CHAPITRE 121 : TAGLIOS
LA BELLE AU BOIS DORMANT
À devoir sans cesse retourner en territoire ami, observer une attaque aérienne sur un groupe de bâtiments hébergeant encore une résistance qui s’entêtait obstinément à nous barrer le chemin du palais, je finissais par perdre la boule. Nous avions apporté la science de la guerre dans cette région du monde et ne l’avions que trop bien inculquée à nos élèves. Ces Tagliens refusaient de plier, même devant la sorcellerie et les ombres inconnues.
Quelqu’un avait fait remarquer que les soldats des bataillons de la ville étaient en majeure partie de culte vehdna ou shadar. Ces deux religions promettent à tout guerrier tombé au combat un accès rapide à des rivières de vin et à des arpents de vierges folles. Encore qu’à l’origine ça n’ait concerné que les seuls guerriers morts au service de Dieu.
Je me suis demandé comment Roupille s’imaginait le paradis vehdna.
« Pourquoi ne pas contourner ces types ? » me suis-je interrogé. Et la réponse, bien sûr, était qu’ils ne nous laisseraient pas faire. Ils avaient joliment verrouillé leurs lignes de défense. Au mieux, on pouvait passer au travers. Ou par-dessus.
Par-dessus, c’était encore possible.
Nous sommes donc passés par-dessus : vingt Enfants de la Mort à la fois, faisant preuve d’un courage démentiel, avec un Tobo à ce point épuisé que ses yeux se croisaient pendant qu’il procédait à leur décollage.
Les ombres inconnues soutenaient leur copain de toutes les façons possibles, parfois si ouvertement que je les distinguais nettement d’où je faisais du surplace, parfaitement inutile à notre cause.
Ma femme gisait dans un camp hors la ville. Je n’étais pas allé voir comment elle se portait depuis un bon moment. Voilà au moins une démarche qu’on pouvait considérer comme utile.
J’ai donc quitté mes frères pour aller lui rendre visite. Au beau milieu d’un combat. D’un combat qui se distinguerait sans nul doute de tous ceux que nous avions livrés par son caractère unique, si bien que quelqu’un aurait certainement dû y assister pour enregistrer chaque nuance de ses flux et reflux, à nul autre pareil.
L’état de Madame restait inchangé. Elle errait entre la vie et la mort. Continuait de parler dans son sommeil. Ce que j’en ai vu n’a pas franchement ranimé mon espoir. Ce que j’ai entendu m’a seulement plongé dans la confusion. Son discours était pratiquement incohérent. Les rares mots qu’on parvenait à isoler et identifier n’avaient aucune suite logique.
Quelques minutes de ce spectacle ont suffi à me rappeler la raison de la réticence que m’inspiraient ces visites… du moins jusqu’à ce que j’aie oublié combien elles me désespéraient.