Mieux vaut tard que jamais
On se mit donc à l’œuvre au fond du jardin, moi agenouillée sur mon tapis de rituel, Jeremy assis un peu plus loin, hors de mon champ de vision. Au moins, j’étais plus détendue que lorsque j’étais seule, sans doute parce que je savais qu’il détecterait toute intrusion, et m’en avertirait, avant que je me fasse surprendre. Ou peut-être était-ce simplement réconfortant de l’avoir auprès de moi, le grattement régulier de son crayon accompagnant les murmures des enfants. Ces derniers semblaient plus patients que la fois précédente, m’encourageant de leurs caresses sans jamais recourir aux coups ni aux gifles. Malgré tout cela, je ne fis aucun progrès.
Au bout d’un moment, je m’interrompis, m’étirai et m’avançai vers Jeremy.
— Qu’est-ce que tu dess… ? (J’entraperçus un bout de la page.) Hé, mais c’est moi !
Je me mordis la joue pour m’empêcher de sourire. Je n’avais jamais vu Jeremy dessiner quiconque en dehors des membres de la Meute. Même si ça pouvait simplement signifier qu’il n’aimait pas les fleurs et que j’étais le seul modèle vivant disponible, je savais que ce n’était pas anodin. Jeremy concevait l’art comme un moyen d’explorer une idée… ou une personne.
— C’est ressemblant, alors ? Bien, c’est toujours bon signe. (Il ferma le carnet.) Tu as fini ?
— Oui. Je peux voir ? (Je tendis une main hésitante, puis la retirai.) Excuse-moi, je ne devrais pas. C’est ton art. J’imagine que c’est privé.
— Pas plus que tes rituels. Et pourtant, tu les partages avec moi. (Il me tendit le carnet.) Juste une série d’esquisses. Je songe à peindre un tableau.
— De moi ?
Son sourire s’agrandit, gagnant ses yeux.
— Si ça ne te dérange pas. Je suis en train d’en faire un des jumeaux en ce moment. Pour eux, quand ils seront plus grands. Ça prend du temps. Au départ, je voulais simplement faire un portrait de Kate et Logan, mais j’ai décidé d’ajouter Clay et Elena. Un projet plus ambitieux, mais j’ai pensé que les enfants aimeraient qu’ils soient présents.
— Ce serait encore plus touchant.
— C’est ce que je me suis dit.
J’ouvris le carnet et feuilletai ses dessins. Il y en avait beaucoup, des croquis grossiers dont certains se limitaient à un simple contour, parfois agrémenté de quelques fioritures. L’ébauche d’un tableau. Jeremy préférait travailler à partir d’esquisses et de souvenirs plutôt que de modèles vivants. « Une interprétation plutôt qu’une photographie », disait-il.
Ses interprétations étaient d’ailleurs souvent surprenantes. Tels les anciens portraits de Clay et d’Elena dans son studio. Clay, bravache, difficile, violent, représenté comme un jeune homme au visage presque innocent. Elena, la plus sociable et sereine des deux, dépeinte avec une lueur funeste dans le regard, révélant la bête qui sommeillait en elle.
On aurait pu penser que Jeremy s’était trompé, qu’il avait mal interprété leur caractère. Mais j’avais vu la fureur envahir Elena quand il s’agissait de protéger les siens, et entraperçu la douceur chez Clayton lorsqu’il jouait avec ses enfants ou parlait à sa femme. Ce n’était pas leur trait dominant, mais un aspect de leur personnalité, un côté qu’on ne pouvait découvrir qu’en creusant profondément.
D’où le fait que je ne me sois pas reconnue en jetant un premier coup d’œil aux esquisses de Jeremy. Ce n’était pas ainsi que je me voyais. Ni même comment je m’imaginais dans le regard des autres. Dans ces dessins, j’avais l’air… sereine. Résolue, presque introspective. Je contemplais quelque chose sur le côté, le visage sérieux, voire solennel, concentrée à l’extrême. Pourtant, plus je les observais, plus je me disais : Oui, je reconnais cette expression. Un peu comme si je voyais une photo de moi prise sous un angle bizarre.
— Ooooh, c’est joli, s’extasia une voix derrière mon épaule. J’aime bien celui dans le coin, là.
Faisant volte-face, je me retrouvai face à une femme un peu plus jeune que moi aux longs cheveux noirs lui tombant presque jusqu’à la taille. Du haut de son mètre quatre-vingt, elle avait l’allure un peu hautaine et exotique d’un mannequin. Cette impression de froideur se volatilisa dès qu’elle leva les yeux de la page et que je reconnus la lueur vorace qui scintillait dans son regard espiègle, comme un chat constamment à l’affût d’une proie digne d’intérêt.
— Eve ! (Je me tournai vers Jeremy.) C’est Eve.
Je savais que j’avais l’air ridicule à gesticuler dans le vide, mais il se contenta de sourire et dit :
— Bonjour, Eve. Ravi que vous ayez pu nous rejoindre.
— Ravie d’être ici. (Elle me regarda.) Est-ce que je te dérange ? Si tu t’apprêtais à poser nue, je peux revenir.
— Très drôle. On était juste en train de finir un truc. J’essayais de contacter… (Je balayai les alentours du regard.) Ils ont disparu. Ou ils se tiennent tranquilles.
— Ils se demandent sans doute ce que je suis.
— Jaime ? appela Jeremy en se levant. Je vais aller te chercher une boisson fraîche. Si on te demande, je les ferai patienter.
— Merci.
— Il est adorable, dit Eve quand il s’éloigna. Et dire qu’il a fait tout le trajet depuis New York pour venir te voir. Seul. Et le voilà maintenant dans le jardin en train de te tirer le portrait pendant que tu fais des mamours à des restes de cadavres. Quelle scène romantique ! Est-ce que ça signifie que vous…
— Non, l’interrompis-je avant de sourire. Je n’arrive pas à croire que tu sois là. Kristof était persuadé que tu ne viendrais jamais.
Elle se percha sur le rebord d’un mur de soutènement.
— Eh bien, ça n’a pas été une mince affaire de partir, je dois dire. D’abord, à cause des chaînes qui me retenaient au rocher. Et puis cet énorme aigle qui n’arrêtait pas de venir me déchiqueter. Et ces flammes de l’enfer, et ce sale cabot à trois têtes qui gardait la sortie… (Elle fit mine de me donner une petite tape sur le bras, mais ses doigts passèrent à travers.) Tu me regardes comme si j’étais sérieuse. Je ne suis quand même pas si diabolique ! Pfff…
— À propos de personne diabolique, j’ai rencontré une de tes vieilles amies l’autre jour. Je voulais juste discuter avec elle et je me suis retrouvée assommée, jetée dans sa voiture et conduite jusqu’à un marais où elle comptait se débarrasser de mon corps.
— Quoi ?
Je passai sous silence l’intervention de Savannah. Bien m’en prit, car dès l’instant où je mentionnai que Molly avait été en contact avec sa fille, le visage d’Eve s’anima de cette colère froide qui ne manquait jamais de me glacer le sang.
— Cette sale pute hypocrite. Dis à Savannah de ne plus jamais…
Eve marqua une pause et détourna le regard, les lèvres retroussées en une grimace encore plus effrayante que lorsque Jeremy montrait les dents. Elle resta là, le dos tourné. J’attendis. Au bout d’un moment, elle se détendit et se retourna, retrouvant son sourire.
— Bon, je la refais. Aurais-tu l’obligeance de dire à Savannah qu’on ne peut pas faire confiance à Molly Crane ? Quand je la contactais, c’était exclusivement pour lui demander un service, parce que c’est comme cela qu’elle-même se comporte avec tout le monde. Avec Savannah, elle veut simplement…
— … voir si elle peut lui être utile. Savannah l’avait déjà deviné.
— Vraiment ? Ah, c’est bien ma fille ! (Elle se redressa brusquement.) Bon, revenons-en à nos moutons.
— Attends, ça ne pose pas de problème que tu sois ici ? Tout le monde est… d’accord ?
— Je n’ai pas déserté, si c’est ce que tu insinues. Les Parques se sont penchées sur l’histoire de Kristof, et ça les a un peu fait flipper.
— Flipper ?
— Ouais. C’est un peu déconcertant de la part d’une puissance supérieure. C’est vrai, quoi, ce sont des divinités quand même. On s’attendrait à ce qu’elles examinent calmement la situation en répondant : « Oui, on est au courant. » Cela dit, si elles l’étaient vraiment, ce serait encore plus inquiétant. Aucune excuse pour avoir fermé les yeux.
— Donc elles n’ont aucune idée de ce qui s’est passé ?
— Pas l’ombre d’une. C’est un accident isolé. Alors, se retrouvant avec un problème de magie noire sur les bras, elles se sont rendu compte qu’il n’y avait qu’une… (elle s’effaça, puis réapparut) qui pouvait s’en charger.
— Ce que tu viens de dire a été censuré.
— Merde. J’ai horreur qu’on me fasse ça. De quoi je parlais ? (Elle fronça les sourcils, cherchant le terme que les puissances supérieures avaient supprimé, un sujet quelconque dont elle n’avait pas le droit de discuter avec des mortels.) Je reformule : elles se sont rendu compte qu’il n’y avait qu’un fantôme qui pouvait s’en charger. Moi. Et c’est pour ça que j’ai été réaffectée. Bon, alors, où en êtes-vous ?
Je lui racontai ce qui s’était passé, puis lui demandai :
— Est-ce que je suis sur la bonne piste ?
— Oui, les Parques confirment que nous avons affaire à des spectres d’enfants. Et que les salauds qui en sont responsables ont, comme l’a dit Aratron, réussi ce qui devrait être impossible : pratiqué de la magie sans avoir hérité des gènes d’un lanceur de sorts. Et c’est ça qui fait flipper les Parques. Qui a trouvé la faille ? Quelle est son ampleur ? Qu’est-ce que ces types peuvent faire d’autre ? Combien sont-ils ?
— En d’autres termes, elles ne sont pas plus avancées que moi.
Elle me toisa d’un petit air méprisant, signifiant sans doute : « À quoi tu t’attendais ? »
— Maintenant à nous de les coincer et de découvrir ce qu’ils manigancent exactement.
— C’est ce que j’étais en train de faire.
— Je sais. Mais, enfin… disons que tu y vas un peu mollo. (Elle leva les mains quand je fis mine de protester.) Tu as agi de la bonne manière, la manière la plus sûre. Mais à moins que tu ne veuilles passer des mois à consulter des ouvrages de référence et nouer des contacts, je te suggère de mettre le turbo.
— Pardon ?
— Ces gosses sont ici, non ? Dans ce jardin. Et ils ne te suivent jamais plus loin que la maison. Pourquoi ?
— Eh bien, j’imagine qu’en étant… comment dire… fragmentés, ils sont affaiblis, que leurs mouvements sont restreints…
Eve tourna subitement la tête et suivit quelque chose du regard. Puis son visage s’illumina, non pas de son rictus habituel de chat apercevant un canari, mais d’un sourire bienveillant.
— Salut, dit-elle en se baissant au niveau d’un enfant. Tu sors de ta cachette ?
— Tu les vois ?
— Juste quelques apparitions furtives. (Elle détourna brusquement les yeux et son regard devint glacial.) Magie noire ou pas, on ne fait pas des saloperies pareilles. C’est tacite. Aucun rituel ne requiert d’enfant. Partant de là, personne ne les utilise.
— Et s’ils n’étaient pas au courant ? articulai-je lentement, cette pensée encore en pleine ébauche au moment où je la prononçai.
— Hein ?
— On parle d’humains pratiquant de la magie, n’est-ce pas ? Ils ignorent peut-être qu’ils n’en ont pas besoin, ou s’imaginent le contraire. Si ça se trouve, la magie ou la foi sur laquelle ils se basent utilise des enfants. C’est le genre de rumeurs dont les tabloïds et les films nous abreuvent. Des histoires de gamins sacrifiés.
— Possible…, songea-t-elle, regardant autour d’elle comme si elle cherchait encore les esprits. On expérimente un truc et, si ça fonctionne, on continue de s’en servir. (Elle reporta son regard sur moi et se leva.) Laissons tomber le pourquoi de la chose. On y reviendra plus tard, quand on les aura chopés.
— Mais c’est une autre voie à explorer pour les retrouver. Si on découvre quelle foi ou magie se sert d’enf…
Elle balaya l’idée d’un geste de la main.
— Encore des recherches. Il faut que tu arrêtes, Jaime. Passe à l’action. Revenons-en à la raison pour laquelle ces esprits sont coincés ici. A priori, ces fantômes sont affaiblis et ne peuvent pas s’éloigner. Mais de quoi ?
— De leur cadavre, bien sûr…
Je m’interrompis et contemplai le jardin. Les parterres en gradins s’étalaient à perte de vue. Une brise agita l’air. Je frissonnai.
— Ils ont été enterrés ici.
— Je crois qu’on peut le supposer. (Elle arpenta le chemin, sa main passant à travers les roses tandis qu’elle regardait tout autour d’elle.) L’endroit idéal. Même pas besoin de creuser longtemps, juste quelques coups de pioche dans un sol bien aéré.
Je jetai un coup d’œil à la maison.
— Alors tu penses que les gens qui vivent ici…
— Non. J’ai moi-même enterré quelques cadavres, et il ne me viendrait jamais à l’esprit d’en planquer un dans mon jardin. Mais si j’avais un voisin qui possédait un grand terrain en terrasses ? Ou si j’étais un employé de maison ? Un jardinier ou un type qui s’occuperait de l’entretien de la piscine ? Plein de gens pourraient voir ce lieu et y avoir accès. Tu peux explorer cette voie, examiner les possibilités, mais ce sont encore des recherches. Il faut que tu…
— …passes à l’action. J’ai compris. Mais comment…
— Imaginons que le corps d’un de ces pauvres gamins… réapparaisse.
— Qu’on déterre un cadavre, tu veux dire ? Qu’on creuse et qu’on trouve des indices de cette manière ? (Je secouai la tête.) Il y a une maison qui grouille de monde à une trentaine de mètres. Avec plein de caméras.
Elle sourit.
— Justement.
— Comment ça ? Mais comment veux-tu qu’on dissimule… ?
— On ne cacherait rien. C’est ça le truc. Tu réagis en créature surnaturelle, Jaime. Escamoter les preuves. Couvrir le crime.
Elle s’accroupit et tendit la main, donnant l’impression de cajoler un enfant, un sourire aux lèvres. Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes qu’elle leva de nouveau les yeux sur moi.
— Cette fois, on n’étouffe rien. Ce sont des humains. Tu ne peux pas demander à des êtres surnaturels de ratisser tout Los Angeles à leur recherche. Tu as des millions de suspects, pas simplement quelques centaines. Il faut que tu les fasses sortir de leur tanière.
Je n’étais pas sûre d’approuver. En fait, j’étais quasiment certaine du contraire. Mais plutôt que de batailler sur le concept, je décidai de me focaliser sur les détails.
— Comment veux-tu que je trouve un cadavre ? Ça pourrait prendre des semaines, même si Jeremy et moi passions nos nuits à creuser.
— Tu n’auras pas à le faire, Jaime. Ils viendront à toi.
— Ils… (Ma gorge devint sèche.) Tu ne veux pas dire… les ressusciter ? Mon Dieu, Eve, mais comment peux-tu me suggérer un truc pareil ? Tu es une mère !
— C’est vrai, Jaime, et c’est bien pour cette raison que je ferais ça plutôt que de perdre mon temps en recherches. Tu crois que je n’ai pas conscience de ce que je te demande ? Bien sûr que si, mais si ça pouvait arrêter ces enfoirés, je te laisserais même exhumer ma propre fille. (Elle passa devant moi, en silence.) Je sais que ce ne sera pas une expérience très agréable, Jaime. Ni pour toi ni pour eux.
— Si ça pouvait tout résoudre, je m’en chargerais. Mais on tient une piste avec ce Botnick et je crois qu’on devrait jouer cette carte à fond.
Gardant le dos toujours tourné, elle ajouta :
— La balle est dans ton camp. Je ne peux pas déterrer les corps. Si tu tiens vraiment à te renseigner davantage, intéresse-toi à la magie traditionnelle africaine.
— Ce sont les Parques qui ont suggéré ça ?
— Non, c’est moi. Deux ans avant ma mort, un jeune sorcier est venu me proposer des ossements. Prélevés sur le cadavre d’un enfant. Il s’était mis en cheville avec des… marabouts. Un truc franchement dégueulasse.
— Ce mec… Où est-ce que je pourrais le trouver ?
— Quelque part dans l’au-delà. Mais je n’y suis pour rien. Je l’ai engueulé comme du poisson pourri et mis en garde contre cette saloperie, mais ça n’a fait que le précipiter dans un truc encore plus grave, avec des gens pires que moi. Il voulait le pouvoir. Et tout de suite. L’ado typique qui rêve de tout obtenir sans rien glander. Mais l’important, c’est que je me suis intéressée à cette magie traditionnelle après notre discussion. Certaines branches utilisent des enfants, soit en vendant des parties de leur cadavre, soit en volant leur prétendue énergie. Tu m’as parlé d’esprits fragmentés ou affaiblis…
— Et ce genre de chose pourrait l’expliquer.
— Alors, poursuis tes recherches. Ça me laissera le temps de trouver Kris pour lui annoncer que je suis revenue pour quelques jours. Appelle si tu as besoin de moi, mais… (elle esquissa un sourire en coin) si je ne réponds pas dans la seconde, laisse-moi quelques minutes.
— Ça marche.
Jeremy me conduisit sur le lieu de la séance.
— Bien, déclara Becky en nous faisant entrer dans la cour. Aujourd’hui, notre sujet est Mickey Cohen.
— C’est chez lui, ici ? demandai-je en contemplant la petite maison en stuc.
— Euh, je ne peux pas vous répondre. Une histoire de responsabilité. Étant donné son passé de gangster, je ne peux rien affirmer qui soit susceptible d’embarrasser les propriétaires actuels.
— Un gangster ? Angelique écarquilla les yeux et se mit à frémir. Comme ceux de la Mafia ? Je ne crois pas que papa aimerait que je parle à un tel personnage. Peut-être que je devrais m’abstenir sur ce coup-là…
— Cohen… Cohen, songea Grady. C’est le mec qui a fondé Las Vegas, n’est-ce pas ?
Il jeta un regard à Claudia, qui lui répondit par un haussement d’épaule.
Becky sourit.
— Je ne vous dirai rien, mais je suis sûre qu’il s’en chargera. Maintenant, allons nous installer.
La séance fut un franc succès. Pour tous les trois. Becky fulminait, persuadée que j’avais refilé son tuyau sur Cohen à Angelique et Grady, et je compris que je venais de me faire une ennemie dans le milieu. C’était la première fois que je le faisais intentionnellement. Je prenais toujours garde à protéger mes arrières ; tel assistant incompétent que vous remettiez à sa place un jour serait peut-être producteur exécutif dix ans plus tard. Mais je savais que, dans dix ans, je ne ferais plus partie de ce milieu, et Becky n’avait pas assez d’influence pour faire autre chose que de me coller une étiquette d’enquiquineuse auprès des gens du métier.
Mais… Et si j’avais tort ? S’il s’avérait qu’elle était la maîtresse d’un cadre de chaîne s’intéressant à ma nouvelle émission ? Cette pensée me traversa l’esprit sans m’angoisser outre mesure. Pour l’instant, ma priorité était de libérer ces gamins. Tout le reste pouvait attendre.
Après la séance, Jeremy me rejoignit et on prit la direction du magasin de Botnick. Jeremy avait trouvé porte close lorsqu’il était passé un peu plus tôt dans la journée. En chemin, je lui répétai les propos d’Eve.
— Elle n’a peut-être pas tort.
Je lui jetai un regard sévère.
— De vouloir ressusciter ces gosses ?
— Non, mais je crois connaître un moyen de trouver un cadavre sans avoir à recourir à de telles extrémités. Pour l’instant, c’est juste une idée à garder en tête.
La vitrine de la boutique n’était toujours pas éclairée et une pancarte affichait : « Fermé ».
— Pause déjeuner ?
— Peut-être. (Il repéra une place où se garer.) Je vais aller voir de plus près. Tu veux venir ?
— Vu le quartier, je pense que c’est plus prudent que de rester dans la voiture.