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Le cours de vengeance-ologie

Dans quoi me suis-je embarquée ? » se demanda Athéna en quittant le bureau de Zeus.

Elle déambulait dans le rutilant hall principal aux carreaux de marbre, si occupée par ses pensées qu’elle voyait à peine les magnifiques fontaines dorées et les murales illustrant les glorieuses actions des dieux et des déesses en passant devant.

Héraclès et elle ne s’étaient pas encore parlé, que déjà son père s’attendait à ce qu’ils deviennent de bons amis. Et Zeus avait clairement laissé entendre qu’il serait très déçu si elle ne réussissait pas à… en fait, à quoi, exactement ? Toute une déesse de la sagesse ! Elle avait accepté d’aider Héraclès sans vraiment savoir ce que Zeus attendait d’elle exactement. Il avait dit qu’Héraclès était impétueux. Était-elle alors censée l’empêcher d’avoir des ennuis ? Ou peut-être l’aider dans ses pires matières scolaires ? Oh, pourquoi n’avait-elle pas posé plus de questions quand elle en avait eu l’occasion ?

Déviant vers la gauche, elle dépassa un jeune dieu portant des cornes spiralées et une queue écaillée ainsi que deux jeunes déesses aux cheveux roses et aux grandes ailes avant de s’arrêter devant son casier.

— Numéro 183, ouvre-toi, psalmodia-t-elle.

La porte de son casier s’ouvrit à la volée, et elle prit dans la pile ordonnée le rouleau de texte dont elle avait besoin pour son cours suivant. La cloche-lyre sonna au moment même où la porte de son casier se refermait.

Athéna jeta un coup d’œil en direction du héraut qui se tenait sur le balcon au bout du couloir.

— Le cours commencera dans deux minutes, annonça-t-il d’une voix forte et solennelle.

Puis il frappa la cloche-lyre de nouveau avec son petit maillet :

Ping ! Ping ! Ping !

Athéna lui fit un signe de la main. Il était plutôt guindé et très fier de ne jamais se laisser distraire ; les étudiants s’amusaient donc à essayer de le surprendre et de le faire sursauter. Cela ne fonctionna pas cette fois. Se retournant, elle se dépêcha de se rendre au cours de vengeance-ologie. Son enseignante, madame Némésis, se tenait à la porte, hochant brièvement la tête pour saluer chacun des élèves qui entraient dans la classe. Elle était heureuse d’arriver à temps, car madame Némésis était portée sur les punitions bien méritées et pas toujours agréables. Pourtant, Athéna l’admirait en secret, car elle était audacieuse et indépendante. Une femme forte, tout comme celle que voulait devenir Athéna.

Faisant le tour des grandes ailes de l’enseignante, Athéna se dirigea vers sa place. En passant devant Méduse, les cheveux de serpents de celle-ci se mirent à se tortiller et à siffler. Athéna s’inclina de côté pour les éviter.

— Désolée, dit Méduse en haussant les épaules. Mes reptiles n’aiment tout simplement pas les fines mouches. Que veux-tu que j’y fasse ?

« Espèce de gorgone » pensa Athéna tout bas, car elle n’était pas mesquine comme certaines personnes.

Ce n’était un secret pour personne que la mère d’Athéna était une mouche, mais Méduse et ses deux sœurs étaient les seules élèves suffisamment mesquines pour la taquiner à ce sujet. L’ignorant, Athéna continua son chemin. Une fois assise, elle déposa ses rouleaux sur le bureau, puis fouilla dans son sac pour y trouver une plume.

Boum !

Le bruit sourd fit sursauter Athéna.

— Hé, fais attention avec ce machin ! grogna Méduse.

Athéna leva les yeux pour voir Héraclès à quelques sièges devant elle se débattant pour garder en équilibre une pile de rouleaux de textes. Son gourdin reposait sur le sol, à côté du bureau de Méduse, là où il était tombé.

— Désolé, dit-il à Méduse.

Lorsqu’il s’arrêta pour ramasser son gourdin, les serpents dardèrent la langue en sa direction. Plus rapide que les éclairs de Zeus, Héraclès attrapa une pleine poignée de serpent dans sa main libre et commença à les serrer.

— Arrête ! cria Méduse. Tu les étrangles.

Du devant de la pièce, madame Némésis jeta un regard sévère à Héraclès.

— Il y a un problème ?

L’air penaud, Héraclès libéra les serpents. Ceux-ci s’affaissèrent, semblant étourdis, mais néanmoins sains et saufs. Madame Némésis lui montra du doigt un bureau libre à côté d’Athéna, de l’autre côté de l’allée.

— Assieds-toi, s’il te plaît.

— D’ac, dit-il en se dirigeant d’un pas nonchalant vers le bureau.

Il y jeta ses rouleaux de texte, puis laissa tomber son gourdin sur le sol à côté de sa chaise. Bang ! Alors qu’il s’assoyait, Méduse tourna la tête pour le dévisager.

— Ne la regarde pas dans les yeux, lui murmura rapidement Athéna en se penchant vers lui. Elle transforme les mortels en pierre.

— Merci du conseil, dit-il en portant une main devant ses yeux pour les protéger et en regardant Athéna entre ses doigts.

— Pas de problème, répondit-elle.

Peut-être servir de guide à Héraclès ne serait-il pas si difficile, après tout. Il avait déjà suivi son premier conseil. Quelle chance qu’il soit inscrit à l’un des cours qu’elle suivait !

Athéna jeta un regard vers le devant de la pièce. Madame Némésis était en train d’écrire quelque chose au tableau, tournant le dos à la classe. Sur sa nuque, une pince en or en forme d’épée retenait ses cheveux dorés. Athéna pensait souvent que si Aphrodite avait eu une mère, celle-ci aurait pu ressembler à madame Némésis. Sauf que madame Némésis était beaucoup plus grave et sérieuse qu’Aphrodite. Et grincheuse. Et ailée.

Se retournant vers les élèves, madame Némésis montra du doigt la question qu’elle venait d’écrire sur le tableau.

— Qu’est-ce que la vengeance ? lut-elle à voix haute.

Beaucoup de mains fusèrent, incluant celle d’Athéna. Madame Némésis nomma Méduse.

— Si quelqu’un te fait quelque chose de monstrueux ou de diabolique, ou tout simplement de vache…

Méduse lança cela en plissant des yeux en direction d’Héraclès, qui se pencha pour éviter son regard.

— … ou le fait à tes serpents, poursuivit-elle, alors tu peux lui retourner la monnaie de sa pièce.

— D’accord, dit madame Némésis. Est-ce que quelqu’un pourrait élaborer la réponse de Méduse ?

Les mortels en classe qui avaient levé la main plus tôt la baissèrent lorsque Méduse balaya la pièce du regard. Athéna garda la sienne levée.

— Oui ? dit madame Némésis.

— Le fait est, dit Athéna, que la vengeance, c’est en réalité prendre une revanche. Et pour qu’une revanche soit équitable, il faut qu’il y ait un équilibre, poursuivit-elle, en hésitant toutefois.

— Continue, dit madame Némésis en hochant la tête.

— Eh bien, dit Athéna en tripotant sa plume bleue. C’est le principe d’œil pour œil, dent pour dent. L’ampleur de la punition d’une mauvaise action devrait correspondre à cette action. Par exemple, si une personne vous envoie un coup de pied, vous pouvez lui en donner un en retour, mais lui couper la jambe serait une revanche démesurée.

— Très bien, dit madame Némésis. Quelqu’un d’autre aimerait ajouter quelque chose ?

— Les règles changent en temps de guerre, proposa Héraclès.

Sa cape en peau de lion attirait les regards de ses pairs, mais il ne semblait pas du tout s’en formaliser.

— En quoi ? demanda madame Némésis en levant un sourcil interrogateur.

— Pendant une guerre, dit Héraclès en levant les épaules, les soldats tuent sous les ordres des dirigeants et non parce qu’on leur a fait quelque chose personnellement. Les mêmes règles ne s’appliquent pas.

— Point de vue intéressant, dit madame Némésis.

Athéna pensait comme elle. Le commentaire d’Héraclès l’avait surprise, puisque Zeus semblait si certain qu’Héraclès était davantage doté en muscles qu’en cervelle. Elle lui sourit, et il lui rendit son sourire. Peut-être que devenir amie avec lui se révélerait-il amusant après tout.

Juste avant que la cloche-lyre sonne la fin de la classe, madame Némésis dit :

— Je veux que tous vous lisiez les chapitres trois et quatre de votre rouleau de texte de vengeance-ologie pour lundi. Sans quoi…, poursuivit-elle en plissant les yeux.

Personne n’avait jamais tenté de découvrir ce que « sans quoi » pouvait signifier ; tous les élèves faisaient donc leurs devoirs assidûment.

Héraclès prit sa massue et la fit balancer pour aller la poser sur l’une de ses épaules. Il le fit d’une manière naturelle donnant à penser que le gourdin ne pesait pas plus lourd que la plume d’Athéna, ce qui n’était certainement pas le cas. Puis il attrapa sa pile de rouleaux de textes.

— À plus, dit-il à Athéna.

Tenant les rouleaux de texte au-dessus de sa tête, il se mit en route vers la porte. Soudainement, quelques rouleaux se mirent à glisser.

— Attention ! l’avertit Athéna, mais trop tard. Héraclès fit des efforts vaillants pour essayer de les retenir, mais ne réussit qu’à laisser tomber son gourdin, qu’il reçut sur le pied.

— Ouch ! Ouch ! Ouch ! cria-t-il.

Se tenant le pied à deux mains, il sautillait sur place sur une jambe.

Les étudiants le dévisageaient avec surprise.

— Bien fait pour lui, grommela Méduse en faisant un sourire mesquin.

— Ça va ? dit madame Némésis en s’empressant auprès de lui.

— J’vais bien, marmonna Héraclès en devenant rouge comme une pivoine lorsqu’il s’aperçut que tout le monde le regardait. En fait, poursuivit-il, ça va aller mieux lorsque mon pied cessera de m’élancer.

— Tu en es sûr ? demanda madame Némésis.

— Aucune blessure, dit-il en se tâtant le pied attentivement. Autre qu’à mon orgueil.

Plusieurs élèves se mirent à glousser, mais voyant qu’Héraclès se portait bien, ils commencèrent à sortir de la classe.

Athéna s’agenouilla pour l’aider à ramasser ses rouleaux de texte, enchantée qu’il ait fait preuve d’humour dans son malheur.

— Tu pourrais en mettre quelques-uns dans ton casier, lui suggéra-t-elle. Et il n’est peut-être pas nécessaire de transporter ta massue partout où tu vas.

— Bonne idée, pour les rouleaux, dit Héraclès. Mais mon gourdin ne me quitte pas.

— Tu sais, lui dit-il, alors qu’ils sortaient de la classe ensemble, c’était plutôt gênant, ce qui vient de se passer. Et à ma première journée dans cette école, par-dessus le marché.

— À ma première journée ici, dit Athéna en riant, un cheval jouet que j’avais lorsque j’étais petite est tombé de mon sac au beau milieu du cours.

— Whoa, dit Héraclès en faisant un sourire en coin. J’imagine que je ne devrais pas trop me lamenter sur mon sort, alors. Je crois que je vais suivre ton conseil, poursuivit-il en montrant les casiers du bout de son gourdin, et aller y porter ça avant mon prochain cours. À plus tard.

— Attends, dit Athéna impulsivement. Je vais rencontrer quelques amis après l’école au marché surnaturel. Tu veux venir ? Ils y font les meilleurs laits fouettés à l’ambroisie.

— Ça me semble chouette, dit-il en appuyant son gourdin contre un casier, puis en faisant tourner le cadran du cadenas de son propre casier. Où se trouve le marché surnaturel ?

— De l’autre côté du terrain de sport, derrière le gymnase, répondit-elle. Que dirais-tu de venir me rejoindre au pied de l’escalier menant aux dortoirs à la fin des cours ? Nous pourrions marcher ensemble jusque-là.

— Génial ! dit Héraclès. À plus tard, alors.

Athéna lui fit un signe de la main en partant pour aller à son prochain cours. Peut-être Zeus avait-il jugé Héraclès trop sévèrement. Certes, il aurait sans doute besoin d’un peu d’orientation, comme tous les nouveaux étudiants. Et bien qu’il ait presque étranglé certains des serpents de Méduse, il était probable que presque tous à l’AMO aient déjà eu envie d’en faire autant à un moment ou à un autre. Et il avait réussi à se calmer avant de faire quelque chose de vraiment grave. Peut-être quelque chose ou quelqu’un l’avait-il provoqué, pour qu’il écrase une lyre sur la tête de son professeur de musique, après tout ! Qu’importe, elle aimait son sens de l’humour. Elle sourit intérieurement. Cela ne faisait rien que Zeus ait raison ou tort à propos d’Héraclès. Maintenant qu’elle apprenait à le connaître, elle était heureuse d’avoir un prétexte pour garder un œil sur lui !