Chapitre dix-neuf

Mercredi 10 juin.

Le TER avançait vite, ce matin. A moins que ce ne soit la peur d’arriver au commissariat. La peur de savoir, de connaître la fin de l’histoire. De voir le visage d’Elicius, de croiser son regard. Ou d’apprendre sa mort.

La pluie s’était enfin arrêtée. Mais pas les larmes de Jeanne. Elle les cachait derrière ses lunettes teintées… Tant de choses à pleurer. A regretter. Mal à en mourir.

Tu as sauvé quelqu’un, Jeanne ! Souviens-toi de cela… Mais j’ai tué quelqu’un !

Combien de temps allait durer cette torture ? Combien de temps ?

Arrête de penser à lui, Jeanne ! C’est terminé. D’ailleurs, tu ne l’as jamais vu ! Tu ne sais même pas à quoi il ressemble ! Il est peut-être laid ou défiguré !… Drôles d’arguments, ceux de l’autre. Pas de quoi la consoler.

Saint-Charles se profila à l’horizon. Le soleil avait repris ses droits, un fort mistral l’ayant poussé jusqu’à Marseille. Il faisait presque froid et Jeanne frissonna en posant le pied sur le quai. Elle se retourna vers le train, le contempla quelques instants. Pas de fuite vers le métro, ce matin. Tant pis si j’arrive en retard. C’est sans importance. Plus rien n’est important. Il n’y aura pas de lettre, ce soir. Le train sera vide, désert, stérile. Comme mon cœur. Comme moi.

Elle s’avança d’un pas lent vers la gare et entra sous la verrière. En se retournant une dernière fois, elle aperçut un homme, debout près des voies. Il la regardait. Il était trop loin pour qu’elle puisse le distinguer avec précision, mais sa silhouette lui était étrangement familière ; un habitué de cette station, sans doute… Est-ce que mon sac est bien fermé ? Oui, il est fermé.

Elle repartit en direction de la salle des Pas Perdus, se retourna encore. Pour voir s’il l’observait toujours. Mais il n’était plus là. Disparu, évaporé. Emporté par le mistral. En plus, j’ai des visions. Ça s’arrange pas, ma pauvre Jeanne.

***

Esposito entra dans le bureau, salua les secrétaires et s’arrêta en face de Jeanne, pétrifiée sur sa chaise.

—  Je vous offre un café ?

Ce n’était pas une charmante invitation. Plutôt un ton autoritaire qui ne souffrait aucun refus.

Jeanne, lentement, le suivit jusque dans le couloir sous le regard curieux des autres filles. Dès que la porte refermée les protégea de l’indiscrétion, le capitaine pivota vers Jeanne et resta silencieux un court instant.

—  Comment ça -va ? demanda-t-il.

—  Ça va… Vous… Vous l’avez arrêté ?

—  Oui. Il est ici depuis cette nuit. On l’a chopé devant la maison d’Aparadès à minuit et on a trouvé l’arme des crimes dans sa voiture… On a aussi saisi chez lui le papier à lettres et le stylo avec lesquels il vous écrivait…

Le sang qui se glace, l’estomac qui se tord. Jeanne hésitait entre le soulagement, la peine et la peur.

—  Nous allons le placer en salle d’identification et vous allez nous dire si vous le reconnaissez…

—  Mais… Je ne l’ai jamais vu !

—  Depuis le temps qu’il vous suit partout comme un petit chien, vous avez dû l’apercevoir sans y faire vraiment attention… Peut-être son visage vous dira-t-il quelque chose…

—  Je ne crois pas… Comment s’appelle-t-il ?

—  Olivier Zamikellian…

—  Connais pas…

—  Venez avec moi, ordonna le capitaine.

Pas de café, en vérité. La pire des besognes. Le dégoût mêlé à l’excitation. Elle allait enfin connaître l’apparence d’Elicius, mettre un regard sur les mots.

—  Il pourra me voir ? demanda-t-elle avec angoisse.

—  Non. C’est une glace sans tain.

—  II… Il a avoué ?

—  Non. Pas encore…

Tellement de hargne dans ce « pas encore ». Pas encore, mais je vais y arriver. Pas encore, mais je vais le briser.

Ils gagnèrent une pièce plongée dans la pénombre. Esposito fit avancer Jeanne jusque devant un grand rideau.

—  Il est derrière, indiqua-t-il. Avec quatre autres gars. Dites-moi simplement si l’une de ces têtes vous parle…

—  D’accord…

Il tira le rideau et Jeanne eut un mouvement de recul.

—  Ils ne peuvent pas vous voir, rappela Esposito. Prenez votre temps, observez-les bien…

Elle se mit à détailler chaque prévenu, à la recherche d’un souvenir, d’une impression.

Mais aucun de ces hommes ne lui inspirait la moindre réminiscence, la moindre émotion. Laisse-toi guider par ton instinct, Jeanne. Laisse-toi guider… Mais son instinct restait muet. Rien.

Au bout de quelques minutes, elle se retourna vers Esposito, lui adressant une mimique désolée.

—  Je n’en reconnais aucun, murmura-t-elle.

—  Le trois ? Son visage ne vous dit rien ?

—  Le numéro trois ?

—  Oui, le trois… Regardez-le bien.

Elle se focalisa sur le trois. Un grand type à la mine patibulaire. Et mal rasé, en plus.

—  Non, répondit-elle enfin. Je ne l’ai jamais vu… C’est lui ? C’est Elicius ?

—  Non. Elicius, c’est le numéro deux…

—  Le deux ? Mais alors, pourquoi…

—  Pourquoi le trois ? Pour voir si vous étiez honnête…

Elle s’en trouva blessée et il s’en aperçut.

—  C’est un test classique. Les gens se forcent souvent à reconnaître des types qu’ils n’ont jamais vus de leur vie, juste pour ne pas décevoir les enquêteurs…

Mais Jeanne ne l’écoutait plus. Elle dévisageait le numéro deux. Elicius. Elle ne l’avait pas du tout imaginé comme ça. Plutôt petit, un peu chétif, les épaules courbées, le regard éteint, les mains osseuses. La barbe naissante, sans doute le résultat de sa nuit en garde à vue. Il semblait perdu, déboussolé.

—  Vous êtes sûr que c’est lui ? demanda-t-elle soudain.

—  Oui. Pourquoi ?

—  Je… Je ne crois pas que ce soit lui…

—  Mais… Vous venez de me dire que vous ne l’aviez jamais vu !

—  C’est vrai… Mais… Avec ses lettres, avec ce qu’il m’a dit, j’ai l’impression que je pourrais le reconnaître si je l’avais en face de moi..

—  Ne soyez pas ridicule, Jeanne !

—  Je… Je sais que ça peut paraître bizarre, pourtant, je suis quasiment sûre qu’il n’est pas parmi eux…

—  Elicius est là, devant vous. Le numéro deux !

—  Je ne crois pas, capitaine. Ce n’est pas lui, ce n’est pas sa personnalité… Si c’était lui, je le sentirais…

—  Vous faites erreur, Jeanne !

Elle se concentra encore sur le numéro deux, tentant de se persuader que le capitaine avait raison. Après tout, c’était bien lui qui avait été arrêté à minuit chez Emmanuel Aparadès. En possession de l’arme des crimes.

C’était simplement son imagination débordante qui l’avait trahie. Elle avait passé des heures, des nuits, à peindre le visage d’Elicius dans ses rêves, ses cauchemars. Sur les murs et le plafond de sa chambre. Sur les façades des gares, les wagons d’un train ; sur la blancheur des roches calcaires et le bleu de la Méditerranée. Sur le rythme des rails et le défilé des quais. Dans le ciel clair et l’obscurité des tunnels. Tant d’heures passées avec lui et, ce matin, un étranger…

Un visage qu’elle n’arrivait pas à reconnaître.

—  Je peux m’en aller ?

—  Oui…

—  Merci.

Elle posait la main sur la poignée de la porte lorsque le capitaine la prit par le bras.

—  Jeanne ?

Sans tourner la tête, elle fixa la porte.

—  Je… Je suis désolé si je vous ai fait du mal, hier. Je… je ne voulais pas, je vous assure… Vous savez, j’ai réfléchi et je me suis dit que vous n’aviez pas vraiment eu le choix. Vous aviez peur et…

—  J’avais peur, c’est vrai. Mais il n’y avait pas que cela…

—  Quoi d’autre ?

La pénombre des lieux incitait aux confessions.

Sa main sur mon bras, comme une brûlure, douce et rassurante…

—  Je… Je n’ai pas l’habitude qu’on m’aime… II… Il m’a dit des choses tellement belles, tellement touchantes… Je crois que je n’avais pas envie que ça s’arrête…

Il va se mettre en colère, il va hurler. Tant pis. Pourquoi serre-t-il mon bras comme ça ?

—  Je comprends, fit-il.

Elle le regarda, interloquée.

—  Je comprends, Jeanne, répéta-t-il en souriant.

—  Vous vous moquez de moi, c’est ça ? s’écria-t-elle soudain en se dégageant.

—  Pas du tout, Jeanne. Je sais que vous êtes mal à l’aise parce que j’ai lu les lettres qu’il vous a écrites, mais il ne faut pas… Pourquoi pensez-vous que personne ne peut vous aimer ?

—  Pouvez pas comprendre… ni jolie, ni intéressante.

Elle avait murmuré cela d’une voix si faible qu’il n’avait sans doute pu entendre. Elle serrait la poignée de la porte comme pour se retenir de tomber. Il serrait son bras comme pour l’empêcher de se sauver.

—  Je vous trouve très jolie… Et dotée d’une personnalité rare.

Cette fois, elle poussa la porte et s’enfuit dans le couloir. Laissant Esposito seul face à ses questions.

Une interrogation, cette fille. Et moi, qu’est-ce qui me prend ? Pourquoi je lui ai dit ça ? Je suis con ou quoi ? Il alluma une cigarette et se tourna vers les prévenus, Elicius et les autres, résultats d’une nuit d’arrestations. Des conducteurs ivres, des dealers. La faune de la nuit…

Il s’éclaircit la voix et prit le micro.

—  C’est bon. Tout le monde en cellule ! Le numéro deux, dans mon bureau.

***

La pause déjeuner dans les rues de Marseille.

Jeanne se laissait guider par le mistral qui commençait déjà à faiblir, laissant présager du retour de la chaleur. Elle ne sortait jamais, d’habitude. Mais comment rester dans ce commissariat aujourd’hui ? S’éloigner le plus loin possible, ne pas risquer de croiser son regard. Marcher pour se vider la tête. Il n’y aura plus de lettres. Il me trouve jolie. Il ment, forcément.

Beaucoup de gens dans ces rues. Le cœur de Marseille ne s’arrête jamais de battre. Une vitrine de magasin en guise de miroir. Son reflet, légèrement déformé.

Elle avait mis ses lunettes teintées, détaché ses cheveux. Une jolie robe. Elle avait changé. Elle était toujours la même, pourtant. Une façade pour cacher l’indicible. Les blessures partout, les plaies qui refusent de guérir. L’horreur qui se dessine au fond de ses yeux. Il ment, c’est impossible. Il n’y avait qu’Elicius qui pouvait me trouver jolie. Il faut avoir souffert pour aimer ma souffrance, pour me remarquer. Ou même simplement pour savoir que j’existe. Lui ne peut pas. Lui ne sait pas. Pourtant, je n’ai jamais réussi à parler à quelqu’un comme je lui parle.

Une autre vitrine, toujours le même reflet. La terrasse d’un café, bondée.

Ici, on aime lézarder au soleil avant de retourner s’enfermer dans l’ambiance climatisée d’un bureau. Ici, on vit dehors, au grand jour. Même la nuit. Ici, on parle fort, pour avoir le dernier mot sur le mistral, sans doute. Ici, on rit fort, avec des gestes démesurés. On revendique son accent comme une marque de fabrique. Ici, on est dans le sud et ça s’entend.

Jeanne aurait volontiers bu un café, elle aussi. Mais se mêler à la foule, elle n’avait jamais su. Même si c’est le meilleur moyen de passer inaperçue. Comment affronter tous ces regards ennemis, blessants ? Comme s’ils pouvaient voir à l’intérieur. Est-ce que mon sac est bien fermé ? Oui, il est bien fermé. Ça ne suffit pas à me rassurer. Rien ne peut me rassurer. Il n’y avait que Michel qui savait. Une seule parole suffisait à me réconforter. A m’arracher un sourire. Un rire, même.

Depuis quand je n’ai pas ri ? Depuis qu’il est parti. Un jour glacial. Un jour de février.

Esposito se planta face à Solenn qui téléphonait à son petit copain. Le veinard. Elle bredouilla quelques mots, « oui, moi aussi, faut que je te laisse », puis elle raccrocha et regarda son patron avec un petit air docile. Un truc imparable.

—  Je voudrais que vous me fassiez une recherche, dit-il.

—  Oui, bien sûr…

—  Je voudrais que vous me trouviez tout ce que pouvez sur Jeanne…

—  Jeanne ? La secrétaire ?

—  Exactement.

—  Mais pourquoi ?

—  Et pourquoi pas ?

—  Tout de suite, patron…

—  Et vous seriez gentille d’aller m’acheter un paquet de cigarettes…

—  Oui, pas de problème…

Il repartit vers son bureau et Solenn l’interpella.

—  Capitaine !

—  Oui ?

—  Qu’est-ce que vous voulez savoir sur elle, exactement ?

—  Tout. Sa vie, son passé. Tout. Interrogez sa mère, ses voisins, ses proches. Trouvez son dossier administratif, scolaire et tout le reste.

—  Mais… Qu’est-ce que je vais inventer pour mener cette enquête ?

—  Je vous rappelle qu’elle va être inculpée d’obstruction à la justice, lieutenant. Ça devrait suffire comme prétexte, non ?

—  Oui.

—  Pour sa mère et ses proches, vous n’avez qu’à invoquer une enquête de moralité du fait de son appartenance à la police. Ça marche toujours, ce genre de truc…

—  D’accord, patron. Mais ça m’étonnerait que je trouve quelque chose d’intéressant…

—  Ne discutez pas, lieutenant !

—  Bien patron. Je ne discute pas !

Encore son petit air soumis avec, en prime, un sourire insolent. Il regagna son bureau, fermant la porte derrière lui. Retour dans le huis clos. Depuis ce matin, la confrontation. Il résistait encore. Pourtant, Lepage et Esposito faisaient tout pour le faire craquer. Même la chaleur était de la partie, rendant ce moment plus difficile encore. Une chaise en bois, dure et inconfortable. Pas un gobelet d’eau. Les poignets menottés. Mais il résistait…

Un dur à cuire, cet Elicius.

—  Reprenons, dit le capitaine en allumant la dernière cigarette de son paquet…

—  Je pourrais avoir un verre d’eau ? demanda Zamikellian.

—  Racontez-moi donc ce que vous veniez faire chez Emmanuel Aparadès à minuit…

Le suspect soupira et secoua la tête. Un terrible cauchemar. Je vais forcément me réveiller.

—  J’ai déjà répondu à cette question cent fois… murmura-t-il.

—  Eh bien, tu vas répondre une cent-et-unième fois ! martela Lepage. Qu’est-ce que tu foutais chez ce type à minuit ?

—  J’ai eu un message sur mon portable… Un texto. Il me demandait de venir le rejoindre. Qu’il avait un boulot intéressant pour moi mais qu’il ne serait pas chez lui avant minuit. Que c’était urgent. Que ça ne pouvait attendre…

—  Le problème, Elicius, c’est…

—  Ne m’appelez pas comme ça ! implora Zamikellian.

—  Le problème, monsieur Elicius, c’est qu’Emmanuel Aparadès déclare ne jamais vous avoir envoyé de message… Et qu’aucun message de la sorte n’apparaît dans votre messagerie !

—  Mais je l’ai effacé ! s’écria le prévenu. Bordel ! Mais pourquoi j’ai effacé ce putain de message de merde !

—  Calmez-vous, Elicius… Restez poli !

—  Vous avez qu’à demander un relevé de mes appels !

—  De vos appels ? Mais ce n’est pas vous qui avez appelé, non ?

—  Non, mais… Il doit bien y avoir trace de cet appel quelque part !

—  Vous comptez m’apprendre mon métier, Elicius ? demanda Esposito en souriant. Nous avons contacté le service compétent mais ce genre de recherches prend beaucoup de temps… Parlez-moi plutôt du rasoir retrouvé dans votre voiture… D’ailleurs, le labo m’a appelé tout à l’heure et il s’agit bien de l’arme qui a servi à tuer les six victimes…

—  J’ai jamais vu ce rasoir !

—  Vraiment ? Il est venu tout seul dans ta caisse, c’est ça ? ironisa Lepage.

—  Ne me tutoyez pas !

—  C’est vrai, Thierry ! Ne tutoie pas monsieur Elicius. Ce n’est pas parce que c’est une ordure, que tu peux te permettre des familiarités envers lui… Même les fous ont droit à de la considération…

Esposito ouvrit un dossier posé devant lui, en sortit quelques photographies. S’approchant lentement du suspect, il lui mit les clichés sous les yeux.

—  Du travail d’orfèvre, Elicius ! A gerber ! Tu t’es acharné sur tes victimes, on dirait ! Ça te plaît de découper les gens en morceaux ? C’est ton passe-temps favori ? Mais peut-être que t’en avais gros sur la patate, pas vrai ?

Zamikellian vit défiler des corps sans vie, du sang, des peaux lacérées. Des anciens camarades de promo. L’horreur absolue.

Il avait envie de vomir et tourna la tête sur le côté. Mais Esposito le saisit brutalement par la nuque

—  Tu vas regarder, fumier ! Affronte tes morts en face !

—  Mais c’est pas moi ! hurla Zamikellian. C’est pas moi ! Arrêtez, merde ! Arrêtez !

Il se mit soudain à pleurer et le capitaine le lâcha. C’était le moment de porter l’estocade.

—  Trop tard pour pleurer, Elicius ! Tu les as tués ! Massacrés ! J’ai même pas besoin de tes aveux pour t’envoyer en taule jusqu’à la fin de ta vie !

Il se pencha vers lui et changea de stratégie

—  Ça te ferait du bien d’avouer, murmura-t-il. Tu verras, tu te sentiras mieux après… Tellement soulagé…

—  Mais c’est pas moi ! C’est pas moi !

Esposito soupira et retourna s’asseoir derrière son bureau. Coriace, cet Elicius.

—  Tant pis, dit-il enfin. J’ai toutes les preuves qu’il me faut. Pas besoin que tu t’allonges. On a l’arme du crime, le papier à lettres et le stylo… Le juge va t’enfoncer. T’es mort, Elicius. T’es parti pour perpet’…

—  Ouais ! renchérit Lepage. En taule ou à l’asile !

—  C’est pas moi !

Il n’avait presque plus la force de clamer son innocence. Il pleurait encore. Effondré. Égaré dans un cauchemar sans fin. Le capitaine fit un signe à son adjoint et celui-ci s’empara du prévenu.

—  Fous-moi ça au trou !

Un instant plus tard, Esposito était seul dans son bureau. Confronté à une drôle d’impression. « Je ne crois pas que ce soit lui. » La voix de Jeanne. Une simple impression écrasée par les faits, les preuves. La réalité. Le dossier était en béton armé, le meurtrier hors d’état de nuire. Il eut envie d’une cigarette mais ne trouva qu’un paquet vide.

—  Merde ! Mais qu’est-ce qu’elle fout !

Il passa dans la pièce d’à côté, y trouva Solenn pendue au téléphone. Encore avec l’autre.

—  Lieutenant ! Raccrochez-moi ce putain d’appareil !

Elle obtempéra sur le champ, d’un air coupable.

—  J’ai vos clopes, patron, dit-elle avec une désarmante mimique.

Elle lui tendit le paquet et il le lui arracha des mains.

—  Désolée pour le téléphone, ajouta-t-elle.

Esposito alluma une cigarette et lui décocha un regard noir.

—  Mais qu’est-ce que vous avez à lui raconter, toutes les cinq minutes ? demanda-t-il.

—  Rien… C’est juste pour lui parler… Lui dire que je pense à lui.

—  Ah oui ? Il en a de la chance !

—  Vous trouvez ? répondit-elle d’un air mutin.

Là, elle m’allume !

—  Oui, je trouve.

—  Moi, je trouve que c’est votre femme qui a de la chance…

Je rêve !

—  Je n’ai pas de femme !

—  Vraiment ? Et… votre alliance ?

—  Je… Je suis divorcé.

—  Ah… Désolée, je ne savais pas.

—  Pas grave.

—  Pourquoi vous gardez l’alliance, alors ?

—  Pour que les gamines dans votre genre me foutent la paix…

Là, je l’ai mouchée ! Elle avait perdu son petit air insolent. Elle vacillait encore de la gifle reçue. Il lui sourit et tourna les talons. Satisfait.

—  Et mettez-vous au boulot, lieutenant ! ajouta-t-il en claquant la porte de son bureau.

L’après-midi touchait à sa fin. Le capitaine savourait ce moment de répit. Il allait enfin pouvoir s’accorder quelques jours de congé. Il venait de recevoir les félicitations du Pacha et du procureur. Des félicitations relatives : six meurtres avant l’arrestation, c’est beaucoup. Beaucoup trop. Mais l’important, c’était que le tueur soit enfin entre les mains de la justice. Aspiré dans l’infernale machine judiciaire. L’honneur de la police est sauf. Le monstre est en cage, la population va enfin pouvoir dormir tranquille. Et moi aussi !

Dommage que je n’aie pas pu obtenir ses aveux. Mais je l’ai bien cuisiné et il va peut-être craquer devant le juge.

L’équipe avait déserté les locaux, chacun ayant enfin quartier libre. Une bonne nuit de sommeil en perspective. Alors pourquoi ressentait-il une étrange appréhension ? Son instinct le trompait rarement. Et son instinct lui disait de se méfier. Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire.

Il fut tiré de ses pensées par trois coups discrets frappés à la porte de son bureau.

—  Entrez !

Jeanne apparut, se figeant sur le seuil. Comme si elle avait peur de déranger.

—  Jeanne ?

—  Je peux vous parler ?

—  Oui, bien sûr… Entrez…

Elle fit quelques pas et resta debout face à lui.

—  Asseyez-vous, je vous en prie…

Bizarre, sa façon de s’asseoir. Toujours sur le bord de la chaise. Comme si elle avait peur de prendre trop de place.

—  Il a avoué ? demanda-t-elle.

—  Non.

—  Ah… Mais vous êtes sûr que c’est lui ?

Putain ! Elle va arrêter avec ça ? Elle va finir par me faire douter ! Par me porter la poisse !

—  Oui, j’en suis sûr, Jeanne. On a des preuves matérielles contre lui.

—  D’accord, mais…

—  Mais quoi ?

—  Rien… Vous avez sans doute raison… On a appris pourquoi il a fait ça ?

—  Non, il n’a rien voulu dire.

—  II… Il est où ?

—  Chez le juge d’instruction… Vous n’avez plus rien à craindre Jeanne.

—  Et moi ? Qu’est-ce qu’il va m’arriver ? Je vais aller voir le juge, moi aussi ?

Elle semblait tellement effrayée, ça faisait mal au cœur.

—  Oui, Jeanne. Vous serez convoquée par le juge. Il vous mettra certainement en examen pour obstruction à la justice mais vous laissera en liberté.

—  En examen ?

Examen. Elle imagina soudain des tas de gens en train d’examiner sa conscience. De disséquer son cerveau. Sa folie.

—  Mais je vais être virée, alors ?

—  Virée ? Non, je ne crois pas… Vous aviez des circonstances atténuantes. Et puis, vous êtes un bon élément.

—  Comment vous le savez ?

—  C’est l’idée que je me fais de vous !

Il alluma une cigarette et lui tendit le paquet.

—  Non, merci, je ne fume pas…

—  Vous avez raison, ça coûte la peau du cul et ça fracasse les poumons !

—  Alors pourquoi vous fumez ?

—  Ben… J’en sais rien ! C’est l’habitude, sans doute… Ça me calme !

Des secondes silencieuses qui les rapprochèrent encore. Mais, sur son visage à elle, les angoisses, comme des ombres…

—  Qu’est-ce qui ne va pas, Jeanne ?

—  Je sais pas… J’aurais aimé savoir pourquoi il a fait ça… Pourquoi il a tué tous ces gens…

—  Moi aussi, avoua le capitaine d’un ton désabusé. Moi aussi… Mais nous le découvrirons sans doute un jour ou l’autre… A votre avis ?

—  Hein ?

—  D’après vous, pourquoi a-t-il commis ces meurtres ?

—  Je n’en ai pas la moindre idée… Ces gens lui avaient fait mal, très mal… Il s’est vengé, tout simplement...

—  Tout simplement ? répéta Esposito. Vous en parlez comme si vous lui pardonniez ces actes ignobles ! Je vous rappelle qu’il s’agit de six meurtres odieux !

Un silence encore. Plus long que le premier. Qu’est-ce qu’il se passe dans sa tête ? À quoi elle pense ? Pourquoi a-t-elle toujours l’air aussi triste ?

—  Ça vous dirait d’aller boire un truc frais ? proposa-t-il soudain. Il fait chaud, non ?

—  Il faut que j’aille à la gare prendre mon TER… Je suis en retard, je vais rater le 17h36…

—  Vous prendrez le suivant ! Je vous emmène en voiture, il y a un café sympa près de la gare… Comme ça, vous serez sur place…

Il se leva, prit son arme dans le tiroir de son bureau et les clefs de sa voiture. Mais Jeanne restait curieusement assise sur sa moitié de chaise.

—  Alors, vous venez ? On va fêter ça !

Fêter quoi ? La trahison ne se fête pas. La douleur non plus.

Ils quittèrent le commissariat. Jeanne serrait son sac contre elle. Le parking souterrain, la voiture. Pas un mot échangé.

Marseille, son soleil, sa joyeuse pagaille, ses mauvais conducteurs. Toujours pas un mot…

Le capitaine gara la voiture en double file, non loin de la gare et baissa le pare-soleil où était inscrit « Police » en bleu.

Jeanne le suivit, la main crispée sur l’anse de son sac, jusqu’à la terrasse bondée et bruyante d’une brasserie. Il avait déjà choisi la table et l’invita à s’asseoir.

—  Ici, ça vous convient ?

Pas de réponse. Elle a vu un fantôme ou quoi ?

—  Ça vous convient ?

—  Trop de monde…

Mais pourquoi parle-t-elle aussi doucement ? On dirait toujours qu’elle a peur de réveiller quelqu’un.

—  Pardon ?

—  Trop de monde…

Allons bon ! Ce qui aurait dû être un plaisir semblait une torture.

—  Avec cette chaleur, pas évident de trouver une terrasse où y’ a dégun* !

 lança-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Mais elle refusait toujours de sourire. De glace malgré la canicule.

—  Vous ne vous sentez pas bien ?

—  Trop de monde…

—  Oui, ça, j’avais compris ! Vous savez, faut apprendre à combattre ce genre d’appréhension… Sinon, ça va vous pourrir la vie…

—  J’y peux rien…

—  Mais si ! Qu’est-ce que vous voulez boire ?

Le serveur arriva, passa un coup de chiffon humide sur la table en marbre et y déposa un cendrier propre.

—  Bonjour, m’sieur-dame ! Qu’est-ce que j’vous sers ?

—  Un demi, bien frais. Et vous, Jeanne ?

—  La même chose…

Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir, cerveau paralysé par la peur. Elle en avait oublié qu’elle n’aimait pas la bière.

Le garçon était déjà parti et elle continuait à épier autour d’elle, comme si elle craignait une attaque surprise. Le capitaine préféra se taire un moment et l’observa tandis qu’elle, observait la foule.

Calme-toi, Jeanne. Il fait beau, tu es avec le capitaine Esposito en personne, alors profites-en.

Petit à petit, elle sembla se détendre. Esposito avait-il le don de la rassurer ?

Les bières arrivèrent, fraîches et ambrées. Le capitaine étancha sa soif.

—  Vous connaissez l’ESCOM ? fit-il soudain.

Jeanne tressaillit et détourna la tête.

—  Oui, c’est une école de commerce…

—  Vous y êtes allée ?

—  Non.

—  Mais vous connaissez quelqu’un qui y a fait ses études ?

—  Oui.

Heureusement que poser des questions, c’est mon métier ! Parce qu’avec elle, c’est pas gagné !

—  Qui ? interrogea-t-il encore.

—  Michel…

—  Et qui est Michel ?

—  Je n’ai pas envie d’en parler.

Message clair. Sans appel. De toute façon, je finirai bien par savoir.

—  OK… Comme vous voudrez… Je vous demandais ça, parce que les meurtres ont un rapport avec l’ESCOM…

Elle le regarda enfin et enleva même ses lunettes. Du coup, ce fut lui qui se sentit légèrement mal à l’aise. Pas à dire, ces yeux lui faisaient de l’effet.

—  Vous en êtes sûr ?

—  Oui. Toutes les victimes sont d’anciens étudiants de l’ESCOM ou petites amies d’étudiants… Et le tueur a aussi fait un passage là-bas..

—  Ah…

Elle remit bien vite ses lunettes, troublée. Michel. Lui aussi était allé là-bas.

Simple coïncidence, sans doute. Ne pense pas à Michel, Jeanne ! Par pitié, pas maintenant ! Sinon, tu vas faire fuir Esposito !

—  C’est un ancien petit ami ?

—  Pardon ?

—  Michel, c’est un de vos ex ?

Un de mes ex ! Comme si je les collectionnais ! S’il savait…

—  Je viens de vous dire que je n’avais pas envie d’en parler ! rétorqua-t-elle froidement. Vous m’avez amenée ici pour un interrogatoire, capitaine ?

Il sourit, un petit air coupable sur le visage. Qu’il est beau, songea Jeanne. Mon Dieu qu’il est beau !

—  Non, dit-il. Ça me fait plaisir d’être avec vous…

Il ment. Il voulait juste me questionner… Un mec comme lui ne peut s’intéresser à moi… Impossible… impensable. Pourquoi il me regarde comme ça ? On dirait que… Non, impossible, impensable.

—  Vous me plaisez, Jeanne.

Il fut surpris par ses propres paroles. Il se l’était caché à lui-même, il venait à peine de se l’avouer. A voix haute.

Et pour Jeanne, un choc violent, une lance en plein cœur. Une agression, presque. Elle ne le quittait pas des yeux, elle ne respirait plus. Il ment ! Il ment ! Défends-toi !

Mais la seule défense qu’elle connaissait, c’était la fuite. Elle prit son sac et quitta la table avec une rapidité prodigieuse.

Esposito n’eut même pas le temps de l’appeler, un instant médusé par la violence de sa réaction. Il chercha de la monnaie dans ses poches et partit à sa recherche. Elle allait forcément à la gare. Mais il y avait tant de monde à la gare… Pas de problème, il suffisait de trouver le bon quai.

Il monta l’escalier monumental en courant, entra dans la grande salle. Devant le tableau des départs, il repéra le Marseille-Miramas : voie N, départ dans moins de cinq minutes.

Il hésita un instant. À quoi ça sert que je lui cours après ? Elle est folle, de toute façon ! Peut-être. Mais il se mit quand même à courir.

Elle était là, assise sur un banc, orientée vers l’autre côté. Alors, il s’approcha lentement. Le TER entrait en gare, il aurait peu de temps. Mais peu de temps pour quoi ? Que fallait-il lui dire ? Ou ne pas lui dire ?

—  Jeanne ?

Elle se leva d’un bond et le scruta avec angoisse.

—  Qu’est-ce qui vous a pris ?

—  Laissez-moi tranquille ! marmonna-t-elle d’une voix menaçante.

—  Je… On pourrait peut-être en parler…

Elle guettait la rame qui s’avançait, l’issue de secours, l’échappatoire.

—  Vous ne voulez pas vous asseoir un moment ?

—  Mon train est là…

—  Il y en a un autre dans vingt minutes… Vous pouvez bien m’accorder vingt minutes, non ?

—  Vous avez encore des questions à me poser, c’est ça ?

—  Des questions ? Non ! Je vous assure ! Je… J’ai été franc avec vous, je ne voulais pas vous faire fuir…

Les portes s’ouvrirent et Jeanne se précipita à l’intérieur du dernier wagon, abandonnant le capitaine sur le quai.

Elle s’assit à la première place libre, pressant son sac contre elle.

Envie de pleurer, de crier. Ses mains se crispaient, ses jambes bougeaient nerveusement. Elle serrait les mâchoires si fort que ses dents allaient exploser.

Elle tourna la tête et vit qu’Esposito était encore là. Echoué sur le banc, une cigarette à la main. Le regard perdu dans le néant. Il semblait si triste, si meurtri. Et si tu te trompais, Jeanne ? S’il ne mentait pas ? Mais qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je dois faire ?

L’instant d’après, le train était parti.

Sans Jeanne.

—  Capitaine ?

Il leva la tête et l’aperçut, en contre-jour. Sa robe flottait dans le vent, comme ses cheveux. Elle avait enlevé ses lunettes, elle le regardait.

Qu’elle est belle !

—  Je suis désolée, murmura Jeanne. Excusez-moi.

Il écrasa sa cigarette et se remit debout.

—  Je ne sais pas ce qui m’a pris, inventa-t-elle. Je… J’ai… J’ai cru que vous me mentiez, juste pour que je réponde à vos questions… C’est pas ça, n’est-ce pas ?

—  Non, c’est pas ça… J’aurais dû être moins direct. Vous… Vous voulez une autre bière, dans un endroit plus calme ?

—  J’aime pas la bière.

—  Ah bon ? Mais…

Il souriait enfin. Elle aussi.

—  Autre chose, alors ?

—  Oui, autre chose. Si… Si vous avez le temps, bien sûr.

—  J’ai tout mon temps, Jeanne.

Nouveau départ. J’ai bien fait de descendre de ce train.

Maman va être inquiète, il faut que je coupe mon portable. Mais elle s’en fout de moi. Elle a peur de rester seule, c’est tout. C’est pour ça qu’elle veut que je sois à la maison. Ça la rassure, rien d’autre. J’ai bientôt trente ans, je peux rentrer à l’heure que je veux.

—  Étant donné que je vous ai fait rater votre train, je vous raccompagnerai chez vous, proposa Esposito. Si ça ne vous dérange pas, bien sûr !

—  Ça ne me dérange pas…

Maman va me faire une scène. Elle va hurler, pleurer. Où tu étais ? Et avec qui ?

Ils quittèrent la gare et trouvèrent refuge dans un salon de thé climatisé, presque désert. Deux boissons fraîches, sans alcool. Et un long silence. Ils se jaugeaient, intimidés. Ils hésitaient à franchir le pas…

Contre toute attente, ce fut Jeanne qui attaqua la première. De façon abrupte.

—  Vous êtes marié ?

—  Je l’ai été.

—  Elle est morte ?

Morte ? Quelle drôle d’idée !

—  Non ! Nous sommes divorcés.

—  Alors pourquoi l’alliance ?

—  J’en sais rien. Je… Pour tromper l’ennemi !

Si seulement elle pouvait me prendre la main. J’ose plus rien faire, elle pourrait se sauver, une fois encore. Faut pas que je bouge, faut pas que je lui fasse peur…

Jeanne avait cessé de fuir. Elle le dévorait des yeux. Pourtant, le doute la rongeait encore, une question lui brûlait les lèvres… Une bonne inspiration et, enfin, elle se libéra.

—  C’est vrai que je vous plais ?

Discussion hors du commun. Pas de fioritures, pas de chemins détournés. Droit au but.

—  Oui, beaucoup.

—  Pourquoi ?

—  Pourquoi ?

Rien n’est simple, avec elle. Elle va me rendre fou.

—  Parce que… Vous n’êtes pas comme les autres. Vous êtes… différente.

Quel idiot ! C’est pas ça qu’elle veut entendre ! Jeanne posa sa main sur la table juste à côté de celle de Fabrice.

Quelques millimètres de séparation. Reste calme, Jeanne. Tu vas y arriver ! Tu dois y arriver ! Allez ! Prends sa main ! Mais qu’est-ce qu’il va penser ? Qu’est-ce qu’il va se passer ? Et maman qui m’attend. Qui doit déjà être dans tous ses états ! Allez, Jeanne ! Oublie ta mère et prends sa main ! Prends sa main !

—  Et moi, je vous plais ? demanda-t-il en souriant.

C’est le moment, Jeanne ! Ne laisse pas passer ta chance !

—  Oui, répondit-elle doucement.

Le cœur d’Esposito se mit à palpiter. Tout allait si vite… Il avait envie de l’embrasser, de la serrer contre lui. Il était heureux. Comme un gosse. Sauf qu’il ne comprenait pas. Pourquoi elle ? Solenn était dix fois mieux !

—  Mais j’ai déjà quelqu’un, ajouta soudain Jeanne en éloignant sa main. Je ne suis pas libre. C’est impossible. Vous comprenez ?

Douche froide ! Fabrice ferma les yeux sous le coup qu’il venait de recevoir.

—  Oui, je comprends, dit-il.

Il cacha sa déception du mieux qu’il put. Ça faisait drôlement mal, finalement. Plus qu’il ne l’aurait pensé. Étrange, ce sentiment qui lui tombait dessus sans prévenir. Cette fille, il ne la connaissait même pas ! Ou si peu… Mais n’était-ce pas son mystère qui la rendait si attirante ? Ce désespoir qui savait la rendre belle ? Son côté animal sauvage traqué, peut-être. Il cessa de chercher une explication à sa douleur. Il aurait voulu qu’elle prenne sa main. Simplement. Mais elle venait de refermer son cœur, de se retrancher dans sa forteresse. J’ai déjà quelqu’un… Elle mentait, il le savait.

Pourquoi ? Ça, il ne le savait pas.

 

*Dégun : personne