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Cassiopée enclencha violemment la première, relâcha l’embrayage et lança la Toyota à fond sur l’autoroute. Encore deux clics, et elle serait en troisième. Elle ne savait pas vraiment où elle allait, seulement qu’elle s’éloignait de Viktor Tomas.

Croyait-il vraiment qu’elle l’emmènerait ?

Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Pas de voiture à l’horizon. De chaque côté de la route s’étendait un paysage sans arbres, dont le vert uniforme était troublé seulement par les vaches qui broutaient et les flèches des églises au loin. A priori, elle devait se trouver quelque part dans la moitié nord de la Belgique, les vallées boisées et les hauts plateaux étant uniquement situés au sud. Près de la frontière allemande, région qu’elle connaissait, il y avait des marécages. Quant à la mer, elle se trouvait à l’extrême nord du pays.

Elle passa en quatrième, se mit en vitesse de croisière et regarda l’heure : 17 h 20. La jauge d’essence indiquait que le réservoir était aux trois quarts plein.

Heureusement.

Viktor avait envoyé le garde dans sa cellule, sachant qu’elle le maîtriserait, puis avait attendu, faisant croire à un appel téléphonique pour qu’elle vienne l’affronter.

Elle pensa à l’Asie centrale et à la dernière fois où Viktor avait été soi-disant de son côté.

« Pas question », dit-elle.

Elle appuya sur le frein.

La Toyota s’arrêta après un tête-à-queue. Viktor avait joué un vilain rôle à ce moment-là, changeant de bord d’heure en heure – avec les Asiatiques dans un premier temps, puis les Américains, pour revenir aux Asiatiques. C’est vrai qu’au bout du compte il avait fini par se rallier à elle et l’avait aidée. Pourtant… Mais aujourd’hui, où en était-il ?

Viktor voulait qu’elle prenne la voiture.

D’accord, elle l’avait prise, mais pas là où il avait pensé qu’elle le ferait. Le musée Van Egmond à Anvers était sûrement fermé pour la journée. Elle devrait attendre qu’il fasse nuit pour récupérer la lampe.

Et elle ne pouvait pas y conduire Viktor.

Elle passa en première et continua sa route. Deux kilomètres plus loin, elle arriva à un croisement. Un panneau indiquait qu’Anvers se trouvait à vingt kilomètres à l’ouest.

Elle repartit à toute vitesse dans cette direction.

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Ni descendit l’escalier et suivit un Pau Wen étonnamment leste jusqu’à la cour ; là, son hôte tapa trois fois dans ses mains. Une porte coulissa, et quatre jeunes Chinois apparurent, vêtus d’une combinaison grise avec des baskets noires.

Il reconnut immédiatement un des hommes.

Pour l’avoir vu sur la vidéo.

« Parfaitement, ministre, dit Pau. Il est à mon service. »

Ses compatriotes s’avancèrent d’un pas décidé d’athlètes, s’arrêtant en ligne devant Pau pour recevoir leurs instructions, le regard dur, le visage impassible.

« Quatre individus armés s’approchent du portail de la maison. Vous savez quoi faire. »

Ils acquiescèrent comme un seul homme et quittèrent les lieux en courant.

« Je croyais que tu vivais seul, dit Ni.

– Je n’ai jamais dit ça. »

Ni saisit le bras de Pau.

« Tes mensonges me fatiguent. Je n’aime pas qu’on se moque de moi. »

Pau ne parut pas apprécier cette attaque.

« J’en suis persuadé. Mais, pendant que tu fais étalage de ton importance, des hommes armés s’approchent de cette maison. Il ne t’a pas traversé l’esprit que tu pourrais être leur cible ? »

Il relâcha sa prise.

Non, il ne l’avait pas envisagé.

Pau fit un geste, et ils regagnèrent la maison, jusqu’à une petite antichambre presque vide, à l’exception d’un tapis ovale rouge et de deux cabinets laqués noir. Pau sortit une clé de sa poche et ouvrit un des meubles. À l’intérieur, une série de pistolets était accrochée à des patères en argent.

« Fais ton choix, ministre », dit Pau.

Ni prit un Glock.

« Il est chargé, dit Pau. Il y a d’autres munitions dans le tiroir. »

Il vérifia son arme pour s’en assurer, puis il prit trois chargeurs.

Avoir un pistolet en main le rassura.

Pau le saisit par l’épaule.

« Allons envoyer un message à Kwai Tang pour lui dire que la bataille qui s’annonce n’est pas gagnée d’avance. »

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Cassiopée entra dans les faubourgs d’Anvers. Elle connaissait la ville pour l’avoir visitée à de nombreuses reprises. L’Escaut la bordait d’un côté, les trois autres étant protégés par des boulevards dont les noms rappelaient les forces alliées qui avaient combattu pour la liberté des Flandres lors de la Première Guerre mondiale. Son centre historique se déployait en éventail autour d’une cathédrale dominée par une flèche élancée, un hôtel de ville Renaissance et un château mystérieux. Il s’agissait d’une ville active et florissante, encore marquée par l’époque où elle était l’une des cités les plus puissantes du continent européen.

Elle trouva la gare centrale, une folie du début du XXe siècle, véritable débauche de marbre, de verre et de fer forgé. Elle se gara une rue plus loin dans une zone interdite. Si Viktor la suivait grâce à la voiture, la piste s’arrêterait là. Elle espérait que la police locale l’emmènerait rapidement à la fourrière.

Elle glissa le pistolet dans sa ceinture et le cacha sous un pan de son chemisier. Elle n’en pouvait plus, physiquement et moralement. Elle avait besoin de sommeil. Mais elle devait aussi se débarrasser de Kwai Tang, au moins jusqu’à ce qu’elle soit prête à négocier.

Elle traversa la rue, passa sous un bouquet d’arbres en fleurs et se dirigea vers le zoo. Entre la gare et le musée d’Histoire naturelle de la ville, s’étendait un parc débordant de verdure. Un endroit calme, surtout après la fermeture du zoo. Elle trouva un banc inoccupé qui lui permettait de voir la voiture garée à quelque deux cents mètres, avec, en plus, un tronc d’arbre derrière elle pour s’appuyer.

Elle s’allongea sur le banc, le pistolet sur le ventre, caché sous son chemisier.

Il ne ferait nuit que dans trois heures au moins.

Elle pourrait se reposer en attendant.

Et surveiller.