Il ouvre la porte et nous nous retrouvons nez à nez avec Mina. Je suis pétrifiée.
— Qu’étiez-vous en train de faire exactement dans cette salle de bains ? demande-t-elle.
Ses yeux passent de lui à moi. Je pense à tout ce qu’elle a pu entendre et je me sens devenir écarlate.
J’ose un regard interrogatif vers monsieur Ryan, il a le même mouvement. Je me retourne vers Mina en secouant la tête :
— Rien, nous avions besoin de parler. C’est tout.
J’essaie de m’en sortir comme ça, mais je sais que les tremblements de ma voix me trahissent.
— Oh ! j’ai bien entendu quelque chose derrière cette porte, mais ça ne ressemblait vraiment pas à une conversation, réplique-t-elle avec une grimace.
— Ne sois pas ridicule, Mina. Nous étions en train de discuter d’un problème de boulot, dit-il en essayant de la contourner.
— Dans la salle de bains ?
— Oui. Tu m’as bien envoyé la chercher, n’est-ce pas ? C’est ici que je l’ai trouvée.
Elle se met devant lui, nous bloquant le passage :
— Tu me prends pour une conne ? Tout le monde sait que vous ne discutez pas, vous vous gueulez dessus. Alors ? Vous sortez ensemble, tous les deux ?
— Non ! crions-nous tous les deux comme un seul homme.
Nos regards se croisent un instant avant de se détourner.
— Donc… vous ne faites que baiser, déclare-t-elle.
Aucun de nous deux ne trouve quelque chose à dire. La tension dans la pièce est si palpable que je considère brièvement l’idée de sauter du troisième étage. Est-ce que ça ferait si mal que ça ?
— Depuis combien de temps ? reprend-elle.
— Mina… commence-t-il, en secouant la tête.
Pour une fois, ça ne me plaît pas du tout de le voir mal à l’aise. Je ne l’avais jamais vu dans un tel désarroi. C’est comme s’il n’avait pas pensé une seule seconde que notre petite tempête personnelle pourrait avoir des conséquences.
— Depuis combien de temps ? Bennett ? Chloé ? insiste-t-elle, en nous regardant tous les deux.
— Je… nous… commencé-je.
Mais quoi ? Comment puis-je expliquer ça ?
— Nous…
— Nous avons fait une erreur. C’est une erreur.
Sa voix coupe le fil de mes pensées et je lève les yeux, choquée. Pourquoi est-ce que ça me fait si mal d’entendre ça ? C’est une erreur, j’en conviens, mais qu’il le dise comme ça…
J’aimerais m’arracher les yeux. Elle reprend :
— Erreur ou pas, ça doit s’arrêter tout de suite. Vous imaginez, si c’était Susan qui vous avait surpris ? Et Bennett, tu es son patron ! Est-ce que tu l’as oublié ?
Elle soupire profondément :
— Vous êtes des adultes tous les deux et je ne sais pas ce qui se passe entre vous, mais quoi que vous fassiez, il ne faut pas qu’Elliott le sache.
La nausée me prend à l’idée qu’Elliott apprenne ça un jour – il serait tellement déçu. Je ne pourrais pas le supporter.
— Ce ne sera plus un problème longtemps, dis-je en évitant le regard de Bennett. Je compte apprendre de mes erreurs. Si vous voulez bien m’excuser.
Je passe devant elle et je descends les escaliers, le ventre noué par la colère et par la peine. La force que m’insufflent ma conscience professionnelle et ma motivation m’a toujours soutenue dans les périodes difficiles de ma vie : les ruptures amoureuses, la mort de ma mère, les brouilles avec mes amis… Je doute maintenant de ma valeur en tant qu’employée chez RMG. Est-ce qu’il me voit différemment parce qu’il me baise ? Maintenant qu’il réalise – enfin – qu’il n’a aucun intérêt à ce que les autres l’apprennent, doutera-t-il de mon jugement sur d’autres sujets ?
Je suis plus maligne que ça. Il est temps que je reprenne les choses en main.
Je me redonne une contenance avant de sortir sur la terrasse et de retourner m’asseoir à côté de Joël.
— Tout va bien ? demande-t-il.
Je tourne ma tête pour le détailler. Il est vraiment mignon : les cheveux noirs bien peignés, un visage avenant, des yeux bleus magnifiques. Il est tout ce que je recherche. Mon regard dévie sur monsieur Ryan quand il se rassoit avec Mina, mais se reporte très vite sur Joël.
— Oui… Je suis juste un peu fatiguée. Je pense que je ne vais pas tarder à rentrer.
— Je te raccompagne jusqu’à ta voiture, dit-il en se levant pour tirer ma chaise.
Je fais mes adieux. Quand nous rentrons dans la maison, j’éprouve une sensation peu familière, celle de la main de Joël sur mon épaule.
— C’était vraiment sympa de te rencontrer, Chloé. J’aimerais bien t’appeler un de ces quatre. On pourrait peut-être déjeuner.
— Donne-moi ton téléphone.
Une part de moi n’est pas très fière que j’enregistre mon numéro sur son portable vingt minutes après avoir baisé avec un autre homme trois étages au-dessus. Mais il est temps de passer à autre chose, et un déjeuner avec un type gentil comme lui me semble être un bon début.
Son sourire s’agrandit quand je lui rends son téléphone. À son tour, il me donne sa carte. Il prend ma main et la porte à ses lèvres :
— Je t’appelle lundi, alors. J’espère que les fleurs ne seront pas fanées.
— C’est l’intention qui compte, je réponds en souriant. Merci.
Il a l’air tellement sincère, tellement heureux à la simple idée de me revoir que je suis sur le point de m’évanouir ou d’avoir un vertige. J’ai très envie de vomir.
— Il faut que j’y aille.
Joël acquiesce et ouvre la portière de ma voiture pour moi.
— Bien sûr. Sois prudente sur la route et prends soin de toi. Bonne nuit, Chloé.
— Bonne nuit, Joël.
Il ferme la portière et je démarre le moteur, les yeux fixés sur la route. Je m’éloigne de la maison familiale de mon patron.
Le lendemain matin, pendant notre cours de yoga, j’envisage de tout balancer à Julia. Je pensais pouvoir gérer ça toute seule, mais après une nuit entière à fixer le plafond et à m’affoler, je réalise que je dois me confier à quelqu’un.
Il y a bien Sara, et Sara mieux que personne comprendrait que je devienne folle d’un patron si sexy. Mais elle travaille pour Henry, et je n’ai aucune envie de la mettre dans une position délicate en lui demandant de garder un secret aussi lourd. Je sais que je pourrais en parler avec Mina, mais c’est une Ryan, elle n’est pas neutre dans l’histoire, ça ne m’aide pas à me sentir à l’aise.
Il y a des fois où je souhaite vraiment que ma mère soit toujours en vie. Penser à elle me fait mal, j’ai les larmes aux yeux. Venir m’installer à Chicago pour passer les dernières années de sa vie auprès d’elle a été la meilleure décision que j’aie jamais prise. Et même s’il m’avait été difficile de vivre loin de mon père et de mes amis, j’avais la certitude que chaque chose arrive pour une bonne raison. J’aimerais juste qu’en l’occurrence, cette bonne raison se fasse connaître, si possible assez rapidement.
Puis-je raconter ça à Julia ? Je dois admettre que je suis terrifiée à l’idée de ce qu’elle pensera de moi. Plus que tout, je suis terrifiée à l’idée de le dire à voix haute.
— Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? me demande-t-elle à brûle-pourpoint. Ou tu as quelque chose à me dire, ou alors je pue et tu n’oses pas me le faire remarquer.
J’essaie de me retenir, de la distraire – de la convaincre que son idée est absurde. Mais je ne peux pas. Le poids de ces dernières semaines m’écrase soudain et, avant que je puisse me contrôler, mon menton se met à trembler et je commence à pleurer comme un bébé.
— C’est bien ce que je pensais. Allez…
Elle me tend la main et m’aide à me relever. Elle rassemble nos affaires et m’ouvre la porte.
Vingt minutes, deux cocktails mimosa et une rupture émotionnelle plus tard, je me trouve en face du visage choqué de Julia, assise à la table de notre restaurant préféré. Je lui révèle tout : les culottes déchirées, moi qui aime ça, les lieux incongrus, les sessions je-vous-déteste, Mina qui nous surprend, ma culpabilité de trahir Elliott, Susan, Joël, les réflexions d’homme des cavernes de monsieur Ryan et mon angoisse d’être embourbée dans la relation la plus malsaine de l’histoire de l’humanité et de ne plus rien contrôler.
Quand je relève les yeux pour rencontrer les siens, je grimace : elle a une expression de témoin d’accident de voiture.
— OK. Résumons.
J’acquiesce pour qu’elle continue.
— Tu couches avec ton boss.
— Techniquement, non… fais-je sans savoir où me mettre.
Elle m’interrompt d’un geste de la main.
— Oui, oui, ça j’ai compris. Et c’est ce même boss que tu qualifies avec tant de tendresse de « sacré salaud ». Tu te souviens de ce que ça veut dire ?
Je soupire lourdement et je hoche la tête.
— Mais tu le détestes.
— Exact, marmonné-je, les yeux dans le vague. Je le déteste. Je le sur-déteste, même.
— Tu ne veux pas être avec lui, mais tu n’arrives pas à l’éviter.
— Putain, c’est encore pire quand c’est dit par quelqu’un d’autre, me lamenté-je en me prenant le visage dans les mains. Je me sens tellement ridicule.
— Et la baise ? Très bonne, sourit-elle.
— Bonne, ce n’est pas le mot. Phénoménale, intense, époustouflante, multi-orgasmiquement folle. Et c’est encore trop peu.
— Multi-orgasmiquement, ça existe comme adverbe ?
Je soupire encore :
— Tais-toi…
— Eh bien, conclut-elle avec emphase après avoir éclairci sa gorge. Au moins, on sait que le problème de ton boss, ce n’est pas qu’il a une petite bite. Ça fait avancer le Schmilblick.
J’enfouis ma tête entre mes bras posés sur la table.
— Non, c’est sûr que ce n’est pas ça, son problème.
Je relève la tête, elle glousse :
— Julia, ce n’est pas drôle !
— Mais si, c’est drôle. Même toi, tu dois voir à quel point cette histoire est insensée. De toutes les personnes que je connais, tu es la dernière que j’aurais imaginée dans une telle situation. Tu as toujours été tellement sérieuse, avec chaque étape de ta vie planifiée. Tu n’as eu que quelques vrais petits amis, et tu as attendu un temps incroyablement long pour coucher avec eux. Ce mec, c’est clairement autre chose.
— Je sais qu’il n’y a rien de mal à avoir une relation purement sexuelle avec quelqu’un. Et je sais que je me contrôle en général très bien. Le fait est qu’avec lui, je n’ai aucune prise sur moi. Je ne l’aime pas, et pourtant… je reviens toujours.
Julia boit une gorgée de son cocktail. Je vois son cerveau s’activer, elle réfléchis à tout ce que je lui ai dit.
— Qu’est-ce qui compte le plus pour toi ?
— Mon boulot. Mon avenir. Mes compétences professionnelles. Savoir que ma contribution est importante, fais-je en la regardant dans les yeux.
— Est-ce que tu peux avoir tout cela en continuant à baiser avec lui ?
Je hausse les épaules, incapable de démêler mes pensées.
— Je ne sais pas. J’ai l’impression que ce sont deux choses séparées. Mais nos seuls contacts, c’est au bureau. Il n’y a pas une fois où ça n’a pas été du boulot et du sexe à la fois.
— Alors tu dois trouver un moyen d’arrêter de faire ça. De garder tes distances.
— Ce n’est pas si simple, rétorqué-je en secouant la tête. Je suis son assistante, ce n’est pas facile d’éviter de me retrouver seule avec lui. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis juré de ne plus jamais avoir de relation sexuelle avec lui et où nous avons baisé quelques heures plus tard. Et pour couronner le tout, nous devons aller ensemble à une conférence dans deux semaines. Même hôtel, même voisinage. Des lits !
— Chloé, qu’est-ce qui t’arrive ? demande Julia, atterrée. Tu as envie que ça continue ?
— Non ! Bien sûr que non !
Elle me lance un regard sceptique.
— Ce que je veux dire, c’est juste que je suis différente quand je suis avec lui. Par exemple, j’ai envie de choses auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant. Et d’ailleurs, peut-être que je devrais m’autoriser à les désirer, ces choses. J’aimerais juste que ce soit avec quelqu’un d’autre, un garçon sympa, comme Joël. Avec son boss, c’est vraiment pas sympa.
— Ton boss te donne envie de ça ? Genre, des fessées et autres ? s’amuse Julia.
Je regarde ailleurs et je l’entends soupirer :
— Oh ! mon Dieu, il t’a déjà donné une fessée ?
Mes yeux lancent des éclairs :
— Un peu plus fort, Julia. Je crains que le mec du fond ne t’ait pas entendue.
Dès que je suis sûre que personne ne me regarde, je continue à voix basse, tout en chassant d’un geste les mèches de cheveux qui me tombent devant les yeux :
— Je sais que ça doit s’arrêter, mais je…
Ma voix se brise brusquement dans ma gorge. Je sens la chair de poule envahir toute la surface de mon corps et tourne lentement la tête vers la porte d’entrée pour m’assurer de ce que j’ai cru y voir. C’est bien lui, les cheveux en bataille, vêtu d’un T-shirt noir et d’un jean, chaussé de baskets. Sa coiffure ébouriffée est encore plus sexy que d’habitude. Je regarde Julia, avec l’impression que mon sang a quitté mon visage.
— Chloé, qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait que tu viens de voir un fantôme, dit Julia en se penchant pour me toucher le bras.
J’avale ma salive plusieurs fois et je retrouve ma voix :
— Tu vois le mec à côté de la porte ? Grand et beau ?
Elle se tourne pour regarder et je lui envoie un coup de pied sous la table :
— Sois discrète ! C’est mon boss !
Les yeux de Julia s’agrandissent et sa mâchoire s’ouvre à se décrocher :
— Merde alors.
Elle le regarde de haut en bas et secouant la tête.
— Tu ne rigolais pas Chloé. Ça, c’est un sacrément beau salaud. Je ne le virerais pas de mon lit. Ni de ma voiture. Ni de ma cabine d’essayage. Ni de l’ascenseur…
— Julia ! Tu ne m’aides pas beaucoup, là !
— C’est qui, cette blonde ? demande-t-elle en les montrant du doigt.
Je redirige mon regard vers la porte et je vois monsieur Ryan s’avancer dans le restaurant à côté d’une grande blonde aux jambes interminables. Il la tient par l’épaule. Affreuse piqûre de jalousie.
— Quel connard, grincé-je. Après ce qu’il a fait hier soir. Il se fout de ma gueule.
Le téléphone de Julia sonne, l’empêchant de me répondre. Elle le sort de son sac.
— Salut bébé !
C’est son fiancé. Elle en a pour un moment.
Je jette un coup d’œil à monsieur Ryan, qui parle et rit avec la blonde. Je n’arrive pas à détacher mes yeux de lui. Il est encore plus attirant habillé casual. Il sourit, ses yeux brillent quand il rit. Gros con ! Comme s’il avait entendu mes pensées, il lève la tête et son regard croise le mien. Je serre les dents et me détourne, posant ma serviette sur la table. Il faut que je bouge, tout de suite.
— Je reviens, lancé-je à Julia.
Elle acquiesce et me fait un signe de la main, absorbée par sa conversation. Je me lève et je me dirige vers les toilettes en passant derrière sa table pour éviter de le regarder. Au moment où j’attrape la poignée de la porte, une main se pose sur mon avant-bras.
— Attendez.
Sa voix a un effet électrique sur moi.
OK, Chloé, tu peux le faire. Retourne-toi, regarde-le et dis-lui de fermer sa gueule. C’est un connard qui a parlé de toi comme d’une erreur hier soir et qui se ramène avec une bimbo blonde aujourd’hui.
Je redresse les épaules et je me retourne. Merde. Il est encore plus beau, vu de près. Au bureau, il est toujours très apprêté, très élégant. Il ne s’est pas rasé ce matin et j’ai une envie folle de sentir sa barbe contre mes joues.
Ou contre mes cuisses…
— Qu’est-ce que vous voulez ? lui crié-je en me dégageant.
Sans mes talons, je me sens minuscule. Je regarde son visage d’en bas, il a des cernes. Il a l’air fatigué. Bien. Si ses nuits sont aussi mauvaises que les miennes, je suis contente.
Il passe les mains dans ses cheveux et observe autour de lui, mal à l’aise.
— Je voulais vous parler. Vous expliquer pour hier soir.
— Qu’y a-t-il à expliquer ? grincé-je en désignant la blonde du menton.
Le point douloureux dans ma poitrine s’accentue.
— Changer de paysage. J’ai compris. Je suis contente de vous voir comme ça – ça m’aide à me rappeler que cette chose entre nous, c’était vraiment une idée de merde. Je ne veux pas baiser indirectement toutes vos autres femmes.
— Putain, de quoi parlez-vous à la fin ? D’Emily ?
— C’est son nom ? Eh bien, j’espère qu’Emily et vous apprécierez votre repas, monsieur Ryan.
Je me retourne, décidée à le planter là, mais il me retient par le bras encore une fois :
— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?
Notre dispute commence à attirer l’attention des serveurs qui traversent les cuisines. Après un coup d’œil rapide autour de nous, il me pousse dans les toilettes « dames » et verrouille la porte derrière nous.
Génial, encore des toilettes.
Je le repousse quand il s’approche :
— Qu’est-ce que ça peut me foutre ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Vous m’avez baisée hier soir, vous avez dit que je ne pouvais pas avoir envie de sortir avec Joël, et aujourd’hui, vous êtes avec quelqu’un d’autre ! C’est vrai que vous êtes un salaud de queutard. Votre comportement est complètement raccord avec ce que vous êtes – c’est à moi que j’en veux de l’avoir oublié !
Je suis tellement en colère que mes ongles font presque saigner les paumes de mes mains.
— Vous pensez que c’est un rendez-vous galant ? soupire-t-il, incrédule. C’est incroyable, vraiment. Emily est une amie. Elle dirige une organisation caritative que Ryan Media soutient. C’est tout. Je devais la voir lundi pour signer quelques papiers, mais elle a eu un changement d’avion de dernière minute et quitte le pays cet après-midi. Je n’ai jamais été avec personne depuis l’« acc…
Il s’arrête pour reformuler sa pensée.
— Depuis la première fois où… vous savez…
Il fait un geste vague entre moi et lui.
Quoi ?
Nous nous tenons en face l’un de l’autre, les yeux dans les yeux. Je le laisse parler. Il n’a couché avec personne d’autre ? Est-ce que c’est même possible ? Je sais que c’est un homme à femmes. J’ai eu l’occasion de voir sa collection de maîtresses, à chaque événement de l’entreprise, sans parler des rumeurs qui circulent au bureau. Et même s’il dit la vérité, ça ne change pas le fait qu’il est toujours mon patron, et que tout ça c’est très, très mal.
— De toutes les femmes qui se jettent sur vous, vous n’en avez même pas sauté une ? Waow, je suis flattée.
Je me tourne vers la porte.
— Ce n’est pas si difficile à comprendre, grogne-t-il.
Je sens ses yeux dans mon dos et lâche :
— En fait, ça n’a aucune importance. C’est une erreur, n’est-ce pas ?
— C’est de cela que je voulais parler.
Il s’approche et son odeur – miel et sauge – me submerge. Je me sens coincée, l’oxygène me manque. Je dois sortir d’ici, tout de suite. Qu’est-ce que Julia a dit, il y a cinq minutes ? « Ne reste pas seule avec lui. » C’est un bon conseil. Et puis la culotte que je porte me plaît vraiment, je n’ai aucune envie de la voir en lambeaux dans sa poche.
OK, c’est un mensonge.
— Est-ce que vous allez revoir Joël ? demande-t-il dans mon dos.
Ma main est sur la poignée. Tout ce que je dois faire, c’est la tourner, et je serai dehors, en sécurité. Mais je ne peux pas bouger, je fixe cette putain de porte.
— Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
— Je pensais qu’on avait réglé cette question hier soir, dit-il, son souffle chaud dans mes cheveux.
— Ouais, beaucoup de choses ont été dites hier soir…
Ses doigts caressent mon bras et écartent la bretelle fine de mon débardeur sur mon épaule.
— Je ne voulais pas dire que c’était une erreur. J’ai juste paniqué, souffle-t-il.
— Ça ne veut pas dire que ce n’est pas vrai.
Mon corps se rapproche de lui par instinct, ma tête s’incline légèrement.
— Nous le savons tous les deux.
— Je n’aurais pas dû le dire.
Il joue avec ma queue de cheval sur mon épaule et ses lèvres douces se déplacent dans mon dos.
Retourne-toi.
Deux mots. Comment est-il possible que deux mots aussi simples remettent tout en cause ? C’est une chose qu’il me plaque contre un mur ou m’attrape de force, mais là, il me laisse le choix. Je mords ma lèvre très fort – tourner la poignée… Ma main a un mouvement convulsif avant de retomber le long de ma hanche en signe de défaite.
Je me retourne pour le regarder dans les yeux.
Il pose la main sur ma joue, son pouce sur ma bouche. Nous nous contemplons, et au moment où je pense qu’il n’est plus possible d’attendre une seconde supplémentaire, il m’attire à lui et presse sa bouche contre la mienne.
Nous nous embrassons, nos corps cessent de lutter. Je n’arrive pas à être aussi proche de lui que je le voudrais. Mon sac atterrit sur le sol carrelé à mes pieds, et mes mains caressent ses cheveux, le rapprochant de moi. Il me fait reculer jusqu’au mur et ses mains parcourent mon corps, me soulèvent légèrement. Il passe une main sous mon pantalon de yoga et prend mon cul dans sa main.
— Qu’est-ce que tu portes ? grogne-t-il.
Ses mains vont et viennent sur le satin rose. Il me soulève pour de bon et passe mes jambes autour de sa taille.
Je suis plaquée contre le mur. Il gémit quand je lui mordille l’oreille.
Il déplace mon débardeur et mord la pointe de mon sein droit. Ma tête frappe contre le mur quand je sens sa barbe naissante contre ma poitrine. Un son aigu brise cet instant de plaisir et je l’entends jurer. Mon téléphone. Il me pose par terre, s’écarte. Son visage a repris son expression ordinaire.
Je remets rapidement mes vêtements en place et fouille dans mon sac à la recherche de mon téléphone. Je grimace en voyant la photo qui s’affiche sur l’écran.
— Julia, fais-je, en respirant difficilement.
— Chloé, es-tu dans les toilettes en train de baiser avec le beau gosse ?
— J’arrive dans une seconde, OK ?
Je raccroche et balance mon téléphone dans mon sac. Je lève les yeux vers lui, me sentant revenir à la raison.
— Il faut que j’y aille.
— Écoute, je…
La sonnerie de mon téléphone l’interrompt encore. Je réponds immédiatement :
— Putain Julia ! Je ne suis pas en train de baiser avec le beau gosse !
— Chloé ? fait la voix confuse de Joël.
— Oh… Salut !
Et merde. Il n’y a qu’à moi que ça arrive.
— Je suis content d’entendre que tu ne… sois pas en train… avec le beau gosse… s’amuse Joël à l’autre bout du fil.
— Qui est-ce ? grommelle Bennett.
Je presse la main sur ses lèvres et je lui fais mon regard le plus mauvais.
— Écoute, dis-je à Joël, je ne peux pas vraiment te parler maintenant.
— OK. Je suis désolé de te déranger un dimanche, mais je n’ai pas arrêté de penser à toi. Je ne veux pas te mettre dans une position difficile, mais en rentrant chez moi hier soir, j’ai regardé mes mails et il y avait une confirmation de la livraison de tes fleurs.
— Vraiment ? demandé-je en feignant d’être intéressée.
Je regarde Bennett.