qu’il faut en vous cachant avant de mettre en marche le signal. Compris ?
Il y eut un vague murmure. Personne n’était très chaud pour ces attaques, moins excitantes qu’un combat en espace contre des Géos. Surtout maintenant que les nouveaux appareils étaient arrivés.
Ils se rendirent doucement dans le hall ou les Flèches étaient rangées par quatre, face aux portes encore fermées, bien sur. Gurvan était N°2 d’une fille qui avait une victoire, Landra, qui marchait d’un air décontracté devant lui, en balançant son casque. Il sourit intérieurement. Elle en faisait beaucoup. Il faut dire qu’elle était l’une des dernières arrivées et qu’elle avait déjà une victoire avec pour N°2 un type en Escadre depuis plusieurs mois… Ça la flattait, la petite chérie. Gurv se demanda fugitivement s’il n’était pas un peu jaloux de penser à des trucs comme ça… et s’aperçut que oui !
Il se sentit mieux, tout de suite, d’avoir trouvé la raison. Les auxiliaires prenaient plus de soins qu’auparavant à les installer à bord de leurs engins. C’est qu’un gars était revenu avec son harnais de poitrine imprimé dans la peau, au travers de sa combinaison, par les g qu’il s’était envoyés…
L’un des siens lui frappa le casque de la main avant de se reculer sur le sommet de la petite plateforme d’accès au poste de pilotage. Il releva la tête et reconnut un gars qu’il connaissait depuis son premier vol à bord. Il lui sourit et leva le pouce. L’autre se fendit la bouille et fit un O avec le pouce et l’index de la main droite. Un rituel qui s’était installé entre eux, comme ça, pour s’amuser à pasticher les personnages des films historiques qu’on passait souvent sur le réseau interne de tridi.
Le toit descendait et il rentra instinctivement la tête dans les épaules. Le claquement du verrouillage automatique se fit entendre et le grand écran s’alluma immédiatement. Beaucoup plus grand que ceux des Saucisses, ces écrans. Ils permettaient de voir non seulement en face mais aussi jusqu’aux trois quarts arrière, en tournant la tête. L’écran de vision arrière était placé entre les jambes étendues du pilote, à la hauteur de ses genoux. Vraiment toute la place était occupée, à bord…
— Briscards Rouge, vous me recevez ? Répondez dans l’ordre. Bishop, qui commandait les deux escadrons, commençait les vérifications.
— Rouge 2 OK.
— Rouge 3 reçu.
— Rouge 4 c’est bon.
Chacun employait sa formule et périodiquement Padge rappelait tout le monde à l’ordre pour faire appliquer la procédure réglementaire. Bishop, lui, était plus coulant.
Les portes glissaient. Des flammes courtes apparurent, une fraction de seconde à l’arrière de la première paire qui, décolla rapidement, suivie à trois secondes de la deuxième. Les pilotes venaient d’encaisser cinq g pendant plusieurs secondes…
— Briscards Bleu, vous me recevez ?
Rom entamait la procédure à son tour. Six Flèches du B et six du C participaient à cette première attaque à partir du Porteur qu’ils devaient rejoindre au retour. L’installation au sol n’était pas encore décidée formellement.
L’espace… La position semi-allongée était beaucoup plus confortable pour supporter les g du départ et Gurvan prit en main sans tarder la commande des latérales pour obliquer vers son leader et venir se placer à sa droite, sur l’arrière, en fidèle N°2.
Le trajet en espace s’effectua assez rapidement, moins de quarante minutes. Il faut dire que Bishop devait avoir reçu des ordres parce qu’il les fit accélérer au maxi, dès le départ.
Pendant l’approche de l’orbite ils entamèrent une spirale qui les fit pénétrer en atmosphère au sud de leur continent qu’ils découvrirent de haut. Une sorte de banane coupée perpendiculairement, presque en son milieu, par l’équateur. Le côté Ouest était assez découpé, surtout aux extrémités, qui devaient aboutir aux régions tempérées, d’après la couleur du sol. En revanche, les côtes Est étaient rectilignes. Une plage de 11 000 kilomètres de long…
La visibilité était étonnante, de si haut. Pas de nuages, si bien qu’on distinguait les lueurs des explosions dans les zones de combats !
Le premier demi-Escadron, avec Bishop, entama l’entrée en atmosphère par le pôle Sud, poursuivant la descente en direction de leur objectif, enregistré par le Central navigation et apparaissant en surimpression avec un point jaune sur l’écran. Il suffisait de diriger la Flèche en amenant ce point au centre de l’écran, au croisement de deux filets fixes, pour arriver droit dessus.
Le second demi-Escadron, dont faisait partie Gurvan, devait attendre quinze secondes avant de suivre.
La plongée, la première qu’ils faisaient avec ces engins, fut d’une étonnante facilité. La poussée du propulseur laissa peu à peu la place au système anti-g, au fur et à mesure que la pesanteur augmentait. Mais les commandes de pilotage étaient couplées sur les deux systèmes et rien ne changeait, pratiquement. Il n’y eut guère qu’une dizaine de secondes ou ils eurent l’impression que les Flèches s’enfonçaient sans pouvoir les contrôler. Mais ils étaient encore très hauts et avaient de la marge.
Avec le grossissement ils aperçurent rapidement l’objectif, une plaine ou des forces importantes étaient opposées. L’ennemi engageait des blindés qui avançaient sur une ligne. Impressionnant, même vu de haut.
Le groupe de Bishop commença à décrire une large courbe pour déboucher de face et, les unes après les autres, les Flèches attaquèrent. Le premier, Bishop piqua. Ses tubes crachèrent alors qu’il était encore assez haut. Une file de blindés encaissa et plusieurs sautèrent dans de grosses explosions. Les batteries d’énergie devaient avoir été touchées. Et puis ce fut le drame.
La deuxième Flèche entamait à peine son plongeon qu’elle fut encadrée de rayons de thermiques. Le pilote n’eut pas le temps de se laisser dériver pour quitter cette trajectoire, il prit un thermique de plein fouet et sauta.
Une grande boule blanche, aveuglante, et plus rien. Pas même des débris !
La troisième Flèche avait déjà suivi et était engagée dans son piqué quand la deuxième disparut des écrans. On vit que le gars de la troisième voulait remonter, mais les rayons le frappèrent à plusieurs reprises…
Deux appareils détruits en quelques secondes ! Pourtant l’attaque se poursuivit. Les trois derniers explosèrent alors qu’ils étaient à mi-chemin. Avant même d’avoir pu tirer… Sur les six appareils qui venaient d’attaquer, un seul, le premier, celui de Bishop, s’en était tiré !
Et c’était au second groupe de plonger… Gurvan eut une sorte d’étourdissement. La brutale certitude que tout allait se terminer là. Les autres avaient eu au moins pour eux l’effet de surprise. Désormais, au sol, la coordination devait les prendre dans les appareils de visée. Pas un seul appareil n’avait une chance de s’en sortir…
Fin de « Sergent-pilote Gurvan »
Suite dans « Gurvan : les premières victoires »