Le roman qu’on va lire est une reconstitution. A la mort de Michel Forger en novembre 2010 fut retrouvé parmi ses manuscrits un dossier gris, cartonné, sans titre. Un de ces dossiers utilisés dans les années 70, fermé par une lanière en tissu et une boucle dentelée en métal. La boucle était si serrée que lorsqu’on l’ouvrit, la bande se déchira.
A l’intérieur, un ensemble de pages non numérotées qui, selon toute apparence, seraient devenues un roman si l’écrivain avait eu le temps ou la force de le terminer. En fait, deux romans ou deux récits, discontinus et inachevés.
Le premier est une sorte de quête ou d’enquête écrite à la première personne par un narrateur, Michel Forger, écrivain lancé au milieu des années 2000 à la poursuite d’un frère perdu trente ans plus tôt. Le second, à la troisième personne, est un récit de l’enfance, puis de la vie de deux frères, Bernard et Michel, dans les années 50 et 60, marquées par la guerre d’Algérie, que l’aîné fit dans un régiment de parachutistes.
Au risque de méconnaître les intentions du romancier, nous avons décidé de publier le dernier écrit de Forger en faisant alterner l’enquête dans les chapitres aux numéros impairs et le récit dans les chapitres pairs, comme s’ils formaient – c’est du moins ce qui ressort d’une phrase de l’auteur – un seul et même roman.
Le lecteur attentif remarquera que certains faits, scènes ou souvenirs, évoquant l’enfance, l’Algérie ou les années qui suivirent sont rapportés par Forger avec de flagrantes contradictions entre l’enquête et le récit (chapitres 49 et 50 ; 65 et 66 ; 95 et 96…). L’éditeur n’a pas jugé bon de les rectifier, considérant que l’intention de l’auteur était précisément d’opposer à la réalité de ce qui s’était passé l’imagination de ce qui aurait pu se passer, et que la fiction n’est pas moins à l’œuvre dans les chapitres de l’enquête que dans ceux du récit qui en découle.
Comme une ombre est édité selon l’ordre que Forger avait arrêté dans le dernier fichier enregistré sur son disque dur, version qui, sans pouvoir être dite définitive, malgré la mention finale des dates et des lieux de composition, semble postérieure à celle recueillie dans le dossier gris.
Sur la couverture, de la main de l’écrivain, cette mention, au feutre rouge : « Le nom de tout auteur est un pseudonyme et tous ses livres sont posthumes. »