CHAPITRE IX
Suivre l’escadre !
C’était là chercher des guides bien étranges. Toutefois, F’Kech et les autres avaient fini par en convenir : on n’avait plus guère le choix des moyens. Les révélations de Cédric offraient tout de même un certain degré de véracité. Lui et lui seul amenait les bases cosmiques indispensables pour le retour vers la Voie Lactée, vers la constellation de l’Hydre et de là les planètes-patries du Centaure et de Sol III, la vieille et chère Terre.
D’autre part pour un lancer sub-spatial, toujours d’après les positions astrales fournies à la suite de l’étrange duplex, Dys offrait aux yeux des cosmonautes deux avantages.
Tout d’abord, et autrement que sur cette petite planète perdue, on y trouverait l’indispensable à un voyage qui pouvait être long et périlleux.
Ensuite, Dys étant située aux confins de la Galaxie Rouge (ce qui était certainement un élément favorable au passage des ondes vers la Voie Lactée) devenait un tremplin valable pour un départ vers le point visé.
Il n’en était pas moins vrai que F’Kech et les autres continuaient à tenir Cédric à l’écart. Jérôme et Manuela agissaient comme si de rien n’était, mais ils demeuraient inquiets. A un certain moment, un incident mineur pouvait dégénérer, tant l’équipage du cosmocanot était braqué contre le responsable de l’aventure.
Cependant, le voyage se poursuivait dans des conditions satisfaisantes.
Malgré leur vindicte, leur angoisse, ou leur espoir fou (en ce qui concernait Cédric) les explorateurs de la Galaxie Rouge étaient sensibles à la découverte d’un univers autre que celui dont ils étaient originaires.
Certes, depuis leur monde natal, ils avaient rencontré maintes merveilles et ils avaient savouré l’Hydre, surtout les enchantements d’Hydra V. F’Kech et les autres regrettaient fortement le séjour sur ce monde délicieux et le pilote du petit astronef soupirait souvent, regard perdu dans le vide, en songeant à V’wa.
Ils avaient fréquemment tenté un contact radio avec Hydra IX, avec d’autres stations de l’Hydre ou éventuellement d’autres planètes de la Galaxie. En vain ! Rien ne passait. Sans doute Dys possédait-elle des appareils particuliers qui se trouvaient à la base des duplex réalisés avec Cédric.
Ils pouvaient voir que l’ensemble de cet univers, neuf à leur regard, était baigné d’une vague clarté tirant sur le rouge. La raison semblait tout naturellement en être la couleur de la majorité des étoiles qui y gravitaient. Les divers astres recevaient donc cette lumière plus ou moins empourprée selon leur éloignement des soleils tutélaires.
Mais l’horizon céleste, par instants, lorsqu’on s’approchait d’un de ces flambeaux cosmiques, offrait l’aspect d’une immensité sanglante du plus impressionnant aspect, même pour des navigateurs de l’espace qui étaient cependant parfois blasés sur les surprenants spectacles que révèle le Cosmos.
L’escadre des Uniques ? Oui, on l’avait repérée. Non au sidéroradar, car pour une raison indéterminée, elle y échappait. Mais visuellement, on la détectait sur l’écran. F’Kech et M’Toor s’étaient acharnés à un réglage minutieux lequel, en principe, aurait dû leur permettre un contact sonore. Inutilement ! Ne passaient que les ondes luminiques mais les technastros s’en contentaient. Ils avaient au moins la certitude que cette formation guerrière existait bien. Donc que Cédric, au moins sur ce point, n’avait pas menti.
La belle Amforea, ou Ametrea, ou autre (son nom demeurant indéchiffrable même pour Cédric) avait donné des indications précieuses. Un groupe d’astronefs d’un type inconnu des Galaxiens filait dans l’espace et, il n’y avait plus lieu d’en douter, vers Dys. Dys qui représentait désormais l’espérance pour les uns et les autres quoique pour des raisons diverses selon leur état d’esprit.
La plus élémentaire prudence avait été de garder une distance appréciable entre le cosmocanot et l’escadre. F’Kech n’avait pas caché son inquiétude. Les Uniques étaient bien capables, en égard à leur haute technicité, de détecter le petit vaisseau spatial. Ne les avaient-ils pas étroitement surveillés, lors de leur escale sur le planétoïde ?
Aussi se tenait-on sur ses gardes. Certes, l’armement du cosmocanot était plus que sommaire et en cas d’attaque on ne saurait trop comment se défendre. Cependant comme il n’était pas question de demeurer éternellement sur le caillou qu’ils avaient percuté, il fallait bien s’en sortir d’une façon ou d’une autre. On suivait l’escadre. On la voyait. Elle existait. Les Uniques empruntaient bien la route indiquée par l’amante immatérielle de Cédric. Et ils paraissaient désormais se désintéresser totalement des Terro-Centauriens. Voire les ignorer, ce qui paraissait évidemment préférable à tous.
Les notes prises sur le calepin électronique s’avéraient, au fur et à mesure qu’on progressait dans le grand vide, d’une précision rare. Le cosmopilote et son assesseur devaient en convenir. Tout cela correspondait à une réalité. Aussi commençait-on à admettre que Cédric était moins fou qu’on avait pu le penser. Ce qui n’atténuait nullement, dans l’esprit des cosmatelots, sa responsabilité en ce qui concernait leur situation.
On allait vers un système solaire double et il était hors de doute que ce fût bien là les astres-jumeaux qui emmenaient Dys dans la course éternelle des objets célestes.
Cédric matait difficilement son exaltation, grandissante au fur et à mesure qu’on approchait du but. Manuela était plus triste que jamais et Jérôme, de temps à autre, envoyait une bourrade dans les côtes de son camarade :
— Tu te tiens, oui ? Fais gaffe aux autres ! Ils te guettent !…
Montrer trop de joie pouvait en effet paraître une injure à des hommes jetés contre leur gré en dehors de leur univers originel. Jérôme veillait. Cédric se conduisait réellement comme un gamin amoureux. Ce qu’il était d’ailleurs.
Un élément ne manqua pas de surprendre F’Kech au fur et à mesure qu’on se rapprochait de l’étoile double, donc par voie de conséquence de la mystérieuse planète Dys.
L’escadre avait subitement disparu.
Qu’étaient devenus les Uniques ? Impossible de le savoir. Mais l’écran se refusait désormais à refléter ces curieux astronefs aperçus à plusieurs reprises et dont l’orientation avait permis au cosmocanot et à ses passagers de se diriger utilement dans la bonne direction.
Cet effacement ne disait rien qui vaille à F’Kech et aux autres. Un piège ?
Dans l’immensité cosmique, tout est possible et les créatures qui y vivent sont susceptibles de tant de perfidies…
Mais il n’était plus question de reculer. Quoi qu’il puisse arriver, on se devait de débarquer sur Dys. Là, on aviserait.
Pour F’Kech, les Centauriens et le Terrien Frank, pas de problème majeur. Une fois sur la planète, si elle était aussi verdoyante et giboyeuse que promis, il serait aisé d’emmagasiner de quoi tenir pendant le voyage de retour. Et de se ré-embarquer sans tarder. Frank ne l’avait-il pas dit ? Si Cédric veux rester, qu’il reste !
Ils furent dans le rayonnement du double soleil et le cosmocanot était envahi de la lumière écarlate qui baignait cette zone cosmique. Ce qui créait un climat bien étrange, assez hallucinant. M’Toor s’en plaignit, piqua une crise dépressive, délirant, violent. Il leur posa, pendant un temps, beaucoup de problèmes et Manuela déploya des trésors de patience pour le soigner, tenter de l’apaiser.
F’Kech et Frank ne disaient rien mais on devinait qu’ils tenaient une fois de plus Cédric pour responsable d’un tel état psycho-pathologique.
Ce fut bien autre chose quand ils débarquèrent sur ce qui était incontestablement la planète Dys, toutes les données fournies par la mystérieuse jeune femme concordant parfaitement.
Là encore, la lumière rougeâtre accompagnait le lever du double soleil et entretenait une ambiance particulière, non dénuée de charme d’ailleurs, en opposition avec la verdure abondante qui paraissait régner.
Tellement abondante d’ailleurs qu’ils eurent tout d’abord l’impression d’un monde neuf, absolument vierge et, ainsi que le dit justement Jérôme, encore primitif, un monde aux premiers âges.
Ce qui, cette fois, était contradictoire, Cédric, ainsi maintenant que Jérôme, pouvant attester qu’ils avaient aperçu les reflets d’une civilisation avancée, d’autant plus avancée qu’elle était capable de communiquer avec les autres univers.
Pourtant, tout leur paraissait sauvage, et une nature anarchique, grandiose en cette anarchie, offrait ses splendeurs farouches, sa végétation exacerbée dans un décor chaotique de rocs démesurés, de torrents mugissants, de lacs immenses et où grouillait une vie intense, le tout serti de forêts dont on ne distinguait nullement les limites.
La faune était abondante, ce qui satisfit Frank et les autres. Du moins allait-on pouvoir se prémunir pour le voyage sub-spatial et spatial. La venaison ne manquerait pas et les congélateurs du bord seraient bientôt remplis.
Tout un monde emplumé voltigeait et, outre des animaux de grande taille dont il faudrait sans doute se méfier, les pièces d’eau, véritables petites mers, recelaient des poissons en abondance.
Cette première escale, dans une atmosphère rougeoyante à laquelle ils commençaient à s’accoutumer depuis qu’ils avaient atteint la Galaxie Rouge, leur donnait donc quelques satisfactions. Surtout après le relais sur la planète des Uniques, où ils avaient connu les moments mornes et désespérants engendrés par ce désert rocailleux, et les apparitions et disparitions incompréhensibles de cette race hors du commun.
Naturellement, Cédric brûlait de partir en exploration, à la recherche de la cité. Mais Manuela lui fit remarquer doucement qu’on n’y était pas encore et que, auparavant, on était à même de rencontrer d’autres villes, d’autres peuples. On possédait un relevé géographique succinct qui laissait entrevoir une randonnée de plusieurs centaines de kilomètres avant d’atteindre la ville où l’étonnante créature appelait au secours pour sa race. Randonnée qui s’exécuterait aisément avec le cosmocanot, lequel survolerait alors la planète. Mais les cosmatelots n’avaient qu’une hâte : partir à la chasse, à la pêche. Se baigner dans un des lacs, non sans avoir soigneusement étudié la contrée pour éviter la rencontre de bêtes dangereuses.
Cédric dut donc ronger son frein pendant trois journées de ce monde, journées interminables, d’autant que la rotation planétaire paraissait assez fantaisiste, eu égard certainement à l’attraction des deux soleils, qui devaient se contrebalancer.
Enfin, la petite troupe se retrouva en meilleure forme. On s’était régalé, on s’était détendu. L’approvisionnement était plus que satisfaisant. Chair et poisson ne manqueraient plus.
Cédric entendit avec angoisse que Frank suggérait de repartir aussitôt. Qu’avait-on de mieux à faire ? Rien ne les retenait plus et il semblait évident qu’on avait là une aire de départ favorable pour l’envol vers l’espace, puis le sub-espace qu’il faudrait bien utiliser de nouveau pour rejoindre Hydra et la Voie Lactée.
Nouvelles discussions. Jérôme fit remarquer qu’après tout, la mission commandée par Ulrich, et dont ils faisaient toujours partie intégrante les uns et les autres, avait eu pour but justement la reconnaissance de la mystérieuse Galaxie Rouge.
Nul n’aurait jamais pu supposer que d’audacieux cosmonautes y aient débarqué quelque jour. On croyait se borner à des études astronomiques et voilà qu’on parvenait à une exploration. Déjà la deuxième planète reconnue. Cela valait, estimait le grand gars, qu’on ne quittât pas ce monde sans lui avoir arraché un maximum de ses secrets.
Argumentation qui emporta l’accord des Centauriens, même si Frank grommelait dans son coin. Finalement, on décida de survoler un bon moment l’ensemble de Dys, d’obtenir un contact éventuel avec ses habitants, ce qui permettrait de ramener dans leur monde-patrie de fulgurants rapports. F’Kech et les autres, malgré tout, étaient sensibles à la gloire future qu’ils pourraient en récolter. Sans préjudice de leur fortune. Explorateurs revenus d’une galaxie ignorée, ils étaient assurés d’une récompense fabuleuse de la part des autorités galactiques d’origine.
On repartit donc et le cosmocanot, à petite allure, commença le survol de ce domaine merveilleusement nouveau, qu’ils espéraient fertile en découvertes.
Bientôt, ils commencèrent à s’étonner.
Ils avaient cru débarquer initialement dans une contrée sauvage, où la faune et la flore existaient à l’état primitif, créant un ensemble magnifique et inculte.
Or, au fur et à mesure qu’ils progressaient, ils avaient l’impression que nulle part on ne voyait trace de civilisation. Pas un être humain n’était apparent. Et on ne distinguait pas non plus d’habitations. Partout, c’était l’univers agreste, aux fleurs démesurées jaillissant sous les deux soleils rouges, les vols d’oiseaux nombreux s’étendant comme des nuages, des animaux ignorés filant dans les plaines, se faufilant sous les frondaisons ou plongeant dans la vastitude des lacs.
Nul engin ne roulait, ne glissait, ne volait. Un monde où l’humain était absent c’était leur première impression.
Que signifiait donc tout ceci ?
M’Toor, qui était aux commandes et suivait la progression sur l’écran réflecteur signala enfin quelque chose ressemblant à un village.
On se précipita aux écrans et aux hublots.
Un village, certes. Ou ce qui avait été un village. Le cosmocanot évolua au-dessus pendant un long moment. Et Frank prononça :
— S’il y a eu des gens là-dedans, ils sont morts depuis des siècles !…
Des ruines. Des ruines envahies par une telle végétation que, depuis longtemps, les plantes avaient fait éclater les pavages comme les murs, que des arbres irrespectueux crevaient les toitures pour mieux épandre leur feuillage. La faune paraissait également y avoir élu domicile. Là non plus, aucune trace humanoïde.
Ils repartirent. Jusqu’au soir, jusqu’à l’étrange et splendide crépuscule où les deux astres de pourpre descendaient simultanément sur l’horizon sanglant, ils découvrirent encore trois de ces agglomérations fantômes. Deux simples villages et ce qui avait dû être une grande cité, au bord d’un vaste étang.
FKech, au viseur prismoïdique qui permettait une observation très rapprochée, montra diverses masses informes, perdues sous les lianes et les ronces. Et il estimait qu’il s’agissait d’engins qui avaient dû être motorisés mais que l’inexorable temps avait littéralement fossilisés. Le métal, plus encore que la pierre, mourait interminablement.
Ils firent halte le soir, mais si le cosmocanot demeura au sol, on veilla à tour de rôle. Une surprise était toujours possible. Cependant ils n’eurent à apercevoir autour d’eux que quelques gros animaux, des reptiles, des oiseaux nocturnes aux yeux phosphorescents multiples. Aucun ne fit mine de s’attaquer à cette chose énorme et insolite.
Et le jour se leva de nouveau.
C’était la dernière étape. En mesure terrestre, soixante-dix ou quatre-vingt kilomètres avant de gagner la région où devait s’élever la cité habitée par cette peuplade dont la tendre correspondante de Cédric était sans doute le plus aimable des représentants.
Décidément, ce que le calepin électronique avait enregistré était rigoureusement vérifiable. C’était surprenant. C’était quelque peu exaspérant pour ceux qui avaient tant douté. C’était aussi une source d’espoir car, si on continuait à admettre tout cela jusqu’au bout, il n’y avait aucune raison pour que ce fût justement ce monde de Dys le tremplin le plus favorable pour l’envol en vue de retour vers la Voie Lactée.
F’Kech avait décidé, au cours de leur randonnée, de conserver sans cesse la plus grande prudence. Cette carence de race humaine ne lui disait rien qui vaille et ses compagnons, excepté sans doute Cédric lui-même, partageaient ce point de vue.
On volait donc à altitude relativement élevée, étudiant le terrain grâce au viseur prismoïdique. A allure réduite, afin de négliger le moins possible tout détail intéressant. Avec une surveillance permanente pour éviter les chausse-trapes.
Mais l’humain continuait à demeurer invisible.
Inexistant ?
C’était incroyable. Jusqu’alors, du moins dans le sens géographique comme astronomique du mot, tout s’était avéré à partir des révélations captées par Cédric, quelles que fussent les conditions dans lesquelles ces échanges avaient été réalisés. Et Jérôme, lui aussi, avait vu…
Si la faune continuait à paraître abondante et souveraine sur ce monde qui ne montrait aucun membre de l’humanité, on commençait, par contre, à découvrir des traces de ce qui annonçait, comme sur toutes les planètes, le voisinage d’une grande cité.
Des routes… ou tout au moins ce qui en restait. Des villages, ou plus exactement les vestiges d’agglomérations.
Des routes ? Plutôt de vagues tracés, qui « avaient été » des routes et que les jungles envahissantes nivelaient, si bien que les cosmonautes ne les distinguaient que parce qu’ils les observaient à vol d’oiseau.
Des constructions diverses. Mais ce n’étaient que des pierres dispersées, des pans de murs rongés de plantes grimpantes, des éléments effondrés à peine discernables dans le fouillis des amas végétaux, parsemés çà et là de ces véhicules fossilisés, meurtris de rouille, qui devaient s’enliser lentement dans cet océan vert, sous la lumière sanglante.
Partout l’animal régnait. Ardent, tournoyant, vainqueur, maître d’un monde qui de toute évidence ignorait cette déplorable manie des humanoïdes de tant de planètes : la chasse, cette libération des plus bas instincts des Verticaux au détriment de leurs frères inférieurs.
Une étrange impression saisissait les cosmonautes. Ils étaient à peu près silencieux les uns et les autres. Nul ne l’avouait mais il se sentaient dans la position de personnes qui attendent une révélation d’importance. Quoi ? Ils ne savaient, ni de quel ordre cela pouvait relever. Mais ils pressentaient tous un retour de situation.
Jérôme résuma l’état d’esprit général en tentant de plaisanter, à un certain moment :
— Il faut s’attendre à l’inattendu !
Mais personne ne rit ni n’avait envie de rire.
D’ailleurs le rouquin observait un changement certain dans le comportement de Manuela.
Si Cédric, renfermé comme toujours mais visiblement brûlait d’impatience, se croyant au but, la jeune femme, elle, était maintenant infiniment plus vibrante qu’à l’accoutumée.
Nerveuse, fébrile, ce qui ne lui ressemblait pas. On ne savait pas grand-chose de sa vie privée en dehors du monde des cosmatelots, sinon qu’elle passait pour avoir eu une vie pénible, ponctuée de deuils et de grandes déceptions.
Mais jusque-là elle avait gardé calme et pondération. Maintenant, on la voyait toute différente. A plusieurs reprises, en observant le paysage, elle avait laissé échapper des exclamations étouffées qui avait quelque peu surpris les Terro-Centauriens et surtout intrigué Jérôme.
Quant à Cédric, il était en dehors de tout, son être tout entier tendu vers la cité tant désirée.
Elle vint, cette cité, comme à leur rencontre, tandis que se déroulait en-dessous d’eux le vaste tapis vert rutilant sous les soleils des forêts envahissantes de Dys qui déferlaient vers la ville, autour de la ville, sur la ville.
La ville que la forêt noyait littéralement, comme elle avait noyé le réseau routier, nivelé les villages, envahi ce qui avait été sans doute usines, stades, temples, écoles et d’une façon générale tout ce qui constituait l’ensemble immobilier d’un peuple évolué.
Un silence de mort pesait sur les aventuriers.
Le cosmocanot chercha une aire propice, la trouva difficilement. Enfin, on découvrit une esplanade. Ce qui avait été sans doute autrefois une esplanade dans la ville, forum désuet, agora dépassée…
Il y avait eu un dallage mais les plantes vivaces avaient depuis longtemps fait éclater les pavés. Alentour, arbres et buissons croissaient à l’envi, abritant des centaines d’animaux, des milliers d’oiseaux très surpris de voir se poser cette bête de métal d’où jaillissaient d’autres bêtes, bipèdes insolites.
C’était la cité. La cité décrite par Cédric, entrevue par Jérôme.
La cité d’où était parti l’appel de celle qui avait été, à travers l’espace, la maîtresse de Cédric.
— Est-ce bien là ? demanda brusquement Jérôme, se tournant vers Cédric.
A sa grande surprise, ce fut Manuela qui répondit à sa place :
— Oui, Jérôme. C’est là ! Il n’y a pas d’erreur… C’est bien de cette ville qu’Amigalla (elle n’avait pas buté sur les syllabes) a envoyé son message de détresse pour demander de l’aide contre les Uniques, les envahisseurs venus de l’espace…
F’Kech secoua la tête :
— C’est bien là, d’accord… Mais dans ce cas, c’était bien là… IL Y A DIX MILLE ANS !…