— 14,3 kilomètres. Bras tendus raides en avant ; cherche à s’asseoir comme un chien, les jambes écartées maintenues raides.
Les extrémités s’agitaient, le visage tour à tour blême et rougeaud n’était plus qu’une bouche haletante, avide d’oxygène. L’irrégularité, l’accélération et l’amplitude des mouvements respiratoires, l’incoordination de tous les gestes, leur brusquerie, les convulsions d’agonie, les yeux surtout, des yeux vides, morts, éteints, faisaient songer à un poisson que le pêcheur dépose dans l’herbe et qui désespérément se tortille, se tire-bouchonne, branchies folles, queue frétillante.
Arrivé à six kilomètres, l’homme grogne en bavant ; ses muscles se détendent quelques secondes avant de se contracter à nouveau. Relâchement, contraction, relâchement… les grognements rauques s’aiguisent, s’effilochent, ronronnent, basculent dans un ronflement régulier pour se transformer enfin en cris désespérés, apeurés. La tête tombe en avant. Le supplice se prolonge depuis déjà vingt minutes. Le parachutiste va atteindre le sol. Rascher note :
— Crie spasmodiquement, grimace, se mord la langue.
Rascher interroge :
— Tu m’entends ?
— Ça va ?
— Réponds ?
Cinq minutes après avoir atteint le niveau du sol première réaction :
— Ça va ?
Il remue la tête, cligne des yeux.
— Redresse-toi.
L’homme essaye en répétant plusieurs fois :
— Non, s’il vous plaît.
Neuf minutes : il se lève et quelque soit la question posée répond :
— Seulement une minute.
— Dis-nous ta date de naissance ?
— Seulement une minute.
Il renifle, gonfle ses joues, égrène des chiffres, la tête tournée convulsivement vers la gauche. Il tente sans arrêt de répondre à la première question concernant sa date de naissance, puis à son tour pose des questions.
— Puis-je couper une tranche ?
— Je peux respirer ? Est-ce que cela sera bien si je respire profondément ?
Rascher ne répond pas. Le déporté bombe le torse.
— Très bien. Merci beaucoup. Puis-je couper une tranche ?
Quinze minutes :
— Allons, maintenant tu vas marcher.
— Très bien. Merci beaucoup.
Et il avance.
— Ta date de naissance ?
— 1928v.
— Dans quelle ville ?
— Quelque chose en 1928.
— Ta profession ?
— 28. 1928. Puis-je respirer profondément ?
Rascher répond affirmativement.
— J’en suis très content.
Il court au hublot ouvert dans la cabine.
— Excusez-moi s’il vous plaît.
Rascher brandit son revolver, fait sauter le cran de sécurité, arme et tire en l’air. Le prisonnier n’a aucune réaction. Il ne retrouvera ses esprits que vingt-quatre heures plus tard et ne se souviendra pas de sa lente descente immobile dans la chambre à basse pressionvi.
— Très bien mon vieux, conclut Rascher, nous recommencerons après-demain.
*
* *