3
À la ferme, les deux femmes étaient dans un état de fébrilité qui touchait à la démence. Domenico, dans un coin, tâchait de se faire oublier. Concetta disait, à travers ses larmes :
— Tu aurais dû l’empêcher d’aller là-bas, Giuseppa… S’il meurt, je ne te le pardonnerai jamais !
— On ne pouvait pas continuer à vivre de la sorte. Il faut qu’on sache si nous pouvons ou non rester sur notre terre !
— Que ferons-nous si Mario ne revient pas ?
— C’est moi qui tuerai alors don Luciano !
Concetta ne doutait pas que son aînée tînt parole et, hébétée de chagrin, elle se vit seule au milieu de sa famille massacrée et n’ayant pour tout appui qu’un Domenico plus affolé qu’elle.
— Les voilà !
Le cri de Domenico jeta les deux femmes vers la fenêtre. Mario et le berger revenaient. Un immense soulagement donna l’impression à Concetta d’être soudain plongée tout entière dans une eau claire. À l’allure des deux hommes, on comprenait qu’ils n’avaient point reçu de blessures. La lenteur de leur pas affirmait qu’ils ne redoutaient pas de poursuite.
Ils entrèrent et posèrent leurs fusils contre le mur. Giuseppa demanda :
— Eh bien ?
Son beau-frère répondit :
— Nous ne sommes pas allés chez les Partinico.
— Pourquoi ?
— Don Cosimo nous a arrêtés.
— De quoi s’est-il mêlé celui-là ?
— Il a eu raison, Giuseppa. Seul, je ne peux rien contre les Partinico.
— Alors, tu abandonnes ?
— Non, je vais chercher de l’aide.
— Où ça ?
— À Naples. J’y connais des garçons qui ne savent plus faire autre chose que se battre. Ils seront heureux de venir me donner un coup de main. Rassure-toi, Giuseppa, devant eux, les Partinico ne pèseront pas lourd !
— Je souhaite que tu aies raison. Quand pars-tu ?
— À l’aube, sans doute.
— Bon, je vais te préparer des provisions pour la route.
Timide, Concetta s’enquit :
— Tu m’emmènes ?
— Tu es folle ? Il ne s’agit pas d’une partie de plaisir et puis je vais être obligé de me rendre dans des endroits où tu n’as rien à faire. Gennaro, mes amis et moi, en revenant, nous irons d’abord te voir… Tu tâcheras de leur trouver une cachette pour passer la nuit. Il ne faut pas qu’on connaisse leur présence dans le pays et que les Partinico aient le temps de se mettre sur leurs gardes.
Ils s’asseyèrent autour de la table pour un ultime conseil de guerre. Ils étudièrent les différents itinéraires que Mario pouvait emprunter afin de ne point risquer d’être vu de quelqu’un le connaissant et qui, sans vouloir lui porter préjudice, parlerait de leur rencontre aux amis de Diolivoli. Son absence devait rester secrète. Ils décidèrent de choisir la route de Mortessino qui allongeait le parcours d’une douzaine de kilomètres, mais par où aucun habitant du pays n’aurait l’idée de passer pour gagner Lentini d’où l’autobus mène les voyageurs à Catane.
La décision une fois prise, ils se sentirent soulagés. Giuseppa semblait savourer par avance la déconfiture des Partinico. Concetta estimait que tant que son mari serait absent don Luciano ne risquerait pas de le faire abattre. Gennaro rêvait à la prochaine bataille et serrait les mâchoires en pensant qu’il s’arrangerait pour se trouver en face de Nicolà Partinico qu’il entendait tuer de sa propre main pour venger son chien. Comme à l’accoutumée, Domenico était plongé dans une rêverie morose. Il n’aimait pas la perspective de ces bagarres sanglantes auxquelles, de gré ou de force, il serait obligé de prendre part. Si seulement, ils voulaient se montrer raisonnables les uns et les autres et accepter de s’entendre avec les Partinico… Mais ils étaient tous plus entêtés que des mules.
Mario passa une partie de l’après-midi à examiner les comptes de la Mincia. Ensuite, il déclara qu’il allait s’offrir une petite promenade pour réfléchir au plan qu’il devrait avoir mûri avant de se présenter devant ses anciens compagnons.
À la vérité, Nebrodi n’avait pas du tout l’intention de se rendre à Naples. Plutôt qu’un combat où il y aurait des morts et des blessés, il préférait triompher des Partinico par la bande. Il était décidé à voir don Ettore pour lui raconter ce qui se passait à Diolivoli. Il était persuadé que le signor Olbia – qui lui avait confié sa méfiance à l’égard de don Luciano – saurait intervenir pour obliger les Partinico à laisser les gens de la Mincia tranquilles et peut-être que cet incident précipiterait la disgrâce de don Luciano ? Seulement, de tout cela, Mario ne pouvait en parler ni à Concetta ni à Giuseppa parce qu’il avait juré de se taire. Il n’avait pas le droit de trahir l’omerta.
Après le repas du soir, Giuseppa et Domenico se rendirent à Diolivoli pour aller au Salut et prier afin que la Madone protège le voyage de Mario. Gennaro regagna sa montagne et ses moutons. Nebrodi resta seul avec sa femme. Cela le gênait terriblement de lui mentir, mais il ne pouvait agir autrement.
Dans la grande maison vide, ils étaient assis en face l’un de l’autre, de chaque côté de la grande table. Concetta tendit le bras et prit la main de son mari dans la sienne.
— Mario… Je n’en peux plus.
— Un peu de courage, ma chérie… ce n’est qu’une question de jours et tout sera terminé.
— Mais cette bataille…
— Écoute, Concetta, je te demande de m’accorder ta confiance sans me réclamer d’explications. Je te jure sur notre amour que je ne courrai aucun danger dans ce qui se prépare.
— Mais comment est-ce possible puisque tu…
— Je t’ai prié de me faire confiance. Je ne t’ai jamais menti, je ne vais pas commencer maintenant. Vois-tu, j’ai eu de la chance de rencontrer don Cosimo, sinon tu serais peut-être veuve à l’heure actuelle. J’ai échappé à un terrible danger, pour la dernière fois. Tu entends, Concetta ? Pour la dernière fois.
— Je ne comprends pas, mais je te crois. Tu penses que ton ami Helmut acceptera de t’aider ?
— Lui ? C’est un frère pour moi.
— Tu ne m’as jamais raconté comment tu l’avais connu ?
Alors, il lui parla à nouveau de son copain allemand et ce fut une occasion de revivre les heures dangereuses d’hier mais qui, somme toute, l’avaient été moins que celles qu’il avait failli vivre à Diolivoli car ici, il était pratiquement seul.
Lorsque les Pollina rentrèrent du Salut, ils trouvèrent Mario et Concetta enlacés dans le noir.
— Pourquoi n’avez-vous pas allumé la lampe ?
— On n’en a pas éprouvé le besoin.
— Ah ! ces amoureux… Ton paquet est fait, Mario ?
— Pas encore.
Giuseppa s’emporta :
— Je me demande vraiment à quoi tu penses, Concetta ? Il doit se lever avant l’aube et tu vas l’obliger à se coucher tard !
— C’est vrai, tu as raison, je suis folle.
Concetta se précipita et dans la musette de Mario glissa un minimum de linge, un saucisson, un morceau de pain. Il porterait une gourde en bandoulière. À dix heures, le jeune couple gagna sa chambre.
Mario devinait que sa femme, en dépit de sa foi en lui, se faisait du mauvais sang. Il aurait pu l’apaiser en quelques mots, en lui révélant, par exemple, qu’il n’allait pas à Naples mais à Catane, seulement il ne le pouvait pas. Pour respecter la parole donnée, il la laissa sangloter silencieusement dans la nuit. L’omerta.
Personne ne dormit beaucoup à la Mincia. À trois heures, Mario se leva et passa dans la salle commune où il trouva Giuseppa occupée à préparer le café.
— Debout ?
Elle le regarda avec une sorte de tendresse.
— Tu sais bien que si je ne m’occupais pas de tout…
— Oui… Concetta est encore une enfant. Je te remercie de veiller sur elle et la maison.
— Elle m’a rappelée… Elle avait deviné que je ne pouvais pas vivre en dehors de la Mincia, que pour garder la Mincia, je ferais n’importe quoi… Ça m’est égal de mourir si je devais quitter la Mincia… Si tu hésites à tuer, moi, non !
— C’est grave de tuer, Giuseppa.
— Allons donc ! Nous sommes de la même race, toi et moi, Mario… Pas des sentimentaux… Nous, on va jusqu’au bout de notre route quels que soient les obstacles et pour nous, Mario, les obstacles, ce sont… les Partinico.
— Ils ne pèseront pas lourd quand je serai de retour.
— Que le Ciel t’entende ! Quoi qu’il arrive, tu peux être sûr d’une chose : tant que je serai vivante, personne ne mettra la main sur la Mincia. Va en paix.
— J’en suis convaincu et je t’en remercie…
Il s’approcha de la fenêtre.
— Il y aura du vent… Je vois des traces rouges au levant.
— La couleur du sang, Mario. Tiens, mange, tu as besoin de prendre des forces.
Il lui obéit. Tout le monde ou presque obéissait à Giuseppa. Elle restait debout à côté de l’homme assis. Servante et maîtresse de la maison, à la fois.
— Je ne comprends pas pourquoi tu as épousé Domenico ?
— Pour me prouver que je pouvais faire ce que je voulais. Pour prouver à mes parents, dans ce pays où les filles sont à peine plus que les bêtes, que je n’étais pas comme les autres. Et puis, je voulais commander chez moi. Malheureusement, je n’ai pas eu de chez moi. As-tu encore faim ? soif ?
— Non, merci.
Elle soupira.
— Dommage que tu ne sois pas mon époux. Tout aurait été plus simple.
Il rit.
— Qu’est-ce qui aurait encore été plus simple ?
— La vie. Ne fais pas attention, je raconte des bêtises pour cacher mon énervement de te voir partir.
— Tu ne vas pas lâcher pied, toi aussi ?
— Non, sois tranquille. Je ne suis pas de celles qui gémissent sur leurs erreurs. Tu es prêt ?
— Oui.
— Alors, que Dieu te protège… Concetta ?
Concetta arriva les yeux encore embués de sommeil.
Elle se jeta dans les bras de son mari.
— Oh ! Mario… À peine tu es là et voilà que tu repars…
— Pas pour longtemps.
— J’ai toujours peur quand tu n’es pas près de moi.
— Il y a Giuseppa.
— Ce n’est pas la même chose…
— Sois raisonnable, ma chérie, je reviendrai aussi vite que je le pourrai. Domenico n’est pas là ?
Giuseppa répondit :
— Il doit avoir honte de te laisser partir seul. Veux-tu que je l’appelle ?
— Non, tu lui diras au revoir pour moi. Au revoir ma Concetta.
— Mon Mario !
Ils s’étreignirent, puis Nebrodi la détacha de lui et la poussa dans les bras de sa sœur.
— Une fois de plus, je te la confie, Giuseppa. Au revoir.
— Adieu, Mario.
* *
*
Mario Nebrodi avançait d’un bon pas dans cette solitude où il se savait guetté par des centaines d’yeux de petites bêtes nocturnes sur le point de regagner leurs gîtes. Dans le silence, on entendait rouler les cailloux que son pied heurtait. Tout en marchant d’une allure soutenue, Mario demeurait les sens en éveil. Il n’avait point voulu prendre d’arme parce qu’il n’aurait su quoi en faire en arrivant à Lentini. Le paysage désertique le fascinait, surtout à cette heure-là. Il se figurait être un Bédouin voyageant dans une nature apparemment vide où la vie se cache pour tenter de se prolonger. De grands traits de lumière jaillissaient d’un point du ciel sur l’horizon. On pensait à quelque gigantesque projecteur et des souvenirs de guerre se réimposaient à la mémoire de Mario. Ce fracas fantastique dont les échos vibraient encore en lui dès qu’il y pensait et maintenant ce silence d’avant le monde ! Il préférait aujourd’hui. En dépit des Partinico, il s’y sentait plus en sécurité.
Pour tromper l’ennui du chemin, Mario essayait de mettre au point la façon dont il exposerait son histoire à don Ettore. Il espérait que le signor Olbia lui saurait gré de s’être tu et d’avoir annoncé aux siens qu’il se rendait à Naples pour y chercher du secours. Il ne doutait pas que dès qu’il l’aurait entendu, le « capo mafioso » donnerait les ordres nécessaires pour remettre don Luciano à la raison.
Mario riait en songeant à la tête que ferait le maréchal lorsqu’on lui apprendrait que don Luciano n’était plus rien à Diolivoli, sinon un habitant parmi les habitants du village. Brusquement, Nebrodi s’arrêta. À travers l’histoire qu’il se racontait, il avait attrapé un bruit insolite. Il se retourna. Un homme sortait de derrière un rocher et venait vers lui. Il eut peur. Il se ramassa sur lui-même pour se jeter en avant de toutes ses forces, mettant son salut dans sa vélocité, mais un autre individu se dressait sur la route et, lui aussi, avançait. Nebrodi comprit qu’il allait mourir. Les Partinico avaient été plus malins que lui. Il appela à voix basse : « Concetta…» Qu’allait-elle devenir, seule avec Giuseppa qui, sûrement, voudrait le venger ? Un immense désespoir succédait à sa peur. Les deux inconnus s’approchaient sans hâte.
— Alors, Mario, tu partais en promenade ?
Et Nebrodi reconnut Fabriano.
— Tu désirais appeler tes copains à la rescousse ?
Bien qu’il ne vît pas son visage, Mario sut que c’était Aragona.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Te tuer.
— Pourquoi ?
— Les ordres.
Aragona, le plus intelligent des deux, ajouta :
— Paraît qu’il faut qu’on te guérisse de ton entêtement.
Ils tirèrent ensemble. Mario se plia en deux sous le choc. Il était mort avant de toucher le sol.
* *
*
On apprit le meurtre de Mario Nebrodi, à Diolivoli dans l’après-midi. Il y suscita une énorme émotion. Devant tous, don Cosimo pleura et les larmes de ce vieil homme bouleversèrent la population tout entière. On s’amassa devant la maison du notaire. À travers les volets, les Partinico regardaient ces visages haineux. Armida, la plus âgée des brus de don Luciano, dit à haute voix :
— Un jour ou l’autre, il faudra bien que nous payions notre dette et ce jour-là, que Dieu nous ait en Sa miséricorde, car il n’y aura point de pitié pour ceux qui n’auront jamais eu pitié.
Dans son bureau, don Luciano qui n’avait pas prévu cette réaction populaire, se demandait s’il n’avait pas dépassé la mesure, cette fois. Mais aussi, pourquoi cet imbécile de Nebrodi avait-il refusé de vendre son domaine ? Pour se calmer, il alla regarder le plan cadastral. Les obstacles, entre la Mincia et lui tombaient un à un. Pourquoi s’inquiéterait-il ? Plus rien, désormais, ne le ferait reculer. Il empoigna son téléphone.
— Maréchal ? Qu’est-ce que vous fabriquez ? qu’attendez-vous pour dégager ma porte ? que foutent vos carabiniers ? Dois-je me charger de rétablir l’ordre en compagnie de mes fils et de mes amis ?
Alcamo, ayant raccroché, appela Friddi :
— Avec vos deux camarades, filez dire aux gens de rentrer chez eux !
— Non.
Le maréchal se leva sans hâte, contourna son bureau et se plantant devant le carabinier :
— Vous refusez d’obéir, si j’ai bien compris ?
— Vous avez parfaitement compris, maréchal.
— Vous n’ignorez pas ce que cela va vous coûter ?
— Je ne l’ignore pas, maréchal, mais j’ai la faiblesse d’être bon catholique et de croire en Dieu.
— Et alors ?
— Et alors, je ne veux pas être complice d’un assassinat, même pour acquérir des galons.
— Oseriez-vous insinuer… ?
— Je n’insinue rien, maréchal. Je dis que don Luciano est un assassin et que vous êtes son complice. J’ajoute que je suis prêt à répéter cette accusation devant le colonel, à Catane. Allez disperser ces gens-là si le cœur vous en dit, mais s’ils vous cassent la figure, ne comptez pas sur moi pour vous tirer de leurs pattes.
Friddi sorti, le maréchal appela les carabiniers qui restaient à son service et rien qu’en les regardant, il comprit qu’il ne pourrait guère espérer leur aide en cas de bagarre. Néanmoins, il lui fallait exécuter la mission ordonnée par don Luciano ou alors, toutes les humiliations endurées jusqu’ici l’auraient été en pure perte. Il descendit sur la place. Il y eut un court instant de flottement, puis les femmes les premières, les hommes ensuite, s’écartèrent de la porte de don Luciano pour rentrer chez eux.
* *
*
Don Cosimo s’était chargé de porter la triste nouvelle à la Mincia. Depuis son départ, un silence pesant s’était abattu sur la maison. Contrairement à toute attente, Concetta n’avait pas hurlé sa peine. En apprenant le meurtre de Mario, elle était devenue livide, s’était laissée tomber sur un banc et depuis, n’avait plus bougé. Ni le prêtre ni Giuseppa n’avaient pu l’arracher à l’espèce d’hébétude où elle paraissait plongée. Quand à son aînée, elle n’avait pas pleuré. Elle avait simplement demandé au prêtre :
— Jusqu’à quand croyez-vous que les Partinico continueront sans lasser Dieu ?
— C’est ce que je ne cesse de me demander, ma fille.
— Ils veulent la Mincia et je crains bien, maintenant, qu’ils ne l’aient, mais je tuerai don Luciano avant.
Don Cosimo s’écria :
— Veux-tu te taire, Giuseppa !
Giuseppa raccompagna le prêtre jusqu’à la porte.
— Rien ne me fera changer d’avis, padre, je tuerai don Luciano.
Don Cosimo parti, Concetta se leva :
— Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, qu’on ne le verra plus ?
— Chut… Tais-toi… Essaie de te calmer… Je vais me coucher…
— Lui aussi il est couché… mais lui il ne se relèvera jamais… Quand penses-tu qu’on le ramènera.
— Demain.
— Pourquoi est-il allé mourir loin de moi ? Comment l’ont-ils trouvé sur cette route ?
Giuseppa abandonna sa sœur et comme frappée par ce que sa cadette venait de dire, elle cria :
— C’est vrai ! Comment les Partinico étaient-ils au courant ? Il n’y avait que nous trois, en dehors de lui, pour le savoir. Ce n’est pas moi… Ce n’est pas toi… Alors…
Elle se tourna vers Domenico, tout de suite affolé.
— Non ! non ! Je te jure Giuseppa…
— Caïn !
— Mais non !
— Il y a longtemps que je te soupçonnais d’être de mèche avec don Luciano…
— Je te jure !
— Tu as vendu ton frère !
— C’est faux !
— Hier soir, pendant le Salut, je t’ai perdu de vue et tu en as profité pour avertir les Partinico.
Domenico se tordait les mains.
— Je te répète que tu te trompes… J’aimais Mario…
— Mais tu aimes encore mieux l’argent !
— Quel argent ?
— Celui qu’ils te donneront, les maudits, quand ils auront la Mincia grâce à toi ! Mais cet argent, tu ne le toucheras jamais, Judas !
Paralysée par tout ce qu’elle entendait, Concetta n’esquissa pas un geste en voyant sa sœur prendre le fusil de Mario. Domenico, fou de terreur, se rua vers la porte en hurlant :
— Non ! non !
Les chevrotines le fauchèrent et le bruit de sa tête heurtant le bois fit vomir Concetta. Giuseppa se pencha sur celui qui avait été son mari et, se relevant :
— Il aura payé le premier !
Concetta regardait le cadavre de loin et répétait à la façon d’une litanie :
— Tu l’as tué… Tu l’as tué… Tu l’as tué…
— J’irai me constituer prisonnière demain matin. Je ne veux pas te quitter maintenant dans l’état où tu es.