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Ni entendit une autre fenêtre du troisième étage se briser, puis quelque chose être éjecté dans la nuit. Il vit une chaise tomber dans le jardin, puis des ombres en mouvement dans l’encadrement de la fenêtre. Quelque chose d’autre passa par l’ouverture. Un objet plus petit tomba lourdement et atterrit dans une des allées gravillonnées.

« C’est peut-être ce que nous cherchons », dit Pau.

Un homme descendait en s’accrochant à la végétation qui couvrait la façade arrière du musée. Il n’avait ni la taille ni la carrure du sbire de Pau.

« C’est celui qui est entré après les trois », dit Pau.

Ni acquiesça.

Des sirènes approchaient. La zone n’allait pas tarder à être envahie par les secours.

« Nous devons vérifier si c’est la lampe avant qu’il n’arrive en bas, dit Pau.

– J’y vais, déclara Ni.

– Dépêche-toi. »

Ni quitta précipitamment leur cachette et regagna le jardin dans le noir. Il gardait un œil sur l’homme, remarquant l’adresse avec laquelle il s’aidait des plantes grimpantes pour descendre. Au lieu d’emprunter les allées gravillonnées tracées avec précision entre les massifs odorants, Ni préféra passer en biais, sur la bordure, en profitant de la terre meuble et de la rangée de grands cyprès pour s’approcher discrètement.

Il aperçut la chaise en mille morceaux, puis chercha l’endroit où il avait vu tomber l’objet. Ses yeux se posèrent sur quelque chose au milieu d’une allée.

Il regarda vers le haut et vit l’homme occupé à descendre lentement entre les plantes, sélectionnant soigneusement ses prises. Ni en profita pour se glisser vers l’objet.

Il le souleva et le trouva chaud.

C’était une tête de dragon sur un corps de tigre avec les ailes d’un phénix.

La lampe.

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Malone s’agrippait aux tiges et descendait progressivement vers le bas. Il avait réussi à récupérer la lampe dans l’incendie et l’avait jetée dans le jardin. Il avait remarqué précédemment que le gravillon de l’allée en dessous était fin, comme des roulements à bille, si bien que l’atterrissage avait dû s’effectuer en douceur.

Il ne regrettait pas que l’homme à l’intérieur soit mort. Il était certain qu’il l’aurait tué dès qu’il aurait récupéré la lampe.

Toute son attention était focalisée sur les plantes ; heureusement, elles n’étaient pas récentes et s’accrochaient solidement au mur. Le deuxième niveau n’avait pas encore pris feu, et la fumée provenant des deux étages supérieurs montait dans le ciel. Il faisait nettement plus frais ici, et l’air était plus respirable.

Il regarda en bas pour voir ce qui lui restait à descendre et vit une ombre se faufiler près de la chaise en morceaux. Puis elle se dépêcha de ramasser la lampe.

« Ce n’est pas à vous ! » cria-t-il.

L’individu hésita un instant, leva les yeux et partit comme une flèche en direction de la sortie opposée du jardin.

Distrait par le voleur, Malone s’était déconcentré. Il tendit machinalement la main pour trouver une prise et la plante céda dans un craquement.

Son corps bascula.

Il tomba.

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Ni s’enfuyait du jardin, mais il se retourna en entendant quelque chose craquer. Il regarda l’homme tomber de dix mètres de haut. Comment savoir s’il allait se blesser au cours de sa chute, ou se relever aussitôt pour le poursuivre ?

En tout cas, il n’avait pas l’intention de rester pour le savoir.

Il franchit le portail à toute vitesse, traversa l’allée et rejoignit Pau Wen.

« Nous devons partir », dit Pau.

Ni n’était plus en mesure de discuter. Ils avaient pris assez de risques. Il ne pouvait pas se permettre d’être découvert ici.

« Je sais, dit Pau, tu t’inquiètes pour les gens à l’intérieur du musée. Mais nous allons rentrer à la maison pour attendre mon frère. Nous connaîtrons alors la situation. »

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Cassiopée comprit qu’il n’y avait pas d’issue. L’archer pourrait facilement l’atteindre par-dessus la balustrade, le temps qu’elle parvienne à un couloir en flammes, sans aucun espoir de s’échapper. De toute façon, elle ne pouvait rien tenter avec l’homme à proximité, car la flèche serait beaucoup plus rapide qu’elle.

Fin de partie.

Elle espérait que Cotton aurait réussi à s’échapper. Il lui avait manqué, et c’était seulement maintenant, à l’heure de la mort, qu’elle s’en rendait vraiment compte. Pourquoi ne s’était-elle jamais déclarée ? Elle n’avait jamais rien dit. Pourquoi ce tango qu’ils semblaient tous les deux apprécier sans jamais vouloir s’engager, alors qu’ils avaient toujours pu compter l’un sur l’autre en cas de besoin ?

Elle regrettait de ne pas pouvoir aider Lev Sokolov. Elle se demanda ce qui arriverait à son fils. Il ne le reverrait probablement plus jamais. Elle avait essayé. Fait son maximum.

Mais ça n’avait pas suffi.

Étrange, ce à quoi on pense au moment de mourir. Peut-être tous les regrets remontaient-ils instinctivement à la surface. Henrik Thorvaldsen avait-il ressenti la même chose à Paris ? Si c’était le cas, peut-être Cotton avait-il raison de dire que leur ami était mort en pensant qu’il avait été trahi. Terrible. D’autant plus que ce n’était pas vrai. Elle comprenait maintenant l’angoisse de Cotton, ses regrets de ne pas avoir maîtrisé la situation, et elle aurait bien aimé elle aussi avoir encore une occasion.

« Tou qie zhu ren de zei bi si wu yi », dit l’archer.

Elle ne comprenait pas le chinois.

« Finissons-en ! » cria-t-elle, en attendant le claquement de la corde de l’arc, puis la flèche lui transperçant la chair.

Est-ce que ça lui ferait mal ?

Pas longtemps.

Deux coups de feu la firent sursauter.

L’archer trébucha, et elle se rendit compte que l’homme avait été abattu. Elle plongea sur la droite au moment même où il lâchait son arc. Mais, comme il s’était effondré juste au moment où la flèche partait, la pointe métallique atterrit sur le marbre.

Elle se releva et regarda de l’autre côté de la balustrade.

Un homme montait, et il s’arrêta sur le palier où gisait le corps de l’archer qui était secoué de spasmes violents.

Un autre coup de feu retentit, et il cessa de bouger.

Viktor Tomas se tourna vers elle.

Elle n’aima pas son regard. Il était certainement furieux qu’elle l’ait attaqué précédemment dans la maison. Pourtant, il était là, tenant son pistolet à deux mains, celui qui lui avait échappé, et il braquait maintenant l’arme droit sur elle.

Elle était confrontée au même dilemme que précédemment avec l’archer.

Nulle part où s’enfuir.

Il tira.