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Sur Parnassos, neuf ans plus tôt
Le chasseur Tie noir se posa sur le sable gris et lisse. Cela faisait presque un an que Phasma ne s’était pas rendue sur sa planète natale, mais Parnassos n’avait guère changé. Elle paraissait aussi inhospitalière et dévastée que dans son souvenir.
Elle mit du temps à repérer la chose qu’elle était venue chercher, mais savait qu’elle ne la trouverait pas en surface. Heureusement, elle avait apporté des machines capables de la localiser. Un scan rapide révéla la forme cachée et elle se mit à creuser le sable de ses mains. Malgré sa préparation minutieuse, elle avait négligé cet aspect et n’avait ni pelle ni droïde pour faire le sale boulot. Même si elle connaissait Parnassos et la violence de son climat, elle avait oublié qu’au bout d’un an, ce qu’elle convoitait serait enfoui dans le sable. Il devait y avoir des dizaines de cadavres là-dessous, des squelettes, à quelques centimètres sous ses bottes blanches. Mais elle n’était pas venue pour ça. Les morts ne l’intéressaient pas.
Ses doigts gantés butèrent bientôt contre un objet dur. Lorsque la lumière du soleil se posa sur le métal, elle dut détourner les yeux. Son séjour souterrain n’avait pas altéré son impressionnante brillance, la même qu’au premier jour, quand elle avait traversé le désert avec Brendol, dans un combat de chaque instant. Elle mit des heures à dégager son trophée, prenant garde aux scarabées assoiffés qui sortaient régulièrement du sol, excités par le plus léger mouvement. Elle écrasa tous ceux qu’elle voyait, bien consciente de leur dangerosité. Néanmoins, sans raison particulière, l’un d’entre eux attira son regard. Elle se souvint du mal de Carr, qui l’avait affaibli jusqu’à ce qu’il devienne presque translucide, sans espoir de guérison.
L’insecte aux reflets dorés courait sur son gant, agitait ses pattes et sa trompe, cherchant à s’immiscer dans le moindre interstice, et Phasma sourit sous son casque. Elle détacha une boîte de munitions de sa ceinture, l’ouvrit et la vida, laissant tomber la cellule énergétique dans le sable. Le scarabée y entra ; elle referma le couvercle et secoua légèrement la boîte pour s’assurer de son étanchéité. L’insecte pourrait un jour lui servir.
Elle se remit au travail, continua de dégager le vaisseau de Brendol, celui qu’il appelait le yacht de l’empereur Naboo. Un nom idiot pour un jouet cassé. Elle se souvint du jour où elle l’avait vu pour la première fois, étoile filante brûlant dans le ciel, tombant vers des terres inconnues, où personne ne s’aventurait. Les cadavres s’étaient accumulés dans le sillage de Phasma, autant que nécessaire pour effacer les traces de cette fille née ici, sur Parnassos, planète malade et oubliée.
Le démontage du vaisseau prit des heures. Même avec ses divers outils, en armure et sous le soleil écrasant, la tâche fut épuisante. Elle fit plusieurs pauses pour aller s’asseoir dans son chasseur, boire, s’éponger le front, repousser les scarabées. Chose surprenante, même ici, elle se sentait mal à l’aise sans son casque. Après avoir rejoint les Scyres, elle avait adopté leurs masques féroces et leurs peintures de guerre comme une nouvelle peau, qui lui donnait peut-être un léger avantage au combat, une manière plus confortable d’affronter le monde et de le terrifier. Puis, dans ce désert, elle avait revêtu pour la première fois une armure de stormtrooper et était partie sans se retourner. Aucun membre du Premier Ordre ne connaissait son visage, à part Brendol.
Chose à laquelle elle comptait bientôt remédier.
Cependant, elle devait d’abord terminer son ouvrage, qui prenait des airs de rite sacré. Elle se sentait bien ; après tout, transformer des vestiges de valeur en protections était un talent très parnassien.
La tâche se révéla difficile mais, encore une fois, sa vie l’avait toujours été. En traînant une par une les plaques chromées jusqu’à son vaisseau, elle se souvint de celles qui lui avaient servi de luge, puis de bouclier. Dire que, toutes ces années, elle avait vécu dans le Nautilus, puis dans le Scyre, sans savoir ce qui se trouvait au-delà de son petit territoire. L’idée qu’un groupe entier pouvait dormir sur le même lopin de terre, comme les Claws de Balder, avait été une révélation. Et après avoir fouillé les archives et étudié la colonisation de Parnassos, elle savait que, comme Brendol le lui avait dit, cette planète recelait des lieux plus accueillants. Quelques heures en vaisseau auraient suffi à transformer leur existence, à la pacifier. D’ailleurs, elle s’apprêtait justement à se rendre dans l’un de ces endroits.
Elle prit la quantité de chrome dont elle avait besoin, laissant le reste dans le désert, qui serait bientôt enterré sous le sable. Elle remonta dans son Tie, décolla et fila dans le ciel azur, au-dessus de l’océan. Lorsqu’elle était petite, il paraissait si sombre et si profond, promesse immense et béante d’une mort glacée parmi les monstres. D’en haut, il semblait accueillant, bleu et doux. Peu de temps après, elle se posa sur une large bande de terre verdoyante. Jadis couverte de cultures destinées à nourrir les millions d’employés de la Con Star Mining Corporation, elle foisonnait désormais d’herbes et de fleurs. À quelques pas de là, elle trouva ce qu’elle cherchait, ce que la Con Star avait eu la gentillesse de construire deux cents ans plus tôt. Une usine. Et pas n’importe laquelle : une usine destinée à transformer les métaux et minéraux en matériel de forage. La station Cleo.
Durant sa première année dans le Premier Ordre, Phasma avait passé le plus de temps possible à apprendre. Elle avait pris l’habitude de dormir quatre heures par jour, voire moins, et, tandis que les officiers et les autres stormtroopers se reposaient, elle étudiait des techniques, des tactiques militaires, l’histoire de la galaxie… Et même un peu de piratage informatique. Elle entra un code dans le datapad. Les portes de l’usine abandonnée coulissèrent comme si elles avaient été graissées la veille. La Con Star ne savait pas terraformer une planète, mais parvenait à construire des installations durables.
À l’intérieur, le bâtiment était impeccable. On aurait dit que les mineurs venaient de partir et que tout avait continué à tourner sans eux. Ce qui était en gros le cas. À l’aide d’un petit chariot, Phasma transporta les lourdes plaques de métal le long d’un couloir lisse. Des baies vitrées donnaient sur les différentes unités de l’usine ou des salles de réunion. Dans une pièce, elle trouva des centaines de droïdes désactivés, immobiles, couverts de poussière. Dans une autre, des dizaines d’individus jonchaient le sol, comme s’ils s’étaient simplement couchés là. À côté de chaque cadavre gisait une tasse encore maculée de poison. Confrontés à de nouveaux défis, ces gens qui n’avaient jamais dû lutter pour survivre s’étaient étrangement résignés. Phasma avait grandi en mangeant des oursins, en buvant dans des coquilles vides, tandis qu’eux, entourés de champs fertiles, n’avaient pas supporté d’être abandonnés par leurs chefs.
Phasma était plus heureuse au sein du Premier Ordre que dans le Scyre, mais ne risquait pas pour autant de se suicider pour un supérieur.
— Idiots, marmonna-t-elle en poussant le chariot dans le couloir.
Elle avait choisi l’endroit parmi les dizaines d’usines de la Con Star, car on y trouvait une machine capable de répliquer un processus bien particulier. Ayant téléchargé le plan des lieux sur son datapad, Phasma savait exactement où aller. Elle n’eut même pas besoin de relancer le générateur : le système se mit à bourdonner dès qu’elle alluma le synthicateur.
L’une après l’autre, elle enfourna les plaques de chrome dans la chambre de fusion. Puis elle retira les pièces de son armure de stormtrooper, les plaça successivement dans le scanner, attendant chaque fois qu’elles soient correctement encodées. Cette machine avait été conçue pour fournir des pièces de rechange en cas de panne, limitant ainsi les ravitaillements. Phasma prenait ça comme une petite revanche sur la Con Star, qui avait transformé sa vie en enfer.
Le synthicateur forma chaque pièce d’armure en crissant. Phasma dut limer précautionneusement les rebords tranchants, percer quelques trous et placer des boulons ici et là, mais le résultat dépassait toutes ses espérances. Le casque fut la dernière pièce imprimée, celle qui prit le plus de temps. Ayant choisi un prototype qu’elle avait défendu mais dont Brendol avait rejeté le design, elle dut démonter délicatement les systèmes électroniques compliqués pour les installer dans le nouveau modèle. Cette tâche, déjà ardue avec du plastoïde, l’était encore davantage avec du chrome glissant. Elle poussa un grand soupir et consulta son ordinateur de poche pour étudier les schémas d’assemblage. Dire qu’un an plus tôt, elle n’avait jamais tenu de datapad et que maintenant elle était capable d’en construire un à partir de simples matières premières.
Phasma éteignit le synthicateur, abandonnant son armure blanche sur le sol. Puis elle enfila les plaques chromées, les ajustant soigneusement. Sa cape de capitaine, impeccablement drapée sur son épaule, glissait sur la surface brillante avec un bruissement satisfaisant, que ne produisait pas le plastoïde. Elle avait aussi commandé en secret une arme de poing et un fusil chromés. Le blaster glissa dans son étui avec un clic définitif, Phasma sourit.
Debout face à la baie vitrée, elle était, pour une fois, contente d’elle-même. En construisant cette armure unique, plus distinctive et imposante que celle de ce flagorneur de Cardinal, elle avait également créé une nouvelle Phasma. Elle parlait couramment la langue du Premier Ordre, avec un accent aussi parfait que celui de Brendol Hux. Elle se battait mieux que tous les autres stormtroopers, Cardinal compris, et n’obéissait qu’aux ordres directs du général. Tout cela en moins d’un an.
Bien sûr, elle avait éliminé au passage tous ceux qui se trouvaient sur son chemin. Mais c’était ce qu’elle avait appris à faire sur cette planète. Tuer ou être tuée.
Alors, elle avait tué. Et gravi les échelons.
Elle frotta une tache terne sur son casque chromé jusqu’à ce qu’il brille, puis le cala sous son bras. Elle parcourut le couloir, dépassa le tombeau des idiots et sortit de la station, le bruit de ses bottes résonnant dans le silence. Son vaisseau attendait dans un champ paisible, le genre d’endroits dont parlaient les histoires que ses parents ou les Scyres racontaient aux enfants. Un rêve perdu depuis plusieurs générations, celui de marcher sur un sol stable et fertile, avec le ventre plein. Elle enfila son casque, prit une profonde inspiration à travers le système de filtration, humant une dernière fois l’air de Parnassos, qui lui parut plus doux que jamais. Elle embarqua dans son chasseur, décolla puis fila dans le ciel vers le Finalizer et sa nouvelle vie.
Elle jura de ne jamais revenir sur cette planète, de ne jamais redevenir la fille qui avait vécu là.
Une seule personne ayant vu son visage était encore en vie, et elle allait l’éliminer.
Elle était désormais la capitaine Phasma, du Premier Ordre.
Plus rien ne pouvait l’arrêter.