CHAPITRE X

 

Gurvan avait couplé le système de feu sur le central-navigation. Dés que la batterie de thermique serait dans l’axe, ses armes cracheraient.

Ils débouchèrent sur les collines à Mach 1,7. Ça allait terriblement vite mais il fallait absolument réduire le temps pendant lequel ils s’offriraient à la détection ennemie, bénéficiant encore de tout son potentiel.

Gurvan avait les yeux fixés sur le petit croisillon en surimpression sur son écran et y avait amené le petit cercle vert du système de visée en faisant légèrement dériver sa Flèche.

Une lumière blanche naquit droit devant et il eut l’horrible impression, pendant une fraction de seconde, qu’elle venait droit sur ses yeux, qu’il était foutu, que son appareil allait être touché…

Et puis ses armes tirèrent, toutes ensemble, les six tubes thermiques commandés par le central qui avait « reconnu » la cible. Une boule de feu, là-bas…

D’autres rayons venaient du sol en rafales ininterrompues. De droite et de gauche !

Ils avaient éloigné les véhicules pour faire un tir croisé…

Pas le temps de distribuer les objectifs. Il fallait espérer que les jeunes des paires de droite comprendraient assez tôt…

L’engin de gauche, en revanche, était de son côté et il pressa brutalement le levier sur la gauche pour incliner sa Flèche et le prendre dans le cercle de visée… Non, juste le grand cercle. Ses rafales arrosèrent le coin mais sans atteindre de plein fouet les deux tubes lourds qui lançaient leurs rayons sans discontinuer…

Gurvan freina à fond en plaquant son appareil près du sol. Il se trouvait maintenant au-dessus d’une grande plaine à la terre noirâtre, en train de virer aussi serré qu’il le pouvait sans passer sur le dos.

Les collines réapparurent à gauche de l’écran. De la fumée s’élevait de plusieurs endroits. Et puis une boule blanche s’enfla, au fond…

Une Flèche venait d’exploser !

Il eut envie de hurler un juron et réagit brutalement, amenant son propre appareil à toucher le sol, continuant à freiner.

Le ronronnement des anti-g enfla. Ils devaient travailler davantage pour maintenir l’engin en vol à une si faible vitesse. Ce nom de Dieu de véhicule devait se trouver par là.

Il n’avançait plus qu’à une centaine de km/h scrutant l’écran.

Là… un rayon venait de surgir, derrière un repli de terrain. Il obliqua immédiatement à droite pour déboucher dans un creux.

D’autres Flèches revenaient vers la base. Une sorte de ligne de crête disparut sous lui. Il bascula tout à gauche pour prendre dans l’axe le thermique jumelé.

Vacherie, trop à droite… Il mit la Flèche complètement en crabe pendant que les thermiques pivotaient de son côté.

Ils étaient dans le grand cercle… Trop imprécis…

Une nouvelle fois il se dit que c’était fini pour lui en voyant les rayons converger. Et puis son doigt écrasa la commande de mise à feu quand le véhicule tangenta le petit cercle.

Il fallut une bonne seconde pour que la cible soit totalement centrée. Mais ses tubes crachaient et, là-bas, c’était l’enfer, même si les servants n’étaient pas encore touchés directement :

Et tout disparut dans une boule de flammes… Pas le temps de se remettre, il vira une nouvelle fois pour venir droit sur la base.

D’autres Flèches revenaient de tous les coins.

— Bleu 1 à tous, reconstituez-vous par paires.

Le second véhicule en est ou ?

— Il a sauté, fit la voix joyeuse de Rom. Celui-là, dés qu’il y avait de la bagarre…

— Bien, alors je vous rappelle, on se place sur une ligne, magnez-vous !

Il accéléra pour venir se placer face à la base et se mit en stationnaire à quatre mètres du sol. Les autres auraient bien l’astuce de se placer par rapport à lui.

— Sank, à toi. Tu es loin ?

— Dans la couche nuageuse. Donne nous vingt secondes.

— Je suis à gauche de notre ligne, viens te poser près de moi, c’est parfait pour débarquer. Bleu 3, tu prends le commandement dés que je suis au sol.

— Reçu. Mais ne fais pas l’imbécile.

Le ton de Dji était moins sec que ne l’indiquaient ses paroles. Gurvan se concentra sur la base. Il y avait plus de bâtiments qu’il ne l’avait remarqué plus tôt. Combien de personnes là dedans ? Il n’avait aucun élément pour l’évaluer.

Ceux qui étaient adossés au rocher devaient probablement être destinés aux installations des hommes. Là, à droite, ce devait être un atelier de maintenance, d’après le système de levage qu’on voyait. Les autres ?

Deux rayons de thermiques de combat partirent d’un coin, près des bâtiments principaux, dans sa direction. Il dérapa vivement. Il n’exploserait probablement pas sous un impact de ce genre mais il pourrait subir des dégâts, irréparables, ici.

Il sélectionna les deux tubes extrêmes et pressa la mise à feu sans viser soigneusement. Sur des combattants sans protection, arroser l’endroit suffisait. L’extrémité du bâtiment vola en éclats.

Bougeant sans arrêt, il dirigea l’avant de sa Flèche pour balayer la base à la recherche de nouveaux objectifs. Il crut voir bouger quelque chose, plus à droite, et tira sans hésiter.

Du coin de l’œil, il se rendit compte que les autres étaient en place.

— On avance au pas, le transport va se poser derrière nous.

Toute la ligne se mit lentement en mouvement et il en fut impressionné. Ça avait une gueule fantastique, ces monstres se balançant légèrement près du sol, prêts à tirer…

— Posé, on débarque. J’emmène ton matériel, tu peux descendre, Gurv.

Sank :

— A toi, Dji. Pour les autres, finalement restez en vol.

Lentement, la Flèche vint vers le sol pendant que ses trois patins sortaient. Gurvan vérifia que les trois lumières vertes apparaissaient au tableau et laissa l’appareil prendre contact.

Maintenant il ne fallait pas perdre de temps. Il fit lever le toit du poste pendant qu’il entamait les séquences de coupure.

Vacherie, ce qu’il était haut, cet engin ! Gurvan hésitait à sauter. Il y avait au moins six mètres. Trop couillon de se blesser…

Le transport était juste là à une trentaine de mètres, les portes arrière ouvertes. Les auxis débarquaient, pas très fiers, tenant chacun un thermique de combat gauchement.

— Ne restez pas là, cavalez vers la rocaille, gueula Gurvan, et planquez-vous !

Sank arrivait de son côté, traînant quelque chose…

Un câble d’amarrage !

— Gaffe à ta tête.

Il le balança de toutes ses forces et le brin passa pardessus la Flèche avant de retomber de l’autre côté.

— Je tiens l’autre bout, vas-y, descends ! Gurvan saisit le câble et se laissa glisser tant bien que mal, ses gants protégeant ses mains.

Au sol, il releva sa visiére et sentit aussitôt le froid ! Bon Dieu, il faisait surement moins de zéro degré… Et c’était l’équateur !

— Ça va ?

Sank surgissait de dessous l’appareil et lui tendait un thermique d’assaut et un petit sac contenant des batteries de rechange pour réapprovisionner l’arme. Pourquoi n’avait-il pas pris ces sangles-rechanges tellement plus pratiques ?

Tout de suite Gurvan se mit à courir vers les auxis qui avaient stoppé derrière les rocailles, Sank juste derrière.

Il se mit à l’abri, cherchant des yeux le chef d’escouade. Il était plus loin, tant pis.

— Vous avez vu ou ils sont planqués ? il lança à la cantonade.

Personne ne répondit et il se mit en rogne.

— Vous ne croyez pas que je vais vous prendre par la main pour aller dans chaque bâtiment, non ? Il faut les visiter tous, mettez-vous ça dans le crâne et je ne peux pas être partout. Qui a une radio ?

Un type se tourna de son côté, montrant un petit combiné.

— Tiens, j’en ai une pour toi, fit Sank qui s’était accroupi derrière lui.

Gurvan lança tout de suite :

— Transport, demande aux Flèches si elles voient quelque chose bouger ou si elles savent ou ils sont planqués ?

La réponse vint assez vite. Au moins le gars essayait de se rendre utile.

— Bleu 3 dit qu’on ne voit rien.

Gurvan essaya de réfléchir. Que faire dans un cas de ce genre ? Il passa doucement la tête pardessus la rocaille pour regarder directement.

— Sank, mets-toi plus loin et couvre-moi pendant que j’observe.

Les auxis ne le quittaient pas des yeux quand il s’installa pour mieux voir.

Tout était calme… Vacherie, ils étaient bien quelque part, tout de même. Planqués, oui. A les attendre… Et dés qu’ils bougeraient…

Il se rassit et éleva le combiné à sa bouche.

— Dis à Bleu 3 de faire avancer un appareil sur deux et de faire tirer devant les bâtiments. Je répète bien : devant les bâtiments. On profitera du feu pour avancer. Mais qu’elle attende mon signal.

Puis il se tourna vers l’autre groupe serré autour du gradé.

— Les Flèches vont attaquer, il cria. Dés qu’elles tirent, on fonce vers le bâtiment de gauche, juste là, et vous, derrière les rochers, à droite. Compris ?

Le mec hocha la tête et commença à commenter les ordres à ses hommes. Pour l’instant il avait l’air assez calme ;

— Bon, vous avez entendu, vous autres ? S’agira pas de prendre son temps. Mais n’allez pas griller un copain en tombant, tenez votre arme l’extrémité vers le haut… O.K. ?

Ils inclinèrent la tête avec un bel ensemble et Gurv reprit le combiné.

— Maintenant !

Plusieurs Flèches avancèrent. Il se dit qu’elles étaient trop haut, au moins trente mètres. Ça n’allait pas. Il reportait le combiné devant les lèvres quand elles tirèrent.

Un crissement de papier déchiré, multiplié par 1 000 ou 10 000. Un bruit désagréable, qui le fit frissonner. Il interrompit son geste pour voir ce qui se passait.

Rien du tout… Un nuage de poussière s’élevait mais il n’y avait aucune réaction. Le désert.

— On y va, il cria en se levant.

Il contourna la rocaille et s’élança vers le mur du bâtiment qu’il avait désigné plus tôt. Si jamais ceux d’en face étaient commandés par un gars expérimenté, ils allaient se régaler.

En soufflant, un auxi vint s’aplatir près de lui.

— Dites, ou ils sont, sergent ?

Gurvan haussa les épaules.

— Je voudrais bien le savoir… Transport, il commença, avec le combiné, démerde-toi mais je veux une liaison directe avec les Flèches.

— Je m’en occupe.

Il avait l’air plus efficace de minute en minute.

La démonstration des Flèches avait dû le rassurer. La poussière retombait et on voyait mieux l’autre groupe massé autour du gradé qui regardait de ce côté. Gurv montra le combiné.

— Vous m’entendez ? il demanda dans l’appareil.

— Parfaitement.

— Faites disperser vos hommes, qu’ils ne restent pas les uns contre les autres. Une seule rafale les grillerait ensemble.

— Reçu.

Il parla à ses auxis en tournant la tête et ils s’éloignèrent un peu, à contrecœur.

— Toi, fit Gurvan en s’adressant à un grand type à l’extrémité du bâtiment, surveille l’autre côté au lieu de me regarder. Ne relâchez jamais votre surveillance, tous.

Il venait de penser à ça à la minute mais voulait leur laisser penser qu’ils auraient dû le savoir. Il découvrait au fur et à mesure les gestes à accomplir mais devait leur faire croire qu’il connaissait des tas de choses sinon ils seraient démoralisés.

— Ça doit marcher.

Le transport appelait.

— Dji, tu m’entends ? il fit dans son combiné.

— Assez clair. Comment c’est ?

— Des problèmes pratiques. Écoute, on ne sait toujours pas ou les autres se planquent, je cherche comment les faire réagir. D’abord vous êtes beaucoup trop haut. Que tout le monde descende à deux-trois mètres du sol, c’est beaucoup plus impressionnant, vu d’ici. Ensuite Rom va commencer à survoler toute la base, en passant entre les bâtiments, lentement. Pour provoquer quelque chose. Ça marche ?

— D’accord, fit la voix de Rom. Mais tâchez de m’aider, si je me fais tirer.

Il n’était pas trop fier et Gurvan songea avec curiosité que si ici, au sol, les Flèches paraissaient terriblement impressionnantes, à l’intérieur les pilotes appréhendaient ce qui viendrait d’en bas ! Finalement chacun craignait l’autre.

Une Flèche s’ébranla et commença à louvoyer, sur la droite, avançant vers les bâtiments, si près du sol qu’en sortant les patins ceux-ci auraient touché !

Elle avançait moins vite qu’un homme à pied, se balançant un peu, et balayant régulièrement l’espace devant elle de sa pointe avec les sorties des six tubes thermiques.

— Eh… je vois du monde…

— Ou ?

— Attends… ils ont disparu… Voilà, il y a plusieurs types au milieu de je ne sais quoi.

— Sois plus précis, merde !

— Quais… Alors on dirait qu’ils ont installé une sorte de cercle de rocaille et ils sont au centre. Je pense qu’ils peuvent tirer de n’importe quel côté.

— Par rapport à nous, ils sont ou ?

— J’en sais rien, mais par rapport à moi, et je suppose que tu me vois, ils sont devant à trente mètres légèrement à droite.

Gurvan se glissa vers la partie droite du mur du bâtiment. Impossible de voir quelque chose, d’ici.

Il appela le gradé.

— Est-ce que vous avez entendu ?

— Oui.

— De votre position vous distinguez quelque chose ?

— Oui, je pense qu’on a repéré le cercle.

Alors c’était encore mieux.

— Parfait, installez vos hommes et placez-les prêts à tirer, l’arme devant les yeux. Qu’ils ouvrent le feu dés qu’ils verront bouger.

— Reçu.

— Rom ; lâche une petite rafale sans bouger de ta position actuelle.

— Je suis très bas, ça va passer en grande partie au-dessus d’eux.

— Je le sais. Tire !

Les thermiques balancèrent leurs rayons et tout se déclencha. Des cris, d’abord. Puis des silhouettes apparurent, fonçant dans toutes les directions.

Gurvan ne voyait pas le cercle et comprit que la manœuvre de la Flèche avait provoqué la réaction qu’il attendait.

— Tirez, il hurla, qu’est-ce que vous attendez ! Il épaulait son arme et lâcha une rafale trop longue en direction d’une ombre ondulante, entre deux bâtiments.

Une chaleur, d’un seul coup. Des rayons venaient dans leur direction, de plusieurs endroits.

— Rom, mets-toi à l’abri et aide-nous, les autres aussi.

L’espace fut plein d’éclairs. Des thermiques tiraient de tous les côtés et les rayons se croisaient, foudroyaient un pan de mur ou un toit qui s‘effondrait. Plusieurs incendies démarraient et de la fumée noire s’élevait.

Les auxis avaient ouvert le feu, enfin, mais n’importe comment.

— Du calme, du calme ! Visez soigneusement et tirez par courtes rafales, ne laissez pas le doigt sur la mise à feu.

Il avait l’impression d’entendre la voix du chef de section, là-bas sur cette planète ou il avait assisté à l’attaque du commando ennemi.

La température montait très vite, derrière ce mur. Il faudrait…

— Toi, là, essaie de trouver une entrée, il faut pénétrer dans ce bâtiment.

Le gars tourna la tête, désorientée, puis avança vers l’extrémité et disparut à l’angle.

— Avec cette fumée on ne voit rien, lâcha la radio.

C’était le gradé auxi qui s’énervait.

— Les autres non plus, répondit machinalement Gurvan. Profitez-en pour avancer vers un bâtiment et fouillez-le. Dji, tu as entendu ?

— Oui, on a tous entendu. On va faire attention.

Sur les écrans des Flèches la fumée ne représentait pas un obstacle. Ce qui était derrière apparaissait dans ce jaune des images reconstituées. En revanche il était difficile à un pilote d’évaluer l’intensité du masque pour ceux qui étaient au sol.

Une Flèche s’approcha du groupe de Gurvan et des auxis se retournèrent, inquiets.

L’autre groupe venait de se mettre en marche, cavalant vers une bâtisse bien trop loin. Gurvan voulut leur dire de se planquer mais déjà des rayons venaient dans leur direction. Il fonça au coin de son propre bâtiment et repéra en une seconde l’origine des tirs… derrière des rochers, à gauche.

Il leva son arme et pressa la mise à feu, balayant et rectifiant le tir en voyant l’impact de ses rafales. Quand il toucha l’endroit ce fut tout de suite le calme. Il visa, cette fois, pour lâcher encore deux courtes rafales et aperçut une porte, le long du bâtiment, là, à une dizaine de mètres.

Sans réfléchir davantage il courut. Elle était grande ouverte et il se retrouva à l’intérieur, surpris.

Du bruit, derrière lui… Il se retourna pour voir s’amener deux auxis qui l’avaient suivi.

Il se demanda s’il fallait leur donner des ordres ? Sûrement, mais lesquels ? Il haussa vaguement les épaules et avança.

Ils se trouvaient dans une grande salle de stockage. De la main il fit signe, sans se retourner, aux deux autres de se séparer pour fouiller les côtés et progressa entre des piles de containers, l’arme à l’horizontale, prête à cracher.

Au bout il y avait un couloir, au milieu de la paroi. Il s’embusqua, comme il l’avait vu faire dans les films de la tridi, puis passa un œil, prudemment.

Rien ne bougeait. Des portes tout au long. S’il fallait ouvrir chacune…

Un auxi s’était plaqué de l’autre côté et le regardait. Gurvan, par signes, lui fit comprendre qu’il allait jusqu’à la première. Le gars hocha la tête en silence.

Le battant s’ouvrit à la volée. Dans ces bâtiments, les portes ne coulissaient pas, comme à bord, mais pivotaient, à la manière des installations d’autrefois. Plus simple à poser, probablement.

La pièce était vide mais il restait des emballages, par terre. Personne, en tout cas. Gurvan revint au couloir. Le deuxième auxi avait posé un genou au sol, à l’entrée du couloir, et tenait son arme épaulée.

Ces gars avaient l’air d’apprendre vite. Le premier auxi fonça vers une porte de l’autre côté du couloir et Gurvan se rendit compte que, de sa position, il le couvrait. Hasard ou le mec avait-il réfléchi ?

Ce n’était pas le hasard parce qu’il réapparut presque tout de suite en faisant non de la tête et en s’embusquant à son tour en regardant dans le couloir.

Gurvan fonça vers la porte suivante, de l’autre côté. Finalement ils ne trouvèrent rien mais faillirent griller deux auxis qui apparurent soudain, devant eux, au bout du bâtiment. Ils avaient pénétré par l’autre extrémité…

— Ou en est-on ? il demanda à la radio en approchant de la porte extérieure.

Dji finit par venir sur la fréquence.

— On utilise la fré-comb entre nous et le second canal avec vous. Ça tiraille beaucoup. Ils étaient installés dans des postes de combat pour vous attendre mais en survolant la base on a fichu leur plan en l’air. On en a eu beaucoup comme ça. Les autres se sont égaillés un peu partout. Une paire survole les environs pour liquider ceux qui se seraient éloignés. Les autres se sont planqués individuellement, dans les bâtiments la plupart du temps. Ça va être dur de les dénicher. D’autant qu’il y en a encore pas mal !

Mais au moins ils n’étaient plus organisés. Gurvan appréhendait terriblement leur expérience de la manœuvre. Il aurait été impuissant à trouver les parades.

— Transport, il appela, trouve un coin protégé à proximité et va t’y poser. On aura besoin de nouvelles batteries mais je ne sais pas quand, d’ici là reste à l’abri… Dji, place une Flèche en protection du trans, pas envie que les autres essaient de le piquer.

— Reçu, grand soldat.

Qu’est-ce qui lui prenait ? Il eut envie de savoir à quoi rimait cette soudaine décontraction puis se dit que ce n’était pas le moment. Il songea à l’autre groupe et appela le gradé.

— Ou en êtes-vous ?

— On est dans un bâtiment de personnels. Il y a plusieurs gars… on les cherche. Ça va prendre beaucoup de temps, tout ça.

— Vous avez entendu ce que disait Bleu 3 ?

— Oui.

— Je pense qu’on va se heurter tôt ou tard à des nids de résistance, des petits groupes bien planqués. Dés que ça se produit, prévenez-moi et restez sur place. Avancez prudemment. O.K. ?

— Entendu.

Il paraissait concentré, mais pas dépassé. Lui aussi apprenait sur le tas !

Gurvan réunit son groupe dehors et le sépara en deux. Il restait un combiné pour la seconde moitié. Il leur désigna une petite bâtisse adossée à la colline, et les cinq hommes y cavalèrent pendant qu’ils les protégeaient. Il avait confié le commandement à un dénommé Rodil que ses copains avaient poussé en avant.

Avec le reste Gurv fonça en direction d’un abri naturel, au milieu du billard central de la base et, de là, jusqu’à un long bâtiment de travail.

Les portes étaient fermées et il grilla la serrure. Aussitôt ouverte, le battant intérieur fut frappé de plusieurs rayons, le portant au rouge en une seconde ! Il se retourna vers l’auxi le plus proche et lui murmura de rester en place, prêt à tirer pendant qu’ils faisaient le tour pour pénétrer ailleurs.

Les quatre autres le suivirent.

Il n’y avait pas de porte latérale mais une petite ouverture, genre fenêtre, à l’extrémité. Doucement, du bout de son arme tendue à bout de bras, il l’ouvrit sans provoquer de réaction.

— On va pénétrer par là, il murmura, ne faites aucun bruit. On avance en se protégeant les uns les autres.

Ils hochèrent la tête, contractés. Posant son thermique le long de la paroi, il grimpa et se laissa glisser à l’intérieur. Une petite pièce qui devait servir de bureau. Il y avait des boîtes de quartz et un grand lecteur à écran quadrillé. Quelqu’un lui passa son arme.

Doucement il ouvrit la porte pour jeter un œil. Un dépôt. Des piles de matériel, encore dans leurs conteneurs d’origine. Impossible de deviner de quoi il pouvait s’agir.

On n’entendait rien dans l’immense local. Un frôlement contre son épaule l’avertit qu’un auxi venait d’arriver près de lui. Il ouvrit davantage et courut vers une pile… Et tout se déclencha !

Les tirs venaient de partout. Un enfer. Quelque chose l’avertit et il leva la tête à temps pour voir la pile de conteneurs vaciller avant de s’écrouler vers lui.

Il se redressa et balaya, tenant son arme à la hanche, tout en reculant vers la porte.

— En arrière… en arrière !

Il faisait une chaleur écrasante, maintenant…

Une silhouette apparut, loin à droite, et il plongea, d’instinct. Le rayon frappa le sol pendant qu’il roulait frénétiquement sur lui-même pour tenter de se mettre à l’abri derrière une autre pile.

Un piège, ce bâtiment. Ils étaient assez nombreux pour occuper toutes les positions. Il aurait fallu de vrais combattants pour les déloger.

— Venez, sergent… vite.

Un type l’appelait, masqué par la porte. Seulement il fallait traverser au moins huit mètres à découvert. Et ça il sentait qu’avec les gars d’en face c’était courir au suicide. Il aurait fallu qu’il y ait un masque…

Ses yeux tombèrent sur les piles de conteneurs et il empoigna son thermique, visant la base des piles. Portés au rouge, les plus bas se déformèrent… et tout l’échafaudage bascula. Aussitôt il se rua vers la porte, plongeant à l’abri.

Il eut le temps de voir un auxi qui approchait de la porte pour lâcher une rafale et le saisit par une cheville pour le faire tomber.

Il était temps, la paroi changeait de couleur !

— Dehors, vite… magne-toi.

Ils franchirent l’ouverture sans se préoccuper de ce qui se trouvait dehors. Les autres auxis étaient là, indécis.

— Foutez le camp, retournez aux rochers, là bas.

Ils se taillèrent en désordre pendant que Gurvan empoignait son combiné.

— Dji ?

— Je t’écoute.

— Un long bâtiment à cinquante mètres au nord de l’espèce de place dégagée, tu repères ?

— Pas très bien, j’approche. Des problèmes ?

— Plutôt, oui. Ils sont un bon nombre là dedans à nous attendre.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

— Amène-toi par l’ouest, tu devrais nous voir, sur l’arrière. Je te dirai ensuite.

Il se retourna vers l‘auxi qui était resté avec lui.

— Contourne le bâtiment et préviens ton copain là-bas d’aller se planquer avec les autres.

L’autre ne répondit pas mais démarra. Adossé à la paroi, Gurvan reprenait son calme. Il vit presque aussitôt arriver la Flèche. Monstrueuse, si proche, sinuant entre les obstacles, au ras du sol.

— Tu me vois ?

— C’est toi, ce petit truc minuscule ? Il eut un geste d’énervement.

— Pas envie de rigoler, j’ai failli me faire griller là-dedans. Tu vas contourner pour vérifier que mes gars ont bien dégagé l’autre bout et tu me fais sauter ça. Reçu ?

Sa voix était plus grave quand elle répondit :

— D’accord.

La Flèche dérapa sur le côté pour garder ses tubes en direction du bâtiment dont elle fit lentement le tour. Puis elle recula d’une cinquantaine de mètres et les tubes crachèrent. Il ne se passa rien pendant une ou deux secondes et soudain le bâtiment parut s’enfler… et il explosa, projetant une énorme boule de flammes vers le ciel. La température monta de quelques degrés aux alentours.

— Le deuxième groupe, ou en êtes-vous ? Pas de réponse… Il répéta… idem.

— A tous, savez-vous ou se trouve le deuxième groupe avec le gradé ?

— Bleu 7. Je les ai vus entrer dans un machin qui a l’air de s’enfoncer dans la colline, à l’est. Il y a au moins dix minutes.

Tant que ça ? Il ne se rendait pas compte du temps passé. Les autres étaient peut-être en difficulté ? Il fallait aller voir. Il appela Rodil et lui dit de continuer de fouiller les petites installations avec deux types pendant qu’ils allaient vers le deuxième groupe.

Il fallut contourner pratiquement la base mais ils arrivèrent devant l’entrée. Une Flèche se balançait, à une centaine de mètres. Bleu 7, probablement.

— Écoutez-moi, fit Gurv aux auxis. Je ne sais pas ou ils sont, on va entrer doucement, ne tirez pas n’importe comment mais ouvrez l’œil. Personne ne bouge sans qu’un copain soit en position pour le protéger, compris ?

Ils étaient tendus mais avec quelque chose en plus. Pour la première fois des amis étaient en danger et ils avaient envie de les sortir de là. S’il était encore temps…

Gurvan se dit que c’était à lui de pénétrer le premier. Il fut doublé par une fille qui fonça, l’arme à l’horizontale. Ses copains suivirent et, finalement, ce fut Gurv qui entra le dernier !

Des traces noirâtres sur le sol de bétosynthé. On s’était battu, ici. Les pièces étaient très hautes de plafond. En fait il devait y avoir un creux, dans la colline, et il avait été aménagé. On aurait dit des installations de personnels. Une immense salle arrondie, avec un matériel de distribution alimentaire, sur un côté, des sièges et des tables plus loin et manifestement un ordi-cuisine avec ses réserves.

Pas question de faire sauter ça, ils en auraient besoin pour survivre, eux aussi. C’est bien ce qu’avait du se dire le gradé….

Il appela doucement avec le combiné.

Encore rien. Ou bien ils étaient tous grillés ou alors ils ne pouvaient pas répondre sans trahir leur position, ce qui voulait dire que les autres étaient tout près…

C’est ce que Gurvan expliqua aux auxis.

— On n’est pas nombreux mais on représente un élément nouveau qui peut débloquer la situation, à condition de ne pas se mettre nous-mêmes dans le piège. Donc on avance très doucement et on observe. Personne ne parle à voix haute, communiquez par gestes et prévenez-moi.

Il y avait un couloir, au fond, sans porte, et Gurvan s’en approcha après avoir progressé en regardant partout autour de lui. La lumière venait du système interne d’éclairage, au sommet des parois. A petits pas silencieux il avança de quelques mètres dans le couloir et posa un genou au sol.

Une main le toucha à l’épaule. Un gars l’avait suivi et, dans la même position, avait les yeux fixés sur le côté, montrant du doigt un objectif d’observation, au ras du sol…

Un système interne de veille ! Il y avait quelque part des écrans qui révélaient leur présence et, surtout, leur progression. Gurv réfléchit rapidement et enleva son casque qu’il vint poser devant l’objectif.

Du doigt il toucha son œil et montra la salle qu’ils avaient quittée. Le gars comprit et retourna en arrière transmettre le message. Gurvan attendit, sur ses gardes.

En revenant, le type leva deux doigts et plaça les mains en croix. Ils en avaient aveuglé deux…

Au bout de quelques mètres le couloir tournait à droite et il alla jusque-là, examinant les parois. Elles étaient vierges de mouchards. Il se demanda pourquoi il n’avait pas enlevé son casque tout de suite, il entendait beaucoup mieux comme ça. D’ailleurs le gars qui le suivait maintenant s’en était débarrassé aussi.

Rien au coin. La voie était libre jusqu’à une quinzaine de mètres. Deux portes d’ici là. Accroupi il avança un peu et s’aplatit carrément devant la première, épaulant doucement. Du bras il fit signe que quelqu’un vienne l’ouvrir. Un auxi se glissa le long de la cloison et le fit rapidement.

Une salle. Gurvan en fut tellement surpris, s’attendant à trouver une petite pièce, qu’il n’aurait pas tiré à temps s’il l’avait fallu. Il jura intérieurement et pensa qu’il fallait d’abord fouiller entièrement ce truc avant d’avancer.

Il se releva lentement sans quitter l’espace découvert des yeux et franchit le seuil. Des couchettes. Une cinquantaine au moins. Il avança, tournant la tête de chaque côté. Au bout une autre porte, ouverte. Il s’allongea encore.

Un auxi vint se placer à deux mètres à droite. Gurv progressa sur le ventre et en eut marre de tout ça.

Il se redressa brutalement et fonça en avant dans la deuxième salle.

De la chaleur…

L’information parvint à son cerveau avant qu’il ne voie le rayon. L’impact, juste à ses pieds, ne le surprit pas. Il pivota et arrosa, redressant l‘extrémité de son arme. Déjà il plongeait sur le côté.

Il y eut des cris, derrière, des grésillements de thermiques. Il vit le départ d’un coup qui ne lui était pas destiné et tira encore. Assis au milieu de la pièce, il sentait son thermique devenir chaud malgré ses gants. Et puis un léger cliquettement.

Plus rien n’apparaissait et son cerveau se remit en marche. Il traduisit ce qu’il avait entendu. La batterie du thermique était vide ! Frénétiquement il la dégagea et sa main alla en récupérer une neuve dans le petit sac attaché à sa ceinture.

Après seulement il regarda autour. Trois corps, noircis… Un autre près de rentrée. Celui-là était des leurs ! Il se mit debout et marcha jusqu’à la porte. Deux auxis étaient là, les yeux dilatés. Il leur fit signe de se taire et revint vers le couloir ou deux autres, l’arme braquée, surveillaient. Il hocha la tête et se dirigea vers la seconde porte de ce bout de couloir.

Encore une salle qui s’étendait curieusement à droite et à gauche. Une réserve avec des emballages. Ses yeux firent le touret accrochèrent une surface plane, à trois mètres du sol, qu’est-ce que…

Dans la même seconde il épaulait et lâchait une rafale. Il y eut un hurlement et la paroi fondit en une fraction de seconde, révélant une petite salle emplie d’écrans et d’instruments. Un type tomba sans un mot pendant que deux autres cherchaient une arme à la ceinture.

Il y eut deux rayons, partant de derrière et les types encaissèrent de plein fouet ! Ce fut affreux. Ils noircirent, furent carbonisés immédiatement.

D’autres tirs, loin à gauche. Gurvan se secoua et fonça, sans savoir pourquoi. Ça gueulait, maintenant.

— Tenez le coup, on arrive !

Le temps de se demander pourquoi il avait gueulé ça et il déboucha sur un espace dégagé d’emballages. Quelque chose bougea à sa droite et il voulut pivoter son arme. Il tourna trop vite le torse, perdit l’équilibre et tomba en avant. L’enfer… Des rayons passaient au-dessus de sa tête, frappant des parois rocheuses de chaque côté, faisant couler des filets de rocs liquéfiés.

Il ne réfléchit pas et balaya, pressant la mise à feu sans relâcher. Il arrosait de droite à gauche, hurlant surement car il entendait vaguement sa voix !

Quand ce fut fini, quelqu’un le tira par une épaule. Il secoua la tête. Tout son corps tremblait.

— On les a liquidés, sergent.

On l’aida à se redresser et il se vit entouré d’auxis. Le gradé était là.

— Je ne pouvais pas vous répondre, sergent. Ils étaient juste de l’autre côté du passage central. Ils nous avaient laissés passer. J’ai lâché le combiné pour pas me faire repérer.

Gurv se passa une main sur le visage.

— Vous avez bien fait. Bon Dieu, ça m’a secoué…

— Mais pourquoi vous êtes resté au milieu, aussi ? On savait qu’ils étaient là, de l’autre côté, mais ou ? Alors personne ne bougeait. On attendait un bruit. Pourquoi vous êtes resté là ?

Le gradé l’engueulait presque et ça remit Gurvan en selle. Il comprit que l’autre avait eu peur pour lui.

— Mon vieux, je ne suis pas un combattant.

J’ai des tas de choses à apprendre.

L’autre le regarda un moment en silence et sourit légèrement.

— Excusez-moi, sergent. J’avais oublié tout ce qui s’est passé. J’ai du vous prendre pour un sergent des troupes d’assaut pendant un moment. On finit par être dépassé, hein ?

Gurvan lui frappa l’épaule.

— Perdu du monde ?

— Deux hommes.

Plus celui qui était resté dans l’autre salle, déjà trois morts, sur dix de ce groupe.

— Si vous êtes en état, on continue la fouille. Le gradé hocha la tête et alla vers ses hommes.