CHAPITRE XIX
Dans une des salles de réunion du village, les cris de douleur d’Elis résonnaient contre les murs de pierre.
Jacen frissonna en sentant la tristesse du mineur. Des larmes coulaient le long de ses joues crevassées, se perdant dans les poils de sa barbe en broussaille.
Il était encore très tôt. Après une nuit de sommeil agité, Yan Solo et les jeunes Jedi avaient été convoqués par leur hôte, qui souhaitait s’entretenir avec eux d’une possible intervention de la Nouvelle République sur Anobis.
Animés par un nouvel espoir, ils étaient allés dans la salle de réunion pour tenter de trouver un début de solution.
Rien n’avait changé sur Anobis depuis vingt ans, et rien ne changerait tant que les fermiers et les mineurs refuseraient de communiquer comme des êtres civilisés.
Mais avant que Yan Solo prenne la parole, Anja était entrée en trombe dans la pièce, les traits tirés, le regard encore plus douloureux que d’ordinaire. Elle s’était exprimée à voix basse. Pourtant, Jacen avait entendu l’essentiel du récit fait à Elis.
Le chef des mineurs s’était mis à marteler un mur de coups jusqu’à ce que du sang coule sur ses phalanges.
Enfin, il prit une profonde inspiration. Quand il rouvrit les yeux, la haine qui brillait dans son regard coupa le souffle à Jacen.
— Je les tuerai ! rugit-il. Amenez-moi Ynos immédiatement !
Ses hommes se hâtèrent d’aller chercher l’unijambiste dans sa cellule.
— Pourquoi blâmer Ynos ? demanda Zekk. Les fermiers n’ont rien fait. D’après ce que j’ai entendu, c’est la faute de votre frère et de son groupe.
Anja eut l’air agacée par cette remarque, mais elle ne répondit pas.
— Ce ne sont pas Ynos et ses villageois qui ont tué Protas, dit Jaina, mais un de vos propres détonateurs. Vous les avez enfouis. Vous en avez truffé les champs des fermiers pour qu’ils ne puissent plus cultiver leurs terres. La mort de votre frère est un accident dont vous devez vous sentir responsable.
— Oui, renchérit Jacen, les fermiers n’y sont pour rien.
— Les conséquences les plus dramatiques de la guerre sont rarement celles que nous attendons, ajouta Tenel Ka.
Elis ne parut pas entendre ce que lui disaient les jeunes Jedi. Il considéra ses mains ensanglantées d’un air surpris, comme s’il ne se souvenait pas de ce qu’il venait de faire.
— Je vais appeler Lilmit ou un autre de nos fournisseurs, déclara-t-il. Ils nous livreront suffisamment d’armes pour massacrer les fermiers. Mon frère sera la dernière victime de notre côté.
— Ne trouvez-vous pas curieux que Lilmit vende des munitions aux deux camps ? demanda Yan. Si vous en achetez davantage, les gens de la vallée feront de même, et vous continuerez à vous entre-tuer.
— Comment ? fit Elis, interloqué. Lilmit ? Impossible : il est des nôtres.
— Non, dit Anja. Nous l’avons intercepté et nous l’avons forcé à larguer sa cargaison. Il avait des détonateurs mobiles, mais aussi des grenades soniques destinées aux fermiers.
— Tu veux dire qu’il fournit les deux camps ? souffla Elis, horrifié.
À cet instant, les gardes entrèrent dans la pièce, poussant Ynos devant eux. Sa prothèse mécanique raclait le sol de pierre.
— Vous achetez aussi des armes à Lilmit ? s’exclama-t-il, ayant entendu la fin de la conversation.
Elis lui jeta un regard plein de fureur. Mais pour une fois, celle-ci n’était pas dirigée contre le fermier.
— Les contrebandiers se sont joués de nous ! Ils nous vendent des armes à tous afin que nous continuions à nous massacrer pour rien !
— Pas pour rien, corrigea Zekk en croisant les bras sur sa poitrine, pour les enrichir.
Ynos et Elis se dévisagèrent.
— J’ai cru comprendre que votre frère avait essayé de détruire notre village, et qu’il lui était arrivé un petit accident, ironisa le fermier.
Elis rugit et voulut lui bondir dessus, mais Yan et les jumeaux s’interposèrent.
— Protas n’aurait pas dû aller au village la nuit dernière. Ynos n’y est pour rien, répéta Jaina.
— Tout est ma faute, admit Anja. C’est moi qui ai installé le détonateur devant la maison d’Ynos. Il s’est déclenché, et l’explosion a tué votre frère.
Les épaules du fermier s’affaissèrent.
— Je suppose que notre village est détruit… (Il regarda la jeune femme.) Combien d’autres gens seraient morts sans ce malheureux « accident » ?
Anja baissa la tête.
— Quelqu’un doit payer ! insista Elis. Vous avez beaucoup à vous faire pardonner : les grenades soniques, les tunnels qui se sont effondrés à cause de vous, les mineurs morts…
Ynos se redressa de toute sa hauteur.
— Et qui paiera pour les fermiers tués par vos détonateurs alors qu’ils s’efforçaient de cultiver la terre pour survivre ? Pour les innocentes victimes des monofilaments tendus dans la forêt ? Et…
— Rien de ce que vous pourrez dire ne les ressuscitera, coupa Jacen. Par mon blaster ! Si vous vous entêtez, cette guerre ne s’achèvera jamais.
— Comme vous l’avez démontré depuis vingt ans, ajouta Anakin.
— Nous ne pouvons pas oublier tout ce qui s’est passé, grommela Elis. Trop de sang a été versé. Les gens continueront à mourir pendant des années en déclenchant les grenades soniques installées dans nos mines par ces renégats.
— Que devrions-nous dire ? s’exclama Ynos, outragé. Nos champs les plus fertiles sont truffés de mines. Nous ne pouvons même pas semer, et encore moins récolter !
— Peut-être devriez-vous joindre vos forces pour désamorcer ces pièges, dit Jacen, au lieu de perdre votre temps à en installer d’autres pour vous massacrer.
— Il vaudrait mieux guérir votre monde que provoquer davantage de dégâts, renchérit Tenel Ka.
Anja leva les yeux vers les jeunes Jedi et soupira.
— Vous demandez l’impossible…
Les jumeaux se regardèrent, songeant à l’histoire que Luke leur avait racontée à propos de son entraînement avec Yoda.
— Votre guerre dure parce que vous ne croyez pas au changement, déclara Jaina.
— Le plus sûr moyen d’échouer est de partir perdant, approuva Jacen.
— Ils ont raison, dit Zekk. Vous ne réussirez pas à moins d’en avoir la volonté et d’être prêts à regarder l’avenir plutôt que le passé.
— Notre offre tient toujours, assura Yan. Si vous l’acceptez, nous vous aiderons.
Le visage creusé par le chagrin, Elis ferma les yeux comme s’il revoyait ces années de meurtre, de destruction et de désespoir.
— Qu’en dites-vous ? demanda-t-il en se tournant vers Ynos. Aurons-nous la volonté de nous en sortir ?
Une larme roula sur sa joue.
— Nos luttes intestines n’ont fait de bien à personne, excepté à ceux qui les alimentent, répondit le fermier. J’ignore comment nous nous y prendrons, mais je veux bien essayer de rétablir la paix.
Elis rouvrit les paupières.
— Par où commençons-nous ?
Le visage d’Anakin s’éclaira.
— Je crois que j’ai une idée…