CHAPITRE XII
Assise sur le siège du copilote du Faucon Millenium, Jaina observait Anja du coin de l’œil. La jeune femme semblait avoir changé d’attitude depuis leur rencontre avec le contrebandier Lilmit. Elle en voulait toujours à Yan, mais sa rancœur se nuançait désormais d’une pointe de respect.
Alors que le vaisseau entrait dans l’atmosphère d’Anobis, Anja désigna une chaîne de montagnes qui se dressait en zone tempérée.
— Mon village est là-bas, dit-elle. Notre chef, Elis, est le porte-parole de tous les mineurs de la région. Nous devrions nous entretenir avec lui. Il confirmera tout ce que je vous ai dit.
Au lieu de se diriger vers les montagnes, Yan survola une plaine fertile piquetée de forêts et de champs qui avaient dû être cultivés autrefois, mais qui étaient maintenant à l’abandon.
— Je voudrais d’abord parler avec les fermiers, déclara-t-il. Nous connaissons ta version de l’histoire. J’aimerais entendre l’autre.
Anja leva le menton d’un air furibond.
— Vous ne me croyez pas ? Vous pensez que je vous ai menti ?
— Je n’ai pas dit ça, répliqua calmement Yan.
— Il veut juste avoir une vue d’ensemble de la situation, ajouta Jacen d’une voix apaisante. Ne t’inquiète pas.
— C’est ça, bien sûr ! cria Anja. La guerre dure depuis plus de vingt ans, et un ancien contrebandier y mettra fin en discutant avec les gens. Mais on ne peut pas faire confiance aux fermiers. Ils essaieront de pulvériser votre vaisseau avant même que vous ne touchiez terre.
— Dans ce cas, c’est une bonne chose d’avoir renforcé nos boucliers, répondit simplement Yan.
Jaina balaya du regard le paysage ravagé qui défilait sous eux.
Autrefois, Anobis était un monde colonial dont l’agriculture et les mines constituaient les principales ressources. Bien que proche d’Ord Mantell, la planète n’avait jamais eu une population très nombreuse : ses habitants vivaient correctement, mais personne n’espérait s’y enrichir. À l’exception peut-être des marchands d’armes, songea la jeune fille.
Avant le règne de l’Empire, les mineurs et les fermiers formaient deux groupes aux besoins distincts qui ne se mélangeaient pas. Mais pour avoir lu les fichiers envoyés par sa mère, Jaina savait qu’ils avaient coopéré pendant longtemps, troquant les métaux et les matières premières contre des denrées alimentaires.
Pendant la Rébellion, leurs opinions politiques divergentes avaient creusé un fossé entre eux. Les mineurs, plus dépendants du commerce extérieur, s’étaient rangés du côté de l’Empire. Les fermiers, eux, avaient opté pour la liberté : la possibilité de réussir ou d’échouer selon leurs propres mérites, loin du regard implacable de Palpatine.
Tandis que la guerre faisait rage dans la galaxie, les colons avaient commencé à se battre entre eux, et continué bien après que les Rebelles eurent remporté la victoire.
Par la baie vitrée du Faucon, Jaina découvrit un monde potentiellement beau, mais défiguré par tant de cicatrices qu’une longue période de paix serait nécessaire à sa guérison. Dans les collines, loin des villages, un incendie ravageait la forêt.
— Jacen, essaye de contacter quelqu’un ! ordonna Yan. Fais savoir à ces gens que nous sommes ici pour les aider, pas pour nous battre.
Anja leva les yeux au ciel et se radossa à son siège. Jacen émit plusieurs appels, mais ne reçut aucune réponse.
— Ça ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne nous captent pas, fit Jaina. Peut-être ont-ils un récepteur mais pas d’émetteur.
— À moins qu’ils ne soient en train de nous tendre une embuscade, grogna Anja.
Yan se dirigea vers le plus gros village qu’il repéra. Jaina posa le Faucon en douceur, et ils débarquèrent en clignant des yeux sous la lumière du soleil. Au loin, la fumée de l’incendie formait un gros nuage au-dessus des collines.
Les villageois sortirent timidement de leurs huttes, la tête rentrée dans les épaules, jetant des coups d’œil craintifs au Faucon Millenium. Jaina et ses compagnons agitèrent la main en guise de salut.
— Je suis un représentant officiel de la Nouvelle République, annonça Yan, venu pour enquêter sur la guerre civile et vous proposer notre aide.
Les fermiers gardèrent une distance respectueuse. Leurs maisons offraient un spectacle pitoyable avec leurs réparations de fortune, qu’on devinait cent fois recommencées. Un silo à grains branlant se dressait au centre du village.
Le ciel était bleu, l’air tiède et humide. Des champs nus s’étendaient jusqu’à une épaisse forêt, au pied des montagnes. Bien que la saison agricole soit déjà avancée, Jaina ne distingua que quelques silhouettes dans les champs ; elles se déplaçaient d’une manière étrange, en faisant des bonds de grenouille.
Jacen fit son plus beau sourire aux villageois.
— Pourriez-vous nous conduire à votre chef ?
Plusieurs fermiers avancèrent. Certains portaient des bandages, d’autres boitaient.
— Je n’arrive pas à croire que nous ayons peur de ces gens, marmonna Anja. Ils ont l’air tellement pitoyables !
— Ils ont sans doute subi beaucoup d’épreuves, dit Jacen.
— Tout comme les miens, répliqua la jeune femme.
Les villageois firent face à une hutte et attendirent jusqu’à ce que la porte s’ouvre.
Un homme aux larges épaules sortit d’un pas chancelant. Autrefois, ce devait être un colosse capable de soulever son propre poids en graines de punja, ou de lutter à mains nues contre des bêtes sauvages. À présent, sa peau avait une teinte cireuse, comme s’il ne voyait jamais la lumière du jour.
Tandis qu’il avançait, son pied gauche produisait un bruit métallique en heurtant le sol. Jaina vit que sa jambe avait été amputée au-dessous du genou et qu’il portait un membre artificiel de fortune, assemblage bancal de morceaux de droïde dont les servomoteurs ne fonctionnaient plus.
— Nous ne recevons pas souvent de visiteurs, déclara-t-il. À l’exception des gens qui veulent nous vendre des armes ou nous détrousser.
— Nous ne rentrons dans aucune de ces catégories, lui assura Yan. Nous sommes venus pour vous aider.
— Je ne vois pas ce que vous pouvez faire pour nous, soupira son interlocuteur.
Il tendit une main calleuse à Yan, qui la serra tandis que les jeunes Jedi inclinaient la tête en guise de salut.
Seule Anja demeura de marbre.
— Je m’appelle Ynos, annonça l’homme. Je suis censé être le chef de ce village, bien qu’il n’y ait pas beaucoup de décisions à prendre et que nous mourions de faim.
— Si vous mourez de faim, pourquoi ne cultivez-vous pas les champs ? demanda Jaina. Il semble y avoir beaucoup de terres fertiles, et le temps est propice.
— Parce que nous avons peur, répondit Ynos. Les mineurs ont ruiné nos récoltes. Autrefois, nous produisions assez de denrées pour leur en vendre, et pour en exporter sur d’autres mondes. À présent, nous arrivons tout juste à survivre grâce à nos jardins. Nous avons bien tenté de nous remettre à cultiver les champs, mais ces maudits mineurs les ont truffés de détonateurs mobiles.
Jaina frissonna.
— Nos plus braves jeunes gens s’aventurent dans la forêt pour chasser ou cueillir des plantes comestibles, continua Ynos, mais même les arbres et les buissons sont piégés. Beaucoup ne sont jamais revenus…
Plusieurs villageois hochèrent la tête ou gémirent de désespoir.
— Bientôt, nous serons à bout de forces, reprit le malheureux chef. Alors, les mineurs auront gagné la guerre.
— À moins que nous ne les tuions les premiers, dit un jeune homme.
— Dans ce cas, nous mourrons aussi, répliqua Ynos.
Tenel Ka étudia son moignon. Ayant elle-même perdu un bras, elle éprouvait de la sympathie pour cet homme.
— Un massacre serait déshonorant, déclara Ynos. Seuls les lâches tuent ceux qu’ils ne peuvent pas supporter. Et seuls les imbéciles combattent quand il existe d’autres solutions.
Jaina reporta son attention sur les champs où une poignée de fermiers se déplaçaient avec une extrême prudence en faisant de petits bonds.
Soudain, elle eut un mauvais pressentiment. Avant qu’elle puisse crier, une explosion souleva un nuage de poussière.
Les paysans s’égaillèrent en poussant des cris de terreur.
Anakin courut vers le Faucon et en ressortit quelques instants plus tard avec la trousse de premiers secours. Tenel Ka et Anja s’élancèrent vers le lieu de l’accident.
— Soyez prudentes ! supplia Ynos, qui tentait de suivre les autres jeunes Jedi partis derrière leurs camarades.
Jaina ne tarda pas à distinguer les cratères qui grêlaient la terre à l’endroit où les détonateurs avaient explosé, déracinant les plantes et souillant le sol de résidus empoisonnés.
L’homme qui avait marché sur une mine gisait dans un sillon, les vêtements en lambeaux, le visage écorché et maculé de boue. Du sang coulait de ses blessures à la jambe et à la poitrine.
Les jeunes Jedi se précipitèrent vers lui.
— Je l’ai vu… venir vers moi, grogna le malheureux. J’ai sauté, mais… je n’ai pas pu l’éviter. Cet endroit… est semé de détonateurs.
— Ça a l’air grave, dit Yan, l’air sombre. Pouvons-nous le porter à bord du Faucon ?
Anakin ouvrit la trousse de premiers secours, mais le blessé eut un spasme. Quand ses yeux roulèrent dans leurs orbites, Jaina comprit qu’il était mort.
Ynos les rejoignit en boitant. D’un coup d’œil, il évalua la situation.
— C’est peut-être mieux ainsi, dit-il. Il ne s’en serait jamais remis, et il n’aurait pas supporté son handicap.
— Ce n’est pas à nous d’en juger, répliqua Tenel Ka. Nous ignorons ce qu’il aurait pu faire pour votre communauté s’il avait survécu… Même avec une jambe en moins.
Ynos secoua la tête.
— Il y aura encore des morts et des blessés avant la fin de cette guerre, et nous n’y pouvons rien. Les mineurs achètent des détonateurs mobiles et les enterrent dans nos champs plus vite que nous ne pouvons les déterrer. Nous allons tous crever de faim.
Yan posa une main sur son épaule tandis que trois autres fermiers emportaient le cadavre.
— Vous ne crèverez pas de faim ce soir, affirma-t-il. Nous avons des réserves de nourriture à bord. Je peux vous proposer un repas décent. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça…