CHAPITRE XXV
Le mois d’août finissait lentement. L’empereur avait pris l’habitude de passer ses après-midi dans les jardins de la Domus Augustana, à l’ombre des pergolas, recherchant la fraîcheur qui manquait dans les appartements étouffants du palais.
Ce jour-là, il se tenait allongé sous une tonnelle, avec cinq de ses amis qui faisaient cercle autour de lui. On avait installé, devant leurs lits de repos, une table de jeu en bois de citronnier, incrustée d’écaille et d’ivoire. Près des favoris de l’empereur, à portée de main, des petits guéridons supportaient des coupes en verre débordant de cerises, d’abricots, de pêches confites et de pâtes de fruits.
Le jeune empereur secoua mollement son gobelet en argent et lança ses tali(107) sur la table de jeu.
— Le coup de Vénus(108) ! s’exclama Protogène avec une pointe d’admiration. César, les dieux sont avec toi !
— En effet, répondit l’adolescent en se frottant les mains. Tu perds ta mise et toi aussi, Gordius !
Les deux auriges firent glisser vers l’empereur leurs tas de pièces en feignant la déception.
— Ce que j’aime le plus dans les jeux de hasard, fit Varius en plongeant la main dans un sac empli d’argent, c’est que je suis certain que personne ne me laisse gagner ! De combien as-tu besoin, mon ami, pour te renflouer ?
— Il me faudrait au moins mille sesterces… répondit Protogène en tendant la main.
— Mille ? Tu y vas un peu fort !
— Disons cinq cents…
— Euboulos, montre-toi un peu généreux, pour une fois, chuchota l’adolescent à l’oreille de son voisin. Donne-lui la moitié de tes gains.
Euboulos était un compatriote d’Émèse, un Syrien d’une quarantaine d’années, au corps maigre et à la face basanée. Varius lui avait confié, depuis peu, la responsabilité des finances impériales.
Il jeta à l’empereur un regard faussement indigné :
— Divin César, en ma qualité d’administrateur du Trésor public, dit-il cérémonieusement, je dois veiller à modérer tes dépenses et celles de ces jeunes fous. Gordius n’a qu’à miser moins, il perdra moins !
Varius regarda son préfet des vigiles et le menaça du doigt en riant :
— Euboulos a raison ! fit-il en pouffant. Si tu ne réussis pas ce coup-là, je ne te donne plus une seule pièce ! Allons, Protogène, tu as triomphé cent fois dans le grand cirque, ne peux-tu pas lancer quatre malheureux dés sans nous faire chaque fois le coup du chien(109) ?
Tous rirent de bon cœur et ils se remirent à jouer.
Varius s’était passionnément attaché à Protogène et à Gordius, qui lui inspiraient une confiance sans bornes. Il les associait à toutes ses décisions, leur ouvrait son âme comme à des confidents complices et indulgents. Les deux auriges faisaient partie, avec Euboulos, Claudius et Myrismus, des rares privilégiés qui s’étaient attaché la sympathie de l’adolescent.
— C’est injuste ! gémit Claudius en contemplant avec dépit les maigres gains qu’il avait accumulés depuis le début de la partie. La Fortune m’abandonne !
— Cesse de te plaindre, le gronda Myrismus, tu vois bien que je suis plus pauvre que toi. J’ai déjà perdu vingt mille sesterces !
— Euboulos t’en a donné trente ! Et Gordius t’en a avancé dix de plus il n’y a pas un instant ! Personne ne m’a aidé, moi ! Personne ne m’aime !
Varius, vêtu d’une robe de soie rouge et coiffé d’un diadème gemmé, lança à son favori un regard attendri.
— Et moi, mon petit Claudius ? Est-ce que je ne t’aime pas ? dit-il en lui effleurant doucement la joue.
Le précieux Claudius rougit et baissa ses longs cils, ravi de ce témoignage inattendu d’affection, et troublé, comme chaque fois, par ces accès de tendresse de la part de César, par ces attentions délicates qui se produisaient toujours spontanément et souvent sans cause.
Le jeune homme, qui avait tout d’abord fait fonction de coiffeur personnel de Varius, avant d’être promu, par la grâce impériale, préfet des vigiles, vivait presque continuellement dans le sillage de l’empereur. Il avait de longs cheveux bouclés, enduits de parfums et retenus dans la nuque par des épingles, des ongles soignés, des bras et un torse parfaitement épilés et lissés par le frottement de la pierre ponce, une petite bouche rose et pointue comme un bec de poussin. Varius, bien qu’insensible à la sensualité de ce corps trop mince et trop féminin et bien qu’il n’ait jamais éprouvé pour son favori des désirs explicitement sexuels, se plaisait énormément en sa compagnie.
C’était avec lui qu’il s’échappait du palais, dès la nuit tombée, pour courir incognito les bas-fonds de la ville et se soumettre au joug des rudes débardeurs, dans les tavernes sordides des quartiers populaires.
Claudius, en revanche, éprouvait pour son maître un amour ardent et ne s’en cachait pas. Il rougissait et pâlissait chaque fois qu’il rencontrait son regard, se sentait défaillir dès qu’il entendait sa voix. Et l’adolescent, évidemment, se flattait exagérément de cette passion dévorante. Tour à tour, il s’amusait à inspirer au pauvre Claudius l’espoir et la déception, l’obligeait à se plier à ses quatre volontés, lui faisait subir toutes sortes de petites brimades ou le gratifiait de gestes tendres, selon son humeur du moment.
Pour Varius, rien n’était plus agréable que de se sentir l’unique cause des joies et des malheurs de ceux qui lui étaient entièrement dévoués ; car dévoués ils l’étaient, tous, ces parasites en attente de généreuses gratifications, dévoués et tellement asservis qu’ils ne songeaient même pas à résister et se soumettaient volontairement à ses caprices les plus saugrenus.
En voyant l’empereur caresser langoureusement la joue de son rival, Myrismus se renfrogna et ne fit rien pour dissimuler sa déception, en proie à une jalousie évidente. Celui-là était vraiment beau garçon. Grand, robuste, des fils d’argent sur les tempes, le visage ouvert et les yeux d’un gris lumineux, mais sans beaucoup d’esprit. Découvert par Protogène dans un immeuble miteux, où il végétait à écrire des vers insipides, il avait immédiatement plu à l’empereur. Varius, plus impressionné par une partie de son anatomie hors des proportions communes que par ses talents de poète, s’était aussitôt attaché ses services.
— « Ne te laisse pas abuser par les larmes qui amollissent le diamant », déclama Myrismus en prenant une pose affectée, « ni par les artifices inspirés par Vénus…»
— Et toi, épargne-nous tes mauvais poèmes qui offensent Erato et Polymnie(110) ! souffla Claudius.
Mais Myrismus continua de débiter, de sa voix nasillarde, ses vers qui se succédaient avec une sonorité de grelots vides.
— Myrismus est jaloux ! fit remarquer Protogène à Varius. Jaloux des caresses dont tu gâtes Claudius. Regarde-le : jaloux comme une petite chatte !
Myrismus s’offusqua :
— Pas du tout ! protesta-t-il. Est-ce que je me plains, moi ? Il n’est pas d’amour plus véritable que celui qui souffre sans implorer… « Digne était Orion quand, rejeté de Sidé, il errait dans les bois… Silencieuse était la fille de Tyndare, trompée par le fils d’Astrée…»
— Oh, la paix ! s’écria Claudius en se bouchant les oreilles.
Varius frappa dans ses mains avec une lenteur amusée. Un sourire espiègle et condescendant dansait aux coins de ses lèvres entrouvertes :
— Allons ! dit-il pour mettre fin à la petite brouille entre ses admirateurs. Terminons vite cette partie et jouons à autre chose !
Lorsque les tali ou le jeu des noix finissaient par les ennuyer, l’empereur et ses amis passaient généralement à d’autres distractions. Les jours précédents, ils avaient imaginé de nouvelles recettes de cuisine et Varius s’était distingué en inventant des quenelles d’huîtres et de squilles. Après quoi, ils avaient remplacé l’eau des piscines par des roses en fleur et de l’essence de nard. Aux interminables parties de latrunculi(111) ou de micatio(112) succédaient parfois les danses, les mimes, les concours de chant et de flûte et les farces infantiles.
Toutes les fantaisies qui leur passaient par la tête constituaient une occasion de s’amuser. Parfois, l’empereur insouciant et ses parasites se divertissaient en jouant des tours pendables aux esclaves du palais. Ainsi, la semaine précédente, ils avaient ordonné aux domestiques de leur ramener un phénix et la veille, de courir toutes les maisons de Rome pour leur rapporter mille livres de toiles d’araignées et dix mille souris.
— Si nous jouions aux songes ? proposa Myrismus.
Il suggéra que chacun à son tour racontât son dernier rêve mais Gordius et Protogène déclarèrent d’une seule voix que la chose manquait totalement d’intérêt.
— Alors jouons aux gages ! proposa encore Myrismus.
Ce fut Claudius qui cette fois eut un geste désapprobateur et s’écria de sa voix haut perchée :
— Hors de question ! Personne ne m’obligera plus à friser les poils des lions ! Ou à faire la poule dans les couloirs du palais, couvert de plumes et en battant des ailes !
Au souvenir de cet épisode mémorable qui les avait beaucoup réjouis, Varius et ses favoris partirent dans un éclat de rire irrépressible.
Ce fut dans ce bruit, cette joie tapageuse et puérile, que Maesa et Valerius Comazon firent leur arrivée.
La vieille princesse dévisagea avec une répulsion évidente son petit-fils, sa robe de soie et sa bouche maquillée.
— Comazon vient de m’informer d’un événement important, dit-elle, glaciale.
L’adolescent ne parut pas l’entendre, se contenta de secouer ses mèches blondes avec insouciance :
— Je viens de gagner deux cents sesterces en un seul coup, grand-mère. C’est mon jour de chance.
— Ta chance ? fit Maesa en lui jetant un regard méprisant. On dirait bien qu’elle tourne, mon pauvre enfant.
Le visage de Varius, contracté un instant, reprit aussitôt une expression blasée :
— Si tu es venue pour me verser à pleine coupe le vin de ton indignation, dit-il en grimaçant, tu peux repartir. Tu ne vois pas que je m’amuse ?
Maesa se retint d’éclater. Comazon lui mit une main sur l’épaule pour la calmer.
— Deux hommes ont essayé de te voler ton trône, annonça la Syrienne d’une voix qui tremblait d’impatience. La chose te semble-t-elle suffisamment grave pour m’écouter ?
Son petit-fils ne daigna même pas l’honorer d’un coup d’œil. Il fit s’entrechoquer les osselets dans son gobelet.
— Combien misez-vous ? demanda-t-il à ses compagnons. Combien êtes-vous prêts à perdre ?
Mais la main de Maesa vint s’abattre lourdement sur la table, interrompant brutalement le coup qu’il s’apprêtait à jouer.
— Vas-tu m’écouter ? gronda-t-elle, rouge de colère. L’un d’entre eux, Seius Carus, a tenté de soulever la garnison cantonnée à Albanum ! L’autre, Valerianus Paetus s’est rendu en Cappadoce pour se rallier les soldats !
Varius haussa les épaules :
— Mais ils ont échoué… Non ? Pourquoi m’ennuies-tu avec cette histoire, puisqu’ils ont été arrêtés ?
Maesa le dévisagea avec stupéfaction.
— C’est exact, répliqua-t-elle, décontenancée. J’ignorais que tu étais au courant.
— Il se trouve que j’ai aussi mes informateurs.
Et, se retournant enfin vers sa grand-mère, il croisa les bras avec un sourire infatué :
— Bien ? Quoi d’autre ?
— Ces hommes sont en route pour le palais, poursuivit Maesa. Je souhaite que tu m’accompagnes pour les entendre.
Elle pensa intérieurement : « Peut-être que cette confrontation t’amènera à réfléchir et à mesurer jusqu’où ta conduite insensée nous a entraînés…»
— Pour les entendre plaider leur cause ? ricana Varius. Et puis quoi encore ? Je n’ai pas l’intention de perdre mon temps à les écouter.
— Il le faut bien, pourtant.
Le jeune empereur médita un instant, immobile sur les coussins, et poussa un soupir exagéré. Finalement résolu à s’éviter cette corvée, il hocha la tête négativement. Son penchant naturel pour la facilité l’incita à prendre la seule décision qui pouvait lui épargner de subir, lors de l’audience, les attaques perfides de ces deux traîtres.
— Qu’on les tue, ordonna-t-il froidement.
Puis, décidant qu’il fallait, pour l’écarter, trancher tout de suite le problème, il ajouta d’un ton sans appel :
— Et qu’on les tue aujourd’hui.
Comme tous les faibles qui veulent se persuader qu’ils sont forts, Varius avait par moments ce besoin impérieux des solutions irréfléchies, radicales et immédiates. Maesa ne répliqua pas, sachant qu’elle n’obtiendrait rien de plus.
— Soit, fit-elle. Après tout, tu es l’empereur.
Le jeune homme accueillit cette remarque comme une raillerie déguisée. Mais il conserva son masque d’indifférence et fit tourner les osselets entre ses doigts.
— Qu’en est-il des sénateurs ? demanda-t-il d’un ton détaché. Ont-ils trempé dans ces complots ?
— Il semble que non. Carus et Paetus ont agi seuls et séparément. Nous n’avons aucune preuve de l’implication d’un membre du Sénat dans leurs intrigues.
Comazon s’avança de trois pas vers la table de jeu.
— Pour l’instant, nos vénérables Pères conscrits se tiennent tranquilles, fit-il remarquer. Mais qui sait pour combien de temps ? Certains commencent à dire tout haut ce que les autres pensent tout bas…
— Peu m’importe ce que ces vieilles couilles desséchées chuchotent dans mon dos.
Comazon et Maesa se raidirent, choqués par cette obscénité.
— Tu devrais au contraire y prendre garde, le prévint Comazon.
— Je ne vois pas où est le danger, répliqua Varius, sarcastique.
Maesa ne put maîtriser un geste d’énervement :
— Je te l’ai déjà répété et je te le répète encore, Varius : tu commets une grave erreur politique en agissant comme si le Sénat n’était plus rien.
L’adolescent eut un long bâillement, à s’en décrocher la mâchoire.
— Terminé ?
— Les sénateurs n’ont peut-être plus aucun pouvoir, acheva sa grand-mère, mais leur force réside ailleurs. Tu sembles oublier qu’ils conservent l’administration de l’Empire. La plupart d’entre eux ont des postes clés dans les provinces et dans l’armée. Ils possèdent aussi la majorité des domaines de ce pays, autant dire la plus grande partie de l’Italie. Sans compter que le Sénat a gardé un prestige qui, joint à toutes les ressources dont il dispose, lui permet d’agir sur l’opinion. Tout cela constitue une puissance de fait dont tu ne sembles toujours pas avoir compris le péril.
De nouveau Comazon se rapprocha de l’empereur pour faire valoir son point de vue.
— Les sénateurs te détestent, ajouta-t-il en prenant un air préoccupé.
— Oderint dum metuant… répondit Varius.
Il venait de reprendre la fameuse formule de Tibère, « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ». Masea leva les yeux au ciel.
— Décidément, mon pauvre enfant, lâcha-t-elle avec aigreur, tu choisis bien mal tes modèles…
— N’est-ce pas toi qui me suggérais de tenir le loup par les oreilles ?
La princesse soupira, s’obligea à poursuivre, malgré sa lassitude et son dégoût.
— Les sénateurs te paraissent peut-être dociles aujourd’hui, lâcha-t-elle, mais demain ils essaieront de t’abattre. Tu as eu l’audace de provoquer et d’exaspérer leur orgueil. Cela risque fort de te coûter cher. Ne sous-estime pas leur capacité de riposte. Le Sénat a encore assez de force pour changer d’empereur si tu t’obstines à ne pas respecter le peu de pouvoir et de dignité qui lui reste.
L’adolescent lui tourna le dos, n’attribuant visiblement aucune importance à ses avertissements. Sans un mot de plus, sa grand-mère pivota sur elle-même pour s’en aller. Mais alors qu’elle était sur le point de s’éloigner, suivie de Valerius Comazon, l’empereur appela ce dernier d’une voix aiguë :
— Comazon ?
L’autre s’arrêta net.
— Oui, César ?
— Tu me sembles plus fidèle et dévoué à ma grand-mère qu’à ton empereur… Comment se fait-il que tu aies laissé ces deux individus, ce Carus et ce Paetus, comploter contre moi ?
— Je n’étais pas au courant César, se défendit le préfet. Mais dès que j’ai été informé de leurs projets, j’ai immédiatement pris les mesures qui s’imposaient.
— Il aurait fallu les en empêcher avant, objecta Varius.
— Comment aurais-je pu prévoir ?
— Tu aurais pu, si tu avais voulu.
Il fit l’une de ses moues espiègles et enfantines :
— Sais-tu quel est ton problème, Comazon ?
— Non, César.
— Ton problème est que tu es trop occupé à suivre Maesa partout, comme un vieux bouc en rut.
— Je… Je te demande pardon César ?
— Tu as parfaitement entendu, ne fais pas l’innocent. Je me fiche pas mal que tu couches avec ma grand-mère, mais il est évident que cela te détourne de tes responsabilités.
Maesa, qui n’avait rien perdu de l’échange, haussa les épaules avec un immense découragement, presque prise de pitié.
— Tu es fou, murmura-t-elle. Garde tes insinuations ignobles.
— César, intervint à son tour Valerius Comazon, littéralement cramoisi, je… Oh non ! Maesa et moi… ? Quelle idée !
Varius dévisagea son préfet d’un air de commisération amusée :
— Tatata ! ricana-t-il. Menteur…
Et, se redressant sur son lit, il fit signe à Comazon de se pencher vers lui.
— Gros coquin ! s’exclama-t-il en lui donnant une tape sur le bout du nez avec son index. Tu auras désormais tout le loisir de te consacrer à ma chère grand-mère : je te libère de tes fonctions de praefectus urbi.
Maesa serra ses mains fermées, ramassa ses forces pour l’affronter.
— Tu oublies que c’est en partie à Valerius que tu dois ton trône ! Sans son aide, nous n’aurions jamais vaincu Ulpius Julianus à Raphanae ! Serais-tu devenu ingrat ? As-tu oublié qui sont tes vrais amis ?
— Mes amis sont ici, autour de moi, répliqua Varius en se mordillant négligemment l’ongle du pouce. Je n’en vois pas d’autres.
Puis il tendit son bras nu, à la chair rose et potelée, vers son favori Myrismus.
— Comazon, je te présente ton remplaçant !
— Lui ? fit Maesa livide.
— Pourquoi pas lui ?
— Parce que c’est un…
— Un ?
La vieille princesse dévisagea successivement les favoris qui ricanaient, le coiffeur Claudius devenu préfet de l’annone, le cocher Gordius devenu préfet des vigiles et maintenant ce Myrismus de malheur qui recevait la préfecture de la ville.
— Un moins que rien ! s’emporta-t-elle.
L’adolescent lui sourit malignement au nez, de ce large sourire provocant qui laissait voir ses belles dents blanches et creusait des fossettes irrésistibles au creux de ses joues.
Mais, dès que Maesa eut tourné les talons, l’arrogance fanfaronne de l’empereur retomba comme un soufflé. Sa gaieté malicieuse céda la place à un soudain accès de mélancolie. Son visage aux expressions changeantes, comme celui d’un comédien, passa successivement de l’ironie gamine à une espèce de gravité morbide.
— Voilà, maintenant, je n’ai plus envie de jouer ! annonça-t-il, maussade.
Claudius, aussitôt, s’alarma exagérément :
— César, es-tu malade ? Tu es tout pâle !
— C’est à cause de ma grand-mère, gémit l’adolescent. Elle me fait toujours cet effet-là. Elle me donne envie de me jeter dans le Tibre !
— Tu devrais t’éloigner de Rome quelque temps, suggéra Euboulos. Pourquoi ne pars-tu pas te reposer à Tibur ou à Tusculum ?
— Si je quitte Rome, qui sait ce que cette vieille pie manigancera dans mon dos…
— Que veux-tu qu’elle fasse ?
— Je préfère ne pas l’imaginer, répliqua Varius d’une voix morne.
Le cri strident d’un perroquet échappé d’un bosquet le fit sursauter.
— Je la déteste, dit-il en se recroquevillant sur son lit de repos.
Claudius, d’un air malheureux, promena son regard sur le corps prostré de l’empereur, perturbé, autant que les autres, par cette saute d’humeur incompréhensible et pourtant familière.
Il se pencha, posa une main tendre et compatissante sur les cheveux bouclés de l’adolescent. Mais il eut beau se pencher sur lui et souffler à son oreille des paroles réconfortantes, celui-ci continua de se renfermer dans une attitude craintive et abattue.
Protogène, tout aussi déconcerté par le comportement de son maître, remplit une coupe et la lui tendit.
— Tiens, bois, dit-il. Tout ira mieux.
Varius se retourna avec impatience et, les yeux mi-clos, murmura :
— Rien ne peut aller mieux… Tu n’as pas entendu ce que cette grosse outre de Comazon a dit ? Ils me haïssent… Tous !
Mais il prit néanmoins la coupe que lui offrait Protogène et but le vin qu’elle contenait en soupirant. Il savoura aussitôt le liquide tiède et épicé avec plaisir, en gardant un instant l’alcool entre son palais et sa langue, avant de le laisser très lentement couler au fond de son gosier.
Le vin n’eut pas pour seul effet d’atténuer son abattement et de chasser son humeur morose. Il lui apporta tout à coup un regain de vie, une excitation délicieuse.
Son entrain immédiatement ranimé, Varius se redressa prestement, retrouva son optimisme. Entraîné par un nouveau revirement, il partit dans un grand éclat de rire. La dernière remarque de Maesa venait de faire germer une idée folle dans son esprit.
— Ma grand-mère a raison, dit-il en passant négligemment une main dans ses boucles fauves. Je vais suivre ses conseils, mes amis. Dès demain, je recevrai nos chers sénateurs au palais et je leur rendrai les honneurs auxquels ils prétendent.
Et sur cette promesse, il jeta autour de lui un drôle de sourire, énigmatique et vaguement moqueur.
— Je vais tellement les soigner qu’ils me mangeront dans la main, fanfaronna-t-il en plissant les yeux. Qu’en dis-tu, Protogène ?
— Pourquoi pas ? répondit l’aurige d’un ton parfaitement neutre qui contrastait avec sa soudaine pâleur, comme s’il avait saisi, en un instant, toute la signification de cette phrase.
— Je vais leur montrer qu’ils ne me font pas peur, poursuivit Varius. Il est grand temps que je me fasse entendre de ces lavasses.
Un éclair malin allumait son regard tandis qu’il semblait se délecter de ses propres réflexions.
— La vieille chèvre veut que je les cajole, que je les comble d’égards ? Croyez-moi, elle ne va pas être déçue !
Il mit le comble à sa satisfaction en avalant une nouvelle rasade de vin et s’exclama joyeusement :
— Ils seront bientôt tous à mes pieds ! Vous les verrez ramper et trembler comme des feuilles chaque fois que j’ouvrirai la bouche !
Les autres favoris continuaient de le dévisager, un peu perplexes.
— Autre chose, Eubulos, ajouta Varius. Je compte accélérer les travaux de ma résidence d’été. Débloque les fonds nécessaires, prends ce qu’il faudra dans mon Trésor mais je veux que mon nouveau palais soit achevé avant la fin de l’année.
— L’argent manque, César. La construction de l’Élagabalium et le reste ont mis à mal tes finances…
« Le reste », qu’Euboulos venait d’évoquer on ne peut plus évasivement, comprenait non seulement les banquets somptuaires donnés au Palatin chaque soir depuis plus d’un an et qui ne lui coûtaient jamais moins de cent mille sesterces chacun, mais également les prodigalités insensées dont Varius avait continuellement gratifié toutes les prostituées et tous les proxénètes de la ville. Sans compter les fêtes, l’achèvement des thermes de Caracalla, les cérémonies en l’honneur d’Élagabal, la construction de son temple et les dépenses occasionnées par son incorrigible goût du luxe et des joyaux. Varius avait en effet une passion incontrôlable pour les pierres précieuses, qu’il incrustait sans modération sur ses vêtements, ses chaussures ou ses coiffures, et surtout pour l’or, dont il faisait plaquer ses voitures, lamer ses couvertures, tisser ses coussins et même recouvrir les réchauds et les chaudrons de ses cuisines.
— Il faut prendre l’argent où il se trouve, déclara-t-il. Tu n’as qu’à vendre…
— Vendre ?
Varius répéta le même mot avec une lenteur délibérée :
— Vendre. Tout ce qu’on voudra bien acheter : les charges d’édiles, de tribuns, de légats, de curateurs, les postes de trésoriers, de contrôleurs, de régisseurs… Nous allons tondre l’ordre équestre, le Sénat, les financiers, les publicains. Tout se vend et tout s’achète, non ?
Il s’interrompit un instant, réfléchit, reprit avec le même enthousiasme retrouvé :
— Et il faut chercher l’argent là où il se cache… Les sénateurs Balbinus et Marcus Pulpienus possèdent des domaines à Firnum ? Cammarus a une propriété à Tarquini et une autre en Campanie ? Ces fortunes me paraissent très suspectes… Confisque leurs terres !
Il s’étira voluptueusement puis allongea le bras pour prendre une pâte de fruit.
— Lorsque ma résidence d’été sera achevée nous irons nous installer là-bas, définitivement. Et plus personne ne viendra m’importuner pour me dire ce que je dois ou ne dois pas faire.
Et, tout en mâchant délicatement sa friandise, il se mit à songer avec un bonheur non dissimulé à son nouveau palais situé à l’extrémité de l’Esquilin, dans les jardins du Vieil-Espoir. Un palais dont il avait prévu l’aménagement et la décoration dans les moindres détails et dont le luxe tapageur devait surpasser tout ce qui s’était fait depuis les temps néroniens.
Soudain, ses pensées s’envolèrent loin des vicissitudes du moment, dans un monde de rêves et d’aspirations exaltées. Les paupières closes, la tête renversée, il s’abîma soudain dans la contemplation muette et intérieure d’un avenir proche où, sans plus rencontrer d’obstacles, dans son petit Élysée, il pourrait lâcher la bride à ses désirs les plus fous où, enfin, il rassasierait son ambition de supériorité et d’hommages.
Le voyant plonger dans ses fantasmes comme dans un sommeil artificiel, Protogène et Gordius se levèrent en silence pour quitter la tonnelle, mais l’adolescent, d’un geste lent, leur fit aussitôt signe de se rallonger.
— Non, mes amis, murmura-t-il d’une voix alanguie, ne partez pas, restez près de moi.
Les deux cochers reprirent leur place, obéissant docilement à cette prière, sachant que Varius ne les laisserait pas s’évader si facilement. L’enfant-roi avait besoin de chacun de ses admirateurs autour de lui, nuit et jour. Il avait besoin qu’ils se tiennent toujours là, à ses côtés, pas seulement pour satisfaire au moindre de ses désirs futiles, mais pour combler sa peur irrépressible de l’ennui et de la solitude.
* * *
Lorsque Maesa quitta les jardins impériaux, elle fila aussitôt chez sa fille. Son cœur débordait d’une colère sourde qui lui faisait confondre dans une même haine Soemias et Varius parce que l’un et l’autre mettaient désormais en péril son prestige et sa propre sécurité.
— Je n’ai pas le temps, dit Soemias alors que sa mère entrait pour lui parler. On m’attend.
— Laisse attendre. J’ai à t’entretenir de choses importantes.
Le ton impérieux de sa mère irrita Soemias. Elle posa ses mains sur ses hanches voluptueuses :
— De quoi pourrions-nous encore parler ? Nous n’avons plus grand-chose à nous dire.
Il était clair qu’elle ne supportait plus sa mère, ses allures de mentor, son patronage condescendant, ses conseils exaspérants et médités qu’elle lui prodiguait constamment, sous prétexte d’une sagesse qu’elle croyait posséder à elle seule.
Elle regarda Maesa, ces yeux noirs dont l’éclair hostile ne s’éteignait jamais, cette bouche desséchée qui ne savait que reprocher, qui ne l’avait jamais embrassée, ces mains longues et crochues comme les serres d’un oiseau de proie, qui ne l’avaient jamais soignée ni caressée, qui ignoraient la douceur de sa peau.
— De quoi pourrions-nous parler ? répéta la vieille princesse. Des excentricités de ton fils par exemple ?
Soemias haussa ses épaules rondes et se détourna dans une volte exaspérée :
— Il s’amuse, c’est de son âge.
— Tu appelles cela des amusements ? Moi, non ! Des dévergondages ignobles, des folies dont tout le monde pense que je les approuve et cela, je ne peux l’accepter !
— C’est donc ça. Tu t’inquiètes encore pour toi.
— Pas seulement pour moi. Pour notre famille. Si seulement Varius n’avilissait que lui-même. Mais il traîne dans la boue le nom des Bassianides et des Sévères.
— Tu exagères toujours…
— J’exagère ? riposta rudement Maesa. Parce que tu trouves, toi, que Varius se conduit en empereur ? Quand il n’est pas habillé en femme, ton fils se promène entièrement nu dans le palais, monté sur un char attelé à des femmes dévêtues elles aussi, qu’il fait avancer à quatre pattes, comme des chiennes ! Il fait rechercher par Protogène, dans tout le pays, des hommes réputés pour la grosseur de leur mentula ! Non content d’inviter ces individus ignobles à partager sa couche, il les comble d’honneurs, leur offre des pensions, les nomme aux plus hautes charges de l’Empire ! Son dernier amant vient à l’instant d’être élevé préfet de la ville !
— Myrismus ?
— Oui, Myrismus, ce minable que Protogène, ton amant, a été dénicher dans un taudis de l’Argilète ! Varius traîne avec lui tous les après-midi dans les thermes et tous les deux n’hésitent pas à palper les attributs des baigneurs… Est-ce là les distractions d’un homme à qui l’on a confié un Empire ? Et que dire de ses autres préfets ? De cet inverti de Claudius, qui le suit comme son ombre et avec lequel il visite toutes les nuits les cabarets de la ville en perruque ? Mais s’il n’y avait que ces débauches sordides ! Les obscénités dont Varius fait parade sont les moindres excès qu’on peut lui pardonner.
Soemias ouvrit la bouche pour parler mais, sans lui en laisser le temps, sa mère poursuivit d’un ton furieux :
— Ses orgies et ses dépenses insensées mettent à mal les finances de l’État. Il se moque ouvertement des dieux romains, auxquels il refuse de rendre les hommages traditionnels, il se trémousse sur l’esplanade du temple solaire, maquillé et couvert de bijoux comme un corybante(113) ! Il ne vit entouré que de ses magiciens, de ses minables cochers et de ses petits gitons ! Il refuse de recevoir les sénateurs mais invite à sa table des manchots, des boiteux, des voleurs et des filles de plaisir ! Et comme si cela ne suffisait pas, il a encore fallu qu’il viole le sanctuaire de Vesta, qu’il s’empare du Palladium et qu’il enlève une prêtresse ! Il n’est pas un sacrilège dont il ne peut se vanter !
Elle s’interrompit un instant pour reprendre son souffle et, avec une hauteur magistrale, lui déclara :
— J’ai été tolérante jusqu’à l’extrême limite de ma patience. Mais Varius est allé trop loin, et de patience, je n’en ai plus.
— Eh bien, parle-lui, répliqua sa fille en soupirant.
— Je suis une vieille femme, Soemias. Je ne me sens plus la force de tempérer les vices de Varius ni de combattre sa folle obstination. Et je ne veux plus être la seule à me dresser contre lui. Je suis fatiguée. Oui, je suis épuisée de ces luttes quotidiennes, de ces affrontements avec un enfant qui m’est devenu un étranger, de ces disputes qui ne mènent à rien. Tu m’as reproché un jour de me servir de Varius pour satisfaire ma propre ambition et tu avais en partie raison : j’ai caressé le rêve que notre famille régnerait pour longtemps sur Rome, j’ai nourri l’espoir de rendre la gloire des Bassianides éternelle… Mais je réalise aujourd’hui qu’à ce stade de l’aventure, mon rêve se révèle finalement impossible. En tout cas en la personne de ton fils.
— Varius est jeune ! protesta Soemias. Il faut lui laisser le temps de grandir.
— Il a eu tout le temps de grandir ! Il aura bientôt dix-sept ans mais il ne semble pas s’assagir avec les années. Si nous ne lui faisons pas entendre raison, nous courons à la catastrophe !
— Tu vois toujours tout en noir ! Ce ne sont pas les petites fantaisies de Varius qui vont mener l’Empire à sa perte. Les gens vivent en paix, les frontières sont bien gardées, les provinces normalement administrées et les richesses continuent d’affluer de toutes parts. Rome est toujours Rome.
— Parlons-en du trésor de Rome ! vociféra Maesa dont la patience était à bout. Ton fils a quasiment vidé, par ses dilapidations quotidiennes, les caisses de l’État !
— Je n’ai pas l’impression que le peuple se plaigne. Il mange à sa faim et se réjouit des spectacles magnifiques que Varius lui offre sans compter.
— Le pain et les jeux ? Justement, parlons-en aussi ! Savais-tu que ce petit imbécile avait l’intention de donner aux prostituées de la ville toute la provision de blé de l’annone ? À cause de lui, les réserves que Septime Sévère et Caracalla ont accumulées pour sept ans sont en train de fondre comme neige au soleil ! Quant à ses spectacles, je ne suis pas certaine qu’ils amusent les Romains autant que tu le penses. Même si le peuple y trouve pour l’instant quelque intérêt, il s’en lassera bientôt. Des naumachies(114) dans des arènes remplies de vin, des courses d’hippopotames dans le grand cirque, quelle puérilité !
Soemias lutta contre une étrange confusion. Les remarques de Maesa distillaient à présent dans son esprit un doute malsain, la pénétraient comme un venin insupportable. Mais son amour maternel, absolu et inconditionnel pour son fils, l’empêchait malgré tout de se rendre à l’évidence. Un dernier élan de loyauté envers Varius la fit se dresser contre sa mère :
— Varius est un grand empereur ! La politique ne l’intéresse pas, mais cela n’enlève rien à sa valeur. Faut-il qu’il passe son temps à la Curie ou derrière un bureau à pondre je ne sais quelle loi stupide, ou qu’il entame une guerre inutile, pour que tu le prennes enfin au sérieux ?
— Certainement pas ! ricana méchamment Maesa. Encore heureux qu’il n’ait pris aucune décision politique ! Cela vaut mieux !
— Tu es une rabat-joie !
Maesa considéra Soemias avec une répugnance profonde, définitive, semblable à celle qu’elle éprouvait pour son petit-fils.
— Et toi tu es une parfaite idiote, ma fille. Le seul point sur lequel je suis d’accord avec Varius, c’est lorsqu’il dit que tu raisonnes comme une oie. Tu ne comprends donc pas ? Ma faiblesse et ta tolérance risquent bien un jour ou l’autre d’être prises pour de la complicité. Le jour où Varius tombera, tu tomberas avec lui.
Soemias grinça des dents devant l’insinuation mordante et essaya de tirer de son cerveau une réplique foudroyante. Mais, comme souvent quand elle était face à la colère de Maesa, elle ne put trouver une riposte à la hauteur.
— Il n’arrivera rien à mon enfant, dit-elle seulement. Il est l’empereur, non ? Les soldats l’adorent et les sénateurs sont trop lâches pour oser l’affronter.
— Je ne suis pas sûre que les soldats le portent encore aux nues. Il ne leur a guère montré d’attention depuis qu’il est au pouvoir. Quant aux sénateurs, ton fils ferait bien de s’en méfier.
— Ce sont des moutons, Varius le dit lui-même.
Maesa la dévisagea avec un détachement cynique :
— Ma pauvre fille, les moutons pourraient bien se transformer en loups, s’il les pousse à bout.
— Je te répète que l’armée l’adore ! Et la plèbe ne jure que par lui !
— Plus pour longtemps. Nous avons trompé le peuple de Rome et avec lui, tous les citoyens de l’Empire. Nous leur avons vanté des qualités militaires que Varius n’a jamais possédées. Nous leur avons montré, sur de faux portraits, le visage d’un jeune homme de sang royal, vertueux et courageux. Ils sont en train de s’apercevoir que leur César n’est qu’un pitre, un dément et un lâche. Un gamin sans cervelle qui s’enivre du pouvoir à en perdre le peu de raison qui lui reste et la plus élémentaire pudeur. Un empereur ? Laisse-moi rire à mon tour ! Varius n’est même pas l’ombre d’un empereur ! Il n’a pas fait illusion plus d’un mois ! Même sa fonction de grand prêtre, qui aurait pu lui apporter quelque respectabilité, s’il avait su en faire bon usage, tourne à la pantomime obscène. Si tu n’en es pas encore convaincue, laisse-moi t’assurer que les clarissimes, les soldats et la plèbe seront bientôt lassés de cette farce grotesque que Varius leur sert jour après jour.
Cette fois Soemias se garda bien de répondre, submergée par ce torrent de mots. Elle baissa la tête, les yeux fixés sur le bout de ses mules. Maesa se pencha vers elle, lui saisit brusquement le coude et plaqua son visage ridé contre le sien, si près que leurs souffles se mêlèrent :
— Raisonne ton fils, avant qu’il ne soit trop tard.