7
Partis à la chasse
Le lendemain matin, Athéna se leva dès potron-minet. On était samedi, et elle avait fait promettre à Héraclès qu’il la laisserait l’accompagner pour accomplir son prochain travail consistant à capturer le sanglier d’Érymanthe.
— Mais il faudra que tu portes ton armure, avait-il insisté. Les sangliers sont dangereux.
Elle souriait, maintenant, se rappelant à quel point il avait ri lorsqu’elle lui avait répondu :
— Vraiment ? Je croyais que ces vilaines défenses n’étaient que la dernière tendance mode !
Athéna revêtit rapidement son chiton bleu. Et elle essaya de ne pas réveiller Pandore en fouillant dans son placard pour trouver son égide, un grand collet sur lequel était cousu un bouclier protecteur à l’avant. Elle n’avait jamais eu l’occasion de le porter jusque-là ; c’est pourquoi elle l’avait rangé au fond du placard. En glissant son égide par-dessus sa tête, elle entendit japper un chien au bout du couloir. C’était sans doute l’un des chiens d’Artémis, parce qu’il n’y en avait aucun autre dans le dortoir. Et Artémis avait dû le faire taire, car l’instant d’après, le calme était revenu.
En pensant à son amie, Athéna ressentit une bouffée de gratitude. Bien qu’Artémis eut été fâchée la veille, et avec raison, elle n’avait pas donné prise à sa colère pendant trop longtemps. Héraclès aurait avantage à prendre exemple sur elle, pour apprendre comment ne pas s’emporter à la moindre occasion !
Athéna se leva sur la pointe des pieds pour atteindre son casque sur la tablette du haut. En le tirant vers elle, il roula et tomba. Elle tenta de le rattraper, mais il rebondit sur son armure et tomba à grands fracas sur le sol.
— Hein ? Qu’est-ce que c’est ? marmonna Pandore d’un air endormi lorsqu’Athéna ramassa son casque et le posa sur sa tête.
— Désolée, chuchota Athéna. Je serai sortie d’ici dans une minute, rendors-toi.
Mais Pandore était désormais bien réveillée. Elle bâilla, puis s’assit sans son lit.
— Pourquoi es-tu habillée comme ça ? demanda-t-elle en repoussant une mèche de cheveux bleus qui était retombée sur un œil et qui reprit sa forme habituelle de point d’interrogation. Tu t’en vas quelque part ? Il est un peu tôt, n’est-ce pas ? As-tu oublié qu’on était samedi ?
— Non, je n’ai pas oublié, dit Athéna, choisissant de ne répondre qu’à la dernière question. Ça me fera plaisir de tout te raconter plus tard, mais maintenant, je dois vraiment y aller.
Se mettant à quatre pattes, elle fouilla sous son lit pour prendre la lance que Zeus lui avait offerte, un présent de la part de sa mère et de lui-même. La lance était si longue qu’elle n’avait pas trouvé d’autre endroit pour la ranger. Ses doigts touchèrent la lance et la firent rouler vers elle. Lorsqu’elle put la dégager de sous le lit, elle se releva, lance à la main. La pointe de la lance dépassait la pointe de son casque ! C’était une arme redoutable, mais elle espéra ne pas avoir à s’en servir.
En jetant un coup d’œil à Pandore, elle vit que sa colocataire s’était déjà rendormie. « Bien. » Elle ouvrit la porte de leur chambre et se faufila à l’extérieur. Heureusement, il n’y avait personne dans le couloir. Mais comme elle se dépêchait d’atteindre l’escalier, la porte de la salle de bain s’ouvrit, et Aphrodite en sortit. Elle portait une robe de chambre en satin rose et une serviette enroulée autour de la tête.
— Que fais-tu debout aussi tôt ? demandèrent-elles d’une seule voix.
— Il fallait que je me lave les cheveux, répondit d’abord Aphrodite. C’est toujours tellement long de les sécher et les coiffer après. Et toi ? poursuivit-elle après avoir regardé Athéna de haut en bas. C’est quoi, cet attirail de combat ? Je croyais que nous avions vaincu les Titans il y a bien longtemps.
— Ha ha, dit Athéna. Je m’en vais chasser avec Héraclès.
— Pas le cerf, j’espère, dit Aphrodite en faisant un sourire en coin.
— Tu dois avoir vu Artémis hier soir, dit Athéna en repoussant son casque qui commençait à glisser sur ses yeux. T’a-t-elle parlé des 12 travaux ?
— Ben… Naturellement. Mais j’aurais aimé que ce soit toi qui m’en parles, dit-elle sciemment, sauf que tu n’es pas venue me voir.
— Oups ! Désolée, dit Athéna. Mais lorsque je suis rentrée, j’étais si épuisée que je suis allée me coucher directement.
— Fais juste attention, dit Aphrodite en relevant un sourcil, de ne pas passer tant de temps avec Héraclès que tu en oublies tes amies.
Athéna se rappela vaguement qu’Aphrodite avait fait le même conseil à Artémis lorsque celle-ci voyait beaucoup Orion.
— Oui, je vais faire attention, répondit-elle.
Elle fit une rapide étreinte à Aphrodite, ce qui était plutôt difficile, vêtue d’une armure et d’un casque.
— À plus, dit-elle.
Héraclès l’attendait devant les portes de bronze à l’entrée de l’AMO.
— Belle armure, dit-il en hochant la tête d’un air approbateur.
Pour sa part, il tenait sa massue à la main, bien entendu, et il portait sa cape en peau de lion. À côté de lui, elle ne se sentait plus du tout trop vêtue pour l’occasion.
— Nous avons beaucoup de route à faire aujourd’hui. J’ai pensé que nous pourrions utiliser les sandales ailées encore une fois ? dit-il en lui en tendant une paire.
— Bon plan, dit-elle en remar-quant qu’il avait déjà chaussé les siennes.
Elle enfila les siennes à l’extérieur, au pied des marches de granite. Il était moins mal à l’aise de prendre sa main cette fois, et leurs doigts s’entrelacèrent comme s’ils s’étaient tenus par la main toute leur vie.
— On s’en va vers le sud, dit Héraclès alors que les ailes de leurs sandales commencèrent à s’agiter.
— Comment sais-tu où habite le sanglier ? demanda Athéna lorsqu’ils prenaient de la vitesse en traversant la cour.
— Puisqu’il s’agit du sanglier d’Érymanthe, dit Héraclès en lui souriant, j’imagine qu’il doit habiter sur le mont Érymanthe.
« Bah. J’aurais dû y penser moi-même », se dit Athéna.
— Tu sais, tu es bien plus brillant que tu ne te l’accordes, dit-elle en le regardant.
— C’est peut-être que tu déteins sur moi, répondit-il.
Ils voyagèrent ainsi pendant presque deux heures.
— Regarde ! cria Athéna lorsqu’ils furent presque rendus au sommet du mont Érymanthe, des centaures !
Se cachant derrière un gros rocher, Héraclès et elle voletèrent sur place pendant quelques minutes à observer plusieurs créatures, mi-homme, mi-cheval qui préparaient leur repas sur un feu devant l’entrée d’une grotte.
— Je me demande s’il faut les appeler un groupe ou une harde ? réfléchit tout haut Athéna.
— Et pourquoi pas quelque chose entre les deux, suggéra Héraclès. Comme une « grarde », peut-être ?
— Ou un « houpe », dit Athéna en riant.
À mesure qu’ils avançaient vers le sommet, il faisait de plus en plus froid. La neige couvrait le sol sous leurs pieds et était accrochée aux branches des arbres. Ils se mirent à voler un peu plus bas pour observer le sol.
— Des traces de sanglier ! dit enfin Héraclès, en se penchant pour examiner les empreintes dans la neige.
— Tu en es sûr ? demanda Athéna en étudiant les traces de sabots par-dessus son épaule.
— Oui, dit Héraclès. On le sait au bout arrondi des sabots. Et nous avons affaire ici à une grosse bête. Tu vois combien les doigts sont écartés ?
Ils suivirent les traces du sanglier qui sinuaient en gravissant la montagne. Ils finirent par tomber sur une énorme créature noire avec un long groin et des défenses aussi pointues que la pointe de la lance d’Athéna.
— C’est lui ? demanda Athéna en donnant un coup de coude à Héraclès.
Il hocha la tête. Le monstrueux sanglier respirait bruyamment et semblait être endormi, couché sur le dos sous un buisson, les quatre pattes dressées.
Après avoir défait leurs sandales, Athéna et Héraclès s’en approchèrent en rampant. Soudain, le sanglier renifla et ouvrit les yeux d’un coup. Athéna se figea sur place, mais Héraclès leva son gourdin au-dessus de sa tête.
— Ne songe même pas à nous attaquer ! l’avertit-il.
Le sanglier regarda le gourdin d’Héraclès avec surprise.
— Eh bien, je ne vois pas pourquoi je vous attaquerais. Comme tu peux le voir, répondit le sanglier en agitant ses sabots, je ne suis pas en posture de fomenter une attaque, même si c’était quelque chose que je serais enclin à faire. Ce qui n’est pas le cas.
Il fit une pause.
— Pourrais-je vous demander de me laisser m’asseoir ? reprit-il. Je me sens plutôt ridicule à vous parler comme ça, les quatre fers en l’air.
— D’accord, grogna Héraclès en tenant son gourdin prêt à frapper. Mais un seul mouvement brusque, et je…
— Est-il toujours si coincé ? l’interrompit le sanglier, en faisant un clin d’œil à Athéna et en commençant à se tourner sur le côté.
— Je… je ne sais pas, dit-elle avec hésitation.
Héraclès semblait croire que le sanglier était dangereux, mais elle-même n’en était pas convaincue.
Le sanglier se hissa en position assise.
— Vous pourriez vous asseoir, vous aussi, suggéra-t-il en tapotant le sol devant lui d’une patte bien robuste.
— Merci, mais non merci. Je préfère rester debout, répondit Héraclès en serrant davantage son gourdin et en fronçant les sourcils de suspicion.
— Moi, je vais m’asseoir, dit Athéna rapidement.
Il lui semblait impoli de ne pas le faire. Enlevant la neige d’une grosse pierre, elle s’y installa.
— C’est si agréable d’avoir de la compagnie, soupira le sanglier d’un air béat. On finit par s’ennuyer à vivre seul sur le sommet d’une montagne. Les centaures ne s’aventurent jamais si loin, et lorsque ça leur arrive, ils ne restent jamais bien longtemps. Je ne comprends pas, parce que tout simplement, j’adore recevoir des invités. J’ai tout un bagage d’histoires amusantes que j’aime bien raconter. Par exemple, cette histoire de la fois où je marchais dans la forêt et où je suis tombé sur une fourmilière, et je me suis assis pour l’observer. Peu de temps après, j’ai vu une fourmi sortir du trou, pouvez-vous imaginer ? Puis une autre fourmi est sortie et a suivi la première sur le flanc de la fourmilière, et un instant plus tard, pouvez-vous deviner ? Une troisième fourmi est sortie de la butte, et après ça…
Comme le sanglier continuait son histoire, Athéna jeta un coup d’œil du côté d’Héraclès. Son gourdin avait glissé sur le sol, et il semblait l’y avoir suivi et s’en être servi comme d’un oreiller pour s’endormir. Au moment où le sanglier en fut rendu à raconter comment la vingtième fourmi était sortie de la fourmilière, Athéna devait se servir de ses doigts pour garder les paupières ouvertes. Quel sanglier assommant ! Peut-être était-il dangereux, après tout. Il devait probablement ennuyer ses victimes à mort !
Espérant mettre un terme à cette passionnante histoire de fourmis, elle se pencha en avant et gratta prudemment le sanglier derrière une oreille comme elle le faisait aux chiens d’Artémis. Cela fonctionna. Comme il reniflait de joie, elle secoua Héraclès du bout du pied pour le réveiller.
De surprise, il attrapa son gourdin et sauta sur ses pieds. Voyant Athéna si près du sanglier, l’inquiétude se peignit sur son visage.
— Laisse-la tranquille ! cria-t-il.
— Calme-toi, dit Athéna en sou-riant à Héraclès. J’allais justement inviter notre nouvel ami à nous accompagner pour rendre visite à ton cousin.
— Qui, moi ? demanda le sanglier avec une surprise non dissimulée.
— Hum… ouais, bonne idée ! dit Héraclès en se détendant en peu en commençant à comprendre où elle voulait en venir. Mon cousin Eurysthée adore les histoires.
— C’est vrai ? dit le sanglier en souriant de toutes ses défenses.
— Tout à fait, dit Héraclès. Une fois qu’il aura entendu ton histoire de fourmilière, il va vouloir que tu restes pour lui raconter toutes les autres.
— Comme c’est merveilleux ! dit le sanglier en tremblant de joie. Tu ne le croiras sans doute pas, mais on m’invite rarement.
— Eh bien ! dit Athéna en se retenant de sourire, à coup sûr, tu devrais prévoir rester chez le cousin d’Héraclès pendant un certain temps. Imagine toutes les nouvelles histoires que tu vas avoir à raconter une fois que tu rentreras à la maison !
— Je parie, dit le sanglier, extatique, que ton cousin et moi, on pourrait faire beaucoup de choses ensemble. Comme de passer un après-midi à attendre que sèche la peinture sur un mur. Ou à regarder bouillir de l’eau. Ou…
Il se releva brusquement sur ses quatre pattes :
— Quand vous voudrez, dit-il. Je suis prêt !
Le voyage jusqu’à la maison d’Eurysthée aurait pris au moins le double du temps, si Athéna n’avait pas imaginé enfiler les sandales ailées au sanglier. Héraclès et elle voyagèrent sur son dos tandis que les sandales les transportaient tous les trois le long du flanc de la montagne, puis à travers prés, forêts et villages, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur destination.
Encore une fois, Eurysthée s’était caché dans son urne de bronze lorsque ses trois visiteurs furent introduits dans la cour intérieure. Héraclès se dirigea vers le vase et commença à le frotter.
— Hé ! S’il y a un génie là-dedans, qu’il sorte et m’accorde un vœu ! plaisanta-t-il.
— Ha ! en sortit une réponse étouffée. Très drôle.
— Je t’ai emmené un visiteur, dit Héraclès.
— La déesse aux olives ? demanda Eurysthée, qui ne semblait pas impressionné.
— Oui, mais quelqu’un d’autre, aussi.
— Désolé de te faire ça, dit-il ensuite en se tournant vers le sanglier.
Puis il souleva sans peine au-dessus de sa tête le sanglier, qui devait bien peser près de deux tonnes.
« Pardieu ! pensa Athéna, ce garçon est vraiment très fort. »
Eurysthée se mit à crier lorsqu’Héraclès tint le sanglier au-dessus de l’ouverture du vase.
— Si c’est comme ça que tu accueilles tes invités, se vexa le sanglier, je ne suis pas certain d’avoir bien fait de venir.
Eurysthée ne répondit rien. Athéna se demanda s’il s’était évanoui de peur. Mais lorsqu’elle entendit un mouvement à l’intérieur de l’urne, elle sut qu’il allait bien.
Héraclès reposa le sanglier sur le sol dallé.
— Ne fais pas attention à mon cousin, dit-il. Il n’est peut-être pas le meilleur des hôtes, mais si tu restes ici à côté du vase, je suis certain que tu vas trouver qu’il fait un auditeur épatant.
— Un auditoire captif, en fait, dit Athéna en hochant la tête en signe d’assentiment.
— Assure-toi de lui raconter ton histoire de fourmis, dit Héraclès pen-dant qu’Athéna et lui chaussaient leurs sandales après les avoir retirées au sanglier.
Ils joignirent leurs mains et s’élevèrent dans les airs.
— J’espère que tu vas aimer ta prochaine tâche, champion ! entendirent-ils leur lancer Eurysthée juste avant d’être hors de portée de voix.
Puis il se mit à rire si fort que le vase vacilla et faillit tomber.