La nation éclatée
Le nouveau paysage politique
L’épisode de Varennes n’est ni un pas vers la Terreur ni la fin de la monarchie. En revanche, il aggrave la crise de confiance à propos de l’équilibre fragile établi entre le roi et l’Assemblée depuis 1789. Le roi s’est parjuré et a déçu ses partisans. Conséquence manifeste : son image est absente parmi les projets de monuments publics parisiens et remplacée par celle de la Liberté. La position des députés n’est guère plus confortable. Souvent moqués, surveillés et critiqués par les contre-révolutionnaires comme par les patriotes avancés, ils ont rétabli, tant bien que mal, la fiction de la cosouveraineté qu’ils avaient pourtant suspendue eux-mêmes ! Ils se sont ensuite séparés en assurant que la Constitution du royaume était fixée et qu’il revenait à la nouvelle représentation de la nation de l’appliquer. Lorsque les députés de l’Assemblée législative prêtent serment, le 4 octobre 1791, de « maintenir la Constitution » et d’« être en tout fidèles à la nation, à la loi et au roi », ils ne convainquent pas l’opinion, prompte à dénoncer l’hypocrisie de pareils engagements. D’autant que les serments ont été imposés, avec le succès que l’on a vu, aux membres du clergé et aux officiers de l’armée. Lorsque s’ouvre l’Assemblée législative, pouvoir constitué et non constituant, qui s’interdit de recourir à des mesures extraordinaires, le pays entre dans une nouvelle phase d’effervescence.
À partir de l’été 1791, la politique se fait toujours dans les assemblées et les salons, mais aussi et de plus en plus dans les cafés, les rues ou dans les foires, ceci compensant la baisse de la participation aux élections. Différents modes d’expression traduisent, en effet, dans le langage politique moderne, des intérêts communautaires et réinterprètent les clivages antérieurs. En outre, la politique se vit à des niveaux intermédiaires. Les assemblées primaires, dans lesquelles les élections viennent de se tenir, considèrent qu’elles expriment de façon privilégiée l’opinion du « souverain », le peuple. Concrètement, elles ont dû, par exemple, régler les questions de préséance qui se posent entre des citoyens certes égaux sur le papier, mais inégaux de fait, par leurs richesses, leurs réseaux et leurs familles, sans compter leur maîtrise de la langue et leur genre. En conséquence, ces assemblées entendent, contre la loi, conserver leur capacité d’intervention. Les clubs prétendent eux aussi exprimer leur appartenance au souverain. À Paris, ils interviennent maintenant directement dans la vie politique ; dans les plus petites communes, affiliés à des réseaux nationaux, ils représentent une forme inédite d’action politique, d’autant que les femmes participent à des sociétés fraternelles ou des clubs qui couvrent tout le pays. Elles demeurent en général dans la dépendance des hommes, mais ici ou là elles organisent des fêtes et des processions et réclament parfois d’être armées. Dans ce nouveau maillage, la Société des amis de la Constitution, dite autrement le club des Jacobins, alliée au plus grand nombre de clubs du pays depuis la scission des Feuillants, occupe dorénavant un rôle de pilotage et de noyautage. Ses rivaux, monarchistes ou plus populaires, n’ont pas une semblable efficacité. La preuve en est donnée par l’élection de Pétion à la mairie de Paris, en remplacement de Bailly, contre La Fayette. Le faible nombre de suffrages exprimés – un peu plus de 10 % – montre cependant les réserves d’une grande partie de la population devant les événements.
La création d’un « gouvernement démocratique » par des minorités agissantes est bien en marche. Mais il n’y a pas plus de manipulateurs faisant main basse sur l’État en 1791 qu’il n’y avait de « révolutionnaires » en 1789. Les députés ont été élus parce que, très majoritairement, ils ont déjà une expérience administrative dans leur département d’origine et qu’ils sont d’abord des notables, ayant des « capacités » et parfaitement intégrés dans leur milieu. Les réseaux de militants baignent dans des situations régionales disparates, affrontant les usages locaux de la vie publique et les sociabilités anciennes, négociant entre règlements de comptes et attentes de justice expéditive. Inutile d’invoquer une « politique du peuple », ou un mouvement revendicatif unifié, sauf à insister sur des pratiques rudimentaires. La « machine » jacobine n’est que le ralliement de clubs sans unité doctrinale, ce sont les jeux politiques et les liens amicaux qui prédominent. Lorsque des choix doctrinaux seront obligatoires, les Jacobins se fractionneront entre « brissotins », « buzotins », ou proches de Robespierre.
Cependant, plus encore qu’en 1789, des individus se posent en porte-parole et en meneurs, outsiders qui joueront des rôles importants, au moins jusqu’en 1795. Les conséquences de la Grande Peur et des insurrections rurales avaient été rapidement contrôlées par les élites politiques, or ce n’est plus le cas à la fin de 1791 et au début de 1792. Ces occasions sont aussi valables pour les représentants de la contre-révolution populaire, qu’ils soient émissaires des princes en émigration ou agitateurs locaux. Cet amalgame peut choquer, mais les attentes populaires ne peuvent se réduire à celles d’un groupe particulier et la politique ne se décline pas seulement entre les pôles de la raison et du nombre, ni autour d’orientations idéologiques précises ; elle recourt à un nuancier très complexe, répondant aux situations locales différentes. Français de toutes tendances et de toutes classes cherchent à intervenir directement dans la vie politique, tous d’accord pour estimer qu’elle est entre de mauvaises mains. Même les tendances artistiques rendent compte de cette sensibilité démocratique exaltant les grands hommes sortis de la nation et soucieux de l’humanité.
Explosions
La société française, marquée par de très grandes différences régionales, peu encadrée administrativement, éclate en effet littéralement en cette fin d’année 1791, comme une bûche dans laquelle un coin aurait été enfoncé, soulignant l’originalité française par rapport aux autres « révolutions » de la même époque. Les Irlandais, partisans d’une autonomie accrue, ont été abandonnés par les principaux meneurs politiques, avant que leur antagonisme envers l’Angleterre ne débouche plus tard, après 1798, sur une répression violente. Les petits fermiers et les soldats américains déçus des résultats de la guerre d’Indépendance après 1783 ont été réprimés par les troupes fédérales lorsqu’ils ont protesté contre le sort qui leur était fait. Dans ces deux cas, l’État central bénéficie du soutien de la majeure partie des élites contre les mécontents. En France, l’absence d’unité entre les différents groupes qui représentent l’État – leurs surenchères mêmes – permet au contraire aux interventions les plus diverses de s’exprimer en se couvrant, logiquement, des mots d’ordre révolutionnaires ou contre-révolutionnaires.
L’exemple le plus radical est donné par l’insurrection des esclaves qui naît à Saint-Domingue dans la nuit du 21 août 1791, au lieu dit Bois-Caïman, autour d’un esclave, Boukman. Le mouvement, demeuré inaperçu, a été pourtant bien préparé. Il devait se déclencher le 25, au moment de la réunion de l’Assemblée coloniale au Cap. Il visait à en éliminer les membres. Les Blancs sont d’autant plus désemparés qu’ils ne se préoccupaient jusque-là que de leurs querelles et de la réponse à donner aux revendications des métis et des libres de couleur. D’un seul coup, la part invisible de la colonie, ce « monde de la nuit » (M. Kundera), passe au premier plan. Des bandes de plusieurs milliers d’esclaves mettent le feu aux plantations, emprisonnent, tuent, violent les familles des planteurs et de leurs gérants.
La révolte présente une dimension religieuse indéniable, s’enracinant dans le vaudou et dans le catholicisme, expliquant la présence de prêtres auprès des chefs de bande. Ce syncrétisme autour de l’utopie sociale chrétienne est partagé avec d’autres révoltes d’Amérique latine, conjuguant vision eschatologique et cultes indigènes ou importés. L’orientation politique est tout aussi complexe. L’attachement au roi, protecteur contre les maîtres, s’accommode depuis 1789 de l’espoir d’une abolition de l’esclavage. Les divisions existant entre Blancs, métis et libres de couleur dans les années précédentes ont favorisé la confusion. Les grands Blancs ont parfois armé les esclaves pour s’opposer aux mots d’ordre égalitaires des autres catégories de la population. Cette révolte ne peut pourtant pas être classée dans la contre-révolution, même si certains chefs arborent des croix de Saint-Louis, se disent « au service du roi » ou s’appuient, au moins jusqu’en 1793, sur une alliance avec les Espagnols de Santo-Domingo.
À la fin de 1791, quelques zones sont encore contrôlées par les Blancs, eux-mêmes divisés vis-à-vis de l’évolution politique en métropole. Le reste de l’île est réparti entre armées insurgées, parfois rivales les unes des autres, qui se structurent autour de quelques figures comme Jean-François et Biassou. Quand la France reçoit les récits d’horreurs – enfants empalés, femmes violées, hommes sciés ou cloués sur des portes – une grande partie de l’opinion est révulsée. Certains, comme Marat, justifient les tueries, d’autres, comme Brissot, estiment qu’il faut accorder l’égalité des droits aux libres de couleur pour rétablir l’ordre sans pour autant abolir l’esclavage. C’est ce qui sera adopté le 4 avril 1792 par l’Assemblée législative. Dans l’île voisine de la Guadeloupe, les camps se répartissent autrement, planteurs plutôt contre-révolutionnaires et Blancs « patriotes » s’opposent, mais les premiers ont le plus souvent l’appui des libres de couleur, déçus par les décrets de Paris. L’île demeure globalement sous le contrôle d’une administration favorable au roi, malgré la présence de municipalités patriotes appuyées par les soldats. Cette explosion de violence est destinée à durer plus de dix ans.
Luttes de classes
En France, alors que le cours des assignats est en baisse continuelle et que des petites coupures font leur apparition pour que les marchés urbains puissent continuer à être fréquentés, l’agitation sociale – identique à celle qui prévaudra au XIXe siècle – ne concerne que quelques villes manufacturières, comme Nantes, où le 5 septembre 1791 une émeute ouvrière se déroule sans vraie dimension politique. Toutes les villes, à commencer par Paris, sont agitées en permanence par la crainte de manquer de grains, de sucre. Les marchands vendent sous la surveillance des habitants qui les suspectent d’accaparement et qui, au cours d’opérations violentes, saisissent des denrées, vendues aussitôt au prix reconnu comme juste. Les gardes nationales et les autorités locales tentent de concilier le maintien de l’ordre et le respect des revendications populaires. L’Assemblée et les autorités politiques en place dans les départements et les grandes villes mettent un certain temps à réagir, prolongeant des habitudes de maintien de l’ordre héritées de la monarchie.
L’opposition continue des ruraux aux mesures de l’Assemblée n’est pas mieux comprise, mais elle joue un rôle plus déterminant. L’antagonisme s’est accentué après l’été 1791, avec la réaffirmation par l’Assemblée des droits des propriétaires sur les biens fonciers et, le 6 octobre, avec l’adoption du code forestier. Dans le Quercy et le Massif central, dans la suite des années précédentes, des bandes paysannes brûlent les châteaux, érigent des gibets et affrontent les gardes nationaux envoyés pour les réprimer. L’unanimité communale marque ces mouvements, parfois conduits par le maire et le curé, voire par les gardes nationaux locaux, rassemblant, de gré ou de force, tous les habitants. Ces agitations ne diffèrent pas de celles que la France a connu de tout temps, notamment pendant la « guerre des farines » en 1785, mais la novation vient de la conviction des émeutiers de défendre des droits légitimes, garantis par les états généraux, ce qui les autorise à refuser des impôts indirects, voire de pratiquer la contrebande. L’inquiétude devant la hausse des prix et la crainte du retour des seigneurs, aidés par les émigrés, complètent le tableau. De la fin de 1791 jusqu’en février-mars 1792, une nouvelle guerre aux châteaux se déroule, avec par exemple, le 11 mars, à Aurillac, la mise à mort de Collinet, procureur de Naucelles, dont la tête est mise au bout d’une pique. Ces insurrections durent jusqu’en avril, en Aveyron et en Corrèze et grosso modo de la Saône-et-Loire à la Catalogne, en passant par l’Allier et le Poitou.
1789 ne se répète pourtant pas. La « menue population » a été bouleversée par Varennes. Elle ne se contente plus d’intervenir pour des raisons communautaires, elle s’en prend aux suspects, contre-révolutionnaires, fanatiques et aristocrates – mots employés à ce moment –, mais aussi aux accapareurs, ce qui crée progressivement deux camps. Dans le pays de Caux, c’est avec des fusils et même un canon que six mille manifestants réclament la réglementation des grains. Dans les régions de grande culture du centre de la France, les manouvriers réclament des augmentations de salaires et organisent des « baccanales », véritables grèves qui doivent être cassées par la force armée. De l’été 1791 jusqu’au printemps de 1792, des bandes de « taxateurs », parfois plusieurs dizaines de milliers de personnes, parcourent les campagnes du Bassin parisien. Autour d’Évreux, ces groupes suscitent une grande peur, provoquant l’envoi de gardes nationaux et même de soldats de ligne qui ne trouvent sur place que des mécontents mal organisés. Mais ce sont des affrontements violents qui ont lieu à Dunkerque à propos d’un convoi de grains, la garde nationale prenant cette fois le parti des émeutiers. Les émeutes de subsistance sont dorénavant politisées, dirigées plus nettement contre les propriétaires, au point où, devant les menaces, certains démissionnent des fonctions électives qu’ils occupaient.
Ces agitations empruntent à toutes les époques et à tous les modèles. Elles reprennent les formes « primitives » des révoltes, comme il est convenu de le dire depuis Hobsbawm, rappelant les manifestants américains, ces « régulateurs » de 1786-1787 hésitant entre ultra et contre-révolution ; elles permettent aussi que les fantasmes les plus archaïques se libèrent. L’exemple est, dans l’Ain, la mise à mort du seigneur de Poleymieux, le 26 juin 1791. Son corps est démembré, brûlé et, pour partie, ingéré par des émeutiers. Ancien négrier et gouverneur colonial, acheteur récent du château, contre-révolutionnaire, c’est un propriétaire exigeant, au point de faire détruire le cimetière paroissial dont il possède le terrain et d’utiliser la terre comme engrais dans ses champs. Profitant manifestement du flottement des pouvoirs, les paysans se révoltent et, devant son intransigeance, le tuent et dévastent le château. Un peu plus tard, deux morceaux du corps, une main et peut-être le cœur, sont montrés et mâchés, voire mangés, par de jeunes hommes. Lorsqu’elle l’apprend, l’Assemblée est sidérée par ce cannibalisme. Elle ne le poursuit pourtant pas, l’inscrivant trois mois plus tard dans l’amnistie promulguée. Le pouvoir révolutionnaire ne peut pas réprimer un mouvement paysan qui s’est attaqué à un opposant notoire et unanimement détesté. Il ne peut pas non plus l’avaliser, pour ce qu’il révèle de violences incontrôlables. Varennes et le massacre du Champ-de-Mars accaparant l’attention, peu de réactions s’expriment, sauf celle de Marat, qui, au nom d’une radicalité politique décidée, justifie l’acte. Le silence politique recouvre l’affaire. L’acte en soi, rejeté dans un espace indicible, est inscrit dans une longue histoire anthropologique peu discutée par les historiens. L’exemple rappelle que l’archaïsme le plus radical est toujours présent au cœur des sociétés, profitant de failles pour se manifester.
Les divisions entre patriotes s’accroissent jusqu’à la rupture quand, en janvier 1792, circulent à nouveau des menaces d’insurrection. L’épicerie de D’André, député modéré bien connu, est pillée et des affrontements ponctuels ont lieu autour des entrepôts des grossistes, en février et en mars, opposant le petit peuple soutenu par les gardes nationales aux élites politiques. Les amis de Brissot sont, au sein des Jacobins, en train de prendre le pouvoir et appuient de fait la plupart des agitations, notamment celles qui ont lieu contre les « accaparements » des aliments à Paris. Le vocable « sans-culottes » se popularise pour désigner les représentants d’une révolution populaire, modifiant les rapports de force et la teneur même de la politique. La critique contre les Feuillants trouve de nouveaux accents.
Ainsi, dans Le Patriote français du 25 novembre 1791, Lanthenas écrit-il : « L’aristocratie bourgeoise est peut-être un des plus grands inconvénients qu’aient fait naître les décrets qui ne sont pas entièrement d’accord avec les bases de notre Constitution et ce vice peut un jour la renverser. Le bourgeois veut se mettre à la place du noble et laisser l’artisan à la sienne. Cependant l’artisan est le vrai défenseur, l’ami sincère de la Révolution… Malheur à ceux que le peuple a chargés de ses intérêts, s’il est obligé de reprendre lui-même la défense de sa liberté. » En réponse, le lendemain, L’Argus patriote l’accuse de défendre la « loi agraire », soit l’abolition des propriétés, qui sert d’épouvantail pendant toute la période. Le journal prône le rassemblement des vrais patriotes contre les faux. Au moment où les périls extérieurs et intérieurs prennent des tournures inquiétantes, alors que des commerçants rechignent à accepter des assignats et que les autorités constituées doivent assurer l’ordre révolutionnaire, les différentes sensibilités du courant « patriote » commencent à s’affronter. La « Montagne » est en train de se structurer autour de Robespierre qui veut faire place aux revendications populaires et peser sur les décisions gouvernementales.
Les questions sociales priment-elles dans le nord de la France ? Dans tout le Bassin parisien, les émeutes populaires attaquent autant les droits féodaux que la nouvelle législation sur les terres. Entre Aisne et Oise, elles mobilisent parfois une quarantaine de paroisses à la fois. Elles sont appuyées ici et là par des « curés rouges », dont l’exemple le plus célèbre est le curé Jean-François Carion. Un moment à la tête de la municipalité d’Issy-l’Évêque, en Saône-et-Loire, il s’est engagé dans une politique ouvertement égalitariste, ce qui lui vaut des poursuites et un emprisonnement au Châtelet pendant neuf mois jusqu’en mars 1791. Les représentations communautaires, les solidarités locales ou familiales, les attentes politiques et eschatologiques, qui apparaissent comme l’expression d’une « économie morale de la foule », entrent ainsi en conflit avec les logiques de l’État. L’événement emblématique est, le 3 mars 1792, le massacre du maire d’Étampes, Simoneau, par une foule qui lui reproche de maintenir la légalité révolutionnaire et de refuser de taxer les prix des grains. Les gardes nationaux présents sur place ne l’ont pas défendu, comme cela s’est passé lors de certaines émeutes, notamment dans l’Yonne. Le pays se divise : Simoneau, « fonctionnaire public », est-il victime de son devoir ou traître à la révolution ? L’abbé Grégoire le compare au Christ ; Robespierre prend le parti des insurgés et des deux individus reconnus comme responsables du meurtre et condamnés à mort. La majorité de l’Assemblée voit Simoneau comme un martyr de la loi et décide la création d’un monument à sa mémoire ainsi qu’une cérémonie au Panthéon. Il ne s’agit pas seulement d’une divergence de positions politiques, mais plus largement de lecture du monde et de rapport aux émotions. Entre-temps, la guerre a aggravé les clivages idéologiques.
Guerres intestines
Dans le sud et le sud-est du pays, les rivalités religieuses, les luttes claniques, les querelles communautaires se mêlent aux oppositions politiques pour créer un climat particulièrement violent. Coupes illégales des bois, incendies de châteaux et règlements de comptes se succèdent sur fond de contestation des multiples délégués et représentants du pouvoir. La présence de catholiques ouvertement contre-révolutionnaires, même dans les gardes nationales locales, est indéniable. Des activistes sont à l’œuvre dans toute la région, comme le curé Allier, et la crainte d’un nouveau « camp de Jalès » agite encore les esprits en octobre 1791. À Villeneuve-de-Berg, en février 1792, une partie de la population s’en prend au maire et aux opposants contre-révolutionnaires, menaçant de pendre ceux qui ne vont pas à la messe du curé constitutionnel. Les oppositions entre protestants et catholiques provoquent également des affrontements très violents dans le Rouergue.
Les dimensions emboîtées de ces divers affrontements rendent les autorités nationales impuissantes. Le paroxysme est atteint à Avignon et dans le Comtat. Les divisions entre habitants à propos du rattachement à la France sont telles qu’en janvier 1791 Cavaillon est littéralement envahie par une armée « patriote » partie d’Avignon. Cette violence terrifie et mobilise les localités hostiles aux patriotes, à commencer par Carpentras, directement menacée, où arrivent des gardes nationaux des environs pour résister à une attaque des patriotes ! Deux mouvements militarisés se font face : la fédération du Vaucluse, qui, le 7 février, légitime l’adhésion à la France et, face à elle, l’Union de Sainte-Cécile, qui rassemble en mars les opposants, dont une partie des habitants d’Aix. Le retour à l’ordre n’est possible ni par la force ni par la médiation, les deux camps ne voulant qu’en découdre : le meurtre d’un patriote suffit à déclencher une nouvelle expédition au départ d’Avignon.
Le détachement armé prend Sarrians et assiège Carpentras en avril. Cette « armée du Vaucluse », ainsi qu’elle se nomme, passe sous le commandement d’un certain Jourdan dont le surnom, Coupe-Tête, évoque le rôle qu’il dit avoir eu à Paris le 14 juillet 1789. La troupe, qui ne réussit pas à vaincre les Carpentrassiens, se livre à des exactions et ses membres reçoivent le sobriquet, usuel mais mérité, de « brigands ». Dans cette situation déjà très improbable d’une ville assiégée par ses voisines, le camp patriote se disloque. L’armée de Jourdan exige que la solde soit prélevée sur les riches d’Avignon. La municipalité s’y oppose, tandis que le reste des patriotes se range dans un entre-deux. Les médiateurs, envoyés par l’Assemblée constituante, réussissent à obtenir un armistice, qui, paradoxalement, favorise ceux qui s’opposent à la réunion d’Avignon à la France et permet de désarmer les « brigands » de l’armée du Vaucluse. Quelques-uns d’entre eux sont fusillés en rentrant dans leurs villages, si bien que les « patriotes » les plus résolus passent pour les seuls patriotes authentiques. La rupture est donc consommée et toute position intermédiaire entre Révolution et contre-révolution devient délicate.
Pendant plusieurs mois, des débats opposent des municipalités ouvertement hostiles à la Révolution et les patriotes qui avaient lancé le rattachement à la France, mais qui passent maintenant pour des modérés, voire des traîtres. Les conflits sont interprétés depuis Paris favorablement aux « brigands » qui, malgré leurs pratiques violentes, sont appuyés par les députés de gauche et notamment par les futurs Girondins. Ces « brigands » prennent le pouvoir municipal à Avignon en août 1791, chassent la municipalité en place et entament une politique antireligieuse. Ils sont confortés dans leurs positions le 14 septembre, lorsque l’Assemblée ratifie le rattachement d’Avignon à la France. Mais le 16 octobre 1791, après que des femmes réunies dans une église eurent assuré avoir vu une statue de la Vierge pleurer, un des « brigands », Lescuyer, accusé de déprédations, est lynché. En représailles, soixante personnes, dont des femmes, sont massacrées et leurs corps jetés dans la tour de la Glacière du palais des papes. Plus que de véritables contre-révolutionnaires, les victimes appartiennent à des familles de notables modérées écartées du pouvoir. Deux mois plus tard, les « brigands » sont arrêtés et jetés en prison. L’Assemblée législative, saisie, lit le massacre comme un accident inévitable, « naturel » en Révolution, et les amis de Jourdan sont amnistiés en mars 1792, avant d’être réinstallés à la tête de la municipalité. Ultérieurement, ils seront poursuivis, jugés et certains exécutés comme terroristes !
Avignon n’est qu’un exemple parmi d’autres dans une région où les affrontements entre communautés, voire entre clans, se règlent dans l’espace du politique. Les compétitions communautaires investissent les élections, les institutions, les clubs ou les groupes de volontaires. À Toulon, par exemple, le 23 août 1791, des rixes ont lieu entre clubs adverses, qui correspondent aux différents quartiers de la ville. À Arles, le maire, Antonelle, s’appuie dès le début 1791 sur le club jacobin des « monaidiers » contre les « chiffonistes », chacun ancré dans un quartier. Il ne profite pas, en l’occurrence, du climat de guerre civile, puisque jusqu’à la fin de 1791 les chiffonistes sont soutenus par les catholiques de Nîmes et de fait par l’Assemblée constituante. L’imbroglio qui en résulte est propice à des règlements de comptes meurtriers, les Jacobins ayant même créé un « comité des Sabres » contre les « aristocrates ». L’équilibre bascule peu à peu après janvier 1792 et en mars une armée de Marseillais impose l’ordre jacobin dans la ville. Un scénario voisin se déroule à Aubagne où les différentes confréries de pénitents servent de cadres de recrutement aux partisans et aux opposants de la Révolution. Là aussi, au printemps 1792, les Marseillais finissent par réprimer les « royalistes » et par obtenir l’approbation de l’Assemblée législative.
Dans ce puzzle politique, le pôle central est occupé par Marseille où les patriotes, soutenus par Mirabeau, s’emparent du pouvoir, violant la légalité. Ils contrôlent les forts ceinturant la ville, y établissent des garnisons, de là obtiennent des succès électoraux. Ainsi établis, ils investissent Aix, en février 1792, raflant l’administration départementale et contrôlant la vallée du Rhône. Ce coup de force est également avalisé par l’Assemblée qui n’a ni les moyens ni l’envie de contrer des patriotes aussi déterminés. De Marseille, promue « bouclier de la Révolution », partent ensuite des « missionnaires patriotes », en mars 1792, pour épurer les municipalités voisines, en s’appuyant sur les dénonciations des Jacobins locaux. Aristocrates, prêtres réfractaires sont ainsi persécutés pendant ces expéditions punitives menées par de petits groupes de patriotes. Ils interviennent brutalement en Provence et dans les Basses-Alpes, générant des situations imprévues qu’ils ne contrôlent pas longtemps et devenant les jouets de conflits locaux dont ils ignorent tout. Les activistes sont d’autant plus certains de leur bon droit qu’ils refusent la politique comme espace de débat, position qu’expriment les militants patriotes d’Aix, comme les Marseillais, en se désignant comme les « antipolitiques ». Peur eschatologique, rancunes sociales et luttes idéologiques ajoutées aux meurtres commis au début de 1792 créent un climat d’exaspération. Il suffit d’un navire enflammé dans le port pour provoquer, les 16 et 17 avril 1792, une vive émotion à Marseille, tandis que des femmes descendent dans les rues, prédisant des miracles et se lamentant de la perte de la religion.
L’opposition frontale et très apparente, Révolution/contre-révolution, compte moins que les subdivisions liées à des réseaux sociaux, à des courants d’amitiés ou à des stratégies personnelles. Alors que l’État central ne délègue que des médiateurs et se contente de prescriptions, toutes les institutions locales et départementales sont instrumentalisées par des rapports de force peu lisibles, annonçant les malentendus des années suivantes. Les limites sociales et topographiques de l’espace vécu conditionnent, logiquement, les apparentements politiques, exprimés parfois par des signes de reconnaissance spécifiques – comme les violons contre les tambourins. Les clivages de classes ou de religions se surimposent pour créer des marqueteries de positions, donnant naissance à des paysages politiques particulièrement réactifs aux événements.
Il ne s’agit évidemment pas d’invoquer, comme les contemporains l’ont fait, une sensibilité « méridionale » pour expliquer la « chaleur » des luttes politiques. L’explication tient plus aux habitudes de la vie citadine, héritées des « cités » médiévales, avec leurs traditions de gestion collective, comme de connivence et de jalousie entre villes voisines ou entre quartiers. La sociabilité a suscité des groupes, identifiés par des confréries analogues aux « contrades » siennoises ou d’autres villes italiennes et annonciatrices des « chambrées » du XIXe siècle qui ont converti les signes politiques nouveaux dans leur idiome local. Les jeux d’alliances et de conflits ancrés dans des décennies, voire des siècles d’interrelations, ont créé des liens de dépendance entre petit peuple et élites, d’autant plus étroits que ces dernières sont des intermédiaires linguistiques obligés. Tout ceci donne à la vie locale une identité particulière, en décalage avec la temporalité et l’organisation nationales.
L’exemple de la Corse est particulièrement emblématique. Rendue illustre par la longue opposition au roi, que Paoli, exilé en Angleterre, mène jusqu’en 1790, l’île, célèbre pour sa « Constitution », est intégrée dans « l’Empire » français. Ses élites entendent bien, cependant, protéger « ses libertés » au nom du « pacte » noué entre l’île et le souverain, qu’il soit le roi ou l’Assemblée. Les divisions entre les patriotes deviennent patentes après 1791, quand la question religieuse provoque des émeutes et prend de biais les rivalités de familles et l’identité corse. Une véritable guerre civile s’instaure, chasse de l’île les partisans de la Révolution à la française – dont les Bonaparte – et pousse les partisans de Paoli dans une voie assimilée à la contre-révolution à partir de 1793. Le jeu politique se mène selon des modalités proches dans les Corbières. La liberté nouvelle donne la possibilité de récuser de vieux usages, mais maintient, par la loi de juin 1791, les droits de propriété au mépris des demandes rurales relatives aux biens communaux. Les paysans, attachés à la catalinité et déjà hostiles à la Constitution civile du clergé, s’éloignent de la Révolution qui augmente les taxes et le contrôle administratif !
Un dernier exemple peut être apporté, beaucoup plus au nord, par la petite ville de Bourg-Saint-Andéol, où les monarchistes constitutionnels puis les Feuillants sont marginalisés et perdent le contrôle de la vie municipale. Ils ne peuvent plus faire face ni aux inquiétudes politiques ni aux préoccupations économiques locales sans rendre des comptes à des militants en liaison avec des réseaux nationaux. Nombre d’habitants estiment que leur droit, voire leur devoir justifient qu’ils se saisissent eux-mêmes de la défense de la Révolution et exercent leurs prérogatives. Cette conscience politique se conjugue avec leur intérêt puisqu’ils entendent couper les arbres pour se chauffer et pour en extraire le tan. Les municipaux doivent, d’une part, émettre des billets de confiance pour garantir les salaires, contrôler les approvisionnements en grains, recenser les armes et la poudre, sans oublier de surveiller les ennemis potentiels, à commencer par les prêtres et les séminaristes. D’autre part, ils maintiennent leur conception de l’ordre et réussissent à réprimer les émeutes menées pendant deux semaines en avril 1792 contre les modérés, les riches et les châteaux. Quelques mois plus tard, les sans-culottes obtiendront leur remplacement. Globalement, les patriotes triomphent de leurs adversaires au printemps 1792, mais ces victoires ont été régulièrement accompagnées de meurtres et de viols commis le plus souvent par des bandes composées pour l’occasion et couvertes par la lutte contre les contre-révolutionnaires.
« Zones de front »
Sans vouloir établir trop fermement des catégorisations géographiques, d’autres régions semblent relever d’un autre schéma, celui des luttes frontales entre partisans et adversaires de la Révolution. Sont concernés le sud du Massif central et les contreforts de la vallée du Rhône où, pendant tout l’hiver 1791-1792, les gardes nationales et les catholiques s’affrontent entre Mende, Millau et Saint-Affrique, prenant littéralement des villes de force, au fil d’une série ininterrompue de renversements d’équilibres militaires. L’image de « fronts » (V. Sottocasa) décrit mieux ce qui se passe dans le Grand Ouest. Si le clergé y est très majoritairement hostile à la Constitution civile du clergé et si la noblesse ancienne est ancrée dans le refus des mutations survenues depuis 1788, les préventions des nobles vis-à-vis des roturiers sont telles qu’il faut attendre au moins 1794, voire 1797, pour que la noblesse accepte de diriger la révolte contre-révolutionnaire. Le monde rural est certes le plus souvent hostile à la Révolution, mais réagit sans aucune uniformité. Les paysans du Finistère sud, de la plaine rennaise et de certaines zones de la Mayenne demeurent « bleus » comme les viticulteurs de l’Anjou et du Saumurois, alors que leurs quasi-homologues du Pays nantais se rangent du côté « blanc ». En Ille-et-Vilaine, les relations entre métayers et propriétaires conditionnent les choix politiques, ce qui n’est pas le cas ailleurs. En Sarthe, les tisserands se retrouvent « bleus », alors qu’ils se rangent parmi les « blancs » dans la « Vendée ».
Ces spécificités de l’Ouest sont bien connues. André Siegfried, au début du XXe siècle, avait avoué son échec à les expliquer, en invoquant le mystère des personnalités ethniques, « le caractère même de la race » soumise aux influences supposées du calcaire ou du granit sur les opinions politiques. Retrouve-t-on ici aussi le mécanisme qui veut que les choix s’opèrent en fonction des relations de voisinage ? Les habitants de l’ouest de la Sarthe étaient mécontents de l’emprise des biens du clergé avant 1789. Par la suite, ils défendent la religion et entrent dans la contre-révolution en 1791-1792 parce qu’ils sont attachés à l’identité religieuse et qu’ils sont, en outre, déçus de ne pas bénéficier des ventes des biens nationaux ! Comme dans le Sud-Est, les fractures intercommunautaires conduisent des groupes proches, mais rivaux, à adopter des positions antagonistes. Les cas peuvent être multipliés, c’est le cas de Machecoul et de son plat pays, de communes des Mauges, ou encore d’Évreux versus Bernay. Cependant les lignes de fracture de l’Ouest sont tellement radicales qu’elles conduisent à des affrontements binaires dès le début de 1791, sans la complexité des alliances constatées dans le Sud-Est. Est-ce lié à la différence marquée entre cultures urbaine et rurale qui identifie la zone, à la différence, d’une part, du paysage polarisé autour des cités du Sud et, de l’autre, des structures marquées par les échanges et les transactions du nord du pays ? Les dissensions religieuses, jansénisme contre religion populaire, ou mondanités contre traditions, calquées le plus souvent sur l’opposition campagne/ville, auraient-elles marqué les consciences ?
En tout cas le clivage religieux est perçu de bonne heure, lorsqu’en octobre 1791 deux envoyés de la Législative, Gallois et Gensonné, rendent public le rapport rédigé à la suite de leur voyage au sud de la Loire. Deux France se font face, divisées sur la Constitution civile du clergé. Les administrateurs partisans de la Révolution, fonctionnaires des districts et des départements, « modérés » dans l’ensemble des révolutionnaires, tombent fréquemment dans un anticléricalisme radical, accusant les prêtres de susciter ce qui apparaît comme une possible indépendance populaire. En 1791 et 1792, ils sont en pointe dans la répression religieuse, débordant les consignes ministérielles, même venues du Jacobin Roland ! Les incidents relatifs à l’application de la Constitution civile du clergé sont innombrables, identifiant la Révolution, localisée essentiellement dans les villes et les bourgs, portée par les catholiques des Lumières ou les jansénistes, contre la contre-révolution des villages et des campagnes, incarnée par des catholiques adeptes de processions et de dévotions collectives, recevant l’appui des curés insermentés et peu à peu celui des nobles ruraux.
Cette frontalité fera qu’en 1793 les patriotes de l’Ouest se montreront réticents vis-à-vis des Jacobins parisiens, comme les Girondins du Sud-Est, mais ne s’engageront pas pour autant dans une rébellion ouverte, sachant qu’ils ont en face d’eux une contre-révolution. Dans cette zone encore moins qu’ailleurs, il ne semble pas utile de distinguer une antirévolution populaire censée avoir préparé le terrain à une contre-révolution militante et idéologique. Le choc est frontal d’emblée, sans doute parce que les structures identitaires sont axées autour des convictions et pratiques religieuses, à la différence d’autres régions, où les identités sociales, économiques et claniques interfèrent avec les appartenances religieuses.
La politique de l’exclusion
Contrairement aux points de vue adoptés par les politistes, posant que tout est joué depuis le pamphlet de Sieyès de 1788 et les premières mesures constitutionnelles, la définition de la nation, donc des exclusions de ceux qui n’y ont pas de place, n’a pas été expérimentée avant 1791. Varennes joue là aussi son rôle, creusant les désaccords. Une vague considérable d’émigration des officiers nobles a lieu, malgré l’amnistie liée à la prestation de serment du roi, le 14 septembre. Si une partie d’entre eux est vraiment contre-révolutionnaire, beaucoup ont accepté jusque-là les réformes et ont été partisans de la « régénération », cependant leurs échelles de valeurs placent leur fidélité au roi avant toute autre considération et ils estiment qu’elle est incompatible avec le statut de premier « fonctionnaire public » octroyé à Louis XVI.
Leurs départs fournissent la preuve que la contre-révolution tenait l’armée et n’attendait qu’une occasion pour renverser les institutions, si bien qu’ils accentuent des discordances inattendues. Alors que rien ne s’oppose à la libre circulation des Français, l’émigration apparaît comme une atteinte à l’intégrité nationale et une faute vis-à-vis de la citoyenneté. L’émigration n’est plus une attitude individuelle blâmable, mais un véritable scandale tandis que la noblesse, en tant que telle, devient un motif de suspicion. Accoutumés à voyager, à vivre en profitant des relations de cousinage et de confraternité, sans tenir compte des frontières, ces officiers en émigration perpétuent les habitudes collectives de la noblesse, perçues dorénavant comme des trahisons et des menaces. Les communautés rurales se sentent souvent abandonnées par leurs seigneurs qui se dérobent à leurs devoirs, et manifestent désappointement et craintes. Alors que la noblesse en tant qu’ordre est déjà légalement abolie, c’est donc le rapport fantasmatique que la société entretient avec elle qui est en jeu. L’exclusion des nobles hors de la nation, qui avait été réclamée par Sieyès, par les tenants du droit naturel désireux d’exclure les « ennemis du genre humain », voire par Rousseau écartant les rois et les philosophes de la « collection des peuples », devient une solution envisageable.
S’engage alors un débat complexe à l’Assemblée, destiné à durer. Deux conceptions de la nation naissent et s’affrontent. Les révolutionnaires les plus respectueux de la complexité institutionnelle, libéraux et « constitutionnels », ne souhaitent sanctionner que le délit de désertion. Ils insistent sur le besoin de ne compter parmi les Français que ceux qui veulent l’être et acceptent l’idée d’une nation définie par l’adhésion, sans que ni le territoire ni la population ne soient déterminés par le passé ou par la nature. Pour respecter les principes de 1789, Condorcet propose que les émigrés puissent prêter un serment civique, ce qui leur permettrait de vivre à l’étranger pendant deux ans. Ceux qui prendraient les armes contre la France, après avoir prêté serment, seraient considérés comme des traîtres, donc soumis aux lois existantes. Ceux qui refuseraient le serment seraient les ennemis de la nation. Si cette proposition évite de créer un statut particulier pour les émigrés, qui peuvent demeurer citoyens et donc conserver leurs propriétés, elle exige, par contrecoup, que tout citoyen prête un serment civique. L’Assemblée rejette le projet, invoquant l’impuissance de l’État à faire respecter les serments, et même à les faire prêter.
Les plus radicaux parlent déjà d’un crime d’émigration, invoquant le « salut public » pour limiter les libertés et punir « lâches » et « traîtres ». Ils identifient l’unité nationale à un projet commun, en s’appuyant sur des sentiments communautaristes plus traditionnels, et accusent les modérés de mettre la patrie en danger. Ils font aussi jouer les sentiments de revanche sociale, puisque le nombre des ex-privilégiés est important parmi les émigrés. Fin octobre 1791, les positions les plus radicales sont tenues par les Jacobins, futurs Girondins, Vergniaud et Brissot, ce que l’historiographie néglige trop souvent. Vergniaud réclame la mort civile pour les « déserteurs », qu’il faut faire rétrograder de la citoyenneté active à la citoyenneté passive, ainsi que l’établissement d’une triple imposition portant sur tous les émigrés non rentrés dans les six semaines après la promulgation de la loi. En résulte concrètement la limitation des libertés publiques, à commencer par le retour de la censure contre les brochures contre-révolutionnaires.
Pour satisfaire le besoin de justice, le compromis retenu vise à punir les « grands coupables », les frères du roi, ainsi qu’à un moindre titre les « fonctionnaires publics », en commençant par les prêtres et les officiers en émigration. Ils sont considérés comme des « fugitifs » plus que comme des émigrants, pour éviter à la loi de porter atteinte à la liberté de circuler. S’ils ne sont pas rentrés au 1er janvier 1792, ils seront considérés comme coupables du crime de conjuration. En revanche, les « simples citoyens », dits aussi les « faibles », qui ont quitté le pays pourront bénéficier d’indulgence. Les principes sont sauvegardés, ainsi que la volonté de sanctionner durement les partisans d’un retour à l’Ancien Régime, sans avoir à apprécier la bonne foi des personnes incriminées. Il convient de relever que ces dernières perdent au passage la citoyenneté active : paradoxalement, cette clause reconnaît par contrecoup le statut de « citoyen passif », qui devient ainsi l’état des nobles relégués mais qui n’était pas défini positivement jusque-là.
Chaque camp trouve autant de motifs de satisfaction que de mécontentement ! Le roi ne sanctionne pas le décret du 8 novembre qui met en forme ces débats mais accepte ce qui concerne son frère, le comte de Provence, considéré comme héritier putatif. Le refus du roi et sa contre-attaque confirment le lien entre roi et émigrés, mais mettent l’Assemblée à nouveau dans une situation impossible.
Ce décret confirmait celui des 13-15 juin 1791, inappliqué lui aussi, qui liait l’indignité nationale au refus de prestation de serment et unissait citoyenneté active et nationalité. Toutes ces mesures amorcent-elles une régression politique autour du communautarisme le plus étroit, la peur de la contestation se traduisant par l’exclusion des « méchants » ? Le traitement réservé à Condé mérite que l’on pose la question. Par le décret des 13-15 juin, repris le 31 octobre 1791, ce prince est déclaré rebelle et déchu de tous ses droits. Chaque citoyen peut lui « courir sus » et le mettre à mort s’il revenait en France. Ainsi, une procédure profondément archaïque, l’exécution du proscrit, est-elle investie d’une signification absolument inédite : l’identité française dépend donc de l’appartenance à la communauté politique. Le décret du 29 novembre imposant la prestation du serment civique à tous les ecclésiastiques, sans distinction, confirme la tendance. Il n’est pas, non plus, sanctionné par le roi. Le serment lié à la Constitution civile du clergé demeure valide, mais est dépassé par cette exigence purement politique. Dans le droit fil de la législation à propos des émigrés, les réfractaires sont considérés comme suspects et ne peuvent obtenir de pension, contrairement à ce qui avait été promis. En outre, malgré le veto mis par le roi, certaines autorités départementales en prennent prétexte pour étendre le serment aux réguliers !
Les réactions du Directoire du district d’Orgelet, dans le Jura, éclairent sur l’état d’esprit commun à beaucoup de Français, même partisans « modérés » de la Révolution. Dans sa déclaration de septembre 1791, il invoque le « salut public » : « Si jamais la patrie en danger exige un sacrifice, non en retranchant de son sein aucun de ses enfants, mais en les séquestrant et en les mettant en lieu de sûreté, c’est dans ce temps malheureux où l’administration croyant en la vertu de ceux qui par état devraient la prêcher, voit les ministres de la religion égarés (les yeux au Ciel et l’enfer dans le cœur) s’unir et se coaliser pour renverser les lois… » Aussi, en janvier 1792, il prend des mesures contre les prêtres réfractaires qui prêtent la main aux « ennemis de la Constitution » stationnés de l’autre côté de la frontière. Dans cette région, les résistances religieuses demeurent pourtant limitées, mais elles font écho aux menaces représentées par les émigrés, le roi et par la contre-révolution en général.
Guerre nationale ou guerre civile ?
Lorsque le 20 avril 1792 la guerre est déclarée à François II, roi « de Bohême et de Hongrie »1, la décision s’inscrit plus dans les luttes internes que dans les relations entre États et nations. Le besoin d’en découdre avec les ennemis, parmi lesquels ceux de l’intérieur prennent de plus en plus de place, n’a pas cessé et intervient directement dans la conduite même du pays. Alors que l’Assemblée entendait limiter les engagements dans l’armée, les gardes nationaux ont obtenu, en juin 1791, qu’une partie d’entre eux entrent dans l’armée de ligne comme volontaires pour le temps d’une campagne aux frontières. En 1792, un fort noyau de soldats, trouvant leur compte dans ces occasions, est ainsi constitué par de jeunes gens, mobilisés politiquement au point d’imposer le maintien de l’élection des gradés par leurs hommes, ce qui créera des troubles dans toute l’armée. Un sentiment national diffus, déjà repéré pendant la guerre de Sept Ans, est à l’œuvre, identifiant la nation à la Révolution et créant cette nation révolutionnaire, à la fois enthousiaste et exclusive. Car les opposants à la Révolution demeurent évidemment dans l’abstention. Leur refus de toute levée d’hommes quelques mois plus tard sera compris comme le rejet de la nation en tant que telle, donc comme une trahison. L’amalgame qui naît est destiné à durer. On sait ensuite ce qui adviendra de l’image de ce « peuple étrange » de contre-révolutionnaires hostiles à la mère patrie, popularisée, entre autres auteurs, par Michelet.
Il est vrai que les contre-révolutionnaires se préparent ouvertement à la guerre. Les armées des émigrés se créent sur les frontières, autour du comte d’Artois, du prince de Condé, véritable organisateur, et du vicomte de Mirabeau, dit Mirabeau-Tonneau, qui provoque par ses proclamations et ses incursions en France. Grades et fonctions sont distribués à partir de juin 1791 pour ce qui apparaît comme une croisade contre les patriotes ou les nobles traîtres. Si l’état d’esprit de ces hommes empreint de tonalités médiévales et féodales, ajouté à l’arrogance et au disparate de ces troupes, en diminue de fait la force, en France les journaux royalistes ne cachent pourtant pas qu’ils attendent d’eux le rétablissement de la monarchie ! À la Cour, la sœur du roi soutient les émigrés, tandis que la reine et le roi, certes en rivalité avec Artois et Provence, mais de connivence avec l’empereur d’Autriche, s’engagent dans la politique du pire pour récupérer la totalité des prérogatives royales. La reine, qui semble accepter les conseils de Barnave, mène en sous-main une autre politique avec Fersen, prévoyant même un remboursement des frais de guerre aux souverains étrangers. De son côté, si le propre frère de la reine, Léopold d’Autriche, répugne à entrer en guerre, il entretient dans l’opinion française la peur du complot autrichien.
Cette situation éclaire les calculs tortueux menés en France par les hommes au pouvoir. Tous font face à l’hostilité de la Cour et des Jacobins, dont l’alliance tactique a permis au Jacobin Pétion de devenir maire de Paris, barrant la route à La Fayette, dont se rapproche Barnave. Le général contesté et l’ancien député, dorénavant en lutte ouverte contre les Jacobins, souhaitent renforcer l’autorité du pouvoir exécutif, donc du roi, notamment en contrôlant l’armée. L’autre homme fort, Duport, est en outre favorable à la création d’une deuxième chambre pour établir une monarchie à l’anglaise. Ce groupe réussit à faire nommer Narbonne à la tête du ministère de la Guerre créé en décembre 1791. Le général était plus connu jusque-là comme l’amant de Mme de Staël, voire comme fils naturel de Louis XV. L’ambition de ces meneurs est de garantir le retour à l’ordre, ce qu’exprime le journal L’Ami des Patriotes fin décembre 1791 : « La Révolution est terminée […] la guerre détruira les espérances des exagérés […] les ministres pourront tuer l’anarchie. » L’analyse repose sur la conviction, comme l’exprime Narbonne dans un rapport, qu’« il est une classe très importante de la société qu’il importe de rallier au roi, c’est celle des bourgeois propriétaires. La forme du gouvernement leur est assez indifférente, ce qu’ils veulent, c’est la conservation de ce qu’ils possèdent ». La fragilité des alliances sociales est au cœur de ce qui se joue.
Le décalage entre les sensibilités populaires et les pratiques des milieux dirigeants demeure sidérant. Les Feuillants, La Fayette, Talleyrand se lancent à la fois dans une reconquête de l’opinion et dans des tractations complexes et contradictoires avec les différentes cours européennes. Ils recherchent des compromis, espèrent détacher la Prusse de l’Autriche ou éviter la guerre. En janvier 1792, alors que la guerre s’annonce, le fils du général Custine est envoyé en mission secrète pour demander au duc de Brunswick de prendre la tête des armées françaises. La démarche n’est pas illogique, le maréchal de Saxe avait servi Louis XV et le baron Luckner, d’origine bavaroise, demeure en 1791 général et maréchal de France. L’ironie tient au fait que Brunswick, devenu général de l’armée autrichienne, sera moins d’un an plus tard le vaincu de la bataille de Valmy où s’exprimera le sentiment national et patriotique. Pas plus que la Cour ces hommes n’ont d’affinités avec les opinions qui prévalent dans les clubs et les armées. L’état de l’armée est déplorable, comme Dumouriez le déclare dans un rapport alarmiste qui attire l’attention sur les responsabilités des ministres, et Narbonne est en opposition avec le Comité de la guerre qui vient d’être créé et qui provoque des émeutes parmi les troupes par sa volonté de réformes. Dans le même temps, la désunion entre peuple et bourgeoisie est de plus en plus visible, et l’Assemblée se divise sur la mort de Simoneau ou sur le massacre de la Glacière.
Les Jacobins, menés par Brissot, sont les bénéficiaires de cette exaltation. Pour ce courant, l’exportation de la Révolution hors des frontières est inhérente au projet révolutionnaire lui-même. La lutte contre les rois, indispensable pour établir des relations libres entre républiques commerçantes, a été formalisée par Brissot et Clavière après la Révolution genevoise de 1782. Elle rejoint paradoxalement la déclaration de paix au monde de mai 1790, dont l’avers n’est rien d’autre que l’attente de la réunion de tous les « patriotes » autour de la Révolution française, en rompant les frontières des États. Les conflits et les peurs survenues depuis, faisant écho à l’enthousiasme des volontaires, entraînent les proclamations martiales, voire sanguinaires, que les représentants de la gauche endossent après l’effacement du courant cordelier.
Le renouvellement des sociétés populaires qui se produit à ce moment est important. Ces nouvelles sociétés doublent littéralement les grands clubs et représentent des courants d’opinion. Celle du Luxembourg appuie Brissot et Roland, celle des Hommes libres est plus radicale. Nombreuses sont celles qui deviennent des assemblées de quartier, mais elles interviennent à propos de la guerre, se ralliant aux propositions de Brissot. Celui-ci fait miroiter l’armement des citoyens passifs, notamment avec des piques. L’arme devient le symbole de la Révolution : les femmes demandent également à en être armées ; « Pique » est même le prénom attribuée à la fille d’un tambour-major le 27 mai. Alors que la diffusion des armes devient un sujet de préoccupation pour les autorités, Brissot reçoit en retour le soutien de l’influent club central de l’Évêché et de nombreuses sociétés fraternelles, soucieuses de l’égalité ainsi réalisée entre les citoyens. Seule une minorité, illustrée par Marat et Robespierre notamment, conteste cette orientation, craignant de voir les soldats séduits par un nouveau César ou obéissant au roi. Cependant, la majorité des Français, même partisane de la Révolution, est manifestement récalcitrante à l’entrée en guerre.
La pression à l’Assemblée est telle que le 8 mars Narbonne est démis. Est-ce par calcul, faiblesse ou résignation ? Le roi fait alors appel aux Jacobins pour composer un ministère où se distinguent Roland, Clavière et Dumouriez, chargé des Affaires étrangères. Quel a été le rôle exact de Brissot ? Il considère l’entrée en guerre nécessaire pour garantir l’honneur de la nation française et la débarrasser de la menace des émigrés sur le Rhin. Il est en revanche réticent aux projets déjà connus de Dumouriez et de Gensonné de conquérir la Belgique et d’exporter la Révolution. L’alliance entre ces hommes se réalise conjoncturellement pour faire pièce à leurs adversaires, de droite comme de gauche. Les Girondins, en tant que tels, n’ont pas été les boutefeux que l’historiographie retient, et Brissot, en particulier, n’a pas été un belliciste inconséquent. Le poids personnel de Dumouriez, puis celui de son ami Lebrun, ministre des Affaires étrangères à sa suite, ont été déterminants pour engager la France dans l’aventure militaire.
Le prétexte pour déclencher la guerre est un décret, voté le 27 novembre, sanctionné le 14 décembre, qui ordonne aux princes allemands, dont l’Électeur de Trèves, de dissoudre les rassemblements d’émigrés sur leurs terres. Le procédé ne pouvait que les heurter et entraîner des hostilités dans lesquelles l’Autriche et la Prusse seraient impliquées. Léopold donne l’ordre à l’Électeur de se soumettre, annulant la manœuvre. Un mois plus tard, l’empereur récidive en faisant savoir qu’il n’envisage pas le retour des Français à l’Ancien Régime ! Il ne s’agit pas d’une approbation politique, mais il craint l’extension de la Prusse à l’est de l’Europe et le risque d’une mobilisation populaire en France. Son ministre Kaunitz manifeste son hostilité aux Jacobins, tout autant que sa volonté de maintenir la paix. La mort de l’empereur Léopold et l’arrivée de son fils, François, plus intransigeant, font basculer ces équilibres. La guerre est votée le 20 avril malgré l’opposition de Basire, Merlin de Thionville et deux autres députés lamethistes, Hua et Becquey – rappelons que Marat et Robespierre, opposants à la guerre, ne sont pas élus à l’Assemblée législative.
La mobilisation qui en résulte échappe aux autorités. À droite, les rassemblements de catholiques, autour de prophétesses ou d’arbres et de fontaines miraculeuses, se font menaçants en Vendée ou dans les Cévennes. En février 1792, Mende est contrôlée par la contre-révolution animée par le comte de Saillans lié au comte d’Artois. À gauche, en avril, les Jacobins de Marseille, toujours à la pointe de la Révolution, décrètent que leur protection est mal assurée par le ministère et entreprennent de récupérer les armes possédées par les troupes de ligne sur place, en même temps qu’ils organisent des expéditions contre les modérés de Corse et contre les contre-révolutionnaires régionaux. Plus encore que les volontaires de Bretagne et de Vendée, ceux de cette région sont convaincus de leur supériorité sur tous les révolutionnaires de France, éventuellement sensibles à une sécession du Midi si nécessaire. Attachés à l’idée que les décisions doivent être prises par les peuples assemblés, ils sont hostiles aux sans-culottes parisiens et à Marat, ce qui poussera par la suite certains au « fédéralisme » qualifié de « jacobin ». Ils obtiennent une reconnaissance nationale lorsqu’ils propagent le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, devenu de ce fait La Marseillaise. Écrit dans la nuit du 25 au 26 avril pour contrer le Ça ira des sans-culottes, il est chanté le 29 avril à Strasbourg, puis le 17 juin à Montpellier ; adopté le 22 au rassemblement des fédérés du Midi, il arrive enfin à Paris, le 30 juillet, avec les volontaires marseillais à la pointe du combat politique pour la nation et contre le roi. En septembre suivant, il remplacera le Te Deum à l’occasion de la victoire de Valmy. En attendant, il incarne une unité militante de la nation, menacée par des divisions internes et par la force des ennemis.
Au printemps 1792, malgré l’opposition binaire Révolution/contre-révolution qui commence à être évoquée pour comprendre la réalité, aucune unité n’est perceptible nulle part. Parmi les princes et leur entourage, le roi, sa famille et les souverains étrangers, chacun cherche son intérêt. Le clergé réfractaire et la cour de Rome sont divisés en clans hostiles. Les opposants à l’évolution révolutionnaire, les monarchistes, les Feuillants sont simplement exclus des institutions et des instances contre-révolutionnaires. Les Jacobins ont entamé des dérives internes qui iront jusqu’à l’échafaud, tandis que les sans-culottes et les militants des diverses régions affirment leur autonomie, au risque de l’affrontement. Sans doute tous les linéaments de ce qui va naître dans les épreuves à venir, le discours national d’un côté, les clivages idéologiques de la guerre civile de l’autre, sont-ils déjà présents, actifs et repérables. Il leur manque cependant à tous d’être passés par un creuset unique, assurant leur transmutation selon des normes uniques. Pour l’instant, en ces mois d’avril et mai 1792, la France et ses colonies flottent dans un moment d’anomie. Comme dans toute la période, ce sont les événements qui vont commander plus que les logiques internes, qu’elles soient culturelles ou sociales et régionales. La guerre va constituer l’accélérateur de l’histoire et ses répercussions, imprévues, vont faire entrer le pays dans une deuxième révolution, en définitive la « vraie » révolution, façonnée par des révolutionnaires.
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1- La dénomination tient au fait que, François II, roi de Bohême et Hongrie, qui succède à son père décédé, Léopold II, n’est pas encore élu comme empereur d’Autriche par les électeurs du Saint Empire.