Ding, un jeune médecin SS, dirigeait le centre expérimental du typhus à Buchenwaldxlvi. Il ne se soucia pas de savoir si les cobayes choisis étaient condamnés à mort. Les SS poussèrent dans une salle de l’hôpital cinq déportés, torse nu. Le médecin de garde leur avait dit qu’ils allaient être vaccinés contre le typhus. Ils étaient détendus, souriants, heureux d’échapper au travail des commandos. Ding a rédigé un rapport :
— Les prisonniers s’assirent tranquillement sur une chaise, sans émotion, à côté d’une lampe. Un infirmier bloqua la veine du bras et le docteur Hoven injecta rapidement vingt centimètres cubes de phénol brut non dilué. Ils moururent pendant l’injection, sans signes de douleur en moins d’une seconde.
Expérience hautement scientifique comme on a pu le constater ! Mais, par les yeux de Ding, les chefs de la Médecine militaire « avaient vu ».
*
* *
Au cours de l’été 44, dans la région de Cracovie, un fonctionnaire polonais était légèrement blessé par un résistant. Deux heures après il mourrait en présentant tous les symptômes d’un empoisonnement. Le résistant fut retrouvé. Les balles de son revolver étaient creuses et contenaient des cristaux. L’Institut de Chimie de la Police criminelle analysa le poison : c’était de l’aconitinexlvii d’origine soviétique. Des balles furent fabriquées artisanalement en laboratoire. Étaient-elles aussi radicales que les projectiles soviétiques ? Il fallait voir. Mrugowsky et Ding surveilleraient l’expérimentation. Le 11 septembre 1944, cinq déportés durent s’allonger dans la cour d’un block de Sachsenhausen. Un sous-officier SS chargea son 7,65 et en présence des médecins tira dans la cuisse gauche des « sélectionnés ». Le SS, ému sans doute, tremblait. Il blessa trop gravement deux détenus. Mrugowsky écrivit dans son rapport :
— Ces deux sujets furent abandonnés.
Ils agonisèrent sans aucun doute dans un coin alors que le groupe d’observateurs se penchait sur les trois autres blessés ; à moins qu’un drame se soit joué dans cette cour du block et que les spectateurs aient voulu le cacher. Ding confia beaucoup plus tard à son secrétaire, le déporté Eugen Kogon, qu’un des Russes avait réussi à dissimuler un couteau et qu’il avait attaqué Mrugowsky. On imagine la réaction des gardiens qui dégainent et abattent le déporté déjà blessé par la balle empoisonnée ; un second Russe se relève… Ce qui expliquerait les deux sujets « abandonnés » et les observations publiées qui glissent sur le sort des deux « cobayes ».
— La vuexlviii de cette exécution fut une des expériences les plus horribles de mon existence. D’autre part, je ne pouvais abréger les souffrances car il n’existe aucun antidote.
— Auxlix bout de vingt à vingt-cinq minutes des troubles se déclarèrent en même temps qu’un léger écoulement de salive. Quarante-trois à quarante-quatre minutes après, nouvel écoulement très abondant de salive… salive écumeuse… symptômes d’étranglement, vomissements.
Pendant la première heure, les pupilles restèrent sans changement. Au bout de soixante-dix-huit minutes, on put constater une dilatation des pupilles d’importance moyenne, avec en même temps paresse des réactions à la lumière. Les réflexes rotuliens et achilléens avaient disparu.
Au bout de quatre-vingt-dix minutes, un des sujets d’expériences se mit à respirer très profondément et fut repris d’une agitation motrice qui alla en augmentant. La respiration devint rapide et superficielle. Il éprouvait en même temps de fortes nausées.
Un des sujets essaya, en vain, de vomir. Pour y parvenir, il introduisit dans la gorge les quatre doigts d’une main. Sa figure était congestionnée. Les deux autres sujets, par contre, montrèrent très tôt un visage pâle. L’agitation devint si forte qu’ils se dressaient, se laissaient retomber, roulaient les yeux, lançaient des mouvements désordonnés avec les mains et les bras. Peu à peu l’agitation se calma, les pupilles s’agrandirent au maximum. Les condamnés restèrent étendus tranquillement. La mort survint respectivement cent vingt et une, cent vingt-trois et cent vingt-neuf minutes après la blessure. »