11

La compétition

Athéna se leva dès l’aube le jeudi matin pour finir de choisir ses fils. La veille, elle avait enfin eu une idée pour son motif et elle savait que c’était une bonne idée. Elle se déplaçait sans bruit dans la chambre, pour ne pas réveiller Pandore. Juste au moment de partir, elle se rendit compte qu’il lui faudrait prendre son petit déjeuner en chemin. Elle courut vers son bureau pour y prendre quelques barres de céréales et trébucha sur sa chaise.

— Aïe !

Elle se figea sur place lorsque Pandore ouvrit les yeux.

— Hein ? murmura-t-elle. As-tu dit que je te plaisais, Poséidon ? Vraiment ?…

Elle marmonna autre chose qu’Athéna ne réussit pas à comprendre, bien que cela ressemblât à une ques-tion, bien entendu, puis elle se retourna d’un coup et se rendormit.

Après avoir mis sa collation dans sa poche, Athéna prit son sac de fils et sortit en fermant sans bruit la porte derrière elle. Au bout du couloir, elle chaussa une paire de sandales ailées, puis fila dans l’escalier de marbre, franchit les portes de bronze et partit en direction d’Hypaepa.

En descendant le long du mont Olympe, elle se demanda si elle n’aurait pas mieux fait d’accepter l’offre de ses amies de l’accompagner. Elle avait craint que leur présence ne la fasse se sentir nerveuse, mais elle n’en était plus certaine. Elles auraient certainement su la réconforter ! Elle se sentait fatiguée et inquiète. Elle avait mal dormi, se repassant dans sa tête les motifs de son ouvrage et se tracassant au sujet de la compétition qui était sur le point d’avoir lieu. Bien qu’elle tentât de se convaincre qu’il était impossible qu’elle perde, l’ombre d’un doute, pas plus grosse qu’un noyau d’olive, avait fait son chemin dans son esprit.

Athéna se laissa planer pour s’arrêter aux abords du village. Détachant les courroies des sandales, elle les enroula autour des ailes d’argent, puis fit le reste du chemin à pied. Lorsqu’elle frappa à la porte de la petite maison de bois d’Arachné, la jeune fille lança :

— Entrez. Je suis occupée !

« Hum », pensa Athéna en tournant la poignée et en poussant la lourde porte.

Elle n’avait jamais rencontré personne, mortel ou immortel, qui eût de si mauvaises manières !

Les longs doigts fins d’Arachné étaient déjà à l’œuvre, fixant les fils à son métier.

— Par ici, grommela-t-elle en montrant un second métier d’un geste de la tête.

Athéna s’en approcha et l’inspecta. Bien qu’il ne fût pas aussi sophistiqué ni aussi solide que le sien à l’AMO, celui-ci ferait l’affaire. Elle ouvrit son sac et en sortit plusieurs écheveaux de fils. Après avoir coupé de grandes longueurs de chacune des pelotes, elle les attacha, les étira et les replia de haut en bas pour créer des colonnes de fils constituant la chaîne.

Une fois que les métiers furent prêts, les filles se mirent à l’ouvrage, passant de nouveaux fils au-dessus et en dessous des fils de chaîne, puis tirant sur les fils pour bien les tendre à la fin de chaque rang. Peu de tisserands auraient pu égaler le rythme et la vitesse de leurs doigts agiles. À mesure que le dessin qu’avait imaginé Athéna apparaissait sur le métier, sa confiance en elle revenait. Au lieu de créer une seule scène, elle avait décidé de séparer son dessin en sections, chacune avec une scène différente, quoique liée aux autres. Chaque fil était exactement là où il devait se trouver, et les couleurs qu’elle avait choisies étaient aussi vives et réalistes que les murales de maîtres qui ornaient les murs de l’AMO.

Lorsque sa tapisserie fut presque terminée, elle leva les yeux et vit avec surprise qu’un groupe de femmes étaient entrées dans la pièce sans faire de bruit. C’étaient les juges, bien sûr, et elles observaient depuis la porte. Athéna croisa le regard de l’une d’elles, une vieille femme aux cheveux blancs et aux mains noueuses. La femme baissa les yeux et s’inclina avec révérence. Ça, c’était le genre de respect qu’une déesse était en droit de s’attendre de la part des mortels !

Quelques minutes plus tard, presque au même moment, Athéna et Arachné déclarèrent que leurs tapisseries étaient terminées. Arborant un sourire de satisfaction sournois, Arachné s’éloigna d’un pas de son métier. Athéna se demandait ce qu’elle avait tissé, mais les femmes qui étaient venues juger la compétition s’étaient déplacées entre les deux métiers pour examiner les deux tapisseries, et elle n’arrivait pas à voir au-dessus de leurs têtes.

— Incroyable !

— Magnifique !

— Exquis !

Les exclamations d’admiration qui fusaient pour le travail des deux filles commencèrent à remplir la pièce.

Mais l’une des juges qui admiraient le travail d’Arachné se mit à rire de manière bizarre en jetant des regards à Athéna.

— Superbe travail, comme toujours, Arachné, dit la vieille femme qui s’était inclinée devant Athéna, mais pas tout à fait approprié, ton sujet.

— Je peux voir ? demanda Athéna, dévorée de curiosité.

Les juges se reculèrent pour la laisser passer. La tapisserie d’Arachné brillait de couleurs luxuriantes, et son tissage sans faille était tout aussi réussi que celui d’Athéna. Mais le dessin ! Il représentait un Zeus à moitié fou sautillant de douleur, pendant qu’une mouche (Métis, sans doute possible !) bourdonnait autour de sa tête. Un éclair qui avait dévié de sa trajectoire s’était planté dans son pied, et un autre avait mis le feu à l’ourlet de sa tunique.

Athéna fut d’abord trop interloquée pour dire quoi que ce soit. Puis ses yeux se réduisirent à de minuscules fentes dans son visage, et ses joues s’enflammèrent. Elle jeta un regard assassin à Arachné. Le visage de la fille, qui prenait sans doute alors conscience de l’énormité de son erreur, pâlit de frayeur.

— Comment oses-tu ! s’exclama Athéna.

Laissant libre cours à sa colère, elle se jeta sur la tapisserie d’Arachné et la réduisit en lambeaux. Puis elle la pié-tina pour faire bonne mesure alors qu’Arachné tremblait et que les femmes regardaient la scène avec horreur. Se payer sa tête passait toujours, mais Athéna ne permettrait pas que cette fille déshonore ses parents !

Consumée de rage, elle s’en prit alors à Arachné elle-même.

— En te moquant de mes parents, tu t’es condamnée à filer pour l’éternité des tapisseries vides et sans couleur !

Tendant la main, elle toucha la fille. La tête et le corps d’Arachné commencèrent à rétrécir sur-le-champ, et ses longs doigts fins se changèrent en huit pattes filiformes. Lorsque la transformation fut terminée, Arachné, désormais devenue araignée, se précipita vers le mur le plus proche et commença à tisser une toile fragile. Semblant craindre ce qu’allait ensuite faire Athéna, les juges quittèrent toutes ensemble la maison en coup de vent, même la vieille femme qui avait fait preuve de respect et qui, par conséquent, n’avait rien à craindre.

Sa colère apaisée, Athéna détacha sa tapisserie aux six tableaux spectaculaires et poignants. Elle la roula, la mit dans son sac, puis s’en retourna au mont Olympe sur ses sandales ailées. À mesure que les villages, les arbres et les rochers défilaient sous ses yeux, son esprit se calmait. En repensant à ce qui venait de se passer, elle put à peine croire ce qu’elle avait fait ! Il lui paraissait maintenant évident qu’elle avait laissé la colère l’emporter sur la raison. Elle y avait donné cours d’une manière qui ressemblait davantage à celle d’Héraclès qu’à la sienne, se servant de la violence pour régler son problème.

Est-ce que c’était lui qui détei-gnait sur elle plutôt que le contraire ? Elle était certaine qu’il aurait approuvé son geste s’il avait été là pour voir ce qui s’était passé. Pourtant, avait-elle eu si tort que cela ? Arachné avait insulté ses parents, après tout. Il fallait obtenir réparation. Elle avait été dans son droit de détruire la tapisserie de la fille et de transformer celle-ci en araignée. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si, au lieu d’obtenir justice, elle ne s’était pas simplement vengée. Comment pouvait-on faire la différence ? Dans des moments comme celui-là, il était vraiment difficile d’être une déesse.

Athéna atteignit l’AMO à l’heure du déjeuner. En entrant dans la cafétéria, elle aperçut Pheme. La jeune déesse des rumeurs avait de toute évidence de truculents potins à raconter, car elle allait de table en table, les mots sortant en fumée de ses lèvres plus vite que les sandales ailées pouvait porter quelqu’un. L’estomac d’Athéna se noua. Les nouvelles de ce qu’elle avait fait à Hypaepa étaient-elles déjà parvenues aux oreilles de Pheme ? Mais l’instant d’après, elle découvrit que les potins que colportait Pheme concernaient Héraclès. D’une quelconque manière, la déesse aux cheveux orange avait eu connaissance du contenu de la lettre qu’il avait envoyée à Zeus.

Athéna poussa un soupir de soulagement. Sans aucun doute, Pheme et, par conséquent, le reste des élèves apprendraient le sort fait à Arachné bien assez tôt, mais pour l’instant Athéna pouvait se détendre. Même ses amies omirent de lui poser des questions au sujet de la compétition, dans leur hâte de lui raconter ce qu’elles avaient entendu à propos d’Héraclès ce matin-là.

— Le taureau de Crète était si gigantesque et féroce que personne sur l’île ne réussissait à l’attraper, rapporta Perséphone avec force gestes. Mais Héraclès a réussi à l’attraper par les cornes. Puis il a jeté le taureau à la mer, l’a enfourché et l’a ramené jusque sur le continent.

Sa cuillère remplie de ragoût à l’ignambroisie suspendue juste devant sa bouche, Athéna dévisagea Perséphone avec surprise. Ces détails ne figuraient pas dans la lettre !

— Héraclès est-il ici ? demanda-t-elle en balayant la pièce du regard.

Comme elle ne l’avait pas vu en entrant, elle avait simplement présumé qu’il n’était pas encore rentré.

— Non, dit Aphrodite en secouant la tête. Il était là un peu plus tôt, mais il est reparti il y a environ une heure après avoir raconté ses aventures à tout le monde.

« Oh ! zut de flûte », pensa Athéna avec agacement.

— As-tu entendu parler de la manière dont il a capturé les juments mangeuses d’hommes ? Et comment il a piégé le géryon pour pouvoir lui voler son troupeau de bœufs ? dit Artémis avant même qu’elle ait le temps de demander à Aphrodite si elle savait où était passé Héraclès.

Athéna fut surprise d’entendre de l’admiration dans la voix d’Artémis. Il semblait que les exploits d’Héraclès avaient finalement eu raison de sa retenue à son égard. Et en tenant compte de tout ce qu’il avait accompli, qui pouvait manquer d’être impressionné par sa force et son courage ?

— Oui, j’en ai vaguement entendu parler, dit-elle à la hâte. Est-ce que quelqu’un sait où il est en ce moment ?

— Il a dit à Hadès qu’il devait aller quérir des pommes magiques, dit Perséphone. C’est un autre de ses travaux. Atlas l’a accompagné.

— C’est vrai ?

Bien que ce fût Athéna qui avait conseillé à Héraclès de demander l’aide des jeunes dieux, secrètement, elle aurait aimé qu’il préfère avoir son aide à elle. Elle aimait se sentir spéciale… la seule personne de toute l’AMO à qui Héraclès demandait conseil.

— A-t-il demandé où j’étais ? demanda-t-elle mine de rien.

Aphrodite et Artémis échangèrent un regard.

— Je suis certaine qu’il doit l’avoir fait, dit Aphrodite au même moment où Artémis secouait la tête pour dire non.

Athéna essaya de ne pas se sentir trop froissée, mais la déception dut se lire sur son visage, parce que Perséphone changea de sujet.

— Alors, raconte-nous à propos de la compétition de tissage. Je parie que tu leur as coupé le soufflet ! dit-elle d’un ton enjoué.

— Oui, répondit-elle avec un sourire malicieux, j’imagine qu’on pourrait dire ça comme ça.

Puis elle leur raconta ce qui s’était passé.

Lorsqu’Héraclès rentra ce soir-là, il était tout feu tout flamme. Et même de sa chambre, quatre étages au-dessus, Athéna l’entendait chanter fort et faux en traversant la cour devant l’école. Encore un peu vexée qu’il n’ait pas attendu qu’elle revienne d’Hypaepa pour qu’elle puisse l’accompagner dans son travail suivant, elle se retint pendant quelques minutes. Mais en fin de compte, n’y tenant plus, elle se précipita dans l’escalier.

Malheureusement, presque tous les autres élèves de l’AMO l’avaient également entendu arriver et avaient accourus pour le voir. Il y avait déjà une foule admirative qui se pressait autour de lui au pied des marches de granite lorsqu’Athéna arriva dehors.

— Vous ne croirez pas ce que j’ai dû faire pour obtenir ceci, s’exclamait Héraclès en jonglant avec trois pommes magiques. Elles ne poussent que dans le jardin des Hespérides, sur un arbre magique à l’écorce et aux feuilles d’or.

Il tenait les élèves en haleine en leur racontant comment il avait manigancé pour qu’un dieu de la mer aux mille métamorphoses lui révèle le secret bien gardé de l’emplacement du jardin.

— Où est Atlas ? demanda quelqu’un après un certain temps.

— Je l’ai laissé là-bas à retenir le ciel, dit Héraclès en faisant un sourire en biais.

Les jeunes dieux de son auditoire se mirent à rire, mais Athéna fronça les sourcils. Retenir le ciel ? Quelle mauvaise plaisanterie à faire au pauvre Atlas !

— Ne crois-tu pas que tu devrais retourner le chercher ? demanda-t-elle.

Comme s’il venait juste de remarquer qu’elle était là, Héraclès lui sourit.

— Il semblait bien s’amuser, dit-il avec bonhomie.

Puis il se frotta la nuque.

— Mais j’imagine que je devrais y retourner, enchaîna-t-il.

— On va aller le chercher, se proposèrent Arès et Poséidon.

Une fois qu’ils furent partis, la foule commença à se disperser, et Héraclès retrouva Athéna.

— Salut. Content de te revoir, lui dit-il en lui souriant, un peu mal à l’aise.

— Moi aussi, dit Athéna en se radoucissant à son égard. Mais tu aurais dû m’envoyer un petit mot, comme tu l’as fait pour Zeus, lorsque tu t’es rendu compte que tu serais en retard.

— Tu ne t’es pas inquiétée pour moi ? demanda-t-il en haussant un sourcil. N’est-ce pas ?

— Bien sûr que non, mentit Athéna.

— Tu es sûre ? dit-il en penchant la tête vers elle.

— Eh bien, peut-être un peu, admit-elle.

— Tu ne dois plus jamais te faire de souci pour moi, dit-il en devenant soudainement sérieux et en soutenant son regard. Je ne me suis encore jamais retrouvé dans une situation que je n’ai pas pu maîtriser.

Il lui tendit l’une des pommes magiques.

— Eurysthée peut avoir les deux autres, mais celle-ci, je l’ai prise pour toi. C’est la plus jolie.

— Merci, dit-elle, touchée de sa générosité.

La pomme était parfaitement ronde et brillait comme un soleil miniature. Lorsqu’elle la prit, leurs mains s’effleurèrent. À son grand étonnement, Héraclès rougit. Pourquoi ? Après tout, ils s’étaient tenus par la main plusieurs fois lorsqu’ils avaient voyagé au moyen des sandales ailées.

— Alors, dit-elle en faisant semblant de ne pas avoir vu la teinte rosée qui avait envahi son cou et son visage, tu as maintenant terminé le dixième travail, n’est-ce pas ?

— En fait, les pommes étaient le onzième travail, dit-il.

— Le onzième ? répéta Athéna. Aurais-je mal compté ? Je croyais qu’il te restait deux tâches à accomplir.

— Eh bien, j’ai sauté… euh… reporté le neuvième travail, dit-il en rougissant encore davantage. Les autres travaux étaient plus faciles, alors j’ai décidé de revenir à celui-là plus tard. T’es amie avec Perséphone, n’est-ce pas ? poursuivit-il avant même qu’elle puisse lui demander quel était ce neuvième travail. Crois-tu que tu pourrais lui demander d’occuper Hadès pendant quelques heures demain avant-midi ? poursuivit-il.

— Pourquoi ? demanda Athéna.

— Il faudrait que j’emprunte son chien pendant un certain temps.

— Cerbère ? dit-elle en écarquillant les yeux. Laisse-moi deviner. Tu dois aller le montrer à Eurysthée, pour ton avant-dernier travail.

— T’as tout compris, dit Héraclès en faisant un sourire en biais.

Était-il possible qu’il eût déjà oublié à quel point Artémis avait été contrariée lorsqu’ils avaient pris sa biche sans qu’elle le sache ?

— Ne serait-il pas mieux de demander la permission à Hadès au lieu d’essayer de prendre Cerbère derrière son dos ? suggéra Athéna.

— Mais qu’est-ce qu’on fait s’il refuse ? répondit Héraclès, qui réfléchissait en se frottant le menton.

— Essaie, au moins, le pressa Athéna. Je croyais que vous étiez en train de devenir des amis.

— Ouais. Eh bien, d’accord. Si tu penses que c’est mieux comme ça, je vais lui demander demain matin.

Il bâilla.

— Désolé, ç’a été de longues journées. Je pourrais dormir pendant une semaine complète.

— Oh ! Je n’aurais pas dû te retenir en discutant, dit Athéna. Tu es exténué !

— Ça va. J’avais envie de te parler, insista Héraclès.

Toutefois, il ne protesta pas lorsqu’elle le prit doucement par le coude et le dirigea vers les marches menant à l’Académie.

— Attends un instant, dit-il comme ils passaient les portes de bronze, j’ai oublié de te demander comment s’était passée ta compétition de tissage.

— Ne m’en parle pas, dit Athéna en soupirant.

— Ho ho. Qu’est-il arrivé ?

— Je vais te raconter tout ça demain.

— Non, dit-il avec entêtement. Maintenant !

L’entraînant, il se laissa tomber sur l’une des marches de l’escalier de marbre menant aux dortoirs. Il refusa de bouger avant qu’elle ne lui ait raconté toute l’histoire.

— Tu l’as changée en araignée ? dit-il lorsqu’elle eut terminé. Impressionnant !

— Tu ne crois pas que j’ai été trop cruelle ? demanda-t-elle.

— Pas du tout. Arachné l’a bien mérité !

Ses paroles la réconfortaient, mais Athéna doutait encore d’avoir fait la bonne chose. La vision du monde d’Héraclès était si simple. Pour lui, le bien et le mal étaient faciles à distinguer l’un de l’autre, comme le noir du blanc. Mais on ne pouvait dire autant d’elle. Elle voyait les choses en différents tons de gris, ce qui signifiait que certaines choses étaient quelque peu bien et quelque peu mal. Si elle avait appris quoi que ce soit de sa rencontre avec Arachné, c’était que tous les dieux, elle y comprise, pouvaient réagir aussi vivement que les mortels lorsque la colère s’emparait d’eux. Peut-être que la vraie sagesse consistait à en prendre cons-cience et à l’accepter.

« Ron… fuuu… »

Ses pensées furent interrompues lorsqu’Héraclès s’affaissa sur ses genoux. Il ronflait ! Elle le secoua doucement.

— Q-quoi ? s’exclama-t-il, ouvrant les yeux brusquement.

Prenant conscience de l’endroit où il se trouvait, il se redressa rapidement :

— Désolé, je n’avais pas l’intention de…

— Allez, l’interrompit doucement Athéna. Tu dois monter.

Ils grimpèrent les marches ensemble et se dirent au revoir à l’entrée du dortoir du quatrième étage.

Une fois dans sa chambre, Athéna ne réussit pas à s’endormir. Elle se mit donc à tisser une nouvelle tapisserie, continuant sur le même thème que celle qu’elle avait faite pour la compétition contre Arachné. Elle sourit intérieurement en imaginant à quel point Héraclès serait surpris lorsqu’elle lui montrerait son travail, car elle s’était inspirée des siens. Elle tissait les scènes représentant tous ses travaux. Alors que la tapisserie faite pour la compétition illustrait les scènes des six premiers travaux d’Héraclès, la nouvelle tapisserie porterait sur les six derniers. Elle montrerait Héraclès en train de monter le taureau de Crète pour traverser la mer, d’attraper les juments, de réunir les bœufs du géryon pendant que le monstre rugissait de furie, et en train de jongler avec les pommes d’or.

Elle aurait aimé s’être souvenue de demander à Héraclès quel était le neuvième travail, celui qu’il avait gardé pour la fin. Il avait laissé entendre que c’était un travail plus difficile que tous les autres, mais elle n’arrivait pas à imaginer quoi que ce soit de plus difficile que ce qu’il avait déjà réalisé ! Elle ajouterait les scènes des neuvième et douzième travaux une fois qu’Héraclès les aurait terminés le lendemain. Et s’il avait besoin d’aide pour ce mystérieux neuvième travail, elle ferait tout son possible pour l’aider à réussir.