Chapitre 4

Panique. L’émotion qui me saisit quand je sprinte quasiment jusqu’à mon bureau, c’est de la panique pure. Être seul avec elle dans cette petite prison d’acier – son odeur, ses gémissements, sa peau – a fait s’évaporer mon self-control. Tout a foutu le camp. Cette fille joue sur mes sens comme personne.

Arrivé dans la sécurité relative de mon bureau, je m’effondre sur le canapé en cuir. Je me penche en arrière, j’empoigne mes cheveux, en tentant de me calmer et de faire redescendre mon érection.

« Et merde ! » C’est de pire en pire.

Putain… J’ai su, à la minute où elle m’a rappelé la réunion de ce matin, que je ne pourrais pas former une seule pensée cohérente et encore moins faire une présentation convenable dans cette foutue salle de conférence. Il était hors de question que je m’assoie à cette table. Mais rien que le fait d’entrer et de la voir debout contre la vitre, plongée dans ses rêveries, a suffi pour me faire bander – encore.

J’ai inventé une histoire débile sur le changement d’étage de la réunion et, bien sûr, elle a essayé de me coincer. Pourquoi est-ce qu’elle me contrarie toujours ? J’ai dû lui rappeler qui commande ici. Mais, comme à chaque fois que nous avons une altercation, elle me l’a renvoyé à la gueule.

Je sursaute légèrement en entendant un bruit sourd dans le bureau extérieur. Suivi d’un autre. Et encore un autre. Non, mais qu’est-ce qu’il se passe ? Je me relève du canapé et je m’approche de la porte. Quand je l’ouvre, je trouve mademoiselle Mills en train de balancer tous ses dossiers sur des piles différentes. Je croise les bras et je m’appuie contre le mur, en la regardant pendant un moment. La voir si énervée n’apaise en rien le petit problème dans mon pantalon.

— Puis-je savoir ce qui vous prend ?

Elle relève les yeux et me regarde comme si j’étais un martien :

— Vous avez perdu la tête ?

— Je ne crois pas, non.

— Excusez-moi, je suis un peu à bout, siffle-t-elle, attrapant une pile de dossiers.

Elle les lance brusquement dans un tiroir.

— Je ne suis pas très enthousiaste à propos de…

Mon père entre soudain dans le bureau : « Bennett, bravo pour tout à l’heure. J’ai parlé avec Henry, Dorothy et Troy et ils étaient… » Il s’arrête et fixe mademoiselle Mills, échevelée, sur le côté de son bureau.

— Chloé, ma chérie, tout va bien ?

Elle se redresse et étire les mains, en acquiesçant. Ses joues sont roses, ses cheveux emmêlés – elle est charmante comme ça. Tout ça à cause de moi… J’avale ma salive et je me tourne vers la fenêtre.

Mon père continue : « Ça n’a pas l’air d’aller. » Il s’avance vers elle et pose la main sur son front. « Vous êtes brûlante. »

Je serre les dents en regardant leur reflet dans la vitre. Un sentiment étrange m’envahit. D’où sort-il ?

— En fait, je ne me sens pas très bien, dit-elle.

— Vous devriez rentrer chez vous. Avec vos horaires ici et votre semestre qui vient de s’achever à l’université, il est normal que vous…

Je le coupe en me retournant :

— Nous avons une journée très chargée, vraiment. Je pensais en finir avec Beaumont aujourd’hui, mademoiselle Mills »

J’ai parlé sèchement, les dents serrées.

Mon père tourne son regard d’acier vers moi :

— Je suis sûr que tu peux gérer tout ça seul comme un grand, Bennett.

Il pivote vers elle :

— Et vous, partez ! Allez, hop ! »

— Merci, Elliott. »

Elle me regarde en relevant ses sourcils parfaitement dessinés :

— À demain, monsieur Ryan. »

Je la contemple qui s’éloigne, et mon père ferme la porte derrière elle. Il me regarde, outragé.

— Quoi ? fais-je.

— Ça te tuerait d’être un peu moins désagréable, Bennett ?

Il s’avance et s’assoit sur le bord de son bureau :

— Tu as de la chance de l’avoir, tu sais…

Je lève les yeux au ciel et secoue la tête :

— Si elle était aussi sympathique qu’apte à faire des PowerPoint, il n’y aurait pas de problème.

Il m’interrompt d’un froncement de sourcils :

— J’ai eu ta mère au téléphone, elle m’a dit de te rappeler que nous dînons ce soir à la maison.

Henry et Mina viennent avec la petite.

— J’y serai.

Il sort et me lance un dernier regard :

— Ne sois pas en retard.

— Mais non, bon Dieu !

Il sait, tout le monde sait que je ne suis jamais en retard, même pour quelque chose d’aussi informel qu’un dîner de famille. Henry, en revanche, serait capable d’arriver en retard à son propre enterrement.

Enfin seul, je retourne dans mon bureau et je m’effondre sur mon siège. OK, je suis peut-être un peu à bout de nerfs.

Je sors de ma poche ce qui reste de ses sous-vêtements, prêt à envoyer sa culotte dans le tiroir, avec les autres, quand je remarque l’étiquette. Agent provocateur. Elle a dû dépenser une somme rondelette pour celle-là. Ça éveille ma curiosité. J’ouvre le tiroir et j’examine les deux autres. Aubade. Merde, cette fille s’y connaît en lingerie. Je devrais m’arrêter à la boutique Aubade en ville pour voir combien ma petite collection lui coûte… Je passe ma main gauche dans mes cheveux et je jette la pièce de soie dans le tiroir, que je referme d’un geste brusque.

C’est officiel : j’ai perdu la tête.

J’ai essayé, j’ai vraiment essayé. Impossible de me concentrer sur quoi que ce soit aujourd’hui. Même après un long jogging à l’heure du déjeuner, je n’ai pas pu me sortir de l’esprit les événements de ce matin. Vers 15 heures, j’ai su qu’il fallait que je sorte de là. Je suis arrivé devant l’ascenseur et j’ai eu un coup au cœur : impossible de rentrer là-dedans, mieux vaut prendre les escaliers. Puis j’ai réalisé que c’était encore pire ! J’ai descendu en courant 18 étages.

Quand je suis arrivé chez mes parents, plus tard dans l’après-midi, j’ai senti une partie de ma tension redescendre. En entrant dans l’appartement, j’ai été immédiatement happé par l’odeur familiale de la cuisine de ma mère et l’écho de la discussion entrecoupée de rires de mes parents, dans la salle à manger.

« Bennett ! » s’écrie ma mère quand j’entre dans la pièce. Je me penche et je l’embrasse sur la joue. Je la laisse quelques instants essayer de lisser mes cheveux en bataille. Ses mains chassées de ma tête, je prends un saladier et je l’apporte sur la table, saisissant une carotte à la volée en guise de commission.

— Où est Henry ? demandé-je en regardant vers le salon.

— Ils ne sont pas encore arrivés, répond mon père en entrant à son tour dans la pièce.

Avec Henry, c’est déjà compliqué. Donc quand on lui ajoute sa femme et sa fille… Nous pourrons nous estimer heureux s’ils arrivent à venir tout court. Quant à être à l’heure… Je me dirige vers le bar pour servir un Martini Dry à ma mère.

Vingt minutes plus tard, nous sommes tirés de notre quiétude par un vacarme venant de l’entrée. Comme je me précipite à leur rencontre, une petite chose remuante, dotée d’un large sourire, crie à hauteur de mes genoux : « Benny ! »

Je soulève ma nièce dans mes bras et couvre ses joues de baisers.

— Tu es pathétique, raille Henry en passant devant moi.

— Ça te va bien de dire ça…

— Si vous voulez mon avis, il n’y en a pas un pour racheter l’autre, conclut Mina.

Elle suit son mari vers la salle à manger.

Sofia est la première petite fille et la princesse de la famille. Comme d’habitude, elle a décidé de s’asseoir sur mes genoux pendant le repas, j’ai tenté de manger « autour » d’elle, et j’ai fait de mon mieux pour éviter son « aide ». Elle m’a complètement embobiné, quand j’y pense.

— Bennett, je voulais te demander, commence ma mère en me tendant une bouteille de vin. Et si tu invitais Chloé à dîner la semaine prochaine ? Fais de ton mieux pour la convaincre de venir pour de bon.

Je grogne pour toute réponse et je reçois une tape de mon père dans le menton :

— Mais enfin, pourquoi est-ce que tout le monde insiste autant pour qu’elle vienne dîner ici ? demandé-je.

Ma mère se redresse et prend sa tête de matriarche autoritaire :

— Elle vit toute seule dans une ville étrangère et…

— Maman, la coupé-je. Elle vit ici depuis le début de ses études. Elle a vingt-six ans. Chicago n’est plus une ville étrangère pour elle depuis longtemps.

— C’est vrai, Bennett, tu as raison, répond-elle avec une pointe d’agacement inhabituelle dans la voix. Elle est venue ici pour aller à la fac, a obtenu son diplôme avec mention très bien, elle a travaillé avec ton père pendant plusieurs années avant d’être déplacée dans ton département, elle est de loin la meilleure employée que vous ayez eue et elle n’en continue pas moins à suivre ses cours en dehors de ses heures de bureau pour terminer son MBA. Je pense que Chloé est vraiment une fille bien, et j’ai quelqu’un à lui présenter.

Ma fourchette se fige en pleine course entre mon assiette et ma bouche. Ma mère veut la caser ? Je trie mentalement tous les hommes célibataires que nous connaissons et je les écarte immédiatement. Brad : trop petit. Damian : baise tout ce qui bouge. Kyle : gay. Scott : idiot. C’est vraiment bizarre. Je sens quelque chose se resserrer dans ma poitrine mais je n’arrive pas à l’identifier. Si je devais mettre un nom dessus, ce serait… colère ?

Pourquoi suis-je irrité parce que ma mère veut la caser ? Sûrement parce que tu couches avec elle, sale merde. Enfin, je ne couche pas vraiment avec elle. Je la baise. OK, je l’ai baisée… deux fois. « Je la baise », ça sous-entend que j’ai envie que ça se reproduise.

Et, aussi, je l’ai branlée dans un ascenseur et je stocke ses culottes déchirées dans un tiroir de mon bureau.

Encore plus dégueulasse.

Je mets mon menton dans ma main :

— Très bien, je lui en parlerai. Mais n’y compte pas trop. On ne peut pas dire que nos relations soient des plus cordiales, donc elle risque de ne pas être particulièrement enchantée que je l’invite.

— Tu sais, Ben, s’immisce mon frère, je pense que tout le monde ici est d’accord pour dire que tu es le seul à avoir du mal à t’entendre avec elle.

Les sourcils froncés, je balaye du regard tous les convives assis autour la table. Et je les vois tous hocher la tête, en accord avec mon imbécile de frère.

Le reste de la soirée est meublé par une longue discussion au sujet de mes relations avec mademoiselle Mills : « Vraiment, tu devrais être plus gentil avec elle. » « Cette fille est formidable ! » « Elle s’entendrait parfaitement avec le fils de ma meilleure amie, Joël. » Joël. J’avais totalement oublié, celui-là. Il doit être pas mal physiquement. À part ça, il a joué aux Barbie avec sa petite sœur jusqu’à ses quatorze ans et a pleuré comme un gros bébé quand il s’est pris une balle de base-ball dans le menton en CM2.

Mills le mangera tout cru.

Je suis mort de rire, rien qu’à l’idée.

Nous parlons également des réunions prévues pour la semaine. Une réunion très importante aura lieu mardi après-midi, j’accompagnerai mon père et mon frère. Je sais que mademoiselle Mills a déjà tout prévu et qu’elle est prête. Même si je déteste l’admettre, elle a toujours deux temps d’avance et anticipe tout ce dont j’ai besoin.

Je pars en promettant que je ferai de mon mieux pour la convaincre de venir ici. Mais pour être honnête, je ne sais même pas quand je la verrai ces prochains jours. J’ai des réunions et des rendez-vous dans toute la ville et je doute que mes brefs passages au bureau au cours de la semaine soient les moments les mieux choisis pour lancer une invitation.

Le lendemain.

Je regarde par la fenêtre pendant que nous descendons à la vitesse de l’escargot South Michigan Avenue. Je me demande si ma journée va enfin consentir à s’améliorer. Je déteste être coincé dans les bouchons. Les bureaux sont seulement à quelques blocs de là. Je devrais peut-être demander au chauffeur d’arrêter la voiture et partir à pied. Il est un peu plus de 16 heures, et nous n’avons avancé que de trois blocs en vingt minutes. Normal. Je ferme les yeux en appuyant ma tête sur le haut du dossier. Je pense à la réunion que je viens de quitter.

Pas une fausse note, tout s’est parfaitement déroulé. Les clients ont été ravis de nos propositions. Mais je suis toujours d’une humeur massacrante.

Henry a tenu à me rappeler toutes les quinze minutes au cours de ces trois dernières heures que j’agis comme un adolescent lunatique et au moment où les contrats ont été signés, je n’avais qu’une envie : lui flanquer une raclée. Il a passé son temps à me demander quel était mon putain de problème et franchement, je ne sais pas si je peux lui en vouloir. Je reconnais que je me suis montré plutôt désagréable ces derniers temps. Et pour moi, ça signifie quelque chose. Bien sûr, il a fallu que Henry déclare avant de rentrer chez lui que ça me ferait du bien de baiser.

S’il savait.

Ça fait seulement un jour. Juste une petite journée depuis que les événements de l’ascenseur m’ont laissé en état d’érection persistante, avec un douloureux désir de la caresser. J’agis comme si je n’avais pas baisé depuis six mois. Mais non, une journée et demie à ne pas la toucher et je deviens fou.

La voiture s’arrête encore, je suis à deux doigts de me mettre à crier. Le chauffeur baisse la vitre qui nous sépare et me lance avec un sourire d’excuse :

— Je suis désolé, monsieur Ryan. Vous devez être en train de perdre patience. Nous ne sommes plus qu’à quatre blocs. Préférez-vous terminer à pied ?

En jetant un coup d’œil par la fenêtre teintée, je remarque que nous nous sommes arrêtés au niveau de la boutique Aubade.

— Je peux m’arrêter juste…

Je suis sorti de la voiture avant même qu’il ait fini sa phrase.

Sur le trottoir, j’attends mon tour pour traverser. Je me rends compte que je ne vois pas bien pourquoi j’entrerais. Qu’ai-je l’intention de faire ? Est-ce que j’achète quelque chose ou je continue à me torturer ?

J’entre dans la boutique et je tombe en arrêt devant une longue table couverte de lingerie affriolante, toute de dentelle, de satin et de plumes. Au sol, le parquet est couleur miel. Au plafond, de longues lampes cylindriques, rassemblées par deux, diffusent une lumière douce qui plonge l’espace dans une ambiance intime, illuminant les tables et les amoncellements de lingerie de luxe. Ces rubans et ce satin me ramènent à mon désir pour elle. Ils me semblent bien trop familiers.

Mes doigts parcourent les matières délicates posées sur la table à côté de l’entrée. J’ai déjà attiré l’attention des vendeuses. Une grande blonde s’avance vers moi.

— Bienvenue chez Aubade, dit-elle en me regardant de haut en bas comme un lion devant une pièce de viande.

Une fille qui travaille ici sait que mon costume coûte une fortune et que mes boutons de manchette sont de vrais diamants. Des dollars clignotent dans ses yeux :

— Désirez-vous quelque chose de spécial ? Un cadeau pour votre femme ou votre petite amie, peut-être ? demande-t-elle en minaudant.

— Non, merci, réponds-je, soudain très embarrassé de me trouver là. Je jette juste un coup d’œil.

— Très bien. Si vous avez besoin de moi, je suis à votre disposition… conclut-elle avec un clin d’œil avant de retourner vers le comptoir.

Je la regarde s’éloigner. Je n’ai même pas pensé à lui demander son numéro de téléphone. Je vais mal. Putain. Je ne suis pas un obsédé, mais une belle femme dans un magasin de lingerie (de lingerie !) vient juste de me draguer et je n’ai même pas réagi ! Il y a vraiment un truc qui ne tourne pas rond chez moi !

Je suis sur le point de partir quand mon regard est attiré par un porte-jarretelles de dentelle qui pend sur un cintre. Avant de travailler avec elle, je ne savais pas que ce genre de truc pouvait se porter ailleurs que dans les shootings de Playboy. Je me souviens d’une réunion, le premier mois. Elle avait croisé les jambes sous la table, sa jupe s’était relevée, révélant la lanière délicate qui attachait ses bas. C’était la première fois que je remarquais son penchant pour la lingerie, mais ce n’était pas la première heure de déjeuner que je passais à me masturber en pensant à elle.

— Vous avez vu quelque chose qui vous plaît ? dit une voix étonnamment familière.

Je me retourne.

Oh ! merde.

Mademoiselle Mills.

Je ne l’avais jamais vue comme ça. Aussi élégante qu’à son habitude, mais avec un look totalement casual. Elle porte un jean noir très ajusté, un débardeur rouge. Ses cheveux sont relevés en queue de cheval – très sexy. Mais sans maquillage et sans ses lunettes, elle n’a pas l’air d’avoir plus de 20 ans.

— Qu’est-ce que vous foutez ici ? demande-t-elle.

Son sourire de circonstance s’efface de son visage.

— Est-ce que ça vous regarde ?

— Je suis simplement curieuse. Vous n’avez pas assez de mes culottes ? Vous voulez commencer une autre collection ?

Elle ne me quitte pas des yeux, et m’arrache le porte-jarretelles d’entre mes mains.

Je continue rapidement :

— Non, non, je…

— Alors, qu’est-ce que vous en faites ? Est-ce que vous les accrochez quelque part comme des trophées ?

Elle croise les bras devant sa poitrine, faisant ressortir ses seins. Mes yeux tombent dans son décolleté et ma bite se tend dans mon pantalon.

— Bon sang, pourquoi êtes-vous toujours si désagréable ? Une vraie chienne de garde, dis-je en secouant la tête.

Je sens l’adrénaline s’accumuler dans mes veines, mes muscles se tendre. Je suis plein de désir et de colère mêlés.

— Je pense que vous avez assez bien résumé ma vraie nature, répond-elle.

Elle se penche et sa poitrine touche presque la mienne. Je regarde autour de moi, dans la boutique, les gens ont les yeux fixés sur nous.

— Écoutez, fais-je en essayant de me reprendre. Voudriez-vous vous calmer et parler un peu moins fort ?

Je sais que je dois sortir d’ici au plus vite, avant que quoi que ce soit ne se passe. Pour une raison qui m’échappe, chaque dispute avec elle se termine par une culotte dans ma poche.

— Que faites-vous ici ? Pourquoi n’êtes-vous pas au bureau ?

— Ça fait presque un an que je travaille pour vous et vous ne savez toujours pas que je vois mon directeur de stage chaque semaine ? réplique-t-elle en roulant des yeux. Il faudrait peut-être penser à me mettre un bracelet électronique pour vous permettre de suivre mes faits et gestes en permanence comme un malade. Mais, attendez… vous avez réussi à me trouver ici sans l’aide de quiconque !

— Vous êtes toujours tellement chiante avec moi, lâché-je après avoir longuement cherché quelque chose à dire.

Bravo, Ben. Quel sens de la repartie.

— Venez avec moi », ordonne-t-elle en m’attirant vers le fond du magasin.

Elle me mène jusqu’à une cabine d’essayage. Elle doit être ici depuis un moment, si j’en crois les piles de sous-vêtements qui envahissent les chaises, les portemanteaux croulant sous le satin et la dentelle. Des haut-parleurs bien répartis diffusent de la musique, suffisamment fort pour que je ne m’inquiète pas de ses cris si jamais je l’étrangle.

Elle ferme la large porte ornée d’un miroir, dans le coin opposé à une chaise recouverte de soie. Elle plante ses yeux dans les miens :

— Vous m’avez suivie jusqu’ici ?

— Pourquoi est-ce que je ferais une chose pareille ? m’exclamé-je.

— Donc vous étiez en train de vous promener dans un magasin de lingerie féminine, juste comme ça. Vous jouez au pervers pendant vos heures de loisir ?

— Remettez-vous, mademoiselle Mills.

— Vous avez de la chance d’avoir une grosse bite pour compenser tout ce qui sort de votre bouche.

Je me penche, en murmurant :

— Je suis sûr que vous apprécierez ma bouche aussi.

Tout devient alors trop intense, trop fort, trop saisissant. Sa poitrine monte et descend et son regard se pose sur ma bouche, elle se mord la lèvre inférieure. Mills enroule doucement ma cravate autour de son poing et m’attire contre elle. J’ouvre la bouche, la sensation de sa langue suave me met dans tous mes états.

Je ne peux pas revenir en arrière. L’une de mes mains détache sa queue de cheval, l’autre caresse son menton. Les boucles délicates tombent sur ma main et j’empoigne la masse de ses cheveux, je les tire pour mieux atteindre sa bouche. J’en veux plus. Je veux tout d’elle. Elle gémit et je tire ses cheveux plus fort :

— Tu aimes ça.

— Putain, oui.

Ces mots ont pour effet de me projeter dans une autre dimension. Je me fous de savoir où nous sommes, qui nous sommes, ce que nous éprouvons l’un pour l’autre. Je n’ai jamais vécu une telle alchimie avec personne. Quand nous sommes ensemble, plus rien n’a d’importance.

Mes mains descendent sur ses hanches et j’attrape le bas de son T-shirt que je fais passer au-dessus de sa tête. J’arrête de l’embrasser une seconde. Elle retire ma veste et la fait tomber sur le sol, pour ne pas être en reste.

Mes doigts caressent sa peau en descendant vers la ceinture de son jean. Rapidement retiré, elle le pousse du pied, avec ses sandales. J’embrasse son cou et ses épaules.

« Merde » grogné-je. En relevant les yeux, je vois son corps parfait se refléter dos à moi dans le miroir en pied. J’ai fantasmé sur son corps déshabillé plus d’une fois et la réalité, en plein jour, ne perd pas au change. Pas du tout. Elle porte une culotte noire transparente qui couvre seulement la moitié de son cul et le soutien-gorge assorti, ses cheveux soyeux sont lâchés dans son dos. Les muscles de ses longues jambes toniques se contractent quand elle monte sur ses orteils pour atteindre mon cou. Cette image, plus la sensation de ses lèvres, me fait bander douloureusement. Mon pantalon est tendu à éclater.

Elle mord très fort mon oreille, ses mains fondent sur les boutons de ma chemise :

— Je pense que vous aimez quand c’est un peu brutal, vous aussi.

Je défais mon pantalon et ma ceinture, je les jette par terre avec mon boxer et je l’attire vers la chaise.

Un frisson me parcourt quand mes doigts vont de ses côtes au dos de son soutien-gorge. Ses seins se pressent contre moi, ils me crient d’accélérer. Je dégrafe rapidement le soutien-gorge et je fais glisser les bretelles sur ses épaules. Je m’écarte pour laisser le sous-vêtement glisser et, pour la première fois, je contemple ses seins complètement nus devant moi. Putain de parfaits. Dans mes fantasmes, je leur ai tout fait : je les ai touchés, embrassés, sucés, baisés, mais ce n’est rien en comparaison du plaisir de les voir, en chair et en os.

Elle se colle à moi. Il n’y a plus que sa fine culotte qui nous sépare. Je plonge ma tête dans sa poitrine et mes mains s’enfoncent dans ses cheveux, la rapprochant de moi.

— Vous voulez me goûter ? chuchote-t-elle.

Elle attrape mes cheveux suffisamment fort pour s’arracher à mes lèvres.

Aucune remarque futée ne me vient, rien de cinglant pour qu’elle arrête de parler et qu’elle se consacre seulement à la baise. J’ai vraiment envie de goûter sa peau. Je le désire plus que tout :

— Oui, dis-je, tout simplement.

— Demandez gentiment, alors.

— Hors de question. Laisse-moi partir.

Elle gémit et se penche pour fourrer un de ses tétons parfaits entre mes lèvres. Elle tire encore plus sur mes cheveux. C’est putain d’exquis.

Mon esprit est encombré de pensées contradictoires. Je ne rêve que d’une chose : m’enterrer en elle, mais je sais pertinemment que je nous détesterai tous les deux, quand ce sera fini. Je la détesterai, elle, parce qu’elle me rend faible ; et je me détesterai, moi, parce que je laisse la luxure malmener ma raison. Je sais aussi que je ne peux pas m’arrêter. Je suis devenu un junkie, je vis pour la prochaine dose. Ma vie si parfaitement construite s’effondre autour de moi et tout ce que j’ai en tête, c’est de la sentir contre moi.

Mes mains descendent sur elle, mes doigts courent sur la démarcation de la culotte. Elle frissonne et je ferme les yeux, le tissu transparent dans ma main, prêt à m’arrêter.

— Allez-y, déchirez-la… Vous en avez envie, murmure-t-elle dans mon oreille avant de la mordre.

Une demi-seconde plus tard, sa culotte n’est plus qu’un désordre de dentelle dans un coin de la cabine. J’attrape ses hanches brusquement, je la soulève tout en tenant la base de ma bite dans l’autre main. Je la prends enfin.

La sensation est si intense que je la force à s’immobiliser pour m’empêcher d’exploser. Si je me laisse aller maintenant, elle me le reprochera plus tard. Et je ne lui donnerai pas cette satisfaction.

Une fois sous contrôle, je commence à faire bouger ses hanches. Nous n’avions jamais baisé dans cette position – face à face, elle dessus. Nos corps s’emboîtent parfaitement. Mes mains descendent de ses hanches à ses jambes, j’en agrippe une dans chaque main et je les passe autour de ma taille. Le changement de position m’enfonce plus loin en elle, et je plonge ma tête dans son cou pour m’empêcher de gémir à haute voix.

J’entends des voix autour de nous, les gens entrent et quittent les autres cabines d’essayage. L’idée que nous pouvons être surpris à tout moment rend la chose encore plus excitante.

Son dos s’arque, sa tête tombe en arrière – grognement étouffé. La manière faussement innocente dont elle se mord la lèvre inférieure me rend fou. Une fois encore, je me retrouve à regarder par-dessus son épaule, je nous regarde dans le miroir. Je n’ai jamais rien vu d’aussi érotique.

Elle tire mes cheveux, guidant ma bouche jusqu’à la sienne. Nos langues s’emmêlent, au même rythme que nos hanches.

— Tu es tellement excitante, sur moi, chuchoté-je dans sa bouche. Retourne-toi, il faut que tu voies ça.

Je la redresse et je la tourne sur elle-même, face au miroir. Avec son dos contre ma poitrine, elle se laisse aller contre moi.

— Oh ! mon Dieu, fait-elle avec un profond soupir.

Sa tête retombe sur mon épaule, je ne sais pas si je dois ce mouvement à la sensation de ma queue en elle, ou à l’image dans le miroir. Peut-être les deux.

J’attrape ses cheveux et je la force à relever la tête :

— Non, je veux que tu regardes là, grogné-je dans son oreille, rencontrant son regard dans le miroir. Je veux que tu te regardes. Et demain, quand tu auras mal, je veux que tu te souviennes qui t’a fait ça.

— Taisez-vous, réplique-t-elle.

Mais elle frissonne et je sais qu’elle aime chaque mot qui sort de ma bouche.

Ses mains parcourent son propre corps avant de s’enfoncer dans mes cheveux.

Je caresse chaque centimètre carré de sa peau et j’embrasse, je mords le dos de ses épaules. Je me vois dans le miroir en train de la pénétrer, et quoi que j’en pense, je sais que je n’oublierai jamais cette image. L’une de mes mains se déplace jusqu’à son clitoris.

— Oh ! merde, souffle-t-elle. S’il vous plaît.

— Comme ça ? demandé-je, en faisant tourner mes doigts autour de lui.

— Oui, s’il vous plaît, encore, oui, oui.

Nos corps se couvrent d’une fine couche de sueur brillante, ses cheveux se plaquent sur son front. Ses yeux ne me quittent pas. Nous sommes tout près de jouir tous les deux, et continuons de bouger l’un contre l’autre. Mais je refuse absolument de la laisser voir l’expression de mon visage à ce moment-là. Hors de question qu’elle se rende compte avec tant de crudité de l’effet qu’elle a sur moi.

Les voix autour de nous persistent, incapables de savoir ce que nous faisons dans la cabine étroite. Si je ne fais pas quelque chose, notre petit secret n’en sera plus un longtemps. Ses mouvements s’accélèrent, et ses doigts agrippent mes cheveux de plus en plus fort. Je presse ma main contre sa bouche, et j’étouffe son cri quand elle jouit autour de moi.

Je retiens mes propres gémissements en collant ma bouche à son épaule. Encore quelques va-et-vient, et j’explose tout au fond d’elle. Son corps s’accroche au mien quand je m’adosse au mur.

J’ai besoin de me lever. De me lever et de m’habiller. Mais je ne sais pas si mes jambes tremblantes me porteront. J’ai clairement perdu tout espoir de voir nos rapports sexuels perdre en intensité et d’être débarrassé de mon obsession.

La raison me revient doucement, avec la déception – j’ai encore une fois succombé à ma faiblesse. Je la relève et je la fais descendre de mes genoux avant de me pencher pour récupérer mon boxer.

Quand elle se retourne, elle me dévisage. Je m’attends à de la haine ou à de l’indifférence, mais son regard a quelque chose de vulnérable. Ses yeux se ferment – c’est fini. Nous nous rhabillons en silence, la cabine d’essayage nous semble soudain trop calme et trop petite, nous nous sentons à l’étroit.

Je lisse ma cravate et je ramasse la culotte déchirée. Droit dans ma poche. Je m’arrête, la poignée de la porte dans ma main. Je la scrute. Mes mains glissent le long d’un ensemble en dentelle qui pend le long du mur.

Mes yeux rencontrent les siens et je dis : « Prends aussi le porte-jarretelles. »

Et je sors de la cabine d’essayage sans me retourner.