CHAPITRE XIII
Avant le repas, les villageois creusèrent une tombe au milieu d’un champ semé de monticules de terre. Choqué, Jacen réalisa qu’un cadavre reposait sous chaque tertre. Il doutait que beaucoup de ces gens soient morts de causes naturelles.
Anobis semblait usée jusqu’à la trame. Ses habitants continuaient à se battre par habitude, plus que par conviction. La haine sévissait depuis trop longtemps pour que des arguments rationnels puissent l’apaiser.
Les fermiers dévorèrent les réserves du Faucon Millenium. Pendant que les jumeaux remplissaient les assiettes, Tenel Ka et Lowie accueillaient les nouveaux arrivants, puis nettoyaient après leur départ.
Anakin et Zekk s’affairaient près du distributeur pour produire les repas.
Le soleil d’Anobis se coucha derrière les montagnes menaçantes où vivait le peuple d’Anja. La jeune femme les contemplait avec une sorte de nostalgie ; les villageois, avec de la crainte et du mépris.
Yan dîna en compagnie d’Ynos, qui semblait heureux de ce bref répit.
— Qui représente l’ensemble des fermiers ? demanda Solo. Y a-t-il un conseil auquel je pourrais m’adresser ? Que faudrait-il pour instaurer un cessez-le-feu entre les deux camps, et mettre un terme à cette folie ?
Jacen tendit l’oreille pour écouter la réponse d’Ynos.
— Chacune de nos communautés agricoles est indépendante, et vous n’en trouverez pas de plus grande que la nôtre. Je peux parler en notre nom à tous… Je connais la situation aussi bien que n’importe qui.
« Vous avez vu ce qui s’est passé cet après-midi. C’est de plus en plus courant. Jour après jour, nos gens sont massacrés par des armes contre lesquelles ils ne peuvent pas se défendre. Nous ne sommes pas des soldats. Le cimetière de notre village est rempli des victimes innocentes des mineurs.
Jacen vit son père jeter un regard à Anja. La jeune femme leur avait raconté une histoire bien différente… Autrement dit, aucune des deux parties ne se montrait objective.
Quand la nuit tomba, les jeunes gens les plus robustes s’en allèrent monter la garde aux alentours du village. Les champs truffés de détonateurs s’étendaient à l’ouest ; derrière se dressaient des collines rocailleuses où l’incendie faisait toujours rage.
— De quoi avez-vous peur ? demanda Jacen à un villageois. Contre quoi les sentinelles vous défendent-elles ?
Son interlocuteur lui retourna un regard morne.
— Mais… contre tout, répondit-il comme si c’était une évidence.
Quand Jacen eut enfin terminé son service et put s’asseoir à table, son assiette bien remplie lui parut presque indécente. Ces gens mouraient de faim depuis si longtemps…
Des collines monta un grondement. Puis des hurlements retentirent dans le lointain.
Alarmés, les fermiers levèrent la tête. Le bruit semblait émaner de dizaines ou de centaines de gorges.
Tenel Ka bondit sur ses pieds.
— Que se passe-t-il ? Les mineurs auraient-ils décidé d’attaquer ?
Lowie renifla l’air et grogna.
— Je ne peux pas identifier l’espèce, maître Lowbacca, s’excusa DTM. Mais vous avez raison : ça ressemble à des cris de prédateurs.
À cet instant, une voix lança :
— Des knaars ! Des knaars !
Quelques villageois s’élancèrent vers leur maison. Certains saisirent des bâtons, les autres récupérèrent leurs possessions les plus chères. Beaucoup étaient paralysés par la panique.
— Que sont les… knaars ? demanda Jacen, inquiet.
— Des monstres, répondit Ynos. On dirait qu’une meute descend des collines. L’incendie a dû les pousser dans notre direction. Les mineurs peuvent se réjouir : notre village va être rasé, conclut-il d’un ton résigné.
— N’allez-vous pas combattre les knaars ? s’étonna Tenel Ka.
— Oh, si… pendant quelques minutes, répondit un vieux fermier.
— J’en tuerai cinq avant qu’ils ne me dévorent, affirma un jeune homme dont la pâleur démentait l’apparente bravoure.
— Ça ne servira à rien, soupira Ynos. Une meute en compte des centaines, et l’incendie les a affolés.
— Nous nous battrons avec vous, affirma Tenel Ka en portant la main à son sabre laser. Nous sommes des Jedi.
— Dans ce cas, chacun de vous en tuera peut-être cinq autres. Mais nous finirons quand même par succomber sous le nombre. (Ynos secoua la tête.) De toute façon, nous n’avons pas le choix : il n’y a nulle part où fuir.
Il jeta un coup d’œil en direction des champs truffés de détonateurs qui leur barraient le chemin de la forêt.
Yan se leva et posa une main protectrice sur l’épaule de Jacen. À présent, ils entendaient le crissement de griffes sur la pierre.
— Je pourrais prendre quelques réfugiés à bord du Faucon. Mais pas assez…
— Je vais chercher mon sabre laser ! lança Anja en s’engouffrant dans le vaisseau.
Jacen lui jeta un regard étonné : il lui semblait qu’elle portait toujours son arme à la ceinture. Mais ça n’avait guère d’importance maintenant.
Dans la cabine de poupe du Faucon Millenium, Anja fouilla dans son sac d’une main tremblante, cherchant le boîtier frigorifique. Enfin, elle avait un prétexte pour s’en offrir une dose.
Un des minuscules cylindres noirs et glacés roula dans sa paume moite. Czethros ne lui en avait donné que quatre. Moins qu’elle ne l’aurait voulu, mais il faudrait qu’elle s’en contente.
Anja referma le boîtier, puis déchira le papier opaque isolant qui enveloppait le cylindre. L’andris provenait d’une veine très pure récemment découverte sur Kessel.
La jeune femme le glissa sous sa langue avant qu’il ne puisse se réchauffer.
Aussitôt, elle sentit l’énergie couler dans ses veines, développant ses perceptions, faisant chanter ses muscles et tourbillonner ses pensées. Son sang circulait plus vite, l’air avait un goût plus doux, et son esprit s’ouvrait à des détails qu’elle n’aurait pas remarqués en temps normal.
Anja serra la poignée de son sabre laser.
L’épice la faisait vibrer de tout son être ; elle se sentait rapide et puissante, capable de vaincre n’importe quel adversaire.
Dévalant la rampe d’accès, elle bouscula Yan Solo qui conduisait un groupe de réfugiés dans le Faucon. Peu lui importait combien de knaars attaquaient le village : elle était capable de les massacrer tous.
— Nous n’avons pas le temps de discuter, papa, dit Jaina, debout au pied du vaisseau.
Zekk était déjà dans le cockpit, où il activait les moteurs en vue d’un décollage imminent. Une douzaine de villageois, pour qui il n’y avait pas de place à bord, se pressaient devant le Faucon en brandissant les outils agricoles qui étaient leurs seules armes.
— Emmène Anakin et partez, insista Jaina. Nous avons nos sabres laser, et nous ne pouvons pas laisser ces gens se défendre seuls.
— Mais je refuse d’abandonner mes enfants ! protesta Yan.
— Nous sommes des Chevaliers Jedi. Papa, nous avons plus de chance de nous en sortir que de simples fermiers. Nous devons les protéger.
Les premiers knaars émergèrent de l’obscurité et fouillèrent du regard l’amas de huttes, à la recherche de proies.
— Nous sommes perdus, gémit DTM.
Les knaars étaient des prédateurs reptiliens aux écailles violettes et à l’épine dorsale garnie de pointes acérées. Leur longue queue fourchue fouettait l’air autour d’eux. Leurs membres antérieurs musclés se terminaient par des griffes redoutables, et leurs mâchoires semblaient faites pour broyer les os de leurs victimes.
Le Faucon Millenium décolla et, volant au ras du sol, ouvrit le feu avec ses canons blasters.
Mais Jaina comprit très vite que cela ne suffirait pas face aux centaines de créatures assoiffées de sang qui déferlaient sur le village.
Les jeunes Jedi tirèrent leurs sabres laser. Anja les rejoignit, les joues en feu, sautillant d’un pied sur l’autre comme si elle était impatiente de combattre.
Dès que les villageois eurent vu les knaars dévorer l’un d’eux, ils tournèrent les talons et s’enfuirent.
Jaina comprit alors que tout espoir était perdu. Même avec leurs sabres laser et les canons du Faucon, les jeunes Jedi n’avaient aucune chance de repousser les knaars. La seule solution était de se replier vers une position facilement défendable.
Pour cela, ils devraient d’abord traverser la zone infestée de mines.
Des dizaines de sauriens tombèrent sous les tirs de Yan et de Zekk.
Sans se soucier de ce détail, les autres se ruèrent vers les jeunes Jedi en faisant claquer leurs mâchoires.
Imitant les villageois, Jaina et ses compagnons s’élancèrent vers les champs.