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Cassiopée réfléchit à ce que Viktor avait dit à propos du fils de Lev Sokolov qui avait été kidnappé. Puis elle demanda :
« Pour qui travaillez-vous ?
– Quand j’ai quitté la fédération d’Asie centrale, je suis allé vers l’est et j’ai abouti en Chine. Là, j’ai pu trouver de nombreuses opportunités de travail.
– Surtout pour un salopard et un menteur comme vous. »
Il secoua la tête.
« Je ne comprends pas que vous puissiez avoir une telle opinion de moi. En Asie centrale, je n’ai fait que mon boulot. Et je l’ai bien fait. Tous les objectifs de la mission ont été remplis.
– Et moi j’ai failli être tuée. Deux fois.
– Voilà le mot clé. Failli. Encore une fois, j’ai fait mon boulot. »
Elle savait qu’il cherchait à éluder la question.
« Pour qui travaillez-vous ?
– Je vous dis la vérité. Kwai Tang.
– Vous baissez. De président suprême de la fédération d’Asie centrale au deuxième dans la hiérarchie en Chine.
– Il paie bien, il m’offre la couverture santé et dentaire, et trois semaines de congés payés. L’année prochaine, il mettra en place une assurance retraite. »
Elle n’appréciait pas particulièrement son humour.
« C’est vous qui avez envoyé ces hommes à ma poursuite il y a deux jours ? »
Viktor acquiesça.
« On ne pouvait pas vous laisser quitter la Belgique avec cette lampe.
– Pourquoi ? Tang la voulait ?
– Il n’a aucune intention de rendre le garçon de Sokolov. Il a donc décidé de récupérer la lampe ici.
– Pourquoi ne pas s’être contenté d’aller trouver Pau Wen lui-même ? Ou de vous envoyer ? Pourquoi moi ?
– Honnêtement, je ne sais pas. »
Elle gardait le pistolet braqué sur lui.
« Honnêtement ? Voilà un mot qui ne fait pas partie de votre vocabulaire. »
Elle le fusilla du regard.
« Vous m’avez torturée.
– Je me suis assuré que vous ne le soyez pas vraiment.
– Je ne suis pas de cet avis. »
Son visage s’adoucit.
« Auriez-vous préféré qu’un vrai spécialiste pratique sur vous le supplice de l’eau ? »
Il avait changé depuis un an. Toujours petit et trapu, sa tignasse négligée d’alors avait subi une coupe en règle dégageant bien les oreilles. Son nez large et ses yeux enfoncés trahissaient toujours ses origines slaves, mais son teint était plus basané qu’il ne l’était en Asie centrale. Il n’avait sûrement pas plus de quarante ans et avait troqué les vêtements larges, qui dissimulaient alors des épaules et des bras musclés, pour une tenue plus à la mode, avec un pantalon étroit et une chemise de créateur.
« Où est le garçon ? demanda-t-elle.
– Sokolov s’est joué des Russes. Maintenant il se joue des Chinois. Et avec ces deux-là, on ne joue pas, surtout avec les Chinois. Ils tuent impunément, puisqu’ils incarnent la loi.
– Nous ne sommes pas en Chine.
– Et Sokolov y est, Tang le recherche. Je suppose que vous l’avez caché, mais ce n’est qu’une question de temps pour qu’on le retrouve. Tang a des espions par dizaines de milliers, chacun voulant faire plaisir au premier vice-Premier ministre, celui qui deviendra peut-être même le prochain Premier ministre de Chine. Vous et moi ne comptons pas dans toute cette affaire. »
Elle s’en doutait.
« Que faites-vous pour lui ?
– Tang m’a engagé l’automne dernier. Il avait besoin d’un agent qui n’était pas chinois, et moi, je me trouvais entre deux boulots. Il m’a assigné cette mission particulière uniquement quand il a entendu mentionner votre nom. Quand je lui ai expliqué nos rapports – avec les quelques réserves d’usage –, Tang m’a envoyé ici. »
Elle baissa son arme, en proie à des émotions contradictoires.
« Avez-vous la moindre idée de ce que vous m’avez fait subir ?
– Je n’avais pas le choix. Tang donne les ordres. Je vous ai donné une chance de vous échapper hier lorsque je vous ai fait apporter à manger, mais vous dormiez. J’ai fini par vous envoyer mon compatriote, en espérant que cette fois vous passeriez à l’acte. »
Il désigna le pistolet.
« Ce que vous avez fait apparemment. Je vous attendais ici. »
Il montra le téléphone sur la table.
« C’était une fausse conversation.
– Et qu’est-ce qui vous a fait croire que je ne me contenterais pas de partir ?
– Parce que vous êtes furieuse. »
Cet homme la connaissait bien.
« Vous avez d’autres hommes de main dans les parages ?
– Juste celui que vous avez laissé dans votre pièce. Vous lui avez fait mal ?
– Il gardera des traces.
– Cassiopée, Tang veut cette lampe. Pourquoi ne pas la lui donner tout simplement et en finir avec ça ?
– Et perdre cet enfant ? Comme vous le savez, cette lampe est ma seule monnaie d’échange. Vous avez affirmé que vous saviez où était le garçon. Dites-le-moi.
– Ce n’est pas si simple. Vous ne pourriez jamais vous en approcher. Laissez-moi vous aider.
– Je travaille seule.
– Est-ce pour cela que vous avez impliqué Malone ? Je savais bien que vous mentiez, mais Tang m’a fait entrer en contact avec lui.
– Qu’est-ce qui s’est passé à Copenhague ?
– Je n’ai aucune nouvelle des deux types qui ont été recrutés pour le job. Mais, avec Malone, les choses ont certainement mal tourné pour eux deux. »
Il fallait qu’elle appelle le Danemark pour tout expliquer. Mais pas d’ici.
« Où sont les clés de cette voiture dehors ?
– Sur le tableau de bord. »
Il se leva.
« Laissez-moi y aller avec vous. Je ne peux pas rester ici. Quoi que je dise, Tang me considérera comme responsable de votre évasion. Mon boulot pour lui est terminé. J’ai quelques bons renseignements sur son opération qui pourraient vous être utiles. »
Elle réfléchit à la proposition. Cela se tenait. Quelle que soit son opinion sur Viktor Tomas, c’était un homme plein de ressources. L’année précédente, il avait habilement manœuvré pour se rapprocher de façon incroyable du président de la fédération d’Asie centrale. À présent, il était proche de Kwai Tang, le seul capable de permettre à Lev Sokolov de retrouver son fils. Il ne faisait aucun doute qu’elle avait fait un joli gâchis. Il fallait qu’elle récupère la lampe, pour ensuite marchander et trouver un terrain d’entente. Mieux valait accepter un peu d’aide de la part d’un homme susceptible d’entrer directement en contact avec Tang et qui savait où se trouvait l’enfant de Sokolov.
« D’accord, dit-elle. Allons-y. »
Elle s’écarta pour laisser passer Viktor.
Il prit le téléphone portable et le mit dans sa poche. Au moment où il passait devant elle en direction de la porte, elle brandit le pistolet au-dessus de sa tête et lui assena un grand coup dans la nuque.
Un grognement s’échappa des lèvres de Viktor pendant qu’il levait la main.
Elle lui donna un autre coup sur la tempe gauche.
Il roula des yeux et s’effondra sur le sol.
« Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous croire. »