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À bord de l’Absolution
Le Starhopper prisonnier glisse à l’intérieur de l’Absolution et se pose doucement sur le pont. C’est un petit engin, juste assez grand pour accueillir un pilote, un droïde et un hyperdrive, mais dans le ventre du vaisseau de guerre, il est réduit aux dimensions d’un jouet d’enfant, d’un insecte peut-être. Vi a la même sensation – celle d’une poussière minuscule, insignifiante, encerclée par des prédateurs bien plus gros, bien plus dangereux. Elle frissonne en se demandant si ce pont noir et blanc, impersonnel, sera la dernière chose qu’elle verra, si elle sera un pilote de plus porté disparu, dévoré par le mystérieux Premier Ordre.
Au cas où, contre toute attente, elle parvienne à se sortir de là, elle dénombre et mémorise tout ce qu’elle voit : des centaines de chasseurs Tie, des transports de troupes, des speeders et même quelques bipodes. La générale Organa sera ravie de connaître la force de frappe de leur ennemi dans cette nouvelle bataille. La Résistance ne fournit à Vi que les éléments indispensables à ses missions, mais au vu des informations qu’elle lui a elle-même vendues, toute forme d’aide est bienvenue. D’ailleurs, à cet instant précis, face à des probabilités impossibles, c’est également son cas.
Tandis que des stormtroopers encerclent son vaisseau, la tenant en joue, leur chef attire son attention. Évidemment, elle a déjà vu des soldats, mais jamais comme celui-ci. Son armure rouge vif contraste étrangement avec les uniformes habituels et la violence sanguine de la teinte lui donne un air menaçant dont leur blanc immaculé est dépourvu. Une cape blindée est jetée sur l’une de ses épaules, un droïde sphérique noir flotte dans les airs à ses côtés. Même si ce type était vêtu comme ses soldats, et même si elle ignorait de qui il s’agit, son importance est manifeste. Sa réactivité et son degré de concentration tranchent avec ceux des fantassins. Elle lui lance un regard furieux tandis qu’un de ses hommes ouvre l’écoutille du vaisseau et braque un blaster sur sa poitrine. Durant toute l’opération, elle arbore l’air d’un contrebandier normal capturé par l’ennemi : effrayé, mais plein de défiance. Elle doit la jouer fine si elle veut survivre assez longtemps pour s’échapper.
— Sortez, aboie le trooper rouge.
Elle attend un moment, les doigts crispés sur les accoudoirs, puis s’extrait de son appareil et pose le pied sur le pont du Destroyer Stellaire.
— Les mains sur la tête.
Vi s’exécute… mais en retour, elle doit le tester.
— Vous êtes censé être quoi ? demande-t-elle. Le gros bouton rouge ? Le frein d’urgence ?
Il ignore ses provocations et lui clipse des menottes autour des poignets.
— Que faites-vous dans ce secteur ?
— Comme vous. Je profite du calme et de la tranquillité. Du moins, j’en profitais. Écoutez, je suis une négociante indépendante et je voyage en toute légalité. Je n’ai de problème avec personne. Pourquoi dégainer les blasters ? (Gigi bipe, paniqué, et Vi se tourne pour découvrir deux troopers qui fouillent son habitacle.) Pourquoi ces types malmènent-ils mon droïde ? (Un des soldats sort violemment la laine du sac et se met à manipuler le pull de ses gants maladroits, comme s’il cherchait des armes.) Hé ! Soldat Copain ! J’ai passé du temps là-dessus ! Vous ne pouvez pas tripoter comme ça les affaires personnelles des gens. Et d’abord, qui êtes-vous ?
— Silence, ordonne le chef.
— Je vous ai posé une question. Qui êtes-vous ?
Il fait un pas en direction de Vi et lui plante son blaster dans le ventre.
— Celui qui commande. Et donc celui qui pose les questions.
— Mais, l’Empire a disparu, non ?
Il glousse.
— Nous ne sommes pas l’Empire. Tu le sais très bien.
— Capitaine, appelle un des troopers dans le cockpit. Nous avons le journal de bord. Les planètes visitées récemment sont Arkanis, Coruscant et Parnassos.
Le blaster s’enfonce dans son ventre. Elle va avoir un bleu. Une de ces trois planètes a dû le contrarier, mais laquelle ? Pas Coruscant, très densément peuplée. Arkanis ou Parnassos, dans ce cas. Il y a beaucoup de secrets du Premier Ordre sur ces deux planètes, mais pas grand-chose d’autre. Ils ne vont plus la laisser partir, maintenant. Une bonne chose qu’elle ait récupéré cette guimbarde deux sauts après D’Qar : moins ces monstres en savent sur cette planète, mieux c’est. Ils vont se montrer suspicieux désormais, mais elle doit se comporter normalement, c’est-à-dire de manière agressive. Ce n’est pas parce qu’elle connaît l’identité du trooper rouge que la réciproque est vraie.
— Ce que vous faites est illégal, crie-t-elle à l’attention du soldat qui saccage le Starhopper. C’est mon vaisseau.
— Non, plus maintenant. Fouillez cet appareil et saisissez le droïde pour démontage, puis retournez à vos postes, ordonne le capitaine à ses hommes. Je vais m’occuper en personne de cet interrogatoire.
— En personne, hein ? lâche Vi.
Il la fait pivoter et lui enfonce son blaster dans la colonne vertébrale – un changement relativement bienvenu, au moins pour son ventre.
— Avance. Je sais qui tu es, Vi Moradi, espionne de la Résistance. Je me ferai un plaisir de t’abattre.
— Je ne sais pas de qui vous parlez. Je suis négociante, mon patron ne va pas apprécier.
— En effet, elle ne va pas aimer ça.
Son cœur chavire. Il sait. Elle peut presque sentir son doigt sur la détente. Il brûle d’appuyer. La sueur coule dans le cou de Vi tandis qu’elle l’observe par-dessus son épaule. Elle avait espéré une arrestation arbitraire, comme le Premier Ordre en était coutumier. Repérer un vaisseau à un endroit où il ne devrait pas se trouver, le saisir, se débarrasser du gêneur qui l’occupe. Mais s’il connaît son nom et celui de son commanditaire, que sait-il d’autre ?
Il lève les yeux vers le poste de contrôle, l’air presque nerveux. Quand il la pousse du bout de son blaster, elle obéit.
— Il arrive que les patrons posent problème, concède-t-il. Maintenant, avance.
Vi a été entraînée à enregistrer les moindres détails, mais elle ne parvient pas à mémoriser les détours labyrinthiques des entrailles de l’immense Destroyer Stellaire. La succession de longs couloirs, d’intersections, de turbo-ascenseurs qui montent et qui descendent l’empêche de retenir le trajet parcouru. Voir les plans de ce genre de vaisseaux ennemis est une chose, mais appréhender leur gigantisme en est une autre. Tandis qu’il la fait entrer dans un nouvel ascenseur, l’homme en rouge se tient devant le panneau afin qu’elle ne puisse pas voir à quel étage ils se rendent.
— On va chez toi ou chez moi ? demande Vi, espérant l’inciter à faire un pas de côté.
Mais l’homme en rouge reste silencieux, son arme toujours plantée dans les côtes de Vi ; le droïde sphérique flotte près de lui. Le blouson en cuir de la jeune femme est doté d’un blindage, mais il ne suffirait pas à arrêter un coup fatal à cette distance. Le truc, c’est qu’elle sait qu’il ne va pas faire feu. Mais elle doit jouer le jeu. Quand elle commence à baisser lentement les mains, il la rappelle à l’ordre d’un claquement de langue.
— Tsk ! Les mains sur la tête. Tu connais la chanson, ordure.
Le blaster s’enfonce dans ses reins ; les mains de Vi remontent aussitôt.
— Écoutez, je ne suis pas une ordure. Je ne sais pas pour qui vous me prenez, mais je suis une simple commerçante. Je fais peut-être un peu de contrebande, comme tout le monde, mais de toute façon, cela ne regarde que la Nouvelle République, non ? Je suis revenue dans le passé ? Je ne devrais pas être dans une cellule, en attendant de parler à un bureaucrate cadavérique avec le képi de travers ?
La porte de l’ascenseur s’ouvre en coulissant, l’homme la pousse dans un couloir qui ressemble à un cachot. Ils n’ont croisé personne dans les étages supérieurs ; Vi est prête à parier que cela tient autant au trooper et à sa connaissance des horaires rigoureux du vaisseau qu’aux indiscrétions de son droïde, qui s’éloigne de temps en temps pour jouer les éclaireurs. Mais ici… Eh bien, il est évident que personne ne descend ici. À part ceux qui souhaitent rester discrets.
L’éclairage est faible, vacillant, des gouttes tombent du plafond, une fuite dans les conduits d’aération peut-être. Ils se sont profondément enfoncés dans le ventre du vaisseau, dans une zone interdite ou négligée. Et ce n’est pas bon pour Vi. Même le Premier Ordre a des règles, que le trooper rouge a enfreintes. Si ce type la tue, il pourra même éviter la paperasse. Elle ne sera qu’un tas d’ordures parmi d’autres glissant vers l’incinérateur.
Super. Les Résistants ne savent pas grand-chose de l’ennemi qu’ils affrontent, la Nouvelle République ne le considère pas comme une véritable menace, et Vi n’a pas été informée du protocole que ces gens ont l’habitude de suivre. Elle ne sait pas à quoi s’attendre. On l’a entraînée à résister aux interrogatoires, mais elle ignore tout des jouets dont dispose ce type en rouge. Un frisson lui parcourt l’échine. Tout ça la dépasse peut-être.
— Ils t’ont installé sur le toit-terrasse, hein, Frein d’Urgence ? (Elle bavarde toujours quand elle est vraiment inquiète.) Le top du top. On peut appeler le room service ?
Le blaster ne quitte pas sa colonne vertébrale. Son gardien lui indique où aller – tourne ici, tourne là – sans répondre à ses provocations. Au bout d’un moment, il finit par taper un code sur un tableau de commande mural et une porte coulisse, bien moins aisément que Vi ne s’y attendait dans un vaisseau aussi récent que celui-ci. La pièce, plus froide qu’elle ne devrait l’être, sent l’humidité, le métal et – il ne faut pas se voiler la face – le sang. Le droïde sphérique se précipite le premier à l’intérieur et éteint les caméras, les unes après les autres. Vi s’arrête sur le seuil mais, la touchant pour la première fois, le trooper la pousse violemment de sa main gantée. Elle tombe à genoux, les doigts serrés sur une grille rouillée encastrée dans le sol.
— Debout.
— Toi, tu sais vraiment parler aux femmes.
Il la saisit par le col de son blouson et la relève en la faisant pivoter. Elle recule en trébuchant jusqu’à ce que son dos heurte le métal froid de la cloison. La pièce n’est pas bien grande, trois mètres par quatre environ, et elle n’a visiblement qu’une seule vocation : l’interrogatoire. Enfin, deux si l’on compte la torture. Trois, en ajoutant sa mort, inéluctable puisqu’elle n’allait livrer aucune information concernant la Résistance. L’espace est principalement occupé par une chaise d’interrogatoire, les seuls autres meubles étant une simple table et deux sièges branlants en métal, probablement l’endroit où les méchants pouvaient s’asseoir avec une tasse de café et relire leurs notes pendant que leur victime se vidait de son sang.
— J’espère que les draps sont propres.
Il secoue la tête, l’air déçu, attrape les revers de son blouson et la traîne jusqu’à la chaise d’interrogatoire. Ils appellent ça une chaise, mais l’appareil ressemble en réalité à un brancard vertical doté de pinces métalliques destinées à maintenir sa tête, sa poitrine et ses poignets, tandis que ses pieds reposent sur un marchepied. Au cours de son entraînement, Vi a vu quantité d’images de ces machines, des plus anciennes, au temps des Inquisiteurs de l’Empire, jusqu’aux modèles actuels, plus sophistiqués, fabriqués pour les Hutts et autres brutes pleines de crédits voulant obtenir des informations sans se salir les mains. Ce modèle, constate-t-elle la gorge nouée, dispose d’un système d’assistance respiratoire et d’une sonde mentale, ce qui veut dire que son gardien, sans parler, peut avoir directement accès à son cerveau. Vi a été entraînée à supporter les coups de poing et les blessures, mais personne n’a encore trouvé la manière d’échapper aux attaques contre le système nerveux. Elle songe pour la première fois à la dent empoisonnée implantée au fond de sa mâchoire, qu’elle caresse de la langue tandis que les menottes métalliques claquent autour de ses bras et de son torse.
Elle ne va pas la rompre pour l’instant. Il y a encore un moyen de s’en sortir. C’est forcé. Avec tout ce qu’elle sait maintenant, la Résistance pourrait faire d’énormes avancées. Elle aura une meilleure idée de ce qu’elle affronte, en termes d’effectifs, de technologie et de psychologie de l’ennemi. Mais pour cela, Vi doit survivre à cet interrogatoire, physiquement comme mentalement. Et donc, cesser de penser à sa situation et commencer à s’intéresser à son ennemi, à ses motivations.
Par chance, elle en sait bien plus sur lui qu’il n’en sait sur elle.
Après l’avoir attachée, il allume d’un doigt le tableau qui surveille ses signes vitaux, vérifie les données.
— Ton pouls est élevé, fait-il remarquer.
— Ouais, eh bien, je suis attachée à une chaise de torture, les pieds dans le sang séché d’un autre. Ça me paraît naturel, comme réaction.
— Tu caches quelque chose.
— Comme tout le monde.
Le casque rouge qui s’incline, presque imperceptiblement, marque son assentiment. Elle le regarde longer les murs de la pièce, vérifiant une nouvelle fois les caméras que son droïde a éteintes, ainsi que ce qu’elle devine être le système comm. La sphère flotte à côté de son épaule, menaçante, tourne lentement, comme pour la mettre en garde.
Ce n’est pas officiel.
Au contraire.
Personne ne les voit.
Il n’y aura ni interruptions ni répit.
Ce n’est pas ainsi que procède le Premier Ordre.
— Tout ça est donc personnel, note Vi.
— Nous verrons. Ça dépend de toi. Je peux utiliser la manière douce ou la manière forte.
Vi se tortille pour tester la résistance de ses liens.
— Me laisser partir, ça, ce serait vraiment, vraiment facile : tu peux fouiller tant que tu veux, je n’ai aucune information utile. Demande à tes gars de démonter mon vaisseau et mon droïde, défais mon tricot, perds ton temps à sonder mon esprit. Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais tu te trompes. Je ne faisais que passer, je suis inoffensive.
Il se tient maintenant devant elle, les jambes écartées, les bras croisés. Son blaster, rouge et luisant, est clipsé sur sa hanche. Il le tapote de ses doigts gantés de rouge – encore un avertissement. Tout peut arriver.
— Tu es Vi Moradi, nom de code Starling, célèbre espionne de la Résistance. Et tu détiens les informations dont j’ai besoin.
— Et toi tu es le Gros Bouton Rouge. Que se passe-t-il si j’appuie sur ta poitrine ? Ça allume la lumière quelque part ? Quelque chose explose ?
— Tu ne le nies pas ?
Si elle n’était pas menottée et entravée, elle hausserait les épaules.
— C’est ta séance de torture, à toi de démêler le vrai du faux.
— Tu étais sur Parnassos.
Vi est trop bien entraînée pour grimacer.
— Ah bon ? Et qu’est-ce que Parnassos a de si important ?
Son geôlier la dévisage.
— Rien. C’est bien l’idée. Maintenant, dis-moi ce que tu sais de la capitaine Phasma.