CHAPITRE XVI
Sous la pâle lueur grise de l’aube, Jacen distinguait les branches épaisses ornées de feuilles bleu argenté. Certains troncs étaient lisses et métalliques, d’autres avaient une écorce rouge orangé couverte de cloques. Des lichens et de la mousse pendaient en grappes constellées de fleurs jaunes qui s’ouvraient et se refermaient spasmodiquement.
Tenel Ka se tenait près de Jacen, brandissant son sabre laser comme une machette.
— Alors, qu’est-ce qu’on attend ? lança Jaina.
— Je connais le chemin, mais il va falloir faire attention, dit le jeune villageois qui s’était proposé comme guide.
Il avança, les yeux plissés pour mieux scruter le sol. Le groupe lui emboîta le pas : les jumeaux en tête, Tenel Ka et Lowie flanquant les fermiers épuisés.
Le jeune Wookie humait l’air, et sa fourrure rousse se hérissait sous l’effet de la concentration. Il avait survécu à un périple initiatique dans les profondeurs de la jungle de Kashyyyk, sa planète natale, et gagné sa précieuse ceinture de fibres en arrachant les filaments d’une plante syren carnivore.
Les bois d’Anobis ne l’effrayaient pas. Mais, après vingt années de guerre civile, qui pouvait prédire le genre de piège que les jeunes Jedi y rencontreraient ?
Ils s’engagèrent sur un chemin envahi par la végétation. Jacen sentit des champignons éclater sous ses pieds et vit des insectes informes se faufiler sous les buissons.
Quelques minutes plus tard, la forêt les avait pris dans son étreinte, et Jacen ne distinguait déjà plus les champs derrière eux.
Le jour se leva. Mais la lumière avait du mal à percer les épaisses frondaisons, projetant un camaïeu d’ombres sur le chemin.
— Anja aurait dû rester pour nous aider, dit Tenel Ka. Après tout, c’est son peuple qui a piégé la forêt.
Jacen éprouva un besoin irrationnel de défendre la jeune femme.
— Tu n’as pas le droit de la juger aussi mal. Les mineurs ont sans doute souffert de cette guerre autant que les fermiers.
Tenel Ka lui jeta un regard interloqué.
— Je ne portais pas de jugement. Je voulais juste attirer ton attention sur les dangers que nous courons ici…
Soudain, Lowie grogna et leva les bras pour faire signe aux autres de s’arrêter.
Les fermiers obéirent en ouvrant de grands yeux.
— Oui, maître Lowbacca, je le vois aussi, pépia DTM. C’est épouvantable !
— Qu’y a-t-il ? demanda Jaina en se rapprochant de Lowie.
Un rayon de soleil faisait scintiller un fil très fin, pareil à celui d’une toile d’araignée, tendu entre le tronc de deux arbres. Lowie ramassa une branche et la jeta dessus. Le morceau de bois mort retomba, coupé en deux.
— Du monofilament, souffla Jaina, horrifiée.
Un matériau si solide et si fin qu’il coupait mieux que n’importe quelle lame.
— Il n’y était pas la dernière fois que je suis allé au village des mineurs, dit leur guide.
— Dans ce cas, le reste a pu changer aussi, répliqua Tenel Ka, sans demander au jeune homme pourquoi il s’était rendu chez les ennemis de son peuple.
Ils contournèrent soigneusement le piège. Mais alors qu’ils dépassaient les troncs, un senseur bourdonna et un laser braqua son faisceau rouge sur les fuyards.
— Attention ! cria Jaina tandis que les fermiers plongeaient à terre.
Des rayons jaillirent, frappant les arbres les plus proches. Blessé, un homme s’effondra dans les buissons.
Puis le silence revint.
Les jeunes Jedi restèrent dans leur cachette quelques minutes, s’attendant à une autre attaque. Quand les animaux de la forêt recommencèrent à bouger, ils comprirent que le danger était passé.
Jaina se leva et se dirigea vers la source des rayons. Elle découvrit l’arme dissimulée, ses batteries vides.
— C’était un laser à usage unique, annonça-t-elle. Conçu pour abattre un ou deux intrus.
— Conçu pour tuer, rectifia Tenel Ka. Pour tuer n’importe qui aveuglément : ami ou ennemi.
— C’est la première fois que nous sommes mêlés à une guerre de ce type, dit Jaina. Pas d’objectifs précis, pas de cibles militaires… Les combattants veulent se détruire mutuellement, c’est tout !
— Comprenez-vous combien ces mineurs sont impitoyables ? cria un villageois. Ils plantent des détonateurs mobiles dans nos champs et piègent la forêt où nous sommes obligés de chasser. Je n’arrive pas à croire que votre père veuille nous faire signer la paix avec eux…
— Nous verrons une fois que nous aurons atteint la montagne, coupa Jacen. Pour le moment, on continue comme prévu. Je suis sûr qu’Anja dira un mot en votre faveur.
Après avoir échappé à deux autres pièges mortels, ils ralentirent le pas, et cheminèrent pendant des heures sans plus d’incidents.
— Ne rien trouver me porte sur les nerfs, murmura Jacen.
Ils firent une halte pour reprendre des forces. Quelques villageois avaient découvert des fruits comestibles et ils en distribuèrent à leurs compagnons.
Malgré l’épreuve qu’ils venaient de subir, les fermiers ne se plaignaient pas : la guerre civile les avait habitués à des conditions d’existence très dures. Les épaules voûtées, l’air las, ils semblaient résignés.
Jaina et Tenel Ka proposèrent que DTM scanne les grappes de baies rouges à la recherche de poison éventuel, mais le petit droïde affirma joyeusement qu’ils pouvaient les consommer sans crainte.
Lowie leva les yeux vers un arbre au tronc argenté et grogna.
— Maître Lowbacca souhaite grimper au sommet pour avoir une meilleure vue sur les alentours, annonça DTM. Il pense repérer ainsi le plus court chemin vers la montagne.
— Bonne idée, approuva Jaina.
Le Wookie se hissa adroitement de branche en branche et ne tarda pas à disparaître parmi la masse des feuilles bleu argenté. D’ordinaire, il adorait se réfugier à la cime d’un arbre pour méditer. Mais cette fois, il n’en aurait pas le loisir.
Lowie se laissa retomber à terre, atterrit souplement au milieu de la clairière et fit son rapport.
— Nous sommes tout près de la lisière de la forêt, traduisit DTM. Pour ma part, je serai ravi d’en sortir.
— Dans ce cas, remettons-nous en marche, dit Jacen.
Avec des grognements de fatigue, les villageois se relevèrent. Deux d’entre eux portaient l’homme blessé par le laser. Ils se déplaçaient avec une grande prudence, et Jacen se sentit très fier de ne devoir déplorer aucune perte depuis leur entrée dans la forêt.
Leur guide leur ordonna de faire un crochet sur la gauche pour éviter une étendue d’herbe semée de fleurs. Jacen ne vit rien d’étrange, mais un picotement dans la nuque l’avertit d’un danger.
Le guide tendit la main vers un arbre et appuya sur un bouton dissimulé dans l’écorce. Le générateur holographique qu’il commandait s’éteignit, révélant à la place de l’herbe une fosse garnie de pieux en duracier.
— Les mineurs ne sont pas les seuls à poser des pièges, dit-il fièrement.
Jacen en eut la nausée.
— Ce n’est pas ainsi que vous mettrez fin à la guerre, marmonna-t-il, songeant aux compagnons d’Anja qui auraient pu se faire embrocher.
— Vous avez vu ce qu’ils nous font, dit un fermier. Vous ne pouvez pas nous blâmer de nous défendre.
— C’est un cercle vicieux, déclara sévèrement Tenel Ka. Si personne ne veut cesser les hostilités, vous finirez par vous massacrer jusqu’au dernier.
Bientôt, ils aperçurent le pied de la montagne entre les arbres. Un chemin sinueux permettait de gravir la falaise.
Au moment où ils allaient émerger de la forêt, et où Jacen se félicitait qu’ils aient triomphé de ses périls, une femme qui marchait non loin de Lowbacca posa le pied sur une pierre plate.
Un détonateur explosa sous un arbre voisin, le déracinant dans un nuage de terre et de gravillons.
— Attention là-dessous ! cria Jacen.
L’arbre s’inclina vers les villageois. Lowie brandit son sabre laser pour couper ses branches.
Un homme fut décapité par un monofilament tendu entre deux troncs. Un autre marcha sur une mine qui le projeta dans les airs. Il retomba, désarticulé, sur l’arbre mort qui gisait désormais en travers du chemin.
Les autres villageois s’immobilisèrent.
— Nous avions presque réussi, souffla Jacen, la gorge nouée.
— Nous allons tous mourir, gémit une femme.
— Sûrement pas ! cria Jaina. Mais il ne faut pas rester ici.
Levant le menton, elle prit la tête de la colonne.
Les villageois parurent soulagés de retrouver la lumière du soleil après une nuit de marche. Mais quand ils virent les flancs de granit de la montagne, le désespoir les envahit de nouveau.
— Venez, dit Jaina.
Elle distinguait les ouvertures des tunnels, ainsi qu’une large plate-forme qui devait servir de piste d’atterrissage aux alliés des mineurs.
— Mon père et Ynos ont déjà dû leur parler. Je suis sûre que nous trouverons là-haut de l’eau, de la nourriture et un endroit où nous reposer.
— À moins qu’ils ne nous tirent dessus sans nous laisser une chance d’approcher, dit un fermier.
— Ou qu’une comète ne nous pulvérise tous en chemin ! lança Jaina, à bout de patience. Faites comme vous voulez. Moi, je continue.
Les villageois n’avaient pas le choix. Ils s’engagèrent sur le chemin de montagne. Au moins, ils n’avaient plus à redouter de pièges puisque les mineurs devaient passer par là chaque jour.
L’air ne tarda pas à se raréfier et à se refroidir. Le petit groupe avançait lentement.
Jacen avait conscience qu’on l’observait depuis les hauteurs.
À présent qu’ils s’étaient résignés à aller chez leurs ennemis, les fermiers n’élevaient plus de protestations. À bout de forces, ils avaient tout perdu, y compris l’espoir que les choses s’améliorent.
Enfin, haletant et en sueur, les jumeaux prirent pied sur la plate-forme où se dressait le village des mineurs. Jacen se retourna pour faire signe aux villageois.
— Venez…
Comme sa sœur, il ne pensait qu’à une chose : trouver un endroit pour se reposer. Les fermiers le rejoignirent, observant d’un air soupçonneux les traces de brûlure sur le sol.
Le cœur de Jacen fit un bond dans sa poitrine quand il aperçut le Faucon Millenium stationné sous une arche de pierre.
— Vous voyez ? Nous sommes en sécurité, dit-il, satisfait.
Tenel Ka et Lowie rejoignirent les jumeaux.
Les mineurs sortirent alors des tunnels et des bâtiments pour les encercler. Jacen ne vit nulle part son père ou Anja…
Tous les membres de cet étrange comité d’accueil tenaient des armes.
L’un d’eux prit la parole.
— Étant des ennemis de notre communauté, vous serez emprisonnés pour les crimes que vous avez commis.