CHAPITRE 104 : TAGLIOS
VU DE LA FENÊTRE DE LA PROTECTRICE
Les paupières de Mogaba ne cessaient de s’alourdir. Il s’était déjà assoupi à deux reprises pour se réveiller en sursaut, tiré la première fois de son sommeil par une violente clameur montant de la ville, et la seconde par des vociférations en contrebas, laissant entendre que les gardes avaient peut-être repéré le Khadidas. C’était le petit matin, cette heure où même le cœur du monde peine à battre.
Ils ne viendraient pas cette nuit. Ils n’étaient venus ni la veille ni l’avant-veille. Peut-être attendaient-ils la pleine lune.
Une ombre opaque voila soudain le carreau de la fenêtre par laquelle le Grand Général observait ses quartiers et la plus grande partie de la façade nord du palais. Dont les entrées les plus importantes. Il manqua s’arrêter de respirer.
Les ombres inconnues étaient incapables de franchir le carreau et les sortilèges de protection permanents de la Protectrice. Mogaba respira plus librement. Il se leva lentement, invisible dans les ténèbres profondes de la chambre, et se rapprocha du carreau en tapinois pour jouir d’une plus large perspective.
Ils étaient là. Pas précisément à l’heure où il s’attendait à les voir arriver, mais exactement à l’endroit prévu. Là où leurs messagers s’étaient toujours posés. Sur la terrasse de la même tourelle.
Il n’en ressentit aucun soulagement. Mais bien plutôt du chagrin. Sa vie et la leur n’allaient donc se solder que par ce seul dénouement. L’espace d’un instant, il fut même tenté de leur crier un avertissement. De leur hurler que l’orgueilleux imbécile qui avait pris à Dejagore un parti si stupide, une éternité plus tôt, n’avait jamais eu l’intention d’en venir là ni d’y conduire aucun d’entre eux. Mais… non. Il était trop tard. Le sort en était jeté. Qu’ils le veuillent ou non, ils devraient jouer cette cruelle partie jusqu’à son terme.