Le second volet de l’expérimentation se déroula dans la chambre à gaz :

— Hirt donnait à chaque sujet une petite ampoule. Il devait l’emporter dans la chambre à gaz qui se trouvait à cinq cents mètres du camp environ. Deux personnes entraient dans la chambre en même temps. Bien entendu les portes étaient verrouillées. Un des prisonniers devait écraser les ampoules et ainsi inhaler le gaz qui s’échappait. Ils perdaient connaissance, revenaient à eux et retournaient à l’Ahnenerbe… J’ai vu les poumons de ces gens qui avaient été disséqués. Ils étaient de la dimension d’une demi-pomme, complètement mangés et pleins de pus. En une année, cent cinquante déportés approximativement furent traités de cette façon… Avec le gaz liquide Hirt expérimenta sur cent vingt personnes.

Combien de morts ? Holl ne peut fournir que des estimations.

— Entre trente et quarante pour cent.

Les expérimentations sur un autre gaz, le phosgènelxviii avaient été confiées à un professeur d’université : Otto Bickenbach. Il avait étudié les effets du gaz sur des chats et des chiens et découvert qu’un médicament : l’urotropine protégeait efficacement contre les effets asphyxiants du phosgène.

— Courantlxix 1943, Hirt me fit savoir qu’Himmler m’avait donné l’ordre de procéder à l’expérimentation de l’urotropine sur des hommes. J’ai objecté que l’efficacité du moyen de protection que j’avais trouvé était scientifiquement et expérimentalement établie. Je tenais à expérimenter préalablement sur moi-même. Hirt en référa à Himmler qui me le fit défendre, tout en me donnant l’injonction de procéder aux expérimentations demandées sur du matériel humain.

Il me fut assuré à cette occasion que les individus qui devaient servir de cobayes avaient été condamnés à mort par une décision régulière de justice. Je me trouvais devant un cas de conscience tragique, car Hirt m’avait déclaré que Himmler m’avait donné cet ordre en ma qualité d’officier, que je ne pouvais m’y soustraire, alors que ma conscience de médecin m’interdisait de procéder à de telles expérimentations. Je me suis donc rendu à Berlin, afin de consulter le professeur Brandt, médecin personnel du Führer et délégué général de celui-ci pour les questions de santé et d’hygiène. Je lui exposai mes hésitations, lui demandant d’intervenir auprès de Himmler. Je lui déclarai également que, scientifiquement, les expérimentations humaines n’étaient pas nécessaires puisque les essais sur des animaux avaient prouvé l’efficacité du produit…

… À ce moment, la situation militaire était mauvaise pour le Reich. Les Alliés avaient débarqué en Afrique et l’Abwehr avait eu connaissance, ainsi que j’en avais été informé par mes chefs, de cinquante mille tonnes de phosgène entreposées en Afrique. La guerre des gaz semblait inévitable. Le commandement suprême de la Wehrmacht était convaincu que les Alliés seraient obligés de recourir aux gaz pour venir à bout de la « forteresse Europe ».

C’est dans ces conditions que j’ai finalement procédé en 1943-1944, aux expérimentations qui me sont reprochées. J’ajoute que malgré la défense de Himmler, j’avais au préalable, à la chambre à gaz du Fort Ney, opéré sur moi-même. J’ai procédé à deux séries ; sur quarante sujets la première fois, sur quatorze la seconde.La première fois il n’y eut pas de décès ; un seul individu fut malade. Au cours de la deuxième expérience quatre sont morts. J’attribue la cause de ces décès à leur état physiologique déficient…

… Je reconnais que les expérimentations sur du matériel humain sont contraires à l’éthique du médecin. J’y ai procédé malgré tout et surtout parce que, en conscience, connaissant les horreurs de la guerre des gaz, et sachant que la population allemande n’était pas protégée, j’estimais de mon devoir de tout faire pour assurer cette protection et sauvegarder le cas échéant la vie de milliers d’Allemands, surtout les enfants et les femmes ; en plus, il y avait l’ordre d’Himmler.

*

* *

Otto Bickenbach développa cette « thèse » devant les jurés des Assises de Metz au mois de décembre 1952. Il chargea les absents, Hirt et surtout Himmler :

— …J’étais officier… Le bien de l’Allemagne l’exigeait… Je ne me suis occupé que de la partie technique… Les sujets témoins, non protégés contre le gaz recevaient tout de même une injection de sel de cuisine ; ainsi ils ne s’effrayaient pas… À l’issue de l’expérience ; il durent monter, ceux du moins qui étaient encore en état de le faire, à pied au camp. Ceci avait été exigé formellement par Himmler. Il avait demandé qu’après l’absorption des gaz, les sujets courent, sautent afin de connaître l’incidence de l’épreuve sur leurs qualités physiques et sur leur aptitude au combat immédiat….

Les Médecins Maudits
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