21
Sur Parnassos, dix ans plus tôt
Les véhicules sortirent du complexe dans l’après-midi. Ils purent conduire plusieurs heures à la lumière du jour, même si le terrain n’offrait guère de difficultés. Du sable gris, à perte de vue, avec quelques petites dunes, comme un drap jeté sur les rondeurs d’un corps démesuré. Au coucher du soleil, une forme sombre se découpa à l’horizon, trop loin pour qu’ils puissent deviner de quoi il s’agissait. Un autre complexe, une autre bête morte, une de ces cités en ruines que Brendol avait vues pendant la chute de son vaisseau… Impossible à dire.
Hux arrêta le véhicule au sommet d’une dune. Quand le casque de Phasma se tourna brusquement vers lui, il haussa les épaules.
— Conduire les motos speeders la nuit est dangereux pour mes soldats. Nous allons bivouaquer ici jusqu’à l’aube. Ce qui se trouve devant nous… Je sens qu’il vaut mieux l’affronter de jour.
— Et si ça décide d’attaquer en premier ?
Brendol lui lança un regard froid et insistant.
— Tu es une guerrière. Tu sauras quoi faire.
Phasma ne répondit pas, mais son silence en disait long. Siv savait très bien qu’elle aurait préféré continuer jusqu’à ce que le véhicule lâche, puis aurait marché jusqu’à son but. La voir se plier à la volonté d’un autre n’était pas habituel, surtout si ce quelqu’un était manifestement incapable de s’imposer physiquement. Leur relation ressemblait sûrement à celle de Phasma et de Keldo, se dit Siv : tant que Phasma y trouvait son intérêt, elle savait céder à un esprit plus perspicace ou mieux informé.
Ils avaient trouvé du matériel dans les casiers de la station Terpsichore, des tentes soigneusement empaquetées et des couvertures métalliques, qui conservaient la chaleur, protégeaient le dormeur du sable et, avec un peu de chance, des scarabées. Tandis qu’ils disposaient leurs paillasses à l’intérieur d’un cercle formé par les véhicules, Siv installa sa couverture près de Torben. Elle se sentait toujours plus en sécurité près de sa masse rassurante.
— Et s’il y a d’autres droïdes ? demanda Gosta à la cantonade. Ou si les autres se réveillent ?
— C’est ridicule, répondit Brendol. Les droïdes ne peuvent pas se réactiver tout seuls. La station Terpsichore n’existe plus, point final.
— Mais il pourrait y en avoir d’autres, objecta Siv.
Gosta lui sourit avec reconnaissance.
Phasma regarda ses guerriers, son casque posé près d’elle sur le sol.
— On pourrait passer la nuit à discuter de ce qui nous menace, mais je préfère manger et dormir. Si on nous attaque, on se défendra. La vie ici n’est pas plus dangereuse que dans le Scyre. Le danger est différent, voilà tout.
— Il faut s’y habituer, admit Torben. À ces étendues vides, à tout ce sable qui change, vole, se glisse partout. Au moins, sur les rochers, tu sais où tu es. C’est bien, c’est solide un rocher.
Personne ne pouvait le contredire. Pour un homme plus physique qu’autre chose, il parlait parfois sagement.
Siv sortit à boire et à manger de son sac, s’installant entre Torben et Gosta, pendant que les troopers occupaient une autre grande tente. Ouvertes sur les côtés, elles les protégeaient néanmoins un peu des mugissements incessants du vent. Le plastique métallique claquait à chaque bourrasque, mais les piquets étaient profondément enfoncés, une autre compétence dont avaient fait preuve les troopers. Phasma et Brendol étaient allés dans le véhicule, silencieux mais secrets, et Siv songea qu’ils trouvaient peut-être du réconfort dans les bras l’un de l’autre. Phasma n’avait jamais eu de compagnon scyre, en tout cas pas à sa connaissance – et il était difficile de passer inaperçu parmi les rochers.
Rêvant à des temps meilleurs, elle s’appuya contre l’épaule de Torben en mâchant son morceau de viande séchée.
Cette nuit-là, chose plus que rare sur Parnassos, rien de terrible ne se produisit.
Quand ils s’éveillèrent le matin suivant, le soleil grésillait déjà à l’horizon. La forme noire au loin n’avait ni bougé ni changé. Ils l’observèrent en sirotant de l’eau et en prenant leur petit déjeuner. Grâce aux véhicules, ils avançaient rapidement et Siv s’était habituée aux mouvements de la machine. La monotonie du sable était trompeuse : à mesure qu’ils approchaient de la masse sombre, elle devenait de plus en plus imposante. Si imposante qu’il fut bientôt évident qu’il ne s’agissait ni d’un animal ni d’un bâtiment, mais de ce que Brendol nommait une « ville ».
— Sur la plupart des planètes habitables, les êtres se rassemblent en grands groupes pour vivre ensemble et partager les ressources, expliqua-t-il. Certaines planètes sont entièrement recouvertes d’immeubles et de mégapoles. D’autres possèdent des enclaves, des capitales, des villes, des villages.
— Et celle-là, c’est quoi ? demanda Phasma en regardant dans ses jumelles.
Brendol arrêta le véhicule, leva une main et agita les doigts. Phasma posa les jumelles dans sa paume. Il balaya latéralement le paysage, un pli soucieux sur le front.
— Une ville, mais primitive. Ce qui m’inquiète, c’est cette partie centrale, plus haute que tout le reste.
— Pourquoi donc ? demanda Gosta.
Brendol baissa les jumelles pour la fixer avec dédain.
— Quand tout est au même niveau, sauf un bâtiment, il y a généralement deux explications, toutes deux négatives. Soit il s’agit d’un monarque ou d’un tyran cherchant à établir sa domination, soit d’une église, d’une religion désirant atteindre un dieu stupide dans le ciel. Dans les deux cas, quelqu’un qui dispose de ressources importantes et se croit supérieur à son peuple. Le pire ennemi de la justice, c’est un petit roi sur une petite colline.
Sans un mot, Phasma reprit les jumelles et regarda de nouveau en mâchant un bout de viande.
— Et le Premier Ordre ? Il ne cherche pas à diriger ? Vous semblez opposé au pouvoir.
Brendol grogna.
— C’est différent. Le Premier Ordre désire l’égalité de tous ; il veut supprimer les magouilles politiques, la bureaucratie, la corruption, ces fléaux de la galaxie. Je parle d’un gouvernement éclairé constitué de milliers de personnes travaillant pour des milliards d’obscurantistes. Par contre, dans un endroit comme celui-ci, les décisions sont prises par un seul individu – ou une poignée de riches despotes –, dont le seul objectif est de se remplir les poches et de profiter de la vie.
Siv l’observa en silence. Quelque chose lui disait que Brendol mentait, au moins par omission, mais elle ne voulait pas le défier. Ses paroles étaient trop belles, ses motivations trop pures. Elle ne pouvait décrypter le visage de Phasma sous son casque, mais savait qu’elle non plus n’était pas convaincue.
— Et que fait le Premier Ordre de ces petits rois ? demanda Phasma.
Brendol fixa l’horizon comme s’il pouvait voir au cœur de la cité.
— Il les détruit, répondit-il.
Phasma posa ses jumelles. Son regard se posa successivement sur les membres du groupe, leur équipement, avant de revenir à la ville, et Siv sut qu’elle échafaudait un plan. Les guerriers scyres connaissaient bien cette attitude, généralement signe d’un changement de stratégie.
— Il faut la contourner, finit-elle par dire. De très loin. On a assez de réserves. N’oublions pas notre objectif.
— Je peux regarder ? demanda Siv en tendant la main.
Phasma lui tendit les jumelles avec un hochement de tête suggérant qu’elle attendait des remarques pertinentes. Siv aidait souvent Phasma à concevoir ses plans, mais ne participait que lorsqu’elle était certaine d’avoir une bonne idée. Elle regarda, et ce qu’elle vit la stupéfia.
— C’est quoi tout ce vert ? demanda-t-elle.
Il y en avait partout, un vert vif, vénéneux, différent de la teinte poussiéreuse du lichen. À l’œil nu, la ville ressemblait à une trace sombre et ondulée, mais avec les jumelles, on distinguait des murailles et des bâtiments verts. Davantage de vert que Siv en avait vu durant toute sa vie, en comptant les lignes de la station Terpsichore, la couleur de certains yeux, les artefacts anciens et les gemmes cachées dans le Nautilus. La chose la plus verte du Scyre, c’était la mousse grisâtre sur les rochers et certains légumes de mer presque noirs.
— Ce sont des plantes. (Brendol but, beaucoup plus que ne l’aurait fait un habitant de Parnassos.) On appelle ça une oasis. Un point de végétation au milieu du désert. En général, il y a une source souterraine ou une retenue d’eau dans laquelle se jette une rivière. Parfois, ceux qui errent trop longtemps dans le désert imaginent de tels endroits et vont vers leur mort en titubant, à la poursuite d’un rêve scintillant qui n’existe pas vraiment.
— Mais la ville est bien là.
— Oui.
— Ils doivent être très riches, fit Gosta. Avec autant d’eau.
Phasma ricana.
— Qui se soucie de leurs trésors ? Tout ce dont nous avons besoin, c’est de trouver le vaisseau de Brendol avant que quelqu’un nous prenne de vitesse. Qu’avons-nous à faire d’une cité verte ? Elle est quand même sur Parnassos. La planète est toujours en train de mourir. Rien de bon ne survit ici. D’ici dix ans, même cette source se tarira, les plantes mourront et les gens suivront. Cette ville n’est qu’un cadavre qui se croit encore vivant.
Torben posa une main sur son masque pour se protéger du soleil.
— Par la droite ou par la gauche ?
— Par la gauche, fit Brendol.
— Par la droite, répondit au même moment Phasma.
L’atmosphère se tendit sous le soleil écrasant. Personne ne dit rien. Non loin de là, les troopers faisaient du surplace sur leurs motos speeders, oscillant doucement d’avant en arrière.
— Pourquoi la gauche ? demanda Phasma.
— À cause de notre position actuelle. La route paraît un peu plus courte.
— Passer par la droite nous évite un détour pour rejoindre le vaisseau.
Les soldats, comme s’ils avaient perçu la situation, s’approchèrent, la main sur leur arme. Torben ajusta les armes à sa ceinture en soupirant. Gosta avait sauté hors du véhicule sans quitter Phasma des yeux ; ses doigts dansaient sur son tout nouveau blaster.
— Se séparer serait une mauvaise idée, osa Siv.
Phasma ne broncha pas. Son casque était tourné vers la ville, elle évaluait visiblement chaque option.
— À gauche, alors, lâcha-t-elle.
Les Scyres se détendirent, mais Siv était stupéfaite. Elle croisa le regard de Torben et haussa les épaules. Ils n’avaient jamais vu leur chef céder si facilement. Pas même face à Keldo. Mais il n’était pas question de discuter. Une fois qu’elle avait pris sa décision, il fallait la suivre sous peine d’être abandonné. Et se retrouver seul ici revenait à une mort certaine.
— Dans ce cas, partons, fit Brendol d’un ton satisfait.
Seule Gosta était descendue du véhicule, mais elle semblait réticente à y remonter. Elle paraissait fascinée et séduite par les motos speeders, ou peut-être par les troopers qui les pilotaient.
Phasma, remarquant qu’elle s’approchait furtivement des engins, l’appela :
— Gosta ! Bouge-toi !
— Je me demandais s’il était possible de monter sur la moto speeder avec Elli, fit Gosta en essayant de paraître fière et courageuse. Ce serait bien que l’un d’entre nous sache conduire. Au cas où on perde quelqu’un.
Phasma se tourna de nouveau vers Brendol.
— Ça ne me pose aucun problème, dit-il. Cependant, cette jeune fille ne peut pas se permettre d’inventer des surnoms à mes troopers, ce ne sont pas des animaux de compagnie. Mais elle a raison : nous devons prévoir des pertes. LI-2003 pourra lui apprendre. Faisons une pause avant de reprendre la route.
Tandis que Siv distribuait de l’eau et des lanières de viande, elle observait subrepticement la jeune fille interagir avec Elli. À part durant les rares moments où ils retiraient leur casque – et leur bref séjour dans les installations de la Con Star Mining Corporation –, Siv ne s’était guère intéressée aux soldats. Hormis quelques différences de carrure ou de taille, ils semblaient parfaitement identiques. Ils restaient la plupart du temps entre eux et Brendol les réprimandait dès qu’ils exprimaient un avis personnel ou échangeaient avec les autres. Pourtant, Elli n’avait pas l’air si terrible : elle montrait des parties de la moto speeder à Gosta, qui sourit de toutes ses dents en se sanglant au siège. La mère de Siv lui avait raconté sa propre enfance : à l’époque, les enfants avaient le droit de jouer ou de ne rien faire. Désormais, dans le Scyre, tous travaillaient dès le plus jeune âge, même si leur seule tâche était de chasser les oiseaux avec un bâton pour protéger la viande ou les légumes de mer séchés, un poste que Frey avait occupé toute petite, pendue à un rocher par un harnais. Siv se rendit compte qu’elle n’avait jamais vu Gosta aussi heureuse, les yeux brillants, souriant sans retenue.
Une main posée sur son ventre, Siv pria pour qu’ils parviennent à atteindre le vaisseau de Brendol sains et saufs. Elle n’avait confié son secret à personne, car la plupart des enfants disparaissaient bien avant terme. Cependant, elle caressait désormais l’espoir de quitter cette planète agonisante.
Tandis qu’ils terminaient leur repas, les Scyres s’arrêtèrent pour observer Gosta, qui pilotait pour la première fois la moto speeder sur une courte distance, filant au-dessus des dunes avec des cris de joie. Un moment délicieux, que Siv chérissait encore. Surtout au regard des événements qui suivirent.
— On n’a pas que ça à faire, aboya Brendol.
Ils se détournèrent de ce spectacle, puis grimpèrent dans le véhicule pour contourner la cité verte. Ils occupèrent à tour de rôle la tourelle au-dessus du siège passager, équipée du plus gros canon que Siv avait jamais vu – une arme « incroyablement destructrice », d’après Brendol. Pour l’instant, elle n’avait pas servi, mais il l’avait essayée rapidement et la manière dont elle crachait le feu dans le sable était impressionnante. Pour constater les dommages, ils avaient dû marcher cinq bonnes minutes avant d’atteindre les marques calcinées, d’où ils avaient exhumé des blocs tordus de verre gris et trouble. Brendol avait expliqué que la chaleur du laser avait fait fondre le sable.
Phasma avait passé plus de temps que tous les autres dans la tourelle, malgré la chaleur qui régnait sous son dôme protecteur. Elle y siégeait présentement, avec son casque, les doigts serrés sur la grosse poignée du canon. En la regardant, Siv fut rassurée sur l’issue de leur périple. L’espoir était un sentiment nouveau pour elle et, en l’absence de Gosta sur la banquette, elle se risqua à passer la main dans le dos de Torben, puis à poser la tête sur son épaule chaude et rassurante. Cette sensation de sécurité était si rare qu’elle voulait en profiter au maximum.
Brendol se dirigea vers la gauche pour contourner la ville. Phasma garda le silence, se contentant de faire pivoter le canon en direction des murs verts. Siv n’aimait pas l’aspect de ces plantes, de longues lianes aux feuilles larges constellées de minuscules fleurs roses. Deux motos speeders filaient en tête du convoi, à gauche et à droite du VAT, mais à une distance respectable. La dernière moto speeder restait en arrière-garde. Siv regardait Gosta, les bras passés autour d’Elli, les cheveux flottant au vent, quand quelque chose attira son attention, juste devant les motos speeders. Elle ne savait pas ce que c’était, mais cria :
— Stop ! Cette chose…
— Quoi ?
Brendol n’avait pas fini de formuler sa question que la moto speeder d’Elli se renversa, l’avant s’enfonçant dans le sable, projetant le trooper et Gosta dans les airs.
— PT-2445, arrête-toi ! cria Brendol dans la comm à son poignet.
Hux freina brutalement et le VAT s’immobilisa dans une gerbe de sable.
Les autres motos speeders effectuèrent un dérapage contrôlé et les bottes de Pete se posèrent sur le sol dans un nuage gris. Il sauta immédiatement de la moto speeder pour courir vers Elli, étalée dans le sable. Avant de l’avoir atteinte, il disparut complètement.
— PT-2445, au rapport !
— Il y a un fossé, chef. Plein de pics. Heureusement, je suis tombé à côté. Rien de cassé. La moto speeder de LI-2003 est là, avec… Merde. Des dizaines de véhicules. Et de cadavres. De vieux os accrochés aux pics…
— HF-0518, tu as entendu. Avance avec précaution. Sors PT-2445 de ce fossé.
Phasma se laissa glisser de la tourelle.
— Siv, occupe-toi du canon. Je vais chercher Gosta.
Siv acquiesça et s’exécuta. Sous la bulle de plastique, une vague de chaleur la balaya, qu’elle ignora, s’installant péniblement dans le siège pour scruter la zone où les deux femmes étaient tombées. La jeune Scyre se releva, le visage à découvert. Elle frottait un endroit ensanglanté dans ses cheveux d’un air hagard.
— J’y vais aussi, fit Torben.
Phasma descendit du VAT, un blaster dans une main et sa hache dans l’autre. Torben la suivit, avec sa massue et sa lame, comme s’il avait complètement oublié le blaster à sa ceinture. Siv remarqua que Brendol restait derrière le volant, à aboyer des ordres dans sa comm, sans aucune intention de descendre.
Elle serra le fusil en tremblant et essaya de se concentrer sur les siens à travers le voile de chaleur et de poussière. Quelque chose se refléta sur le plastique transparent, au-dessus de sa tête. Le temps qu’elle se retourne dans la tourelle, il était trop tard.
— Brendol ! On nous attaque par-derrière !
Elle ne pouvait distinguer Phasma, mais Torben lui avait raconté la scène par la suite. Phasma courut vers le fossé, qu’elle franchit d’un bond, mais parvint tout juste de l’autre côté, bataillant dans le sable fuyant. Torben tenta de l’imiter, mais il était plus lourd, plus massif et moins rapide. Il roula dans le sable, glissa entre les pics et termina sa course parmi les os et les carcasses rouillées. Il vit Pete qui cherchait à attraper le gant de Huff, se précipita pour l’aider. Mais quand Torben tendit la main à son tour, les stormtroopers avaient déjà disparu. Il était seul dans le trou, trop profond pour qu’il puisse en sortir seul.
— Phasma ! appela-t-il. Je suis coincé en bas. Gosta va bien ?
— Une légère blessure à la tête, répondit Phasma. Rien de grave. Il n’y a rien en bas qui puisse t’aider à remonter ?
Torben se protégea les yeux pour chercher alentour.
— La moto speeder. Elle flotte encore un peu…
— Prends-la.
— Elle ne flotte pas assez.
— Lève-la jusqu’à moi dans ce cas.
Phasma apparut de l’autre côté du fossé. Torben souleva la moto speeder jusqu’à ce que son nez pointu soit à portée de Phasma.
— On va en faire un pont, expliqua-t-elle. (Ils placèrent le véhicule endommagé en travers du fossé.) Soutiens-la pendant que je la fais traverser.
Le fossé s’étendait loin de chaque côté, il était impossible de le contourner. Un piège destiné à attraper tout ce qui passait, ce qu’ils ne découvrirent que plus tard.
Torben savait que la tribu avait besoin de ses muscles puissants. Depuis la naissance, il s’était renforcé pour aider son peuple. Il se plaça sous la moto speeder, la stabilisa.
— Prêt ? demanda Phasma.
— Pourquoi ? Tu préfères attendre ?
Tandis qu’il soutenait la moto speeder, Phasma apparut près du bord, portant une Gosta inconsciente, dont la tête saignait abondamment. Torben se contracta pour supporter leur poids et Phasma traversa avec une agilité que Siv qualifia plus tard de surhumaine. Une fois de l’autre côté, elle s’arrêta.
— Maintenant, sers-toi de la moto speeder pour grimper. Je dois mettre Gosta en sécurité. (Elle se tourna vers le VAT et se figea sur place.) On est attaqués, vite ! lança-t-elle avant de disparaître.
Torben suivit ses consignes ; il plaça l’arrière de la moto speeder contre le bord du fossé, puis l’utilisa comme une échelle. Une fois sorti, il se précipita vers les échos de la bataille.
Siv, pour sa part, put enfin goûter à la puissance destructrice du canon. Les assaillants conduisaient plusieurs VAT semblables au leur, tous aux couleurs de la Con Star Mining Corporation. Mais les véhicules avaient été agrémentés de pointes et de chaînes, transformant ces machines de prospection en monstres de combat, un peu comme les guerriers scyres se muaient en bêtes griffues et emplumées.
Siv parvint à toucher le premier VAT, qui effectua plusieurs tonneaux avant de s’écraser dans une explosion spectaculaire. Mais elle n’eut pas le temps de se réjouir : autour d’elle, le véhicule tout entier fut ébranlé par un tir ennemi. Ses mains glissèrent de la poignée, sa tête cogna contre la bulle de plastique et elle faillit perdre connaissance.
— Accroche-toi, lança Brendol.
Il mit le VAT en mouvement, prit un virage serré à gauche et écrasa l’accélérateur. La tourelle pivota ; Siv lutta pour garder l’esprit clair et trouver une cible. Elle comprit rapidement que Brendol n’aiderait personne ; il prenait de plus en plus à gauche, vers le désert, loin de la ville et du fossé. Il ne communiquait pas avec ses hommes, n’essayait pas de se battre ou de sauver qui que ce soit.
Il se contentait de fuir.
Les autres véhicules les prirent en chasse ; les tirs successifs de Siv furent moins aussi efficaces que le premier. Brinquebalée dans la tourelle, elle commençait à avoir mal au cœur. Elle avait perdu de vue Phasma et Torben. Un des véhicules ennemis roula sur une moto speeder, la brisant comme un jouet d’enfant.
— Il faut faire demi-tour, hurla-t-elle. Ils ont besoin de nous ! Ils vont tous y rester !
— Faux. Nous devons nous enfuir. Jusqu’à mon vaisseau. On ne peut rien pour l’instant.
Siv rugit de rage : ce n’était pas ainsi que l’on vivait dans le Scyre ! Chacun avait son importance, un rôle précis. S’il était prêt à abandonner les siens pour sauver sa peau, Brendol devait venir d’un endroit bien différent. Et que dire de sa conscience ? Il parvenait manifestement à vivre avec de telles décisions, sans être écrasé de honte et de regrets.
Malgré la situation, même en se sachant débordée par le nombre, Siv faillit sauter de la tourelle, quitter le VAT pour rejoindre Torben, Phasma et Gosta. Mais elle n’en eut pas l’occasion. Le véhicule s’arrêta brusquement en soulevant un nuage de sable.
— Que se passe-t-il ?
— On a heurté quelque chose.
Siv descendit en hâte jusqu’au siège passager, pour se retrouver face à une lance abîmée. Brendol avait les mains levées, elle l’imita. Les assaillants étaient étranges, uniquement vêtus d’habits colorés, finement tissés, semblables à ceux que les Scyres conservaient dans le Nautilus parmi leurs reliques. Pas d’armures ni de masques. Mais chaque centimètre carré de peau était couvert de tissu, jusqu’au bout des doigts. De longues bandes s’enroulaient autour de leur tête, ne laissant apparaître que leurs yeux.
— Sortez sans opposer de résistance, fit celui qui devait être leur chef. (Il avait un drôle d’accent, plus proche cependant de celui de Brendol que de celui de Siv.) Nous détenons déjà vos compagnons, ne jouez pas les héros. Pas pour l’instant.
Ces derniers mots étaient pour le moins inattendus, mais Siv n’eut pas le temps d’y réfléchir. La porte s’ouvrit et elle descendit du VAT dans un nuage de poussière. Ils clipsèrent des menottes en plastique autour de ses poignets, puis la fouillèrent pour lui retirer ses armes. De l’autre côté du véhicule, Brendol subissait le même traitement, le visage empourpré de colère. Deux autres groupes d’étrangers vêtus de couleurs vives les rejoignirent, escortant Pete et Huff, enchaînés mais apparemment indemnes, et traînant une Elli inconsciente.
— Où sont les autres ? demanda le chef à une femme.
— Encore en train de se battre.
— Ils gagnent ?
La femme gloussa.
— Ils vont gagner. On gagne toujours.
— Arratu ! lança le chef avant de pousser un hurlement, sa lance brandie vers le ciel.
— Arratu ! répondirent les autres en reprenant son cri dément.
Brendol arbora un air dégoûté.
— Quelle folie, murmura-t-il.
— On profite du spectacle ? demanda le chef à la cantonade.
Un concert de cris vint saluer sa proposition. Siv, comme les autres, se tenait face à une vaste étendue de sable. Phasma et Torben se battaient dos à dos, protégeant Gosta, allongée entre eux sur le sol. Phasma tenait son blaster dans une main et sa hache dans l’autre, et, à en juger par les formes bigarrées et immobiles sur le sol autour d’elle, elle avait déjà abattu deux ennemis. Torben faisait tournoyer sa hache et sa massue cloutée, trois cadavres à ses pieds. Phasma tira dans le bras d’un assaillant, puis pivota et lui enfonça sa lame dans la poitrine, le poussant du pied tandis qu’il s’écroulait. Le cercle formé autour d’eux s’écarta un peu, hésitant.
Torben rugit ; Siv, qui savait ce qui allait suivre, sourit. Une arme mortelle dans chaque main, il se rua sur la ligne ennemie, tournoyant avec une grâce et une légèreté surprenantes pour un homme de sa corpulence, taillant dans les entrailles jusqu’à former un cercle de sang. Une éruption de scarabées fit bouillonner le sable. Siv cria :
— Torben ! Replie-toi !
Torben leva les yeux vers elle, paniqué – et fut capturé à cet instant précis.
L’emprisonnant dans un filet, les assaillants le plaquèrent au sol. Le Scyre voulut se relever pour se dégager, mais quelqu’un tira d’un coup sec sur une corde, le filet se resserra autour de ses chevilles et il perdit l’équilibre.
Le chef, qui se tenait entre Siv et Brendol, éclata de rire.
— Même les plus puissants se soumettent à la volonté d’Arratu, gronda-t-il.
Seule Phasma était encore debout et n’avait pas ralenti sa cadence. Elle blessait les assaillants avec son blaster, puis les achevait avant qu’ils puissent réagir. Regardant autour d’elle, Siv constata que les autres n’intervenaient pas. Ils avaient tous des blasters, disposaient d’armes lourdes sur les VAT, mais paraissaient plus intéressés par les passes d’armes que par la protection des leurs.
Il ne s’agissait donc pas d’une attaque semblable à celle de Balder, d’un pari risqué où l’on échangeait des vies contre des ressources. Ces gens-là voulaient des prisonniers. En vie. Même le grand Torben, qui avait tué plusieurs d’entre eux, était indemne. Malgré de nombreuses pertes, la cinquantaine d’hommes restait là, à regarder.
— Que nous voulez-vous ? demanda Siv à leur chef.
— Tu verras, petite puce des sables. Pour l’instant, profitons du spectacle.
Le combat de Phasma fut vaillant, extraordinaire et sanglant. Même en mouvement ou en tirant au jugé, elle maniait le blaster avec une précision infaillible, instinctive. Elle mutilait ses ennemis, puis les achevait. L’un d’eux se retrouva coupé en deux au niveau du ventre et, à la grande surprise de Siv, leur chef éclata d’un rire tonitruant.
— Justinian a toujours été un peu trop grand, non ? s’exclama-t-il.
Siv était de plus en plus écœurée. Ces gens n’étaient pas aussi purs et sincères que les Scyres. Ils ne se battaient pas pour vivre, manger ou conserver leur espace vital, mais uniquement pour le plaisir – un abominable blasphème.
— J’en ai assez, fit le chef. Dis à Seylon d’arrêter.
La femme à qui il s’était adressé hocha la tête et partit en courant dans le sable, ses immenses chaussures soulevant des nuages de sable. Ce qu’elle dit en atteignant le groupe de combattants autour de Phasma eut l’effet escompté. Un grand homme s’écarta des autres, brandissant une longue lance qui jetait des éclairs. Tandis que trois autres assaillants narguaient Phasma dans son dos, il la toucha nonchalamment du bout de son arme. Des arcs électriques parcoururent son casque et son corps ; elle se contracta et tomba à la renverse dans le sable, les muscles crispés, laissant échapper un peu de fumée.
— Emballez-les, dépêchons-nous de rentrer à la maison avant la prochaine tempête. L’Arratu sera satisfait.
Le chef s’installa calmement dans un VAT, pendant que le reste du groupe houspillait et poussait les captifs. Quand Phasma cessa de faire des étincelles, Seylon lança un autre filet, la traîna puis la hissa dans un VAT, avant de jeter son casque à l’intérieur. Brendol et Siv furent menés ensemble jusqu’à un véhicule couvert de pointes, dont l’habitacle avait une étrange odeur épicée.
— Tu vois ? souffla Brendol à Siv. (Elle regardait Torben, maintenant hors de son filet et obligé de porter Gosta, toujours inconsciente, jusqu’à la banquette arrière d’un troisième VAT.) Je te l’avais dit. Je parie que l’Arratu vit dans le plus haut bâtiment de la ville et a des attentes démesurées.
Siv n’aimait pas Brendol Hux, elle n’avait pas confiance en lui, mais sur ce point précis, il avait probablement raison.
Elle se serait bien passée de rencontrer cet Arratu.