CHAPITRE V
Tout de suite, il comprit, cette fois. Il réalisa qu’il fallait faire vite, très vite.
Ce n’était plus une énigme, une surprise ahurissante, un de ces événements stupéfiants que présente un monde neuf, mais la chose la plus banale qui soit : un rapt.
Les mangeurs de fer avaient ravi Anania. Pourquoi ? C’était peut-être la seule chose incompréhensible. Ils étaient asexués et, d’autre part, leur goût métallophage était sans doute peu compatible avec le cannibalisme.
Et elle ? Elle lui avait paru inquiète en découvrant les monstres, mais elle avait trop peu de raison pour trouver un moyen quelconque de leur échapper. Et maintenant…
La gorge sèche, Frank avait tout de suite mis le cap sur l’épave. Il lui paraissait, en effet, inutile de s’attarder sur la rive. Ce qu’il fallait, avant de se lancer sur la trace des ravisseurs et de leur proie, c’était s’armer, sérieusement. Et Frank avait découvert un véritable arsenal sur le vaisseau spatial sinistré. Naturellement, pour sa première randonnée aérienne, il n’avait pas jugé utile de se mettre sur le pied de guerre.
Il saignait encore, il ruisselait de sueur. Dès qu’il eut touché la carcasse du White Swan, il remit promptement sa combinaison, demeurant en débraillé, mais se sentant déjà plus sûr qu’en état de nudité.
Il chercha rapidement de quoi s’équiper, prit deux poignards et deux de ces pistolets à rayon inframauve, des désintégrants, avec quoi il se sentit aussitôt plus gaillard, en dépit de son anxiété.
Anania perdue, c’était la vie, l’univers, l’éternité perdus…
Il s’envola de nouveau, mais ne songea pas, pour cette entreprise, à reprendre la voie des airs. Il fallait trouver une piste, et il espérait bien que les pesants « croquis » auraient laissé quelques empreintes.
Il revint donc au rivage, sauta à terre, courut à l’endroit où il avait entrevu la jeune femme pour la dernière fois.
Bien entendu, il ne se trompait pas, et il releva les traces. Des pas indiquant de vagues pieds humains, mais dont les doigts semblaient soudés, et appartenant à des individus d’une taille démesurée.
L’écrasement latéral du pas correspondait bien à la démarche lourde des hommes ébauchés, et ces pieds rudimentaires, eux aussi, évoquaient l’esquisse, l’inachevé…
Et c’était entre les mains approximatives de ces êtres que se trouvait à présent la fragile, la gracieuse créature innocente en qui il avait mis tout l’espoir du monde…
La piste, du moins, était aisée à suivre. Il sauta sur son siège, embraya, régla le moteur de telle sorte que la vitesse de l’engin était réduite, mais ce procédé présentait l’avantage de faire rouler l’héliscoo de façon quasi silencieuse.
Frank, pour la première fois donc depuis son arrivée sur la planète inconnue, s’enfonça sous les arbres.
Il n’était guère en train d’admirer le paysage, mais cependant, il discerna, pour la première fois, des aspects de la vie animale. Il paraissait, en effet, aberrant qu’avec l’eau, le feu, le climat favorable, la végétation, il n’y eût aucun être vivant, d’autant que le phare ne pouvait avoir été construit que par des créatures évoluées, non certainement par les « croquis ».
Frank, ainsi, avançant à petite allure, retrouvant de temps à autre, quand les taillis n’étaient pas trop épais et quand le sol n’était pas totalement jonché de feuillages ou de branchages, les lourdes empreintes des hommes manqués qui lui avaient pris Anania.
Il entrevit des oiseaux, de tailles variées, mais incroyablement farouches et qui, tous, au lieu de prendre leur essor vers le ciel, se nichaient à son approche, se fourraient dans la ramée ou dans les trous des troncs d’arbre. Il aperçut les plumages métalliques des uns, les coloris plus chantants d’autres de petite taille. Quelques reptiles se manifestèrent, incroyablement véloces, qui regagnaient silencieusement leurs repaires, avec une telle vitesse qu’on pouvait croire avoir rêvé après leur disparition.
Mais Frank, en frissonnant, en vit quelques-uns qui pouvaient rivaliser avec les pythons terrestres, annelés de jaune d’or, et à une ou deux reprises agrémentés, si on osait dire, de sortes d’ailerons semblables à des nageoires dorsales pisciformes.
Aucun mammifère, du moins jusqu’à nouvel ordre. Quant aux insectes, ils devaient exister, mais l’entomologie, ce serait pour plus tard.
Présentement, Frank jouait plutôt les policiers que les savants. Malheureusement, la piste s’embrouillait, au fur et à mesure que la forêt devenait plus épaisse. Il y avait aussi un peu de brume, stagnant sous les grands arbres aux feuilles dures, d’aspect métallique, et cela n’arrangeait rien.
À plus d’une reprise, il descendit de son siège pour examiner le sol, pensa qu’il tournait en rond, s’énerva, se demanda si, avant la nuit, il réussirait à retrouver ceux qui lui avaient volé Anania.
Et Anania… Mais dans quel état allait-il la retrouver ?
Que représentait donc une femme, un être humain, pour ces créatures incomplètes qu’étaient les « croquis » ? Ils l’avaient enlevée, parce qu’ils trouvaient peut-être en eux un sens obscur de la beauté. Ou bien quoi ?
Aucune explication…, le comportement de l’animal, parfois de l’enfant, et combien de fois de l’adulte des deux sexes qui agit sans raison apparente, de préférence dans le sens du mal, de la destruction stérile…
Frank, rageur, finit enfin, après plusieurs tentatives de plus en plus douteuses, par se fier plus à son instinct qu’à tout indice, la forêt paraissant maintenant protéger les « croquis ».
Il se demandait s’il s’agissait des mêmes que ceux venus de la région des volcans pour commencer à ronger l’épave. Il pencha pour la négative, mais, de toute façon, ils n’avaient pas eu le temps matériel de retraverser le lac, et il fallait donc continuer à travers bois.
Il aperçut une vague trouée, s’y lança avec l’héliscoo. Devant lui, il distinguait, dans la ramure, une masse immense, qui lui parut de grisaille et qu’il ne pouvait arriver à déterminer.
Dans de telles circonstances, l’homme fonce automatiquement vers ce qui lui paraît insolite, et Frank jeta l’héliscoo dans cette direction.
C’était très vaste, paraissant monter à travers les arbres, comme suspendu entre plusieurs troncs. De surcroît, au fur et à mesure qu’il se rapprochait, il entendait des sons qui, de toute évidence, appartenaient à un gosier d’oiseau, première fois que cela se manifestait sur ce monde généralement fort discret.
Frank, de plus en plus intrigué, ne se demandant même plus si cela avait un rapport avec le rapt d’Anania et les hommes incomplets, dirigea son héliscoo et pénétra dans la zone intrigante.
À partir de ce moment, il fut saisi d’un vertige. L’horreur immense lui apparut, comme un éclair, alors qu’il était déjà engagé dans le piège géant où résonnaient de façon lugubre les cris de détresse de l’oiseau englué.
Parce qu’il s’agissait bien de cela. Quelque chose comme une toile d’araignée. Mais à un échelon titanesque, une masse visqueuse, gris fer, d’une largeur démesurée et jetant comme un tapis à travers une petite clairière où filait l’héliscoo. On n’en voyait pas les angles, d’ailleurs multiples, et qui se perdaient dans les arbres, hauts de trente mètres, lesquels encerclaient cet appareillage fantastique.
Frank vit l’oiseau, une jolie bête au plumage rouge et or, de près d’un mètre d’envergure, qui se débattait de la façon la plus classique qui soit pour un animal pris dans les filets d’une araignée. Il pensait lui porter secours, mais il aperçut alors un véritable tunnel, pratiqué dans la matière même de la toile.
Et ce tunnel, qui avait plus d’un mètre d’ouverture, vomissait le démon qui régnait là, et qui, au lieu de courir vers sa proie, allait s’en prendre à ce visiteur insolite qui arrivait justement pour troubler l’heure de son festin.
Frank et son héliscoo, en l’occurrence.
Frank vit l’horreur vivante, non pas avançant lentement comme tous les arachnides de l’univers, mais, au contraire, incroyablement vive, exactement comme un oiseau qui sort de son nid.
Parce que cela ressemblait bien un peu à une araignée, mais cela avait des ailes, des plumes, une horrible tête évoquant plutôt les mouches avec des yeux à facettes, et deux paires de grandes pattes velues.
Première impression devant cette apparition : éclater de rire.
Parce que la bête est non seulement affreusement laide, mais surtout grotesque. Elle semble un décalage vivant, une aberration de la nature.
Frank ne rit pourtant pas. Il n’en eut pas envie. Le monstre allait se jeter sur lui, et il ne l’évita que d’un coup de volant hardi, spontané, qui faillit faire chavirer l’héliscoo.
Mais le virage fut court, audacieusement incliné. Frank frôla, avec un frisson, l’épouvantable hybride, et redressa sa machine sans trop savoir comment, ayant été sur le point de chavirer.
Il imaginait ce qui serait arrivé : Frank, les quatre membres en l’air, près de l’héliscoo renversé et inutile, et cette abomination se jetant sur lui.
Cependant, il avait réussi à tourner le dos. Dans le mouvement, il constata que la toile, sur laquelle il roulait car elle tapissait le sol en un vaste quadrilatère entre les grands arbres, avait été déchirée dans le mouvement de l’engin, ce qui devait porter à son comble l’exaspération du maître des lieux.
Un détail lui fit plaisir (mais tout cela se passait à une vitesse insensée), le bel oiseau de rubis et d’or, délivré par la manœuvre, la déchirure l’ayant partiellement désenglué, se débattait, poussait un cri de triomphe et s’envolait.
Frank tournait la tête en fuyant, ne voyant pas trop où il s’engageait, ayant lancé l’héliscoo au hasard sous les arbres.
Il aperçut, à travers les ramures, le libéré qui filait, le monstre qui le poursuivait un instant, tournait en vrombissant bizarrement, jetait lui aussi son cri, lequel ressemblait plutôt à un claquettement de morceaux de bois les uns sur les autres, puis revenait vers la toile, cherchait un moment la piste et, finalement, se lançait, sous les arbres, derrière l’intrus qui fuyait sur son engin.
Frank voyait, derrière lui, volant entre les troncs, claquetant de plus belle, l’invraisemblable créature, dont l’envergure atteignait bien deux mètres.
Prendre l’envol avec l’héliscoo ? C’eût été possible dans la clairière de la toile d’araignée, mais maintenant, il ne le pouvait plus et devait se contenter de rouler au sol, ne pouvant trouver l’essor nécessaire à la machine avec ces frondaisons très épaisses. Il filait donc, exécutant des virages, des zigzags. Il espérait distancer, décontenancer la bête, laquelle ne paraissait nullement décidée à abandonner la poursuite de cet individu qui avait perturbé son repas et détérioré sa tanière.
De plus, Frank avait la sensation qui l’emplissait de rage d’avoir perdu la piste, de ne plus savoir où il était, et il lui serait très difficile de toute façon, de s’orienter sur les traces des « croquis ».
Des monstres qui emportaient Anania.
Cela dura encore un bon moment, cette course sous la forêt, maintenant très épaisse.
À plusieurs reprises, le jeune homme put penser avoir « semé » son poursuivant, mais, chaque fois, après un moment de calme, il réentendait le bizarre claquettement. L’oiseau-araignée reparaissait alors, filant à travers les buissons, se faufilant entre les troncs, et tentait de foncer sur lui.
Il ne lui échappait qu’en repartant à allure aussi rapide que le lui permettait ce cheminement en forêt. Il faillit tomber deux ou trois fois, l’héliscoo heurtant des troncs, des pierres, des racines énormes qui boursouflaient le terrain.
Il remarquait, d’ailleurs, depuis un moment, que le sol n’était plus le même. D’énormes roches étaient à fleur de terre. Blanchâtres, prenant des formes variées, fantaisistes, elles crevaient la surface de la planète, et les grands arbres croissaient maintenant sur un domaine infiniment plus tourmenté.
Frank songeait à ses armes et se demandait s’il ne devrait pas mieux faire face, attendre l’oiseau-araignée et tenter de l’abattre avec son fulgurant, quand la situation changea.
La contexture géologique provoquait un éclaircissement de la forêt, la végétation croissant désormais parmi les rochers. Si bien que la voûte de verdure lui semblait moins épaisse et les troncs plus espacés.
Tout à coup, presque spontanément, il déboucha dans une zone où les arbres devenaient très rares, et, à moins de cinquante mètres, disparaissaient totalement.
Au-delà, il y avait une vaste étendue chaotique, où flottaient encore des manteaux déchiquetés de brouillard. Les grandes pierres aux allures fantastiques s’y dressaient, quelquefois très hautes, avec leurs tons blafards évoquant des fantômes, et la brume ambiante n’ajoutait pas peu à cette impression.
Frank eût voulu s’attarder à contempler un tel décor, dont l’aspect exceptionnel ne manquait pas de pittoresque, d’autant qu’il voyait, à moins de mille mètres, le sol qui commençait à se soulever, à monter lentement.
Il n’était plus loin de la chaîne montagneuse entrevue depuis la rive du lac. Il les voyait, les montagnes, enrobées de ces nuages blêmes qui paraissaient venir plus du sol que du ciel.
Et il pensa tout de suite que c’était dans cette direction qu’il avait aperçu le phare mystérieux.
Il roulait encore, mais il s’attardait.
Un claquettement résonna presque dans ses oreilles. L’oiseau-araignée, qui avait retrouvé sa piste, arrivait.
Frank stoppa, au risque d’être jeté à terre. Tout en roulant, il avait préparé son coup. Il tira à la fois un fulgurant de la main droite et, par mesure de prudence, un poignard d’astronaute de la gauche.
Il fit face. Tira. Manqua le monstre.
Du moins, le jet d’inframauve eut-il l’avantage d’effrayer le démon volant, qui claqueta très fort et sur un rythme accéléré indiquant très probablement son degré d’émotion, s’envola, tourna un instant au-dessus de l’homme, à dix mètres dans le ciel, puis tenta d’attaquer en piqué.
Second coup de fulgurant qui, cette fois, effleura une aile de l’hybride. Des plumes noirâtres volèrent. Claquettement sinistre. Nouveau départ vers le ciel et recherche de la même manœuvre.
Frank était baigné de sueur. Il savait que, si l’horreur volante arrivait juste sur lui, s’il manquait son coup, il n’aurait plus que le poignard pour se défendre. Au corps à corps.
Il leva le fulgurant, pensa en un éclair qu’il se trouverait juste dans l’axe de l’oiseau-araignée qui arrivait, avec ses quatre grandes pattes velues crispées, comme pour saisir l’homme dans la formidable serre que cela formait.
Le long gémissement passa sur la lande chaotique et frappa à la fois l’un et l’autre des deux antagonistes.
Frank, surpris, tourna la tête et tira, au jugé.
Il avait fermé les yeux, instinctivement. Il croyait sentir le choc de l’affreuse bête et ne pouvant armer assez vite une seconde fois son fulgurant, il faisait front avec le poignard levé.
Mais le choc ne se produisit pas.
Le jeune homme, étourdi, souleva les paupières et vit l’oiseau-araignée qui continuait à voler, mais cette fois sérieusement handicapé, perdant un sang noir en abondance et claquetant avec fureur.
Il comprit qu’il l’avait touché. La bête avait eu deux pattes arrachées par I’inframauve. Gravement blessée, elle voletait encore, à quelques mètres des grandes roches, et sa silhouette baroque, dans la brume, avec ce vol décalé, ce sang qui giclait et laissant de grandes traces hideuses sur les pierres, les contours s’estompant et reparaissant au fur et à mesure des fluctuations nébuleuses, tout cela composait un tableau extraordinaire, qui laissait Frank debout, les armes à la main, immobile, halluciné, provisoirement incapable de réagir.
Du moins comprenait-il qu’il ne risquait plus rien de la part de l’oiseau-araignée, dont la blessure devait être grave, sinon mortelle. Et il regardait cette fin terrible.
Plus terrible encore qu’il ne pouvait le supposer.
Il voyait venir le moment où l’oiseau-araignée allait tomber, se débattre, répandre partout son sang abominable. Il regardait la lande, véritable chaos de pierres, lande qui amorçait le mouvement de terrain aboutissant à ce qu’il avait appelé les montagnes de brume.
La clarté du soleil et les grands reflets rutilants de l’immense satellite, placé derrière lui, optiquement au-dessus de la forêt, se perdaient dans les écharpes nébuleuses, et Frank commençait à s’apercevoir que l’origine de ce phénomène était plus du genre fumée que vapeur d’eau.
Il apercevait, en effet, des fumerolles, issant des crevasses du sol, qu’il ne pouvait distinguer depuis la lisière de la forêt, mais qui abondaient vraisemblablement. Le vent, assez faible, provoquait des mouvements lents et des arabesques fantastiques se créaient.
C’est alors qu’il réalisa. Pour la deuxième fois, il y avait ce singulier gémissement qui avait attiré son attention au moment de l’attaque de l’oiseau-araignée. Il pensa aussi que le monstre devait connaître un tel bruit et savoir ce qu’il signifiait car, pour cela, il avait dû faire un écart, modifier son vol, ce qui avait évité à Frank le choc et le corps à corps.
Et il constata que le mangeur d’oiseaux d’or et de rubis tentait désespérément de reprendre son vol, alors que ses plaies ne le lui permettaient plus. Il claquetait plus que jamais, sur un mode cependant phonétiquement atténué. On eût dit qu’il avait peur de toucher le terrain.
Le phénomène se manifesta.
Frank, abasourdi, découvrit la spirale qui évoluait, et le déchirement de l’air sous son impulsion provoquait le gémissement parmi les masses brumeuses. Elle était fluorescente et, sur le moment, il pensa encore à un animal, aussi fantastique que l’était l’oiseau-araignée, mais, au bout de quelques instants d’attention, se rendit compte qu’il s’agissait d’autre chose.
Mais de quoi ?
Cela avait l’aspect d’un énorme python et avançait en tournoyant, répandant une clarté intrinsèque aux tons parfois bleutés, parfois plus rutilants. Le diamètre moyen de ce serpent de lumière atteignait quatre ou cinq mètres. Frank évoqua une sorte de ressort géant, porté au blanc thermique, et se mouvant par ses propres moyens.
Il pensa à un phénomène de nature voisine de ce qu’il avait appelé la pieuvre électrique. Et c’était cela, sans doute, cette planète au relief indiquant des origines relativement récentes devant comporter un métabolisme très particulier, fécond en manifestations électromagnétiques.
Mais la spirale fluorescente, tournoyant, s’allongeant, se refermant sur elle-même, se relâchant de nouveau, ondulant, ondoyant, virevoltant, changeant sans cesse de forme et d’éclat, n’allait pas n’importe où, n’importe comment.
Bien que ce ne fût vraisemblablement pas un être pensant, c’était guidé par une force d’instinct peut-être comparable à l’aimant, à l’attraction gravitationnelle.
Toujours est-il qu’inéluctablement, cela guettait la chute de l’oiseau-araignée.
La bête blessée n’échappa pas à son triste sort. Claquetant désespérément, incapable de voler plus longtemps, elle tomba juste entre les mouvements de la spirale et les anneaux fluorescents se refermèrent sur elle, tandis que le gémissement, lugubre, aux résonances infinies, se manifestait encore, et Frank eût juré que c’était la spirale qui criait.
Il se passa ce à quoi il s’attendait. Le phénomène mystérieux allait dévorer, ingurgiter, neutraliser, détruire totalement le corps de l’oiseau-araignée pour s’en nourrir à sa façon, pour en extirper sans doute un potentiel qui lui était nécessaire à sa vie magnétique.
Hank regardait cela, mais, derrière lui, il crut entendre des bruits bizarres.
Il s’arracha à la contemplation de la fin de l’oiseau-araignée, et ce qu’il vit le fit bondir.
Les « croquis », les monstres inachevés, avaient refait leur apparition. Mais sans Anania.
Ils n’étaient d’ailleurs que cinq ou six. Ils se souciaient fort peu, apparemment, de Frank, de l’oiseau-araignée agonisant, et même de la grande spirale fluorescente et dévorante.
Ils faisaient cercle autour de l’héliscooter. Ils le palpaient, et un d’entre eux, penchant sa massive silhouette, promenait déjà son mufle sur le guidon, sur le pare-boue, sur les pneus de métal assoupli.
Fou de terreur à l’idée de ce qui allait se passer, Frank tira ses deux inframauves, se rua en avant, hurlant :
— Ah ! les brutes… Mon héliscoo… Ils vont le manger !…