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Ils se posent sur l’unique astroport de Solio II, à quinze kilomètres de la principale ville, appelée elle aussi Solio. À la différence de nombreuses planètes de la Frontière, Solio II est assez vaste et assez active pour avoir ses douanes. C’est là, quand on conduit les deux hommes dans des cabines séparées, que leurs faux papiers passent leur premier test.
« Veuillez insérer votre passeport, monsieur », lui enjoint l’ordinateur des douanes. Nighthawk s’exécute.
« Merci. Veuillez vous asseoir. »
Nighthawk s’assoit devant l’écran holographique.
« Nom ? demande l’ordinateur.
- Vince Landis.
- Votre passeport dit Vincent Landis.
- Vince est un diminutif de Vincent.
- Vérification en cours... vérifié. Planète d’origine ?
- Argycyan.
- Votre passeport dit que vous habitez Aristote.
- J’y réside en ce moment, mais je suis étudiant et c’est temporaire. Je vis chez mes parents, sut Argycyan.
- Évaluation en cours... accepté. Âge ?
- Vingt et un ans.
- Motif de la visite ?
- La recherche.
- Quel est votre domaine d’étude ?
- Comme vous le voyez, répond Nighthawk, je passe un diplôme à dominante en cryptologie. Ma future thèse concerne l’emploi des codes secrets par les services de sécurité sur la Frontière Interne. J’ai l’intention de visiter plusieurs planètes de la Frontière et de questionner leurs services de sécurité sur l’utilisation des codes secrets dans leur activité quotidienne.
- Où comptez-vous séjourner sur Solio II ?
- Je l’ignore. Vous pouvez me conseiller un bon hôtel ?
- J’ajouterai une liste de tous les hôtels et la tarification des chambres à votre visa. Avez-vous des armes à déclarer ?
- Je ne suis qu’étudiant, dit Nighthawk avec un sourire. Qu’est-ce que je pourrais bien faire d’une arme ?
- Vous n’avez pas répondu à la question.
- Non, je n’ai pas d’armes.
- Souffrez-vous d’un problème de santé quelconque ?
- Non, aucun. »
La machine lui restitue son passeport, accompagné d’un visa de trente jours et d’une liste d’hôtels.
« Vous avez satisfait aux formalités douanières, Vincent Landis, déclare-t-elle. Bienvenue sur Solio II.
- Merci. »
Le jeune homme se lève et, à sa sortie de la cabine, trouve le Père Noël en train de l’attendre.
« Comment ça s’est passé ?
- Sans problème. Et pour vous ?
- Rien à dire.
- Partons, alors », dit Nighthawk qui s’oriente vers une issue. Ils suivent la foule des voyageurs jusqu’à un aérocar qui les emmène en ville. Ils en descendent dans une rue qui paraît compter beaucoup d’hôtels.
« Et maintenant ? » s’enquiert le Père Noël.
Le jeune homme jette un regard attentif sur les alentours. « J’essaie de me rappeler où se situe le service de sécurité. » Il finit par hausser les épaules. « Peu importe. On le trouvera plus tard. Allons nous dénicher deux chambres. »
Ils prennent pension dans un hôtel choisi au hasard, puis, quelques heures plus tard, se retrouvent pour dîner.
« Tu Tas repéré ? demande l’ancien pasteur.
- Le service de sécurité ? Oui, à huit cents mètres d’ici.
- Et il grouille d’hommes en armes ?
- Pour l’instant. On ira voir ce qu’il en est la nuit venue. »
Ils mangent au restaurant de l’hôtel, et le Père Noël passe l’essentiel du repas à se plaindre que la viande paraît insipide, comparée à du rougebison. Ils attendent la nuit, sortent et se dirigent vers l’édifice qui abrite les bureaux d’Hernandez.
« Je suis à cran, déclare le vieil homme.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. C’est trop facile. J’imagine qu’on nous surveille et qu’on s’apprête à nous sauter dessus.
- Ça ne leur servira à rien, dit Nighthawk avec un rictus. Je dois avoir trente dollars de Marie-Thérèse dans mes poches.
- Tu veux dire que tu as déjà assemblé le pistolet ?
- J’ai estimé que j’attirerais moins l’attention dans ma chambre que devant le service de sécurité », ironise l’autre.
Le Père Noël ne cesse de jeter des coups d’œil en tous sens. Nighthawk finit par s’arrêter pour se tourner vers lui.
« Écoutez, si vous préférez dévaliser une église, je vous en montre deux ou trois et...
- Je ne veux pas dévaliser d’église.
- En tout cas, vous avez besoin de vous occuper. Même moi, vous me rendez nerveux.
- Désolé, dit le Père Noël en fourrant ses mains dans ses poches.
- Entendu. » Nighthawk lui assène une petite tape amicale sur l’épaule pour le réconforter. « Continuons. »
Ils traversent encore deux rues et se retrouvent devant un immense bâtiment.
« C’est là ?
- C’est là.
- Comment tu veux l’approcher ? Par l’avant, l’arrière ou le flanc ?
- Par l’avant. Pourquoi serais-je étudiant sur Aristote, sinon ? Demain, j’entre et je demande un rendez-vous. »
Ils s’apprêtent à partir quand une porte-fenêtre s’ouvre au deuxième étage. Une fine silhouette apparaît sur le balcon : Mélisande, vêtue d’or des pieds à la tête.
« C’est elle ! chuchote Nighthawk.
- Je savais que ces papiers étaient trop faux... euh, trop beaux pour être vrais, bégaie le Père Noël.
- Quoi ?
- Ils savent qu’on est là, fiston... ou du moins ils nous attendent à tout moment. Regarde-la, vêtue d’or et de strass, à se pencher sur sa balustrade. Elle sert d’appât.
- Pour moi ?
- Qui d’autre ?
- Et ils se figurent que je vais me ruer dans le bâtiment et me frayer un chemin à coups de pistolet jusqu’au deuxième étage parce qu’elle est là-haut ? poursuit Nighthawk.
- Oui. Plutôt con, comme hypothèse, non ?
- Ça, oui.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On retourne à l’hôtel ?
- Allez-y, si vous voulez.
- Et toi ?
- Moi ? fait Nighthawk. Je vais me ruer dans le bâtiment et me frayer un chemin à coups de pistolet jusqu’au deuxième étage.
- Je croyais m’être expliqué, à l’instant : c’est ce qu’ils attendent.
- Ils attendent un homme, réplique l’autre en examinant son pistolet en céramique avant de le remettre dans une de ses poches. Ce qu’ils vont avoir, c’est le Faiseur de veuves. »
Il se détourne et commence à gravir les degrés du perron qui mène à l’entrée principale.