« L’étude des vols à haute altitude nécessitée par le plafond plus élevé avions de combat britanniques, a pris une place importante. On a jugé regrettable de ne pouvoir faire des expériences sur du « matériel humain » car ces expériences étaient très dangereuses, personne n’était volontaire. C’est pourquoi je pose la question capitale : pouvez-vous mettre à notre disposition deux ou trois criminels professionnels, à des fins expérimentales ? »
Par la plume de son secrétaire, Himmler répondit :
« Bien entendu, des prisonniers seront mis avec plaisir à votre disposition…»
Les instituts officiels de recherches ne faisaient pas confiance à Rascher, mais n’osaient pas l’avouer. Il faudrait trouver d’autres médecins capitaines plus sérieux… Rascher serait leur adjoint. Les docteurs Lutz et Wendt refusent. Le fait est assez rare pour être signalé. Le docteur Lutz témoigna à Nuremberg.
— Je ne me considérais pas assez dur pour ce genre d’expériences… C’est déjà bien assez difficile d’expérimenter sur un chien qui vous regarde et qui semble avoir une sorte d’âme.
Le docteur Romberg avait certainement plus de scrupules que Rascher mais pas assez pour refuser. Lorsqu’il voudra se retirer de l’expérience, il sera trop tard.
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N’oublions pas que pour Rascher les expériences sont le moyen le plus rapide et le plus sûr d’obtenir une place dans une université. Mais ses travaux, pour avoir plus de poids que ceux d’autres chercheurs comme Romberg, doivent aboutir à des conclusions originales. Le petit médecin capitaine ambitieux dispose d’un dossier volumineux sur le sujet. Des milliers d’essais ont été tentés sur des animaux ; la simple arithmétique a fourni des résultats jusqu’à des altitudes de cent kilomètres. Alors ? Les expériences sur des êtres humains ne feront que confirmer les données du problème, les modifier dans le détail… une piètre étude ! Mais si l’on va plus loin, si on laisse mourir un homme à quinze kilomètres, si on pratique l’autopsie à cette hauteur, ou sous l’eau, pour prouver l’embolie gazeuse ; si minutieusement on décrit son agonie… Les directeurs des Instituts aéronautiques ne se manifesteront pas, ils tremblent devant les SS.
Ainsi vont naître à Dachau deux séries distinctes d’expériences. Une première officielle avec des sujets volontaires, bien traités, que l’on montrera aux observateurs galonnés. Tous sont déportés allemands. La seconde clan-destine sans Romberg et sans témoins, avec des prisonniers qui le lendemain seront exécutés dans la chambre à dépression.
Écoutons August Heinrich Vieweg, un détenu allemand du camp :
— Au moment même où les moteurs de cette chambre commençaient à tourner, un silence de mort régnait dans l’infirmerie ; il arriva souvent que des malades ou même des infirmiers qui se trouvaient dans les couloirs fussent immédiatement amenés sur le lieu des expériences.
Cela alors que dix détenus avaient été sélectionnés par le chef du camp.
Les dix sujets devaient être les sujets d’expérience officiels ; ils étaient bien nourris, recevaient du tabac et autant que je sache on les appelait les sujets de démonstration. En dehors d’eux un grand nombre de déportés étaient choisis au hasard dans le camp pour être amenés à cette chambre de dépression. De plus je me rappelle qu’un chef de block, envoyé à l’hôpital pour pneumonie, fut amené à cette station d’expérience et quelques jours plus tard porté à la morgue.
Le témoin numéro un de l’accusation au procès de Nuremberg devait être Walter Neff.
— Les expériences commencèrent le jour de mon anniversaire : le 22 février 1942. La chambre avait été apportée par un camion de charbon. Le docteur Romberg arriva en même temps, donna les ordres de montage et les directives concernant le courant.
— Il y avait un certain nombre de volontaires car Rascher leur avait promis de les libérer s’ils acceptaient les expériences ; une dizaine de détenus furent volontaires. Un seul fut libéré ; un nommé Sobotta. Il subit une expérience en présence du Reichsführer SS qui lui demanda depuis combien de temps il était incarcéré. Il fut envoyé plus tard au groupe Dirlewanger, ce qui était la pire chose qui pouvait lui arriver. C’était une division SS entraînée à Oranienburg, chargée d’actions spéciales aux endroits les plus dangereux. Je ne connais aucun cas de prisonnier condamné à mort qui ait eu sa peine commuée en emprisonnement à vie, après avoir subi les expériences des hautes altitudes.
Neff confirma que Rascher travaillait seul le soir. D’après ce témoin, en dehors des dix sujets officiels, cent quatre vingts à deux cents déportés de toutes nationalités subirent les « recherches spéciales » du petit médecin. Plus de soixante-dix moururent, parmi eux seize prisonniers de guerre soviétiques.