CHAPITRE XI
Les bras croisés sur la poitrine, Anja regardait Yan et Jaina piloter le Faucon Millenium.
Assis face à elle, Jacen lui sourit.
— Détends-toi. Nous trouverons un moyen d’aider ta planète.
La jeune femme ferma les yeux et laissa échapper un rire sans joie.
— Ben voyons ! railla-t-elle. Une poignée de gosses gâtés et un ancien contrebandier vont résoudre tous nos problèmes. Je me sens déjà beaucoup mieux.
Lowie grogna et Tenel Ka se raidit.
— Nous ne sommes pas des enfants, mais des Chevaliers Jedi, dit-elle. Nous avons surmonté notre lot d’épreuves.
— Nous avons connu la guerre, vu mourir des amis et des membres de nos familles, renchérit Jaina.
— Sans compter que le général Solo a de l’influence sur la flotte de la Nouvelle République, ajouta Zekk.
Anja eut l’air sceptique.
— J’ai du mal à y croire. Aucun officiel ne s’est jamais intéressé à nous jusqu’à présent.
— Laisse-nous une chance, supplia Jacen. Nous sommes tes amis… ou du moins, nous aimerions le devenir.
Tenel Ka haussa un sourcil.
— Avec ce qui s’est passé entre nos pères, je ne suis pas sûre que ce soit possible, répondit Anja. (Sa voix ne trahissait plus ni colère ni espoir : pas la moindre émotion.) Et le vol vers Anobis est trop bref pour nous permettre de faire connaissance.
— Dans l’hyperespace, nous devrions arriver en moins d’une journée, acquiesça Anakin.
Anja joua avec la poignée de son sabre laser, garnie d’une multitude de boutons.
Chaque sabre laser était différent des autres. Les jumeaux, Lowie et Tenel Ka avaient fabriqué les leurs en utilisant les matériaux qu’ils préféraient, et en faisant appel à leur imagination.
Anja n’était pas une apprentie Jedi ; pourtant, elle détenait une arme ancienne et sophistiquée.
Jacen saisit cette occasion pour relancer la conversation.
— Où as-tu trouvé ton arme ? demanda-t-il.
— Je l’ai achetée à un vieux marchand, qui m’a dit que c’était une relique. Peu m’importe, du moment qu’elle fonctionne.
— Tu sais bien t’en servir, dit Jacen. On pourrait penser que tu as eu un entraînement de Jedi !
Yan tourna la tête vers eux.
— Vous savez, les enfants, il n’est pas nécessaire d’être un Jedi pour utiliser un sabre laser. Un jour, je me suis servi de celui de votre oncle Luke, sur Hoth, pour éventrer un tauntaun, histoire que ses entrailles nous réchauffent. Sans ça, nous serions probablement morts de froid.
Anja haussa les épaules.
— Je sais me battre, et j’ai toujours eu assez d’énergie pour dominer mes adversaires. La Force ne me servirait à rien.
Quinze heures plus tard, le Faucon Millenium sortit de l’hyperespace à la frontière du système d’Anobis.
Penché par-dessus l’épaule de Jaina, dans le cockpit, Zekk semblait intrigué par les modifications que la jeune fille et son père avaient apportées au vaisseau.
— Je peux le piloter, affirma-t-il.
— Sûrement pas, protesta Yan.
— Je veux dire, en théorie, corrigea Zekk avec un sourire. Le Bâton de Foudre est conçu de la même façon, mais il est plus petit.
Le jeune homme baissa les yeux vers l’écran des radars et désigna un point lumineux.
— Nous ne sommes pas les seuls à nous diriger vers Anobis, constata-t-il.
— Mais l’autre vaisseau va beaucoup moins vite que nous, dit Jaina. Il ne doit pas être pressé. Sans doute un ravitailleur…
— Autant l’avertir de notre présence, décida Yan. (Il se pencha vers la console de communication et sélectionna une fréquence.) Ici le Faucon Millenium. Nous suivons la même trajectoire. Merci de vous identifier.
Le vaisseau inconnu lâcha une nuée de sphères métalliques qui explosèrent, véritable bouquet de flammes multicolores. Puis il vira sur la droite pendant que le Faucon manœuvrait pour esquiver les débris et se lançait à sa poursuite.
— Des mines spatiales, diagnostiqua Zekk.
— Encore ? s’étrangla Jaina.
— Le pilote ne nous échappera pas, annonça Yan. Son vaisseau n’est pas assez puissant pour semer le Faucon.
Il ne dut pas être le seul à tirer cette conclusion, car une voix sortit des haut-parleurs du cockpit.
— Bonjour, Faucon Millenium. Ici Lilmit, capitaine du Réveil en Sursaut. Toutes mes excuses pour ce lâcher de mines accidentel. Mes systèmes défensifs ont commis une erreur en vous identifiant comme un ennemi. J’espère que personne n’a été blessé ?
Yan grogna.
— Où allez-vous, Lilmit ?
— Sur Anobis. Une cargaison importante à livrer.
— Ça doit être de la nourriture et des médicaments, avança Jacen.
— Pas exactement, répondit Lilmit, embarrassé.
Anja se leva et entra dans le cockpit.
— Il livre des armes, dit-elle d’une voix glaciale.
Yan haussa les sourcils.
— Lilmit, ici le général Solo, envoyé spécial de la Nouvelle République. Je vais monter à votre bord pour une inspection de routine.
Il amena le Faucon Millenium si près du Réveil en Sursaut que leurs coques se touchaient presque.
— Pourquoi ? s’affola Lilmit. Vous n’avez pas le droit de m’arraisonner. Mes papiers sont en règle.
— Dans ce cas, il ne devrait pas y avoir de problème, répliqua Yan.
Lilmit accéléra, mais il le rattrapa facilement et lança un grappin magnétique qui alla se fixer près de la porte du hangar du Réveil en Sursaut.
— Ne m’obligez pas à vous tirer dessus et à inspecter l’épave de votre vaisseau…
— Je détiens une licence en bonne et due forme, délivrée par les autorités d’Ord Mantell, répondit Lilmit. Vous allez me mettre en retard.
— Il n’avait pas l’air aussi pressé tout à l’heure, fit remarquer Tenel Ka à voix basse.
Un sas télescopique vint se fixer au Réveil en Sursaut. Le sifflement de la pressurisation annonça que les deux vaisseaux étaient parés pour l’abordage.
— J’y vais seul, les enfants, dit Yan. Au cas où ce serait un piège.
— Si c’en est un, tu auras besoin de nous, objecta Jaina.
— Très bien, fit Yan après un instant d’hésitation.
Lilmit était un petit humanoïde à la peau grise, au front marqué de plis et aux sourcils broussailleux. Jaina remarqua que ses doigts étaient reliés par une fine membrane, comme les palmipèdes. Il semblait assez agité, et fit à ses visiteurs un sourire contraint.
— Général Solo, bienvenue à bord de mon vaisseau. Il n’est pas en très bon état, mais je l’ai payé de ma poche jusqu’au dernier crédit. La guerre civile d’Anobis est le marché le plus lucratif dans ce coin de la galaxie depuis la chute de l’Empire.
« Je crois que nous avons beaucoup de choses en commun. Autrefois, vous faisiez de la contrebande d’épice pour Jabba le Hutt, n’est-ce pas ?
— Et j’ai failli y laisser ma peau à plusieurs reprises. Voilà des années que je n’ai pas pris ce genre de risque pour de l’argent.
Lilmit soupira.
— Si nous nous étions rencontrés dans une cantine d’Ord Mantell, nous aurions pu boire une bière osskorne et échanger des histoires.
— Je ne suis pas ici pour bavarder, le détrompa Yan. Je veux juste vérifier la cargaison de votre vaisseau.
Anja activa son sabre laser ; la lumière jaune de sa lame inonda le minuscule compartiment.
— Vous avez entendu ? grogna-t-elle.
Lilmit recula.
— C’est mon itinéraire habituel, protesta-t-il. J’effectue la même livraison toutes les semaines depuis dix ans. Personne n’y avait rien trouvé à redire jusque-là !
— Mettons que c’est votre jour de chance, dit Zekk en se rapprochant d’Anja.
Lui-même n’était pas armé, mais Lilmit distinguait sûrement les sabres laser pendus à la ceinture de ses amis.
— Très bien, très bien, capitula le marchand. Venez avec moi.
Dans la soute, ils découvrirent des caisses remplies d’armes : blasters, détonateurs mobiles, grenades soniques et autres explosifs.
— C’est bien ce que je pensais ! cria Anja. Il va livrer ces armes à nos ennemis !
— Les lois de la Nouvelle République interdisent le commerce d’équipement militaire, dit Yan. Je ne pourrais pas vous citer le texte exact, mais…
— Je serai ravi de le chercher pour vous, maître Solo, intervint DTM.
Lowie grogna pour lui ordonner le silence.
— Je m’efforce seulement de gagner ma vie, balbutia Lilmit. Sur Anobis, il y a une forte demande pour ce type de marchandises. Les gens ont besoin de se défendre.
— Quel côté avez-vous choisi ? s’enquit Tenel Ka. Quel camp soutenez-vous ?
— Oh, je ne prends pas parti, lui assura Lilmit. Je fournis tous ceux qui ont de l’argent et je les laisse se débrouiller entre eux. Leurs histoires ne me regardent pas.
Un éclair de colère passa dans le regard d’Anja, qui dut lutter pour ne pas abattre le marchand d’un coup de sabre laser. Elle se tourna vers Yan.
— Vous ne pouvez pas le laisser faire. Songez combien de gens ces armes vont tuer… Voulez-vous avoir leur sang sur les mains ?
— Anja a raison, dit Yan. Je suis obligé de confisquer votre cargaison, Lilmit.
— Vous ne pouvez pas faire ça, gémit le marchand. J’ai des bouches à nourrir sur Ord Mantell ! Voulez-vous que mes enfants soient jetés à la rue parce que je n’aurai pas pu payer mon loyer ? Je porterai plainte !
— Faire annuler une licence ne coûte pas cher, répliqua Yan, inflexible. Et dans votre cas, je considérerai que c’est de l’argent bien dépensé. Pourquoi ne vous lancez-vous pas dans le commerce de denrées légales ?
Il fit signe à Lowie, qui l’aida à porter une caisse de grenades au-dessus d’un sas d’évacuation. Utilisant la Force, les jeunes Jedi empilèrent le reste des armes tandis qu’Anja continuait à surveiller Lilmit en brandissant sa lame pour le mettre au défi de protester.
— Je vous dénoncerai aux autorités d’Ord Mantell, gémit Lilmit. Vous dites que vous confisquez mes marchandises, mais je connais votre réputation : vous allez les revendre au marché noir pour votre compte.
— Ça m’étonnerait beaucoup, dit Jacen, qui avait compris où son père voulait en venir.
Yan ouvrit une caisse de détonateurs, régla le compte à rebours de l’un d’eux et scella à nouveau le couvercle. Puis il verrouilla magnétiquement toutes les caisses et demanda à Anakin d’ajouter un code inviolable. Enfin, il fit un pas en arrière.
— Nous devrions laisser Lilmit seul, pour qu’il puisse dire adieu à sa chère cargaison avant de l’expulser dans l’espace.
— Mais il y a une fortune dans ces caisses ! sanglota le marchand, affolé.
Yan haussa les épaules.
— Comme vous voulez… Si vous ne vous en débarrassez pas, votre vaisseau deviendra l’étoile filante la plus spectaculaire de ce secteur. Quoi qu’il en soit, je ne vais pas moisir dans les parages pour attendre votre décision.
Il fit signe aux jeunes Jedi de rebrousser chemin vers le Faucon Millenium. Jaina rétracta le sas télescopique et le grappin magnétique.
Ils s’éloignèrent rapidement du Réveil en Sursaut.
— Combien de temps lui as-tu laissé, papa ? s’enquit Jacen.
— Bien assez… Du moins, je l’espère.
Ils virent plusieurs caisses sortir du ventre du ravitailleur. Lilmit accéléra juste à temps pour ne pas être atteint par la déflagration d’une blancheur aveuglante.
— On dirait qu’il a pris la bonne décision, commenta Jacen.
— C’est un fait, acquiesça Tenel Ka.
— Pas mal. Solo, lâcha Anja. Vos méthodes manquent de subtilité, mais il semble que vous soyez parfois capable de faire ce qu’il convient.
À bord de son petit vaisseau, Lilmit oscillait entre la rage et le désespoir.
Il venait de subir une lourde perte. Cette livraison aurait dû servir à financer des vacances bien méritées sur Tatooine. Depuis des années, Lilmit économisait pour aller se faire bronzer sur le sable chaud de la planète aux deux soleils, et profiter de la vie nocturne dans les tavernes de Mos Esley. Son rêve venait littéralement de partir en fumée.
D’une main tremblante, il activa un canal de communication privé. Le moment était venu de faire part de sa colère aux responsables. Peut-être pourraient-ils faire quelque chose au sujet du pirate de l’espace nommé Yan Solo.
Le visage de Czethros apparut sur l’écran. Il semblait mécontent qu’on le dérange.
— Vous devez absolument intervenir ! dit le contrebandier. Yan Solo et un groupe de gamins viennent d’aborder mon vaisseau pendant que j’allais sur Anobis. Ils m’ont forcé à détruire ma cargaison !
— Ah oui ? répondit froidement Czethros. J’espère que vous n’avez pas mentionné mon nom. Anja ne doit pas savoir que le Soleil Noir est impliqué dans la guerre civile qui ravage sa planète.
— Évidemment que je n’ai rien dit. Mais que vais-je faire ?
— Travailler deux fois plus dur pour compenser vos pertes.
— Ce n’est pas juste ! Je vous paie pour me protéger, et j’obéis toujours sans discuter. Il est temps que le Soleil Noir fasse quelque chose pour moi. Yan Solo doit payer.
Czethros éclata de rire.
— Vous n’avez pas d’ordres à me donner ! Vous n’êtes personne, un simple sous-fifre tout juste bon à transporter des caisses… Et même pas capable de les amener à bon port, apparemment.
Lilmit commença à trembler. Il avait dépassé les bornes, et savait qu’on ne défiait pas impunément le Soleil Noir. Grâce à Czethros, cette puissante organisation criminelle contrôlait toutes les transactions commerciales de ce secteur galactique.
— Cela dit, se radoucit Czethros, félicitez-vous que vos intentions à propos de Solo recoupent les miennes. J’ai comme qui dirait une vieille rancœur à son égard. Il ne vous fera plus d’ennuis, je peux vous l’assurer.
« En ce moment, il vole vers Anobis où il espère mettre un terme à la guerre civile. Mais j’ai une centaine de moyens de m’assurer qu’il ne quittera pas cette planète vivant.
— C’est toujours ça de gagné, marmonna Lilmit, dépité.
Il coupa la communication, puis contacta sa banque afin de chercher un arrangement pour rembourser la marchandise perdue.