CHAPITRE XI
Ils trouvèrent encore un petit groupe dans la dernière salle. Mais ils se révélèrent trop tôt et furent liquidés sans difficulté. Quand ils ressortirent, la nuit tombait et Gurvan songea qu’il était impossible de continuer le combat dans le noir.
Il prévint les pilotes de se poser, sauf une paire qui resta en vol aux anti-g. Un appareil au-dessus des Flèches au sol pour les protéger et un autre en stationnaire à cinq cents mètres pour guetter ce qui se passait sur la base. Finalement c’était l’explosion du second véhicule que Gurvan avait vue. Les intercepteurs étaient tous intacts.
Tout le monde fut rassemblé dans le grand bâtiment ou ils avaient eu les morts.
Quelqu’un se dévoua pour nettoyer les salles et ils dormirent, tant bien que mal. Une relève fut établie pour les pilotes des Flèches de garde. Aux anti-g elles ne consommaient que très peu d’énergie.
Rom était de surveillance quand des survivants tentèrent une sortie. Ils débouchèrent dans trois véhicules blindés, fonçant vers l’est. Rom les laissa s’éloigner et fit deux passes.
A l’aube, il faisait gris et froid. Gurvan décida de terminer la fouille avec tout le monde. Les Flèches décollèrent et revinrent frotter leur long museau aux parois des bâtiments.
Ils perdirent encore un auxi et achevèrent le dernier bâtiment à la nuit tombante seulement.
Sur la base, les dégâts étaient importants. Les Flèches avaient pulvérisé la moitié des bâtiments, pour ne pas prendre de risques. Ils revinrent tous en silence vers l’endroit ou ils avaient dormi la veille. Instinctivement deux clans se formaient, les auxis d’un côté, les pilotes de l’autre.
Sank, qui avait combattu avec un groupe à part, était le seul qui allait, naturellement, d’un clan à l’autre. Ce fut une nuit d’abrutissement complet. Toute la fatigue, la tension, ressortait. Ils avaient un sommeil plein de souvenirs du 6021 agonisant, du voyage et de ces combats.
Quand il se réveilla, Gurvan alla s’asseoir devant la porte du bâtiment. Il avait envie de boire quelque chose de chaud. Il faisait un sacré froid, ce matin. Sa combine l’isolait bien mais le visage était exposé et ses joues lui disaient combien le thermomètre devait être bas.
Il songea qu’il faudrait s’organiser, évaluer les ressources de la base, s’installer… Et rester sur ses gardes, aussi. Ce qu’ils avaient réussi pouvait très bien leur arriver. Qu’un commando ennemi survienne et ils ne pèseraient pas lourd. Oui, il faudrait maintenir une Flèche en vol. En tout cas faire des patrouilles. Mais pendant combien de temps ? Pour combien de temps étaient-ils isolés ici ?
Si la même situation s’était posée quand ils étaient sur cette planète mauve il aurait béni leur chance. Mais ici, sur ce sol glacé…
— Ça va, mon gars ?
Sank s’asseyait près de lui.
— Mmmmm.
— Normal, après ce qu’on a vécu, tu ne crois pas ? On déprime un peu. Tu as une idée de ce qu’on va faire ?
L’idée apparut dans le crâne de Gurvan.
— D’abord Dji va prendre le commandement et constituer officiellement une unité. Ensuite il faudra trouver de quoi s’installer, bouffer… je ne sais pas, moi. J’ai envie d’une douche, tu n’imagines pas !
Sank rit.
— Pas plus que moi, mon gars.
Dji les trouva un peu plus tard au même endroit, regardant en silence les décombres et le ciel bas. Elle s’assit près d’eux, sans rien dire et ils restèrent longtemps comme ça.
La paix revenait en Gurvan.
— Vous savez ce que j’aimerais ? dit soudain Sank. Aller explorer un peu les environs, la nature. Ça ressemblait à ça, votre coin ?
— T’es pas fou ?
Dji était outrée.
— On t’a raconté qu’il faisait si chaud qu’on se baignait tout le temps. Et puis il y avait de beaux arbres, des fleurs, des couleurs. Ah non alors, rien à voir !
Gurvan sourit pour lui-même. Il revoyait la petite colline mauve, couverte de fleurs…
— Dis donc, Dji, il fit au bout d’un nouveau silence, on mange quelque chose et tu nous constitues en unité ?
Elle approuva de la tête.
— Il faut monter deux unités, la première avec les pilotes et l’autre avec les auxiliaires. Sinon on aura des problèmes…
Gurvan fut un peu surpris qu’elle aborde la question avec autant de naturel. Il y avait des filles dans les deux groupes. En constituant deux unités, elle permettait des liaisons entre les pilotes et les auxis. C’était sage, dans l’hypothèse ou leur séjour durerait longtemps. Puisque le règlement interdisait les aventures sentimentales au sein d’une même unité. C’était justement ce qui leur interdisait, à Dji et à lui, de s’aimer.
— Rom sera mon adjoint, elle ajouta.
Normal. Ils étaient arrivés ensemble sur le 6021 mais Dji avait neuf victoires et venait d’être nommée officier-pilote et Rom, avec trois victoires depuis déjà un certain temps, avait déjà fait fonction de chef de patrouille. Gurvan n’était qu’un simple N°1.
Aucune allusion à ce qui s’était passé depuis la fuite. Gurvan fut un peu triste, mais ne dit rien.
Un auxi arriva.
— Le chef Kannys vous fait dire que la machine du mess fonctionne.
Il paraissait un peu gêné de venir s’adresser ainsi à des pilotes. La bagarre terminée, les vieilles habitudes reprenaient le dessus. Les auxis et les navigants ne se mélangeaient pas.
D’ailleurs, il y avait deux groupes installés sur les tables. Ils allèrent se servir et s’assirent avec les pilotes après avoir hésité un instant. Mais Dji mangea rapidement puis se leva pour parler.
Elle expliqua longuement qu’ils allaient vivre de façon différente de ce qu’ils avaient connu, qu’elle prenait le commandement de l’ensemble mais que Kannys, le gradé auxi, et Rom auraient directement autorité sur leur groupe respectif.
Tout le monde eut l’air assez satisfait de retrouver un cadre de vie connu. Elle insista sur le fait qu’ils vivaient en commun et que les relations devraient obligatoirement être plus souples qu’à bord et termina en rappelant qu’il y avait beaucoup de place, ce qui permettrait à chacun de trouver un coin seul. Là elle fut carrément applaudie. Ça se dégelait.
Après le repas, elle appela Kannys et Rom pour mettre sur pied l’organisation pratique quotidienne.
Gurvan se trouva désœuvré et se dirigea vers Sank, à part. Son copain représentait un cas particulier. Il était pilote de tracteur, c’est-à-dire ni auxi ni pilote d’intercepteur.
— Tu viens faire un tour ? fit Gurvan. J’ai pas tellement le moral, envie de m’occuper le crâne.
Sank sourit tristement.
— Comme moi, mon gars.
Ils passèrent le ceinturon sur la combine, avec le thermique de poing au côté, et sortirent.
— Fait pas chaud, le matin, par ici, fit Sank en frissonnant légèrement.
— Oui… ils devaient surement avoir des équipements pour ça. On pourrait peut-être chercher ?
Les bâtiments touchés les attiraient malgré eux et ils fouillèrent les décombres, essayant d’identifier les restes. Du matériel, mais quoi ? Impossible de le deviner tant tout était déformé par la chaleur.
Ils découvrirent une petite bâtisse intacte, accrochée à la roche elle aussi. Une sorte de hangar contenant deux véhicules à effet de sol. Des modèles de travail sur chantier, surement, parce qu’ils ne pouvaient pas contenir plus de quatre personnes à l’aise. Pas armés non plus.
Des batteries étaient posées sur le côté et, à l’intérieur, ils tombèrent sur des vestes de fourrure. D’authentiques fourrures ! Ils les enfilèrent aussitôt, heureux de leur trouvaille. Les combinaisons de vol n’étaient pas pratiques pour se déplacer, dans la journée, ils eurent envie de trouver des vêtements plus commodes et fouillèrent un autre bâtiment avec des locaux de personnels. Là il y avait tout ce que l’on voulait. Des vêtements de travail, notamment, qui ne ressemblaient pas à des uniformes, ce qu’ils auraient refusé.
Ils loupèrent l’heure du repas et rentrèrent dans l’après-midi.
— Bon Dieu, ou étiez-vous passés ? fit Rom immédiatement. Dji était furieuse.
Gurvan allait répondre un peu sèchement quand Sank le devança.
— Exploration et récupération de matériel. Priorité absolue.
Rom en resta la bouche ouverte pendant qu’ils allaient directement à la machine se servir un plat chaud.
— Et vous avez trouvé quoi ?
Il était venu s’asseoir près d’eux.
— Tu vois pas ? fit Sank en montrant la veste posée à côté. Très confortable. Tu devrais essayer. Si tu me fais le bisou je te dis ou il y en a…
Soufflé, Rom !
— Et de votre côté, quoi de neuf ?
— Eh bien on a commencé l’inventaire.
— Alors ?
— Alors on a foutu en l’air les réserves principales de vivres en grillant le grand truc, à côté. Il reste des légumes et des trucs comme ça, mais la viande…
Gurvan haussa les épaules.
— Il faudra chasser. On a un véhicule.
Rom secouait la tête doucement.
— Merde, vous avez l’air de vous être marrés. Moi, j’ai passé des heures à m’occuper de trucs empoisonnants…
— Normal, mon gars, fit Sank la bouche pleine, t’es responsable.
— Eh, te paie pas ma tête en prime.
— Il y a des consignes particulières pour nous ?
— Tout le monde doit participer au recensement.
Gurvan repoussa son assiette de synthé.
— Des secteurs ?
— Non, pourquoi ?
— Alors on va explorer le bâtiment du fond.
— Pourquoi celui-là ?
— T’as bien changé, Rom… Pourquoi pas ?
— Je ne sais pas. Tout le monde est sur celui-ci… Qu’est-ce qu’il a de particulier, l’autre ?
— Je ne sais pas, dit Gurvan. Mais on n’a toujours pas trouvé celui qui servait de P.C. et ça m’ennuie, personnellement.
— Pourquoi ?
— Comme ça.
Rom finit par s’éloigner et Sank regarda fixement Gurvan.
— Tu as une raison particulière ou c’était juste pour l’emmerder ?
— Je ne sais pas vraiment. Peut-être un peu des deux. J’aimerais bien mettre le nez dans les documents officiels.
Sank posa les coudes sur la table et appuya le menton sur les mains.
— Vas-y.
Gurvan réfléchit et finit par lâcher d’une voix lente :
— Je me demande ou allaient les mecs qui ont essayé de se tailler avec les véhicules, dans la nuit Sank siffla légèrement.
— Eh… pas idiot, ça… Non, pas idiot du tout, et même assez préoccupant D’accord, je te suis. Ils partaient en direction de l’est, hein ?
— Je crois.
Ils repassèrent les vestes de fourrure, le ceinturon pardessus et se dirigèrent vers la grande bâtisse.
Cette fois ils entrèrent avec prudence. Il était toujours possible qu’il reste un mec, bien planqué.
Le truc était partagé en deux. La première partie comportait un toit amovible avec d’immenses antennes repliées. Manifestement un système de recharge photonique des batteries ! C’était la découverte la plus importante parce que ça voulait dire qu’il serait peut-être possible de mettre en charge les batteries des Flèches.
Si c’était le cas, ils pourraient faire des patrouilles dans l’espace assez loin.
La seconde partie du bâtiment comprenait un étage ou étaient stockées des pièces détachées.
Surtout de l’électronique et là c’était le flou. A quoi pouvait servir ce stock ? Rien, ici, n’utilisait une technologie aussi avancée.
Au rez-de-chaussée ils tombèrent sur les archives de ce département Ils prirent chacun un lecteur et commencèrent à visionner des quartz.
Des tenues de stocks. Mais impossible de lire cette langue.
— Dis donc, fit Sank au bout d’un moment, ces signes-là, c’est bien des chiffres, non ?
Non seulement l’ennemi avait sa propre langue, ce qui était naturel, mais les symboles mathématiques étaient également différents.
Gurvan se pencha.
— J’ai le même problème. Il faudrait d’abord comprendre. Sur les containers il y a des symboles, si on en vidait un…
— C’est une idée, mon gars. Emmerdante mais une idée.
Ils passèrent le reste de l’après-midi à vider des boîtes pour constituer un lexique mathématique ! Mais à la nuit ils avaient assez d’éléments pour comprendre. Ils utilisaient un système sexagésimal !
Il était trop tard pour se remettre aux quartz et ils rentrèrent dans l’obscurité.
L’atmosphère était plus détendue, ce soir. Les auxis étaient lancés dans un tournoi de gafle et les pilotes, par petits groupes, discutaient en buvant.
Dji vint vers eux.
— Alors, vous dormez ou ?
Elle avait une voix indifférente et pourtant Gurvan sentait une tension.
— On n’a pas encore cherché, il répondit.
— Vous vous êtes bien baladés ?
Sank la regardait fixement.
— Dji, je t’en prie…
— Tu me pries de quoi ? Si vous vous faites griller dans un coin on ne le saura même pas, je ne pourrai pas envoyer du renfort !
Elle parlait d’une voix basse, dure. Gurvan ne comprenait pas les raisons de cette colère. Pourquoi leur en voulait-elle ? Il y avait quelque chose, mais quoi ? Ou était la douce Dji de la planète mauve et même du porteur, quand elle était revenue à elle ?
— Dji, dit Sank posément, au combat tout le monde se bagarre de son côté et tu ne te poses pas autant de questions.
Elle rougit violemment.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
Puis elle se détourna et quitta la salle.
— Elle s’inquiétait, tu crois ? se demanda Sank à voix haute.
— Il n’y a pas que ça… N’empêche qu’elle a raison pour une chose au moins, on n’a rien préparé pour dormir.
— On va se trouver une couchette et demain matin on s’occupe de se loger en priorité. O.K. ?
*
Ils mirent une semaine à s’y retrouver, dans la base. Les auxis découvrirent l’atelier de réparations, assez endommagé mais capable de servir encore. Kannys et un auxi technicien d’énergie bricolèrent une sortie pour mettre en charge leurs batteries. Toutes les Flèches se retrouvèrent avec une autonomie complète. Mais la meilleure nouvelle fut que la charge était assez rapide. Pas plus de quatre heures et on pouvait placer deux Flèches en même temps.
Dés lors, Dji plaça une paire en patrouille chaque jour. D’abord pour garder l’entraînement des jeunes pilotes et ensuite pour surveiller les abords. Elle n’avait posé aucune question à Gurvan et Sank qui continuaient leurs recherches de leur côté.
Ce fut pourtant un auxi qui découvrit, par hasard, le central de commandement, derrière un panneau mobile qu’ils durent forcer. Des quantités d’écrans de détection, des appareils, morts parce que les antennes avaient été détruites. Kannys se chargea d’en remplacer certaines tant bien que mal, quand il en comprenait le fonctionnement, mais la puissance était extrêmement réduite.
En revanche, le central-communication était mort. Tout le matériel avait grillé… Impossible de lâcher un message dans l’espace.
A force de s’entêter, Sank et Gurvan finirent par comprendre comment étaient tenus les stocks et là tout changea. Ils se regardèrent en silence et sortirent à la recherche de Dji qu’ils amenèrent sur place.
— Bon, alors ces mystères, c’est quoi ?
Elle n’avait pas changé d’attitude depuis le premier jour. Gurvan en était blessé et se réfugiait en lui-même. Il parlait moins souvent à Sank qui faisait mine de ne s’apercevoir de rien.
— Voilà les signes qui correspondent à nos chiffres, commença Gurv. Maintenant regarde ce quartz.
— Bon, d’accord, vous avez beaucoup travaillé, épargne-moi cette autosatisfaction et va aux résultats.
Il respira longuement pour se calmer.
— Les quartz révèlent des variations de stocks périodiquement. Des quantités assez importantes.
— Tu en déduis quoi ?
— Qu’ils sont livrés ou vident leurs pièces détachées régulièrement.
Il n’ajouta pas que ça impliquait l’arrivée d’engins en provenance de l’espace, c’était inutile…
— La périodicité ?
— Pour l’instant, on n’a pas compris comment fonctionne leur calendrier. Il faudrait d’autres éléments.
Dji réfléchissait.
— Venez au central de commandement. Ils ont des archives. Avec ce que vous savez déjà, il sera peut-être possible de faire des rapprochements. Mais fermez-la, surtout avec les auxis. Ils emmenèrent deux quartz, pour comparer.
Cette fois ils ne trouvèrent pas avant neuf jours.
C’est Sank qui s’aperçut que deux séries de chiffres correspondaient. Apparemment un convoi était passé une semaine avant leur débarquement, auquel on avait fourni un lot de systèmes de visée pour raiders…
Les passages semblaient être bi-annuels, en général, et beaucoup plus fréquents sur des coups ponctuels. Probablement de petites unités venant faire effectuer des réparations. L’ennemi devait avoir des bases d’entretien comme ça un peu partout…
On pouvait donc s’attendre à voir survenir un appareil ennemi n’importe quand…