Chapitre 5

Le ventilateur au dessus de mon lit comporte exactement 83 trous, 29 vis, 5 pales et 4 ampoules. Je me mets sur le côté, mes muscles (en particulier mes adducteurs) sont douloureux – ils me rappellent cruellement pourquoi je n’arrive pas à dormir.

« Je veux que tu regardes. Et demain, quand tu auras mal, je veux que tu te souviennes qui t’a fait ça. »

Il ne rigolait pas.

Machinalement, ma main se déplace vers ma poitrine, et je caresse d’un air absent la pointe de mes seins sous mon débardeur. Les yeux fermés, j’imagine que mes doigts deviennent les siens. Ses longs doigts gracieux hantent mes seins, ses pouces pincent mes tétons, ses larges paumes m’enveloppent… Merde. Je soupire lourdement et donne un coup de pied dans un oreiller. Il tombe par terre. Je sais exactement où ce genre de pensées va m’amener. Ça fait trois nuits de suite que la même chose se produit. Ça doit s’arrêter – maintenant. Je roule sur le ventre avec un grognement de colère, et je ferme les yeux, en attendant que le sommeil arrive. Comme si c’était si facile.

Je me souviens dans tous ses détails du jour où Elliott m’a demandé de monter dans son bureau, il y a presque un an. J’avais commencé à travailler chez RMG en tant que son assistante junior à l’essai. J’étais encore à l’université. Est-ce parce que je suis orpheline de mère qu’Elliott m’a prise sous son aile ? Pas comme un deuxième père, mais comme un mentor chaleureux, très attentionné, qui m’invite à dîner en famille et garde un œil sur mon moral. « Ma porte te sera toujours ouverte » – il me dit des choses comme ça. Mais ce matin, en m’appelant dans son bureau, il est particulièrement formel. Et moi je suis carrément morte de trouille.

Il m’explique qu’après avoir passé six ans à Paris où il a travaillé comme directeur marketing chez L’Oréal, son fils revient à Chicago pour occuper le poste de directeur général des opérations chez Ryan Media. Elliott sait que je passerai dans un an le diplôme de mon Master de Business et qu’il me faut un stage pour acquérir l’indispensable expérience du terrain. Il insiste pour que j’accomplisse ledit stage chez RMG. Son fils cadet sera plus que ravi, m’assure-t-il, de m’avoir dans son équipe.

Elliott me donne le mémo qu’il compte dispatcher dans toute l’entreprise la semaine suivante pour annoncer l’arrivée de Bennett Ryan.

Waow – c’est tout ce qui me vient à l’esprit quand, de retour dans mon bureau, je parcours le mémo en question. Vice-président exécutif du département marketing chez L’Oréal Paris. Le plus jeune nominé de la liste de The Crain « Forty under 40 », publiée dans le Wall Street Journal. Un double MBA de la NYU-Stern School of Business et HEC Paris, où il s’est spécialisé en finance d’entreprise et commerce international, le tout summa cum laude. À 30 ans. Excusez du peu.

Quel était l’adjectif qu’Elliott avait employé à son sujet, déjà ? Ah ! oui – « très motivé ». Doux euphémisme.

Henry avait sous-entendu que son frère n’était pas aussi cool que lui, mais, devant mon air inquiet, il m’avait mise à l’aise : « Il a tendance à être un peu sévère et à avoir un balai dans le cul à certains moments, mais ne t’inquiète pas, Chloé. Tu peux gérer ses crises. Vous allez faire une super équipe. Franchement, comment pourrait-il ne pas t’aimer ? » avait-il ajouté en me prenant gentiment par les épaules.

J’ai du mal à l’admettre, surtout maintenant, mais j’étais assez séduite par l’image que je m’étais faite de Bennett Ryan, juste avant son arrivée. J’étais totalement stressée à l’idée de travailler avec lui, mais en même temps très impressionnée par ce qu’il avait accompli dans sa relativement courte existence. Et sa photo sur Internet ne gâchait rien : ce mec était un beau spécimen. Nous avons communiqué par mail avant son arrivée et, même s’il semblait assez sympa, il n’a jamais été ouvertement amical.

Le jour J, Bennett devait arriver pour la réunion générale de l’après-midi, où il serait officiellement présenté. Je passe toute la journée sur les nerfs. Sara, en amie fidèle, monte pour me distraire. Elle s’assoit dans mon fauteuil, je m’installe face à elle et nous passons près d’une heure à nous remémorer des épisodes de Clerks, une série télé à mourir de rire.

Bientôt, je suis si hilare que j’en pleure. Je ne remarque pas que Sara se raidit : la porte du bureau vient de s’ouvrir, et je ne l’ai même pas entendue. Je ne me rends pas compte non plus que quelqu’un se tient derrière moi. Sara essaie de me prévenir, un doigt devant la bouche, les yeux exorbités – le signal universel pour « ta gueule ». Tout à mon fou rire, je l’ignore. Comme une idiote, je continue à glousser en me tenant les côtes :

— Alors elle dit : « La vache, il a fallu que je prenne la commande d’un mec que j’avais sucé une fois après le bal de promo ! » Et il répond : « C’est comme moi, un jour j’ai eu à servir ton frère. »

Et je pars d’un tel éclat de rire que je bascule en arrière – et me heurte à quelque chose

de dur et chaud.

En tournant la tête, je réalise, horrifiée, que mes fesses se trouvent posées sur la cuisse de mon nouveau boss.

— Monsieur Ryan ! m’exclamé-je, le reconnaissant d’après les photos. Je suis vraiment désolée !

Il n’a pas l’air de trouver ça drôle.

Dans une tentative pour faire retomber la tension, Sara se lève et lui tend la main :

— Je suis très heureuse de faire enfin votre connaissance. Sara Dillon, l’assistante de Henry.

Mon nouveau boss la regarde froidement, sans répondre à son geste. Il lève un de ses sourcils parfaits :

— Vous voulez dire « de monsieur Ryan » ?

La main tendue de Sara retombe lentement. Elle le regarde, visiblement mal à l’aise. La présence physique de Bennett est si intimidante qu’elle en perd ses mots. Reprenant ses esprits, elle tente de se justifier faiblement :

— C’est-à-dire que c’est assez informel ici. Nous utilisons les prénoms. Voici votre assistante, Chloé.

Il hoche la tête :

— Mademoiselle Mills. Vous m’appellerez monsieur Ryan. Je vous attends dans mon bureau dans cinq minutes pour que je vous expose les règles que vous devrez observer sur votre lieu de travail.

Sa voix est cassante. Bref signe de tête à Sara :

— Mademoiselle Dillon.

Il me fixe pendant quelques interminables secondes et tourne les talons vers son nouveau bureau. J’entends avec horreur la porte claquer pour la première fois – infâme habitude d’adolescent !

— Non, mais quel connard ! chuchote Sara entre ses dents.

— Connard de chez connard, l’approuvé-je.

Je décide d’aller lui chercher une tasse de café pour essayer de me rattraper. Je demande à Henry comment il l’aime – noir. Quand je frappe nerveusement à la porte de son bureau, un abrupt « Entrez ! » retentit. Je prie pour que mes mains arrêtent de trembler. Mes lèvres s’étirent dans un sourire amical – repartons de zéro – et j’entre alors qu’il parle au téléphone tout en prenant frénétiquement des notes sur un carnet. J’inspire profondément quand j’entends sa belle voix profonde parler un français sans défaut.

— Ce sera parfait. Non. Non, ce n’est pas nécessaire. Seulement quatre. Oui, quatre. Merci, Ivan1.

Il raccroche, mais ne relève pas pour autant les yeux vers moi. Je suis debout face à son bureau. Il s’adresse à moi avec le même ton austère que tout à l’heure :

— Désormais, mademoiselle Mills, vous vous abstiendrez d’avoir des conversations privées dans ce bureau. Vous êtes payée pour travailler, pas pour cancaner. Suis-je clair ?

Je suis estomaquée. Il me regarde enfin en haussant l’un de ses sourcils. Je sors de ma transe et je réalise tout à coup que Bennett Ryan, certes bien plus beau en chair et en os que sur ses photos, ne ressemble à rien de ce que j’avais imaginé. Ni à ses parents ou à son frère.

— Très clair, monsieur, dis-je d’une voix claire et ferme.

Et je fais le tour de son bureau pour poser son mug café en face de lui. C’est alors que mon talon glisse sur le tapis et que je m’étale.

— Bordel de merde ! s’écrie-t-il

Une tache de café brûlant se répand sur son costume de luxe.

— Oh ! monsieur Ryan, je suis absolument désolée !

Je cours vers le lavabo des toilettes pour prendre une serviette et je reviens le plus vite possible. Je tombe à genoux devant lui, j’essuie le café, sans parvenir à ôter la tache. Dans ma hâte, je pense que la situation ne peut pas être pire. Et je reviens sur terre. Je suis en train de frotter furieusement son entrejambe. Je détourne les yeux et je retire ma main. Je rougis jusqu’aux oreilles – son pantalon est tendu sur ce qui ressemble à une érection. Une érection !

— Vous pouvez vous retirer, mademoiselle Mills.

Je ne me fais pas prier et je déguerpis sans demander mon reste. C’est un cauchemar. Je suis morte de honte.

Heureusement, après ce début désastreux, je me suis montrée plutôt efficace. Il a même eu l’air impressionné parfois – sans pour autant se départir de son comportement glacial à mon égard. J’ai vite compris que c’était un enculé de première. Et je me suis toujours demandé ce que j’avais bien pu faire au bon Dieu pour avoir à subir sa mauvaise humeur au quotidien.

À part tacher ses costumes.

En arrivant au travail, je tombe sur Sara dans l’ascenseur. Nous convenons de déjeuner ensemble la semaine prochaine et je lui souhaite une bonne journée. Elle descend avant moi. Au 18e étage, la porte du bureau de monsieur Ryan est fermée, comme d’habitude. Je ne peux pas savoir s’il est déjà là. J’allume mon ordinateur et je tente de me préparer mentalement à cette nouvelle journée. Ces derniers temps, l’angoisse me saisit à chaque fois que je m’assois à mon bureau.

Je sais que je le verrai ce matin : nous prenons connaissance ensemble du programme de la semaine qui arrive chaque vendredi. Mais je ne peux pas deviner dans quel état d’esprit sera monsieur.

Il est encore plus odieux que d’habitude en ce moment. Pourtant, ses derniers mots, hier… « Prends aussi le porte-jarretelles. » Je l’ai acheté. Je le porte maintenant. Pourquoi ? Aucune idée. Qu’est-ce qu’il pouvait bien vouloir dire par là ? Est-ce qu’il pense qu’il va le voir ? Hors de question. Putain, pourquoi est-ce que je le porte ? Je jure que s’il le déchire… Je m’arrête avant de finir ma phrase.

Il ne va pas le déchirer. Même pas en rêve.

Crois-le, Mills.

Je réponds à quelques mails, j’imprime le contrat Papadakis sur les questions de propriété intellectuelle et je fais quelques recherches sur des hôtels – j’en oublie la situation présente. Une heure plus tard, la porte de son bureau s’ouvre. Devant moi se trouve un monsieur Ryan à l’allure parfaitement professionnelle. Son costume noir, à deux boutons, est impeccable. Sa cravate de soie rouge ajoute la touche de couleur parfaite. Il a l’air calme et totalement à l’aise. Aucune trace du mec qui m’a sauvagement baisée dans la cabine d’essayage d’Aubade, il y a approximativement dix-huit heures et trente-six minutes. Je compte, maintenant…

— On peut commencer ?

— Oui, monsieur.

Il acquiesce puis retourne dans son bureau.

OK. C’est donc comme ça que ça va se passer maintenant. Pas de problème. Je ne suis pas sûre de ce que j’attendais. Je suis assez soulagée que les choses ne changent pas. Nos étreintes sont de plus en plus intenses, la chute en sera d’autant plus dure quand ça s’arrêtera et que je devrai ramasser les morceaux de ma carrière foutue en l’air. Mais non. On va limiter la casse et j’obtiendrai tranquillement mon diplôme à la fin de l’année.

Je le suis dans son bureau et je m’assois face à lui. Je commence à parcourir à haute voix la liste des choses à faire et des rendez-vous importants. Il m’écoute sans broncher, en prenant quelques notes ou en tapant sur son ordinateur, selon la nécessité.

— Une réunion avec Red Hawk Publishing est prévue à trois heures cette après-midi. Votre père et votre frère y vont aussi. Ça vous prendra probablement le reste de la journée, j’ai donc annulé vos rendez-vous.

Je poursuis jusqu’à arriver à la partie que je redoute le plus : « Pour finir, la conférence sur les perspectives marketing de JT Miller se tient à San Diego le mois prochain », lui annoncé-je rapidement. Je m’intéresse soudain à ce que je griffonne sur mon planning. Le silence qui suit cette information dure une éternité. Je relève la tête pour voir pourquoi il ne réagit pas. Ses yeux me scrutent, l’expression de son visage est neutre. Il joue avec un stylo.

— Vous m’accompagnerez ? demande-t-il.

— Oui.

Ce seul mot produit un silence angoissant dans la pièce. Mais qu’est-ce qu’il peut bien penser ?

Je bafouille : « Je dois y être, c’est dans les termes de ma bourse. Je… euh… pense aussi que c’est bien que je sois là aussi pour… hmm… vous aider à gérer vos rendez-vous. »

— Faites les arrangements nécessaires, conclut-il.

Il se remet à taper sur son ordinateur. Je suppose que cela signifie mon congé. Je me lève et me dirige vers la porte.

— Mademoiselle Mills ?

Je me retourne et, même s’il ne croise pas mon regard, sa nervosité est palpable. Voilà qui est inhabituel.

— Ma mère m’a demandé de vous inviter à dîner la semaine prochaine.

— Oh… Eh bien, dites-lui que je consulterai mon agenda pour voir mes disponibilités.

Et je tourne les talons pour partir. Mais surtout pour lui cacher le rouge qui m’est monté aux joues.

— On m’a dit que je devais… vous encourager fortement à venir, poursuit-il dans mon dos.

Il me fixe maintenant, et il a vraiment l’air mal à l’aise.

— Et pour quelle raison ? fais-je en revenant vers lui.

— Eh bien, dit-il avant de s’éclaircir la gorge. Elle voudrait manifestement vous faire rencontrer quelqu’un.

Ça, c’est nouveau. Je connais les Ryan depuis des années et même si Susan est susceptible de mentionner mon nom en passant, elle n’a jamais activement essayé de me présenter à qui que ce soit.

— Votre mère essaye de me caser ? demandé-je en croisant les bras sur ma poitrine.

— On dirait bien.

Son visage n’exprime pas la même nonchalance que ses propos.

— Pourquoi ? insisté-je en haussant les sourcils.

Il fronce les siens, visiblement ennuyé :

— Comment voulez-vous que je le sache ? On n’est pas tout le temps en train de parler de vous, grommelle-t-il. Elle craint peut-être que malgré votre brillante personnalité, vous ne finissiez vieille fille, dans des robes informes et entourée de chats.

Je me penche vers son bureau et le foudroie du regard :

— Elle devrait plutôt s’inquiéter de l’avenir de son fils. Un gros dégueulasse qui passe son temps à déchirer des culottes et à suivre les jeunes filles dans des magasins de lingerie.

Il saute de sa chaise et s’approche de moi, furieux :

— Vous savez, vous êtes la plus…

La sonnerie de son téléphone le coupe en pleine phrase. Nous nous fixons, l’air mauvais, chacun d’un côté du bureau, en respirant lourdement. Pendant un moment, je pense qu’il va me renverser sur la table. J’en ai envie. Il attrape le téléphone sans me quitter du regard.

— Oui, aboie-t-il dans le récepteur. George ! Bonjour. Oui, j’ai une minute.

Il se rassoit dans son siège. Je m’attarde pour voir s’il a besoin de moi pendant qu’il parle à M. Papadakis. Il lève son index pour me faire signe de rester avant de s’emparer d’un stylo qu’il fait rouler sur le bureau.

— Je dois rester ? demandé-je.

Il acquiesce une fois encore, toujours au téléphone :

— Je ne pense pas que vous deviez être aussi précis à ce stade, George.

Sa voix de ténor déclenche un frisson qui remonte tout le long ma colonne vertébrale.

— Les grandes lignes suffiront. Nous avons juste besoin de déterminer la portée de cette proposition avant de la développer.

Je fais mine de partir. Quel grossier personnage : me laisser ici, debout ! Est-ce que j’ai une tête à porter une coupe de raisins d’une main et à l’éventer de l’autre avec une plume d’autruche pendant que monsieur parle à un client ?

Il m’observe de haut en bas, ses yeux se focalisent sur ma jupe. Quand il me dévisage de nouveau, ses lèvres se sont légèrement ouvertes, comme s’il allait me demander quelque chose dès qu’il aurait terminé sa conversation. Il se penche en avant et, avec son stylo coincé entre le pouce et l’index, soulève l’ourlet de ma jupe. Il la remonte sur ma cuisse.

Ses pupilles se dilatent – le porte-jarretelles…

— Je comprends, fait-il dans le téléphone, en laissant retomber ma jupe. Nous sommes d’accord pour dire que c’est une progression satisfaisante.

Il me déshabille de son regard de plus en plus noir. Mon cœur commence à battre la chamade. Quand il me regarde comme ça, j’ai envie de lui grimper dessus et de l’attacher à sa chaise avec sa cravate.

— Non, non. Rien d’aussi large à cette étape. Comme je l’ai dit, ce n’est qu’une esquisse préliminaire.

Je reviens sur la chaise en face de lui. Il lève un sourcil intéressé, porte le capuchon du stylo à sa bouche et se met à le mordiller.

Je sens la chaleur monter entre mes jambes. J’attrape ma jupe et je la remonte pour exposer ma peau nue à l’air frais du bureau, et aux yeux voraces de l’autre côté de la table.

— Oui, je vois, répète-t-il. Sa voix est plus grave, presque rauque.

Le bout de mes doigts dessinent la ligne de mes bas, puis caressent ma peau et mes sous-vêtements de satin. Rien – ni personne – ne m’a jamais fait me sentir aussi sexy que lui. C’est comme s’il confisquait toutes les pensées relatives à mon job, ma vie, mes objectifs, et disait : « Tout ça c’est bien beau, mais regarde ce que je t’offre là. Ce sera tordu et très dangereux, mais tu en crèves de désir. Tu crèves de désir pour moi. »

Et s’il disait ça à haute voix, il aurait raison.

— Oui, continue-t-il. Je pense que c’est la meilleure façon de procéder.

C’est vrai ? Je lui souris, en mordant mes lèvres. Il a une moue diabolique en retour. Ma main droite remonte vers ma poitrine, je prends mon sein entre mes doigts et je le tords. De l’autre main, j’écarte ma culotte et fais glisser deux doigts contre ma peau trempée.

Monsieur Ryan tousse et renverse son verre d’eau.

— Très bien, George. Nous nous en occupons dès réception. Ce sera fait dans les temps.

Je commence à faire bouger ma main, en pensant à ses longs doigts entre lesquels le stylo roule, à ses grandes mains me saisissant les hanches, la taille et les cuisses, quand il m’a pénétrée hier.

J’accélère, mes yeux se ferment et ma tête se renverse en arrière contre la chaise. Je m’efforce de ne pas faire de bruit, je me mords la lèvre. Un petit gémissement m’échappe. J’imagine ses mains et ses avant-bras tendus, les muscles crispés, et ses doigts qui entrent en moi. Ses jambes en face de mon visage, la nuit de la salle de conférence, fermes et sculptées. Et le reste…

Ses yeux sur moi, noirs et suppliants.

Je le regarde – ils sont exactement comme je les imagine. Il affecte de ne pas remarquer ma main qui va et vient. Le désir est peint sur son visage quand je jouis, je jouis, je jouis. L’orgasme est à la fois renversant et frustrant. Je voudrais ses doigts plutôt que les miens.

Il raccroche. Mon souffle court résonne, dans la pièce silencieuse. Il se redresse, assis en face de moi. De la sueur perle à son front, ses mains sont agrippées aux bras de son siège.

— Mais qu’est-ce que vous me faites ? demande-t-il calmement.

Je grimace en écartant ma frange :

— Je suis à peu près sûre que je me suis fait ça à moi-même.

— Bien sûr, répond-il en levant les sourcils.

Je me lève, lissant ma jupe sur mes cuisses :

— Si vous n’avez plus besoin de moi, monsieur Ryan, je vais retourner travailler.

Je reçois un texto de monsieur Ryan au moment où je reviens des toilettes. Je dois le rejoindre dans le parking pour aller en ville. Heureusement que les autres managers et leurs assistantes vont aussi à la réunion de Red Hawk. Je sais qu’être assise dans une limousine seule avec cet homme pendant vingt minutes – surtout après ce que je viens de faire – ne me laisse que deux options. Et une seule lui conserve les couilles intactes.

La limousine m’attend dehors. Le chauffeur me fait un large sourire en ouvrant la portière :

— Bonjour Chloé. Comment vas-tu en cette belle après-midi printanière ?

— Très bien, merci, Stuart. Et tes études ? souris-je en retour.

Stuart est mon chauffeur préféré et, même s’il a tendance à me draguer, il me fait toujours rire.

— Oh ! ça se passe bien. J’ai juste quelques soucis avec la physique, mais le reste, ça va. Dommage que tu ne sois pas scientifique, tu aurais pu me donner des cours… répondit-il d’un air entendu.

— Si vous en avez fini tous les deux, vous feriez mieux de vous dépêcher. Nous avons un rendez-vous à honorer. Vous pourriez peut-être flirter avec mademoiselle Mills sur votre temps libre.

La voix de monsieur Ryan vient de l’intérieur de la voiture, où il m’attend. Il se rassoit après nous avoir jeté un regard mauvais. Je souris et je lève les yeux en direction de Stuart avant de monter.

À part monsieur Ryan, la voiture est vide.

— Où sont les autres ? demandé-je, vaguement gênée, alors que la voiture démarre.

— Ils ont un dîner d’affaires après. Nous avons donc décidé de prendre des voitures séparées.

Il se concentre sur ses dossiers. Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que ses magnifiques chaussures italiennes bougent nerveusement.

Je le dévisage, suspicieuse. Il n’a l’air de rien. Il est affreusement attirant. Ses cheveux sont dans leur habituel désordre parfait. Il porte son stylo doré à sa bouche, absent, comme il l’a fait dans son bureau un peu plus tôt. Je me tortille sur mon siège en essayant d’évacuer la sensation d’inconfort qui monte en moi.

Quand il me regarde, son petit sourire suffisant montre qu’il m’a surprise en train de le reluquer.

— Ce que vous voyez vous plaît ?

— De quoi parlez-vous ? réponds-je avec un sourire qui n’appartient qu’à moi.

Je sais comment l’atteindre. Je recroise délibérément les jambes, en m’assurant que ma jupe remonte un peu plus haut que la limite du convenable. Il ne sait pas encore qui va gagner à ce petit jeu-là. Son air renfrogné revient en un instant. Mission accomplie.

Nous nous toisons pendant dix-huit minutes et trente secondes. J’essaie de me convaincre : l’idée d’avoir sa tête entre mes jambes ne me fait pas fantasmer. D’ailleurs, je n’y pense même pas.

Quand nous arrivons à destination, au bout de vingt minutes, il va sans dire que je suis de mauvaise humeur.

Les trois heures qui suivent s’égrainent interminablement. Les autres managers arrivent et tout le monde se présente. Une femme particulièrement belle, Lila, fait des œillades à mon boss. Elle doit avoir tout juste 30 ans – une lourde chevelure rousse, des yeux noirs lumineux et un corps parfait. Elle a eu le sourire « je-mouille-ma-culotte » tout l’après-midi, tant elle était sensible à son charme. Son charme…

Connard.

Nous rentrons au bureau en fin de journée. Le trajet en voiture est encore plus tendu qu’à l’aller. J’ai l’impression que monsieur Ryan a quelque chose à me dire. S’il ne le fait pas très vite, je vais exploser. Quand je veux qu’il la ferme, il déblatère à contre-emploi. Mais quand j’aimerais qu’il parle, le voilà muet.

Un sentiment de déjà-vu et de peur m’emplit quand nous traversons le building presque désert, en direction de l’ascenseur. À la minute où les deux portes dorées se referment, je souhaite être n’importe où, mais pas là. Est-ce qu’il y a soudain moins d’oxygène ici ? Je le considère dans le reflet de la porte polie. Difficile de le deviner. Il a desserré sa cravate, sa veste de costume est sur son bras. Pendant la réunion, il a remonté les manches de sa chemise sur ses avant-bras et j’ai dû détourner mes yeux de ses muscles saillants. Il serre les dents et fixe le sol. On est loin de son calme habituel.

18e étage. Je respire enfin. Ces quarante-deux secondes ont été les plus longues de toute ma vie. Je le suis sans le regarder, il entre dans son bureau. À ma grande surprise, il ne ferme pas la porte derrière lui. Il ferme toujours sa porte.

Je parcours mes messages et je gère des détails de dernière minute avant de partir pour le week-end. Jamais eu aussi hâte de sortir de là. Ce n’est pas tout à fait vrai… la dernière fois que nous avons été seuls à cet étage, je me suis quasiment enfuie en courant… Putain, s’il y a une chose à laquelle je ne dois pas penser, c’est bien celle-là. Surtout dans un bureau vide. Juste lui et moi.

Il sort de son bureau au moment où je rassemble mes affaires et, en passant, jette une enveloppe ivoire sur ma table. Qu’est-ce que c’est que ça ? J’ouvre l’enveloppe et je lis mon nom inscrit sur plusieurs feuilles d’un élégant papier assorti. C’est un formulaire pour un compte client privé chez Aubade, avec M. Bennett Ryan comme détenteur.

Il m’a ouvert un compte client ?

— Qu’est-ce que c’est que ça ? m’écrié-je en sautant de ma chaise. Vous m’avez ouvert un compte…?

Il s’arrête, il hésite. Puis il me fait face :

— Après votre petit show d’aujourd’hui, j’ai passé quelques coups de fil pour que vous puissiez acheter tout ce dont vous aurez… besoin. Bien sûr, c’est un compte illimité.

Il a débité ça platement, de nouveau rayonnant de confiance en lui. C’est pour ça qu’il réussit si bien tout ce qu’il entreprend. La façon dont il arrive toujours à reprendre le contrôle de la situation est impressionnante. Mais pense-t-il sérieusement pouvoir me contrôler ?

— Donc, vous m’avez ouvert un compte chez Aubade pour que je m’achète de la lingerie, énoncé-je en secouant la tête pour retrouver mon calme.

— Surtout pour remplacer les choses que j’ai…

Il s’interrompt pour reformuler sa réponse.

— … les choses qui ont été endommagées. Si vous n’en voulez pas, vous n’avez qu’à ne pas l’utiliser, bordel, grince-t-il avant de tourner les talons.

— Pauvre mec.

Je me déplace pour le forcer à me regarder en face. Les formulaires ne sont plus qu’une boule de papier froissé dans mon poing fermé :

— Vous trouvez ça drôle ? Vous pensez que c’est un jeu que vous menez comme vous l’entendez ?

Je ne sais pas contre qui je suis le plus en colère : contre lui qui s’imagine pouvoir faire ce qu’il veut de moi, ou contre moi-même qui ai laissé ce délire s’installer.

Il se moque :

— Oh ! oui, je trouve ça hilarant.

— Prenez ça et mettez-le-vous où je pense !

Je lui envoie la boule de beau papier au visage et je sprinte jusqu’à l’ascenseur. Salaud de queutard macho.

En toute logique, il n’a pas pensé à mal – enfin, j’espère. Mais ce compte chez Aubade… ? Voilà pourquoi on ne baise pas avec son boss, on ne lui roule pas des pelles et on ne lui fait pas de petits shows dans son bureau.

J’ai apparemment loupé une partie importante de mon cursus.

— Mademoiselle Mills ! crie-t-il.

Je l’ignore et j’entre dans l’ascenseur. Je m’encourage au moment d’appuyer sur le bouton parking : Allez, un peu de maturité, Chloé. Son visage apparaît au moment où les portes se ferment et je souris en le laissant sur le carreau.

« Merde, merde, merde ! »

Je fulmine dans l’ascenseur vide en tapant du pied. Cet enculé a déchiré sa dernière culotte. Fini.

Cloche de l’ascenseur. Me voilà dans le parking. Je marmonne entre mes dents en me dirigeant à grands pas vers ma voiture. Le garage est peu éclairé, mais presque toutes les autres voitures de ce niveau sont déjà parties. Je suis furieuse. Qu’il se pointe maintenant, ce salaud prétentieux, et il comprendra. Je viens à peine de formuler cette dernière pensée quand j’entends la porte de la cage d’escalier s’ouvrir bruyamment. Monsieur Ryan en sort comme un fou.

— Putain ! Attendez-moi ! hurle-t-il.

Il est à bout de souffle. C’est ce qui arrive quand on descend 18 étages en courant…

J’ouvre la portière de ma voiture et je lance mon sac à main sur le siège passager :

— Qu’est-ce que vous voulez à la fin, monsieur Ryan ?

— Bordel, vous pouvez arrêter deux secondes d’être en mode salope et m’écouter ?

Je le regarde droit dans les yeux :

— Vous me prenez pour une pute ?

Différentes émotions contractent ses traits : colère, choc, confusion, haine. Putain, il est craquant comme ça. Il ouvre le col de sa chemise, ses cheveux sont totalement décoiffés, la sueur coule le long de sa mâchoire. Mais je suis déterminée. J’ai opté pour la colère et je m’y tiens.

Restant à une distance respectueuse, il secoue la tête :

— C’est pas vrai, siffle-t-il en regardant autour de lui. Vous pensez vraiment que je vous vois comme une pute ? Non ! C’était juste comme ça…

Il se tait pour réorganiser ses pensées. Et serre la mâchoire. Il abandonne ?

— Vous êtes peut-être mon boss, mais vous n’avez pas à décider de ça.

Le silence, autour de nous. Quelques bruits de voiture dehors. J’en suis à peine consciente.

— Ah ! bon ? fait-il avec un regard noir. Je ne vous ai pas encore entendue vous plaindre.

Le voilà qui avance d’un pas vers moi.

Connard mielleux, maintenant.

— Contre la fenêtre.

Un autre pas.

— Dans l’ascenseur et dans la cage d’escalier. Dans la cabine d’essayage quand vous m’avez regardé vous baiser.

Encore un autre.

— Quand vous avez écarté les jambes dans mon bureau aujourd’hui, je n’ai pas entendu une seule protestation. Vous n’avez pas ouvert votre putain de bouche.

Ma poitrine se soulève, je sens le métal froid de la carrosserie sous ma robe. Même si je porte mes chaussures à talons, il fait toujours une tête de plus que moi. Il se penche et je sens son haleine chaude dans mes cheveux. Tout ce que j’ai à faire pour que nos bouches se trouvent, c’est relever la tête.

— Eh bien, c’est fini pour moi, grincé-je.

Ma poitrine, qui se soulève toujours avec difficulté, effleure la sienne. Soulagement coupable.

— Bien sûr que c’est fini, murmure-t-il en hochant la tête.

Il se rapproche dangereusement et presse son érection contre mon ventre. Il s’appuie ses deux bras sur la voiture. Je suis piégée.

— Totalement fini pour toi.

— Sauf… peut-être… murmuré-je.

Je ne suis pas sûre d’avoir envie de le dire à haute voix.

— Peut-être juste une dernière fois ?

Ses lèvres frôlent les miennes. C’est trop bon, trop vrai.

Je chuchote :

— Je ne veux pas vouloir ça. Ce n’est pas bon pour moi.

Nos nez glissent l’un contre l’autre. Je vais devenir folle. J’ai à peine le temps de me faire cette réflexion qu’il attrape ma lèvre inférieure entre les siennes et m’attire brusquement contre lui. En gémissant, il m’embrasse plus en profondeur et me colle contre la voiture. Comme la dernière fois, il retire les pinces de mes cheveux.

Nos baisers sont terriblement excitants, nous sommes soudés l’un à l’autre, nos mains emmêlent nos cheveux, et nos langues s’enroulent. Je feule quand il plie les genoux lentement, frottant sa queue contre moi.

— Merde… gémis-je dans un souffle rauque.

J’enroule ma jambe autour de lui. Le talon de ma chaussure se plante dans sa cuisse.

— Je sais… souffle-t-il tout près de ma bouche.

Ses yeux glissent sur ma jambe et il prend mon cul dans ses mains, ses doigts s’y enfoncent et il chuchote :

— Je t’ai déjà dit à quel point ces chaussures sont excitantes ? Qu’est-ce que tu mijotes avec ces petits nœuds diaboliques ?

— Il y a un autre nœud ailleurs, mais il vous faudra de la chance pour le trouver.

Il s’écarte de moi, le désir est palpable :

— Dans la voiture, gronde-t-il.

Il tire la portière d’un coup sec.

Je le dévisage. Vite, une pensée rationnelle ! Mon cerveau brumeux ne trouve pas. Que faire ? Qu’est-ce que je veux faire ? Je peux lui laisser avoir mon corps comme ça, encore une fois ? Je suis submergée, je tremble. Adieu, raison. Bonjour, main qui sillonne mon cou et tire mes cheveux.

Il ramène mon visage vers moi et plonge ses yeux dans les miens :

— Maintenant.

Ma décision est prise. J’enroule sa cravate autour de mon poing et je l’attire sur les sièges arrière. La portière claque derrière lui, il ouvre tout de suite ma robe. Je gémis, le tissu tombe et ses mains explorent ma peau nue. Il m’allonge sur le cuir froid et s’agenouille entre mes jambes. Il pose la paume de sa main sur mes seins, puis la descend le long de mon ventre, jusqu’aux broderies du porte-jarretelles. Ses doigts caressent les rubans qui attachent mes bas et remontent jusqu’à ma culotte. Mes abdominaux se contractent, j’essaie de contrôler ma respiration. Il touche les petits nœuds blancs et lance :

— La chance n’a rien à voir avec ça.

Je l’attrape par la chemise et j’enfonce ma langue dans sa bouche. Je gémis, sa main contre moi. Nos lèvres se cherchent, nous nous embrassons passionnément. Le sentiment de l’urgence nous submerge depuis que ma peau est nue. Je sors sa chemise de son pantalon et je caresse sa peau douce, ses côtes, ses hanches et la ligne mince de poils qui me crie de dépasser son nombril, et de le dépasser encore. Toujours plus bas.

Je veux le faire attendre comme il m’a fait attendre. Mes doigts passent sur sa ceinture et la bosse sous son pantalon.

Il grogne :

— Tu n’as pas idée de ce que tu es en train de me faire.

— Dis-le-moi… murmuré-je.

J’utilise ses mots contre lui, j’inverse les rôles. Ça m’excite follement :

— Dis-le-moi et je te donnerai ce que tu veux.

Il gémit et mord ses lèvres, son front contre le mien. Il frémit :

— Je veux que tu me baises.

Ses mains tremblent quand elles agrippent ma nouvelle culotte. C’est totalement fou, mais je veux qu’il la déchire. Cette passion brute qui nous unit ne ressemble à rien. Je ne veux pas qu’il se calme. Sans un mot, il la déchire sur moi, et la douleur du tissu qui lacère ma peau ajoute à mon plaisir.

Je le repousse du pied. Je m’assois et je le plaque contre le siège. Je monte sur ses genoux. J’attrape sa chemise, je l’ouvre en faisant sauter tous les boutons. Ils se répandent sur les sièges.

Seul compte ce que nous faisons. La sensation de l’air frais sur ma peau, le bruit rauque de nos respirations, la chaleur de ses baisers et l’idée de ce qui m’attend. Avec des gestes frénétiques, je défais sa ceinture et j’ouvre son pantalon. Il m’aide à le descendre. Sa queue effleure ma chatte. Je ferme les yeux, en le glissant en moi.

« Oh ! mon Dieu » grogné-je. Le sentir en moi me fait sauter au plafond. Je remonte les hanches et je le chevauche, chaque mouvement est plus intense que le précédent. Ses doigts douloureusement enfoncés dans la chair de mes hanches m’excitent follement. Ses yeux sont fermés, il étouffe ses gémissements la bouche collée contre ma poitrine. Ses lèvres passent sur mon soutien-gorge en dentelle, il sort l’un de mes seins, et en prend la pointe durcie entre ses dents. J’attrape ses cheveux, très fort – je lui arrache un soupir. Sa bouche s’ouvre contre ma peau.

— Mords-moi, murmuré-je.

Il me mord jusqu’au sang, je crie et je m’accroche à ses cheveux.

Nos corps sont parfaitement accordés, je réagis au moindre de ses regards, à la sensation de ses doigts, à ses gémissements. Je déteste et j’adore ce qu’il me fait. Tout à la fois. Je n’ai jamais été du genre à perdre le contrôle, mais quand il me touche comme ça… Tout fout le camp.

— Tu aimes sentir mes dents ? demande-t-il, la respiration entrecoupée. Est-ce que tu penses aux autres endroits où je te mordrai ?

— C’est fou, tu ne sais jamais quand il faut fermer ta gueule, répliqué-je en le repoussant de la main.

Il me soulève et m’allonge sans ménagement sur les sièges. Il écarte mes jambes. Il me pénètre. Ma voiture est trop petite pour ça, mais rien ne nous arrête. Ses jambes sont bizarrement repliées sous lui et mes bras amortissent les chocs contre la portière. Mais peu importe.

Il se remet sur les genoux et prend une position plus confortable. Il attrape l’une de mes jambes pour la placer sur son épaule, il me force un peu plus profondément.

— Mon Dieu, oui…

— Ouais ?

Il relève ma deuxième jambe. Se redresse et s’accroche au cadre de la portière pour me prendre encore plus fort, et plus intensément.

— C’est comme ça que tu aimes baiser ?

Le changement de l’angle me fait haleter, une sensation délicieuse envahit mon corps.

— Non.

Je prends appui sur la vitre derrière moi et relève mes jambes pour épouser ses mouvements.

— J’aime quand c’est encore plus fort.

— Putain… murmure-t-il en tournant doucement la tête.

De sa bouche ouverte il embrasse ma jambe.

Nos corps sont couverts de sueur, les fenêtres pleines de buée. Nos gémissements emplissent l’habitacle. La lumière pâle du garage met en valeur chaque muscle, chaque courbe du dieu penché sur moi. Je le contemple, émerveillée : son corps tendu par l’effort, ses cheveux ébouriffés et collés à son large front, les tendons de son cou, bien visibles…

Sa tête tombe entre ses bras ouverts, il ferme les yeux et souffle :

— Oh merde… Je ne peux juste… Je ne peux pas arrêter.

Je me cambre pour me coller contre lui, pour qu’il aille plus loin, toujours plus loin. Je n’ai jamais eu envie de dévorer un corps avec autant de rage que le sien. Je veux l’engloutir. Je ne suis jamais assez proche, jamais assez profondément baisée. Cette pensée fait monter la tension le long de ma peau, mon ventre se contracte – la douleur est délicieuse –, mes jambes glissent de ses épaules. Il pèse sur moi de tout son poids, je supplie sans pouvoir m’arrêter :

— Encore, encore, encore…

Je suis tout près. Tout près.

Mes hanches frappent contre les siennes, il me prend encore plus fort. Aussi brutalement que moi :

— Je suis tout près. Encore… »

— Tout ce que tu veux, gémit-il pour toute réponse, en se penchant pour mordre ma lèvre. Prends tout ce que tu veux.

Je jouis en criant, mes ongles s’enfoncent dans son dos. J’ai le goût de sa sueur dans la bouche.

Il jure, la voix profonde et rauque, et après un dernier puissant à-coup, il s’effondre sur moi.

Épuisé, tremblant, il jouit, le visage dans mon cou. Je ne peux résister à l’envie de passer mes mains dans ses cheveux trempés. Nous sommes allongés, pantelants, son cœur bat contre ma poitrine. Un million de pensées filent dans mon esprit en quelques minutes.

Nos respirations se calment lentement. J’ai l’impression qu’il s’est endormi. Il détourne la tête.

Mon corps transpirant se glace très vite pendant qu’il se rhabille. Je le regarde un moment avant de m’asseoir et de remettre ma robe. Le moment est très ambigu. Au-delà du plaisir physique, baiser avec lui est plutôt distrayant. Cela faisait bien longtemps qu’il ne m’était pas arrivé quelque chose d’aussi intéressant.

Mais c’est un tel enfoiré.

— Vous n’utiliserez pas le compte, c’est une affaire entendue. Je sais bien que cela ne peut pas se reproduire, dit-il.

Il me prend de court. Je l’examine, pensive. Il hausse les épaules dans sa chemise déchirée, les yeux dans le vague.

Il me rend mon regard quelques minutes plus tard :

— Dites quelque chose, que je sache que vous m’avez entendu.

— Dites à Susan que je viendrai à son dîner, monsieur Ryan. Et foutez le camp de ma voiture.


1. En français dans le texte (NdT).