LE GRONDEMENT DE LA MONTAGNE

 

Ogata Shingo, les sourcils légèrement froncés, la bouche entrouverte, semblait réfléchir. On aurait pu croire peut-être à un moment de tristesse et non de réflexion.

Shuichi, son fils, se rendait compte – mais ne s’en alarmait guère, tant c’était habituel maintenant – que le vieillard, plus qu’il ne réfléchissait, tentait de rassembler ses souvenirs.

Le père retira son chapeau et le posa sur ses genoux, en laissant les mains à plat dessus, mais son fils le lui prit pour le placer sur le porte-bagages du train de banlieue.

« Et voilà ! » fit Shingo. Dans certains cas, les mots ne lui venaient pas facilement. « Cette servante qui est partie voici quelque temps, quel était son nom ?

— Vous voulez parler de Kayo ?

— Ah ! c’est cela. Kayo. Quand nous a-t-elle quittés ?

— Jeudi dernier ; il y a donc cinq jours.

— Cinq jours… Ne pouvoir se rappeler ni le visage ni les vêtements d’une servante qui vous a quitté voilà cinq jours… C’est incroyable ! »

Habitué maintenant aux absences de son père, Shuichi ne montrait aucune commisération, mais Shingo, quoiqu’il y fût moins habitué, sentit l’ombre de la terreur le gagner. Malgré tous ses efforts, cette fille ne lui apparaissait pas bien. Ce vain bouillonnement du cerveau trouvait en général un exutoire dans un accès de sentimentalité.

Il n’en fut pas autrement cette fois. La servante avait posé les mains à plat sur le seuil, en guise de salut ; elle avait avancé le corps pour lui parler.

Kayo, la servante, avait passé près de six mois chez lui, mais elle ne survivait un peu dans sa mémoire que par un geste, un salut au seuil de sa maison. Cela lui donna l’impression de sentir la vie s’échapper.