CHAPITRE VIII
Ils marchaient le long d’un couloir qui n’en finissait pas, changeant d’axe fréquemment, au point qu’ils ne savaient plus dans quelle direction ils allaient ! Ils avaient traversé des secteurs totalement anéantis jonchés de cadavres : des explosions internes.
A plusieurs reprises ils avaient trouvé des pièces blindées, occupées d’après la lumière orange fixe allumée au-dessus de la porte, mais n’avaient pas essayé d’entrer. Ils suivaient Gurvan et même Dji ne posait pas de question.
Alors qu’ils allaient déboucher sur une large rotonde, une explosion se produisit, à droite. Ils virent, à moins de dix mètres d’eux des morceaux entiers de cloisons voler. Le souffle ne les frappa pas de plein fouet mais ils furent projetés en arrière.
Tout de suite une fumée épaisse fut visible, au ras du sol. Ils baissèrent les visières de leur casque qui se verrouillèrent automatiquement et branchèrent les bouteilles-recyclage de l’air.
Rom avança prudemment jusqu’à la sortie du couloir. Le plancher métallique était défoncé. Apparemment l‘explosion venait du dessous.
— On peut se faufiler sur le côté, il cria derrière lui, à peine audible.
Gurvan songea qu’il fallait absolument s’orienter, sinon ils risquaient de tourner dans cette immense zone et le temps était certainement compté.
Rom n’attendit pas de réponse et s’engagea sur l’étroite bande encore solide, évitant de regarder les énormes conduites, loin dessous, d’où s’échappait la fumée.
De l’autre côté ils tombèrent sur des portes fermées automatiquement. Ils durent utiliser à nouveau le thermique de travail pour débloquer une fermeture. C’était un sas et ils en sortirent dans un coin ou les bruits des explosions paraissaient encore plus violents.
On aurait dit des quartiers d’habitation. Ils découvrirent des dortoirs avec des couchettes superposées, repliées le long de la paroi de gauche. Celle de droite avait disparu…
Un quartier de troupes au sol. Ainsi ils étaient installés de cette façon ? A combien, cent peut être, dans une même pièce, pendant des années ? Ils avaient tous des frères et des sœurs-édu affectés dans ces types d’unités et encaissèrent durement cette révélation. Tout était vide bien entendu puisque le 6021 avait débarqué ses divisions récemment.
Inconsciemment ils traversèrent plusieurs dortoirs en ralentissant l’allure. De l’autre côté Sank tendit le bras, montrant un panneau « Zone d’embarquement dans les transports » et une énorme flèche en direction d’une porte à deux battants !
Autrement dit, ils arrivaient au flanc ouest… Gurvan reprit la tête.
Ils se perdirent plusieurs fois avant de tomber sur un parc d’herbe synthé avec une rivière qui sinuait, loin sur la gauche. Dji sortit la première et quitta le sol…
Plus de pesanteur ! Les autres étaient toujours en appui sur leurs jambes et comprirent que toute cette partie du Porteur n’était pas alimentée de la même manière.
Gurvan prit la main de Sank et lança ses pieds vers Dji qui ne s’était pas encore éloignée. Elle saisit sa botte droite et revint vers eux ou elle s’effondra. La limite semblait être la paroi elle-même.
— Comme tout à l’heure, gueula Gurvan qui passa à l’extérieur en se retenant à la paroi.
Il se mit à l’horizontale et botta, pas trop fort. Il fila immédiatement vers l’autre côté du parc, survolant bientôt la petite rivière qui était sortie de son lit et faisait une colonne d’eau dans le vide ! Il avait la tête redressée et aperçut les bâtiments en face. Copies conformes de ceux des unités d’intercepteurs du flanc est ! On distinguait les numéros des escadres et leurs insignes.
Il lui sembla voir des silhouettes loin à droite. Il y avait davantage de survivants par ici.
Il toucha la paroi à côté de la porte du mess de la 949. Son idée revint avec force.
Les autres touchèrent un peu plus loin, s’efforçant d’amortir le choc pour ne pas rebondir. Il fallut quelques minutes pour qu’ils se retrouvent devant une porte qu’ils durent forcer, une nouvelle fois.
Un bar d’escadre… Des coupes volaient dans l’espace, certaines encore à moitié pleines ! Trois bouteilles de champagne se déplaçaient lentement, à hauteur d’homme. Rom en attrapa une au passage machinalement.
— Rom, va te trouver une combinaison de vol, lança Gurvan.
Les regards convergèrent vers lui.
— Tu as une idée ? gueula Sank pour couvrir un chapelet d’explosions.
Il hocha la tête, se demandant comment ils allaient réagir.
— On va essayer de foutre le camp avant que tout saute.
Le regard de Rom se dilata.
— Tu veux dire… quitter le bord ?
— Grouille-toi, intervint Dji. Gurv a raison, c’est la seule solution.
Le petit gars n’insista pas. Si Gurv et Dji étaient d’accord il suivait. Sank ne quittait pas des yeux son ami qui lâcha :
— On va trouver une solution pour toi.
Sank avait beau avoir reçu une formation de pilote d’intercepteur, des années auparavant, il ne saurait pas se débrouiller avec une Flèche, le nouvel appareil qu’ils venaient de recevoir. Quand il avait terminé la formation de Gurvan c’était sur des S04, « Saucisses ». Qu’il avait pilotées pendant son entraînement. Une Flèche c’était autre chose…
Sank ferma les yeux à demi, montrant ainsi sa confiance et donnant son accord. Une seconde, Gurvan fut envahi d’une bouffée de tendresse pour le grand pilote de tracteur spatial.
Ils passèrent naturellement dans la salle de briefing, vide, d’où on avait accès à la salle de repos et d’habillage. C’était là que les pilotes quittaient leur combinaison de vol pour les placer dans des coffres à leur nom.
Rom les ouvrait les uns après les autres à la recherche d’une combine à sa taille, ce qu’il finit par trouver. Aussitôt il leur jeta un regard soulagé et commença à s’habiller.
Gurvan avait été du côté du sas donnant sur les halls d’appontage. Le système fonctionnait toujours, les lumières étaient au vert.
Un long craquement résonna. Cette fois pas de doute, la coque se déchirait quelque part…
Rom s’amena en longeant la paroi. Il avait passé le casque et branché la bouteille-recyclage sur la prise de sa combine. Le système interne de chaque tenue avait un potentiel d’une demi-heure d’air. Suffisant à bord d’un intercepteur, s’il se passait un incident, mais dramatiquement court ici. En revanche les bouteilles leur donnaient une autonomie pratiquement inépuisable.
Gurvan jeta un coup d‘œil à tout le monde et pressa l’ouverture du sas qui coulissa rapidement. La seconde porte s’ouvrit immédiatement et ils découvrirent l’immense hall de décollage-appontage.
Les gigantesques portes étaient fermées. Mais c’était un foutoir invraisemblable par ici. Les appareils n’avaient pas été arrimés et flottaient dans l’air ! Plusieurs Flèches s’étaient heurtées… Des engins de manœuvre se baladaient au plafond à une soixantaine de mètres de haut !
Gurvan réfléchissait rapidement. Il vit la lumière orange d’une pièce blindée, sur la gauche, et plongea doucement dans cette direction. Il manœuvra le système d’ouverture, entra dans le petit sas.
Il y avait un sacré monde là-dedans. Des visages marqués se tournèrent vers lui. Ces pièces blindées étaient peut-être le dernier refuge mais il n’y avait rien à faire, on ne pouvait que subir.
Écouter les détonations, imaginer le pire à chaque instant, et attendre avec angoisse… Gurv fut certain que sa décision était la bonne. Il y avait de quoi détruire moralement un individu ici.
D’après les uniformes, la majorité des occupants était des auxiliaires. Normal, ils étaient dans leur secteur. Quelques pilotes d’intercepteurs, aussi. Peu de couchettes, la plupart étaient allongés sur le sol, ce qui contribuait encore à entamer leur résistance nerveuse : ils devaient ressentir dans leur corps les vibrations des impacts.
— Je suis de la 122, gueula Gurvan pour se faire entendre. On est quelques-uns à vouloir tenter une sortie. On voudrait prendre des Flèches. Il y a quelqu’un ici qui pourrait nous aider ?
Personne ne répondit. Il fit un pas en avant.
— Écoutez-moi tous…
Il y avait de la colère dans sa voix. Il était prêt à tout pour essayer de s’en sortir. Il fallait les secouer.
— … le porteur encaisse durement. Ça ne durera pas indéfiniment. Nous sommes d’avis qu’il vaut mieux tenter notre chance dehors. Je ne vous force pas à nous accompagner mais il me faut des auxiliaires pour la préparation des machines, savoir lesquelles choisir et ouvrir les portes. Je vous jure bien que ce sera fait même si je dois prendre les gars par la peau du cou !
Son regard fit le tour de la pièce. Il remarqua un pilote de transport et se demanda un instant ce qu’il pouvait foutre ici. Et puis ce fut l’illumination.
— Ou se trouve le hall de décollage des transports ? cria-t-il en direction du gars.
L’autre se souleva vaguement.
— Le niveau en dessous.
— Comment on y accède ?
Le mec eut un geste vague.
— Il y a un puits de secours… Gurvan se tourna de l’autre côté.
— Nous sommes trois pilotes d’intercepteurs. On peut tenter une sortie avec des Flèches et un transport, et tous ceux qui voudront nous suivre. On protégera le transport, dehors. Je ne jure pas que ça marchera mais au moins on fera quelque chose, Bon Dieu ! Combien d’entre vous veulent être dans le coup ?
Pas de réaction… puis une fille qui portait l’uni forme des auxiliaires-énergie se leva lentement.
— Je… veux bien vous aider à choisir des appareils.
— Mais tu ne veux pas essayer de te tailler ?
Tu es sure que ce truc va tenir ?
Une sorte de panique monta au visage de la fille qui se tut.
— Est-ce que vous avez perdu toute dignité ? D’accord, on en prend plein la gueule mais c’est pas en restant calfeutrés ici que vous vous en tirerez mieux. Il faut prendre des risques, quelquefois ?
— D’accord, sergent, si vous avez un transport je marche avec vous.
Un chef d’escouade, auxiliaire, venait de se redresser. D’après la série de torsades jaunes sur l’épaule gauche, il était à bord depuis un bout de temps. Un vieux de la vieille.
Gurvan revint au pilote de transport.
— Il y a un transport en alerte, à votre niveau ? Le type haussa vaguement les épaules.
— Forcément. Mais je ne sais pas dans quel état, maintenant.
— Tu vas le savoir ! Tu vas descendre et mettre ton truc en état de vol. Compris ?
— Mais je n’ai rien dit !
— Tu es volontaire ou je te colle mon thermique dans le dos, choisis… Tu représentes une chance pour tous ceux qui veulent essayer de s’en tirer, je me fous que tu sois d’accord ou non, O.K. ?
Gurvan avait posé la main sur le thermique de poing qu’on leur avait donné en dotation depuis que les Flèches intervenaient sur les planètes. Jamais personne n’avait parlé de cette façon à bord et le type pâlit. Puis il se leva…
L’atmosphère parut se débloquer. Plusieurs silhouettes se mirent debout au moment ou une série d’explosions claquèrent, proches. Les installations internes sautaient les unes après les autres.
L’auxi gradé tendit la main vers plusieurs hommes et commença à donner des ordres.
— Et vous, lança Gurvan aux pilotes de Flèches, personne ne veut venir ? Préférez crever ici plutôt qu’en vous bagarrant ?
Il les comptait machinalement, fut un peu surpris d’en trouver 14. De quoi constituer plus d’un escadron ! Sa colère revint.
— Dites, ça ne vous dérange pas trop de rester là alors qu’il y a des Flèches prêtes à combattre dans le hall ?
— On vient d’arriver à bord, sergent. On n’a pas d’expérience.
— Et alors ? Vous pensez que ça vient en restant allongé ? Un sacré renfort que vous faisiez. Ils devaient être contents de vous avoir, les copains…
Un silence, puis :
— Bon, ça va, sergent, pas la peine de nous insulter. Une fille venait de se lever.
Le gradé auxiliaire était passé dans le hall et consultait une liste pour désigner les appareils en état de vol. Déjà Dji et Rom s’élançaient. Des auxis les suivaient pour les aider.
Gurv se tourna vers le pilote du transport.
— Tu vas descendre avec le gars qui attend dehors et tous les auxiliaires qui veulent partir. Quand tu seras à bord passe sur la fré-comb qu’on puisse communiquer…
Il se tourna vers les formes allongées.
— C’est le moment de vous décider, vous n’aurez surement pas une seconde chance. Ceux qui viennent suivez le gars, là.
Il manœuvra le sas pour sortir. Dehors il appela Sank et lui montra le pilote qui avait suivi.
— Tu vas en dessous, aux transports. Si jamais il faisait l’imbécile, tu lui colles ton thermique sur le ventre. Ça marche ?
— Tu parles !
Il avait l’air soulagé d’être dans le coup. La porte du sas s’ouvrait, derrière eux et des auxis commencèrent à sortir. Il fallut plusieurs manœuvres pour que tous les volontaires apparaissent. Finalement il y avait une bonne trentaine d’auxiliaires et huit pilotes. Gurv ne fit aucun commentaire.
— Les pilotes, allez vous équiper, vous avez quatre minutes…
Ils foncèrent.
— Vous autres, il lança aux auxis, suivez au niveau inférieur. Sank, quand on sera prêts, tu confirmeras que vos portes sont ouvertes. Je pense que tu trouveras une combinaison spatiale en bas. Fais approcher le transport et commence à ouvrir, juste ce qu’il faut pour te glisser. Au signal tu fais mettre toute la puissance et tu files droit devant, pas le temps de finasser. On verra plus tard. Nous, on décollera juste derrière. Si des Géos réagissent on s’en occupe et on rattrape. D’accord ?
— O.K., t’en fais pas pour nous.
— Bon, alors vas-y.
Ils s’éloignèrent avec des mouvements de nageurs en direction d’une porte, sur le côté. Gurvan se dirigea vers le gradé.
— Il me faut encore huit machines.
Le gars consulta sa liste et indiqua celles qu’il allait prendre.
— Bien, faites revenir vos hommes et suivez les autres, en dessous. On se débrouillera pour se harnacher seuls. Mais ouvrez les portes avant.
L’autre n’insista pas et fila. Deux minutes plus tard les pilotes d’intercepteurs arrivaient visiéres baissées, au moment ou les portes se levaient. Il leur fit signe d’approcher tout près.
— Écoutez-moi bien. Constituez-vous en paires sauf trois d’entre nous qui seront nos N°2, à mes copains et à moi. Il restera une Flèche seule, qu’elle suive celle de gauche là-bas, il ajouta en désignant l’appareil de Dji. C’est un officier pilote qui a neuf victoires, vous pouvez lui faire confiance. Bon… on va décoller rapidement. Les deux paires de nouveaux en dernier. Il leur suffira de mettre la puissance pour nous rattraper puisqu’on s’alignera sur la vitesse du transport. Vous allez vous installer seuls.
Il leur désigna les machines et les laissa décider des paires, ce qu’ils firent assez rapidement. Ils commençaient à mieux réagir, maintenant qu’ils recevaient des ordres.
Gurvan visa soigneusement et se lança vers son appareil qu’il faillit louper, se raccrochant au dernier moment à un thermique par les pieds.
Calmement, il entreprit de se glisser dans le poste, jetant des coups d’œil vers l’espace que l’on voyait au-delà de la porte.
Un trou noir. Normal, s’il y avait des raiders de ce côté, ils n’allaient pas allumer des feux de navigation ! Mais il fallait prendre le risque d’ouvrir aussi tôt.
Sa Flèche commença à bouger quand il se hissa dans le poste, passant lentement sur le dos. Il enfila le harnachement, serrant fort, et ferma le toit qui claqua doucement. Puis il entama les séquences de mise en veille.
Dés que tout fut au vert, le grand écran de visibilité extérieure allumé, il donna quelques impulsions pour remettre son engin sur le ventre et le ramener au sol puis il sélectionna la fréquence de combat, la fré-comb.
— A tous, passez en position de décollage. Allez-yen douceur par petits coups… Dji, tu me reçois ?
— Parfait, Bleu 1.
Pourquoi Bleu 1 ? C’était elle l’officier pilote, elle devait être le N°1… Puis il comprit qu’elle lui cédait le commandement. Pas le temps de discuter…
— Rom ?
— Ça colle, Bleu 1.
— Sank ?
— Portes ouvertes mais pas encore prêts, Bleu 1.
— Tu me préviendras.
Il regarda les autres et vit une Flèche qui ondulait, au fond.
— Hé, toi l’acrobate, calme-toi, donne de toutes petites impulsions… voilà, comme ça.
Maintenant descends un peu et ne touche plus à rien… Parfait. A tous, vérifiez que vous êtes bien attachés et branchez le système de tir. Maintenant on se met en position par paire, j’avance, N°2, viens derrière moi lentement. Dji, Bleu 3, tu te places à ma droite et Rom, Bleu 5, au-delà. Bleu 7 et 9, vous laissez passer le second N°2 de Bleu 3 et vous vous mettez derrière. Répondez, tous.
Ils répétèrent, de voix plus assurées. Et commencèrent à manœuvrer. Gurvan appréhendait un peu ce stade de la mise en place mais tout se passa relativement bien.
Dans le poste on n’entendait plus les explosions, c’était enfin le calme et Gurv se sentait mieux. Il se concentra sur le décollage. Il faudrait faire vite…
— Bleu 1, on y est.
La voix de Sank.
— On te rejoint. Làààààà !
L’ordre d’attaque des intercepteurs.
Par les portes ouvertes, Gurvan vit apparaître le transport, les sorties de ses propulseurs rougeoyant.
— Bleus, on y va !