Je ne suis pas d’humeur à m’amuser aujourd’hui. J’ai encore quelques trucs à montrer à monsieur Ryan avant qu’il ne parte ce soir et je dois faire signer certains documents au département juridique. Je marche sur des sables mouvants. La conversation téléphonique avec mon père revient sans cesse dans mes pensées. J’entre dans le bureau de monsieur Ryan en fixant les papiers que je tiens entre les mains. J’ai beaucoup de choses à organiser aujourd’hui : prendre des billets d’avion, m’arranger pour que quelqu’un récupère mon courrier, peut-être même engager un intérimaire pour toute la durée de mon absence, qui va durer… je ne sais pas combien de temps.
Monsieur Ryan est en train de dire quelque chose – à voix haute – et je crois qu’il me parle. Qu’est-ce qu’il raconte ? Il finit par venir se camper face à moi et j’entends la fin de sa diatribe :
— …vous ne m’écoutez même pas. Bon Dieu, mademoiselle Mills, est-ce qu’il faut que je vous l’écrive ?
— Est-ce qu’on peut laisser tomber ce petit jeu aujourd’hui ? demandé-je avec lassitude.
— Le… quoi encore ?
— La routine de mon enfoiré de boss.
Ses yeux s’agrandissent, et ses sourcils se froncent :
— Pardon ?
— Je sais que vous vous donnez beaucoup de mal pour vous montrer constamment odieux avec moi et je reconnais que c’est parfois assez sexy, mais je suis en train de passer une journée de merde et j’apprécierais beaucoup que vous évitiez de parler. De me parler.
Je suis au bord des larmes, ma poitrine se contracte douloureusement. J’ajoute :
— S’il vous plaît.
Il a l’air extrêmement surpris. Il cligne rapidement des yeux, me regarde et finit par bredouiller :
Je déglutis, me reprends. Je regrette cet accès de colère. Tout se passe toujours mieux avec lui quand je garde mes pensées pour moi.
— J’ai sur-réagi quand vous m’avez crié dessus. Veuillez m’excuser.
Il se lève et marche vers moi, mais à la dernière minute, il s’arrête et s’assoit sur le côté de son bureau, se mettant à jouer bizarrement avec un presse-papier en cristal.
— Non, ce que je vous demande, c’est pourquoi vous passez une si mauvaise journée. Que se passe-t-il ?
Sa voix est douce, plus douce même que pendant le sexe. Mais là, il ne parle pas doucement pour être discret ni pour être agréable. Il a l’air vraiment soucieux.
Je n’ai pas envie d’en parler avec lui – j’ai peur qu’il se moque de moi. Mais quelque chose me dit qu’il n’en fera rien.
— Mon père doit faire quelques tests. Il a du mal à manger.
— À manger ? Il a un ulcère ? répond monsieur Ryan, sincèrement inquiet.
Je lui explique ce que je sais – ça a commencé brutalement et un scanner a montré une petite masse dans l’œsophage.
— Vous voulez aller le voir ?
— Je ne sais pas. Je peux ? fais-je en le fixant.
Il grimace, embarrassé, et détourne les yeux :
— Je suis vraiment un si gros salaud que ça ?
— Parfois.
Je regrette immédiatement d’avoir dit cela, parce que rien n’a jamais pu me faire penser qu’il m’interdirait de me rendre auprès de mon père malade.
Il hoche la tête, avale sa salive. Il regarde par la fenêtre :
— Vous pouvez prendre tout le temps dont vous aurez besoin, bien sûr.
— Merci.
Mes yeux ne quittent plus le sol, j’attends qu’il continue avec le planning du jour. Mais le silence envahit la pièce. Je vois à travers mes cils qu’il s’est retourné et qu’il me regarde.
— Ça va ?
Il dit ça si calmement que je ne suis pas sûre d’avoir bien compris.
Je pourrais mentir pour éviter cette conversation gênante. Mais je m’entends répondre :
— Pas vraiment.
Il se passe la main dans les cheveux :
— Fermez la porte du bureau.
J’acquiesce, étrangement déçue d’être renvoyée si vite.
— J’apporterai les notes du département juridique pour…
— Je voulais dire, fermez la porte, mais restez.
Oh.
Oh.
Je me retourne, traverse l’épais tapis dans le silence le plus total. La porte du bureau se ferme dans un clic.
— Verrouillez-la.
Je tourne le verrou et je le vois s’approcher. Si près que son souffle réchauffe le dos de mon cou.
— Laisse-moi te toucher. Laisse-moi faire quelque chose.
Il a compris. Il sait ce qu’il peut me donner – distraction, soulagement, plaisir face à une attaque de panique. Je ne réponds pas, c’est inutile. Après tout, j’ai déjà verrouillé la porte…
Je sens ses lèvres, douces et pressantes, sur mon épaule, le long de mon cou.
— Tu sens très bon… dit-il en détachant ma robe derrière mon cou. J’ai toujours ton odeur sur moi, même des heures après.
Il ne précise pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose et je m’en fiche. J’aime qu’il me sente même quand je suis partie.
Ses mains glissent sur mes hanches, il me retourne vers lui et dans le même mouvement se penche pour m’embrasser, presque câlin. C’est différent. Sa bouche se fait douce, presque en demande. Il n’y a rien d’indécis dans sa manière de m’embrasser – rien n’est jamais indécis chez lui, en fait –, mais le baiser semble fervent, pas rancunier non plus. Rien à voir avec une bataille perdue, au contraire.
Il fait tomber ma robe à mes pieds. Il s’éloigne juste assez pour que je sente l’air frais du bureau laver la chaleur de mon corps.
— Tu es belle.
Je n’ai pas le temps d’évaluer l’effet de ces nouveaux mots sur moi. Il me fait un sourire entendu, se penche pour m’embrasser en attrapant ma culotte. Il la déchire.
Ça, il sait faire.
J’essaie d’atteindre son pantalon, mais il recule en secouant la tête. Il bouge la main entre mes jambes, et trouve ma peau lisse et mouillée. Son souffle s’accélère contre ma joue. Ses doigts me pénètrent avec précaution, mais ils sont toujours aussi inquisiteurs. Ses mots, obscènes, viennent de loin. Il me dit que je suis belle, et sale. Que je suis excitante et que je lui fais de l’effet.
Il me dit combien il aime m’entendre jouir.
Et quand je jouis, en gémissant, agrippée à son épaule à travers sa veste, je ne pense qu’à le toucher lui aussi. Je veux l’entendre se laisser aller de la même façon. Ça me terrifie.
Il retire ses doigts, balayant de la main mon clitoris très sensible. Il m’arrache un tremblement involontaire.
— Désolé, désolé, murmure-t-il pour toute réponse, embrassant ma mâchoire, mon menton, ma…
— Mais non, dis-je en écartant ma bouche de la sienne.
Cette intimité soudaine qu’il m’offre, en plus de tout le reste aujourd’hui, me laisse perplexe. Très perplexe.
Son front reste posé contre le mien pendant quelques instants avant qu’il hoche la tête et qu’il s’éloigne. Ça me démolit, de réaliser que j’ai le pouvoir. Surtout après avoir cru pendant des semaines qu’il tenait les rênes. À ce moment précis, je peux avoir tout ce que je veux de lui. Il suffit d’être assez courageuse pour le demander.
— Je quitte Chicago ce week-end. Je ne sais pas pour combien de temps.
— Alors retournez au travail tant que vous êtes encore là, mademoiselle Mills.