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nini, nous serons millionnaires

Quelle mouche avait piqué Rascher ? Il sifflotait sans arrêt alors qu’il aurait dû mourir de jalousie : la troisième série d’expériences intéressant l’Armée de l’Airxvi débutait à Dachau et lui, le grand spécialiste des problèmes aéronautiques, n’était même pas consulté. Il se pencha sur le maroquin rouge de son bureau et écrivit à sa femme :

— Nini, je ne peux t’en dire plus, mais tu peux me croire, nous serons très vite millionnaires.

De ces millions, il rêvait depuis toujours. Il en avait assez de tirer le diable par la queue, de compter sur sa femme et sur Himmler pour changer d’appartement, de rideaux, de domestiques. Le temps des « je te dénonce quelqu’un tu me donnes un chèque ; je réalise une expérience tu me fais un chèque » était terminé. Rascher allait bâtir des usines en Suisse d’abord, puis il passerait la frontière et irait s’installer au Canada ou pourquoi pas aux États-Unis ? Les Américains, comme les Allemands, avaient un tel besoin de la découverte de Robert Feix, pardon, de la découverte de Sigmund Rascher.

*

* *

Robert Feix était un chimiste allemand connu : spécialiste des aliments concentrés et de la coagulation du sang. Mais Feix était juif et les nazis ne toléraient guère ce péché originel. Cependant, Robert Feix disposait de ressources impressionnantes ; il réussit à se faire établir des papiers attestant qu’il était « demi-juif » du premier degré ; encore un peu d’argent et il se retrouverait « aryen » du second degré, puis… Mais une dénonciation brisa cette escalade vers la pureté raciale. On n’accusait pas Feix d’être juif, mais d’avoir corrompu certains fonctionnaires. Feix fut acquitté mais arrêté en fin d’audience sur ordre de Bormann. Pendant sa détention préventive, les domestiques de Bormann, persuadés qu’il ne pouvait être que condamné, avaient déménagé l’appartement du riche chimiste.

A Dachau, Feix poursuit ses travaux et met au point le Polygal 10. Une tablette de son médicament ralentit les hémorragies pendant six heures. Il est trois fois plus efficace que tous les autres hémostatiques déjà fabriqués et sa réalisation coûte trois fois moins cher. Non, Rascher ne peut laisser échapper une telle « fortune ». Il songe sérieusement à faire prendre toutes les six heures, à tous les soldats allemands, sur tous les fronts, toute leur vie de combattant durant, des pastilles de Polygal. Ainsi, les blessés saigneront moins et vivront plus longtemps… Il faudra fabriquer sans arrêt des tonnes et des tonnes de Polygal, des millions et des millions de pastilles de toutes les couleurs, de toutes les formes.

L’expérimentation est facile, il suffit de faire avaler à des malades que l’on va opérer cette drogue… trop facile pour Rascher. Le mauvais diable qui ronge son cerveau en ricanant, lui conseille de tuer, encore, encore, encore.

Nous ne saurions rien de ces expériences sans les déclarations à Nuremberg de l’oncle de Rascher, le docteur Fritz Rascher. Famille parfaitement unie, comme vous pouvez en juger, où le fils dénonce le père à la Gestapo et l’oncle son neveu aux Américains.

L’oncle Fritz qui, de temps en temps, venait voir son neveu à Dachau, pénétra seul, un jour, dans le bureau de Sigmund. Des documents traînaient sur le maroquin rouge.

— Ces papiers avaient trait à l’exécution par fusillade de quatre personnes afin d’expérimenter le Polygal. Autant que je me rappelle, il s’agissait d’un commissaire russe et d’un Crétois. Je ne me rappelle pas qui étaient les deux autres. Le Russe reçut une balle dans l’épaule droite qu’un SS, debout sur une chaise, tira d’en haut ! La balle sortit près du foie. Le rapport décrivait longuement comment le Russe se tordit convulsivement de douleur puis s’assit sur la chaise et mourut au bout de vingt minutes.

J’étais si choqué que je n’ai pas pu lire les trois autres descriptions.

Nous pouvons facilement imaginer.

Rascher entreprit alors, à son compte et en cachette, des tractations avec des laboratoires pharmaceutiques… Il s’entendit avec celui qui était le plus proche de la frontière suisse, à Lustenau. Il rêvait sans doute de contrebande lorsque trois SS vinrent l’arrêter. Rascher avait voulu aller trop vite. Il pouvait tuer sans scrupules, tout le camp de Dachau s’il le désirait, Himmler l’admettait, l’encourageait même, mais il n’avait pas le droit de voler d’un mark le Reich. Ses « amis » le voyant en difficulté enfoncèrent davantage le clou. Nini avait mis au monde son troisième enfant. Eh bien ! avait-on dit à Himmler c’est un bébé volé… enquête… servante retrouvée… Nini est arrêtée… N.i.n.i. c’est fini ou presque. Mme Rascher sera pendue à Ravensbrück, la veille de la libération du camp.

Les Médecins Maudits
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