CHAPITRE VII
Le gémissement que Frank avait déjà entendu et qui semblait correspondre à l’apparition de la spirale déchirant les couches d’air résonnait de nouveau et provoquait en lui de redoutables résonances.
Il avait pu apprécier les effets du monstre électrique et ne tenait nullement à faire les frais d’une expérience semblable à celle qui avait marqué la fin de l’oiseau-araignée.
Heureusement, il se sentait fort, ayant confiance dans l’héliscoo, aux possibilités innombrables. Il força l’allure, afin de prendre l’envol, et roula quelques instants en accélérant parmi les grands rocs du chaos.
Il y voyait fort bien, par instants, fort mal à d’autres, les fumées se rabattant parfois sous la brise et formant des nappes brumeuses dans lesquelles il se perdait.
Néanmoins, à travers le brouillard ainsi formé, il distinguait les stries fluorescentes de la spirale, qui gémissait encore sinistrement.
Frank ne comprenait pas grand-chose, sinon qu’il fallait échapper à tout prix au contact avec cet objet mouvant aux évolutions si dangereuses.
L’héliscoo, déjà, prenait son essor et commençait à surplomber la lande.
Le pilote voyait, à travers les flaques fumeuses, l’étendue, très vaste entre la forêt et la chaîne de montagnes. Mais il voyait cela par intermittence, les nuages engendrés par les fumerolles continuant à régner en nappes, ce qui ne lui permettait pour ainsi dire jamais d’embrasser le paysage d’un seul coup d’œil.
D’ailleurs, en dépit du formidable intérêt que présentait la découverte d’une planète inconnue, le reporter de la cosmovision ne songeait qu’à surveiller la spirale géante, laquelle demeurait toujours bien visible malgré les épaisseurs accumulées de la brume.
Ce qui l’inquiéta soudain c’était qu’elle ne se contentait pas d’évoluer au sol. Elle s’élevait.
Assez vite. Suffisamment, en tout cas, pour se rapprocher de lui et une sueur froide glaça l’échine du rescapé de l’astronef.
La spirale qui avait déjà digéré l’oiseau-araignée ne se promenait pas au hasard. Elle montait, toujours oscillante et tournoyante. Elle montait à sa poursuite, c’était indéniable.
Il n’avait qu’une idée : piquer vers les montagnes. Par-là, assurément, il trouverait l’origine du rayon mystérieux, le phare qui le provoquait.
Et cela supposait des humains, une intelligence, une forme élevée de vie.
Frank n’en pouvait plus de solitude. Il avait mis tant d’espoir dans la présence d’Anania, encore qu’elle demeurât lointaine, intouchable mentalement. Les Croquis la lui avaient ravie. Maintenant, les obstacles s’accumulaient et il enrageait de ne pouvoir obtenir le moindre échange humain, lui qui avait travaillé pour un si vaste public.
Il filait. La spirale, maintenant, se déplaçait, très vite, à travers les nuages, suivant une route presque parallèle à la sienne.
Du moins, pour l’instant, ne se rapprochait-elle pas. Ce qui fit tressauter Frank sur son siège, ce fut l’apparition d’une deuxième, puis d’une troisième spirale semblable.
Il volait, sur l’héliscoo, protégé par la carapace de platox transparente, si résistante, qui englobe littéralement les petits engins volants, mais il se disait bien que ce rempart ne le protégerait pas longtemps en cas d’attaque.
Il poussa l’appareil à la vitesse maximale, ce qui n’interdit pas aux trois spirales de se laisser distancer. Il finit même, un instant, par se demander si elles existaient réellement, tant leur présence lui paraissait constante, et s’il ne s’agissait pas de quelque mirage.
Mais non, certainement pas. Elles oscillaient toujours, changeant de position, tantôt à droite ou à gauche, tantôt derrière ou même devant.
Leur vitesse devait donc être très grande. Souplement, elles filaient, soit à découvert dans le ciel, soit à travers les nuées toujours abondantes. Du moins ne semblaient-elles pas devoir enserrer l’héliscoo et son pilote dans leurs cercles flamboyants, mais Frank n’en était pas encore plus rassuré.
Il pensait bien que le rayon inframauve serait un faible défenseur contre de tels éléments. Et il cherchait toujours la chaîne montagneuse, et à travers les nuages il la découvrait, s’en rapprochant de plus en plus.
À plusieurs reprises, regardant vers le sol, il vit, soit à découvert, soit estompés comme des fantômes dans les fumerolles qui continuaient à jaillir des profondeurs, les hautes et lourdes silhouettes des « croquis ». Il en existait sans doute une véritable tribu, peut-être tout un peuple, qui vivait là, on se demandait comment.
Le cœur battant, il croyait chaque fois entrevoir les formes gracieuses d’Anania, perdue parmi les monstres, mais cet espoir était déçu.
Et puis, l’apercevoir sans rien pouvoir en sa faveur, cela n’eût fait que provoquer en lui un regret supplémentaire.
D’autre part, il devait songer à son propre salut. Échapper aux spirales à tout prix, sinon il n’eût pas donné cher de son existence.
Il prit encore de la hauteur, encore que les héliscooters ne fussent pas conçus pour les grandes altitudes. Il commença à dominer les nuages, lesquels d’origine fumigène, demeuraient assez lourds et retombaient plus qu’ils ne grimpaient, s’étalant en ces flaques brumeuses qui encombraient la lande du chaos blanchâtre.
Il vit les montagnes, très nettement, cette fois, dans la clarté solaire. Il cherchait du regard une tour, un pylône, une construction quelconque.
Une spirale fut soudain sur lui.
Il ne sut pas comment cela s’était fait, mais les spires englobaient l’héliscoo. Horriblement ému, crispé au guidon de l’héliscoo, Frank regardait, transpirant d’angoisse, les traits fluorescents ainsi formés et qui tournaient, tournaient autour de lui, toujours instables, créant des stries lumineuses qui s’incrustaient en son crâne, le déroutant totalement.
— Je suis foutu…
Il pensa cela. Et il évoqua la Terre, sa vie passée, sa famille lointaine, ses amis, les paysages de la planète-patrie.
Le visage doux et mystérieux d’Anania se superposa et Frank pensa qu’il allait mourir.
Il n’en fut rien, du moins, pour le moment, et l’héliscoo poursuivit sa course aérienne vers les montagnes, Frank, instinctivement, le dirigeant sans cesse dans cette direction.
Cette fois, les nuages s’estompaient, disparaissaient. Frank aurait sans doute admiré la beauté de la chaîne qui se dressait devant lui, irradiée de la double clarté du soleil tutélaire de la planète et du puissant reflet du satellite, sans la présence redoutable de la spirale, qui l’entourait comme un serpent, mais un serpent qui n’eût pas enserré sa victime.
Il navigua ainsi un bon moment et commença à se rassurer un peu.
— Pourtant, c’est bien ça qui a bouffé l’oiseau-araignée…
Il ne savait plus où il en était. Mais cela augmenta encore sa confusion d’esprit, quand il constata que la seconde, puis la troisième spirales venaient ajouter leurs spires à celles de la première.
Si bien qu’il pilotait en plein ciel, littéralement enrubanné des mouvements onduleux et fluorescents du phénomène incompréhensible.
Alors, devant lui, il vit la tour.
Il ne l’avait pas encore découverte car un des monts la lui masquait. Maintenant, il exécutait, sans trop s’en rendre compte, un mouvement légèrement tournant et une immense vallée se découvrait.
Il voyait la construction, assise sur un soubassement de roc, formidable accumulation de pierres gigantesques, haut pour le moins de cinquante mètres. Sur cette base, la tour proprement dite, dont toute la partie inférieure était encore en pierre, mais dont les formes supérieures, élancées et plus gracieuses, supportant, à six cents mètres du sol pour le moins, une large plate-forme avec une construction en dôme, tout cela était de métal.
Les spirales abandonnèrent Frank et son héliscoo. Il les vit s’éloigner avec un soulagement non dissimulé, encore qu’elles n’aient eu aucune velléité de lui faire le moindre mal.
Stupéfait, il les vit foncer vers la tour à une allure fantastique et commencer à s’enrouler autour, les unes au-dessus des autres, formant cette fois une série d’anneaux, toujours oscillants, toujours fluorescents, cerclant la construction de serpents fantastiques.
Le phare reparut.
Il ne tournoya pas. Il vint droit sur l’engin volant, éblouit quelque peu Frank, et se mit à clignoter.
Cette fois encore, il comprit. On lui parlait. On l’appelait.
Il dirigea l’héliscoo droit vers le sommet de la tour.
Il y arriva dans le pinceau lumineux du phare, pas très violent, atténué par la clarté du jour. Dans l’arrivée, il aperçut que les spirales se déplaçaient capricieusement tout au long de la construction. Si bien que, se croisant, se recoupant, s’enchevêtrant, elles finissaient par créer, sur l’axe de la tour, un véritable caducée à l’échelon des Titans, du plus curieux effet.
Et Frank débarqua au sommet de cette tour, dans la radieuse clarté qui illuminait la planète, après avoir, pensant pour la première fois à tourner la tête pour se repérer, entrevu derrière lui, au-delà de la lande du chaos où roulaient les fumerolles, la forêt aux grands arbres durs et, au-delà, le lac. Il n’entrevoyait pas la carcasse du White Swan mais il savait qu’elle y gisait. Il pensa drôlement :
« Si les « croquis » ne sont pas en train de la dévorer… »
Très loin, l’horizon immense était fermé par les volcans, qui jetaient des feux, semblait-il, contre la vaste surface du satellite, lequel occupait inlassablement la plus grande partie du ciel.
Tout cela rappela en une seconde à Frank ses aventures depuis le débarquement forcé sur la planète.
Anania passa, comme un gracieux fantôme…
Il arrivait. Il voyait nettement la plateforme, très vaste, où se poser avec un héliscoo n’était qu’un jeu d’enfant. Ce qu’il fit.
Dans la construction, vaste dôme haut d’une quinzaine de mètres qui dominait, une porte s’ouvrit.
Un homme parut.
Le cœur de Frank fit un bond. Un homme, un humain. Tout espoir renaissait en lui. Jusqu’aux retrouvailles avec Anania.
C’était un personnage assez grand, mince, à la peau claire, avec de grands cheveux flottants. Il était vêtu d’une sorte de tunique, retombant sur un pantalon collant, visiblement celui d’une combinaison.
Il ne tendit pas la main, fit un geste qui pouvait dire « bienvenue ».
Il prononça quelques mots dans une langue incompréhensible pour le reporter de la cosmovision, qui tenta de lui parler, lui aussi, utilisant diverses langues planétaires, sans succès.
L’homme regardait moins Frank que l’héliscoo.
L’engin paraissait l’intéresser prodigieusement. Une pensée cocasse naissait dans l’esprit de Frank :
« Lui aussi ?… Après les « croquis » !… Mais il n’a pas l’air d’un métallophage, celui-là… C’est un homme. Et il appartient à une civilisation avancée… Cette tour… »
Il voyait, pratiqué dans la coupole, un œil immense et il devina que c’était là l’origine du rayon du phare. La coupole devait être mobile, tourner sur un axe.
L’inconnu aux longs cheveux fit un signe, encore, celui qui veut dire « suivez-moi ».
Frank obéit. Ils entrèrent dans la coupole et, aussitôt, l’arrivant éprouva un léger vertige. Le sol se dérobait sous ses pas.
Il comprit. C’était un ascenseur. Mais il était étourdi, ne réalisait plus très bien.
La descente lui parut longue. L’inconnu lui souriait vaguement, de ses lèvres minces, et l’observait. Frank vit qu’il avait les yeux bleus et n’éprouva pas pour lui la sympathie totale qu’il eût souhaité pour cet être d’un autre monde, mais tout de même son semblable.
L’ascenseur les conduisit à une petite pièce confortable. Là, l’inconnu versa un breuvage pourpre dans un godet taillé dans une apparence de cristal de roche. Frank but et se trouva tout de suite revigoré.
Il remercia d’un mouvement de tête. Il ne sentait déjà plus la fatigue, l’émotion. Un élixir vraiment magique.
L’autre faisait un geste et une porte s’ouvrait, probablement selon un processus magnétique. Au-delà, une vaste salle, une installation qui parut à Frank très importante.
Il faisait très clair. La clarté venait d’un peu partout mais on ne distinguait pas les lampes. D’ailleurs, le reporter de la cosmovision regrettait de ne pouvoir faire une émission sur ce qu’il découvrait.
Une sorte d’orgue immense. Un orgue fait de tubes colorés, avec un siège double au centre. Et des écrans, des appareils aux formes inconnues, des tubes encore, et des éprouvettes, et des pavillons, des lances et des flèches, des cercles et des globes et des disques et des demi-lunes. Tout cela incompréhensible.
L’inconnu alla s’asseoir dans un des sièges et invita du geste Frank à prendre place près de lui.
Il se livra alors à un travail de préparation assez curieux, branchant des fils, attenant à des instruments curieux et invraisemblables, et l’extrémité de ces fils, tous doubles, venaient sur un cercle de métal s’enrouler, se fixer.
L’homme passa un semblable cercle à son poignet, en tendit un autre à Frank qui fit le même mouvement, sans comprendre encore.
Devant eux, il y avait une sorte de clavier, qui achevait de donner l’impression d’orgue.
L’inconnu regarda Frank, eut un mince sourire, et lui désigna un écran qui, mobile, se déplaçait et venait se placer face à eux, alors que la main de l’hôte avait appuyé sur une touche du clavier.
Une autre touche. La lumière s’éteignit. Frank se trouva dans l’obscurité, tenaillé de curiosité. Qu’allait-il donc se passer ?
L’initiation commença.