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ANVERS

Cassiopée traversa l’une des nombreuses autres salles du musée dont elle avait gardé le plan en mémoire depuis sa première visite. Les pièces du rez-de-chaussée donnaient sur un hall central d’où partait un vaste escalier en marbre. Elle passa devant une horloge anglaise et deux vitrines de style chinois qui renfermaient des bibelots précieux. Une salle consacrée aux porcelaines ouvrait sur sa droite, avec des tables XVIIIe couvertes d’ivoires, d’émaux et de quelques pièces Adelgade Glassvaerker du XIXe siècle. Après avoir traversé un grand hall divisé par quatre colonnes ioniques, elle tomba sur un escalier de service probablement réservé autrefois au personnel de la maison. Elle l’emprunta.

Elle n’avait pas eu le moindre problème pour entrer. Elle savait que beaucoup de ces bâtiments anciens n’étaient pas équipés d’alarme et qu’on leur préférait des détecteurs de mouvement à l’intérieur. Mais, au cours de sa première visite, elle n’en avait pas remarqué. Peut-être estimait-on que le musée ne renfermait aucune pièce qui vaille la peine d’être volée, ou peut-être était-ce simplement une question de budget.

Elle monta sur la pointe des pieds, sur le qui-vive, pistolet au côté. Elle s’arrêta sur le premier palier et regarda en bas, attentive au moindre bruit. Elle n’entendit rien.

Cela ne servait à rien d’avoir peur.

Va chercher la lampe et fiche le camp.

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Malone n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il allait, mais les trois hommes devant lui n’avaient pas le même problème. Ils traversaient les salles d’un pas résolu, guidés par le boîtier que le chef tenait toujours. Il restait en arrière et se dissimulait derrière le mobilier ancien, ses semelles de caoutchouc foulant en silence le sol de marbre. La galerie où il se trouvait devait être claire et aérée dans la journée, grâce aux fenêtres en saillie qui donnaient sur le jardin à l’arrière.

Il regarda à l’intérieur de la caverne obscure et distingua des plafonds en bois sculpté avec de l’émail. Sur sa gauche, donnait une pièce lambrissée avec des murs qui semblaient être recouverts de cuir. Il sentait les roses, le lilas et l’aubépine dont l’odeur montait par les portes de la terrasse. Il s’accroupit derrière une chaise en tapisserie à dossier haut, en attendant que les trois hommes pénètrent davantage à l’intérieur.

Sur sa gauche, un mouvement attira son attention.

Trois autres hommes entrèrent par la porte de la terrasse.

Il resta accroupi, profitant de l’obscurité.

Deux des nouveaux arrivants paraissaient se tenir très droit. L’un d’eux avançait avec une certaine lenteur, et grâce au peu de lumière venant de l’extérieur, Malone aperçut son visage. C’était un homme d’un certain âge.

Un des individus avait un arc à la main, ainsi qu’un carquois avec des flèches à l’épaule.

On ne voit pas ça tous les jours.

Tous trois progressèrent sans bruit, puis ils s’arrêtèrent, et, sur ordre de l’homme plus âgé, celui portant l’arc disparut rapidement dans la maison. Les deux autres hésitèrent puis avancèrent.

Malone sortit rapidement par une deuxième porte, s’éloignant d’eux, pour se diriger vers le devant du bâtiment et l’entrée principale.

Derrière un petit bureau, qui semblait servir de table d’admission, se trouvait un magasin de cadeaux. Il entra, attentif à ce qui se passait derrière lui, mais il n’entendit rien.

Il remarqua une brochure décrivant l’hôtel particulier en plusieurs langues, dont l’anglais. Il la prit et s’approcha d’une fenêtre. À la fin, sur le rabat de la couverture, figurait un plan des quatre étages. Il nota les trois escaliers et les nombreuses pièces. Au troisième niveau, il y avait un espace libellé BOUDOIR CHINOIS. Aucune autre salle ne portait ce nom.

Cassiopée aurait-elle pu cacher la lampe dans cette salle ?

Il repéra sa position et décida d’emprunter un des escaliers de service.

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Arrivée en haut de l’escalier, Cassiopée se dirigea rapidement vers le boudoir chinois. Les murs étaient couverts de miroirs dans des cadres dorés, avec au sol un parquet en bois exotique. Des porcelaines orientales étaient posées sur des commodes sculptées. C’était un meuble laqué rouge d’un raffinement extrême qui lui avait permis de résoudre son problème. Elle avait jugé que ce genre de mobilier n’était sûrement pas inspecté de façon régulière. D’après ses renseignements, ce musée était une institution mineure, sans grande importance, un simple témoignage de l’art de vivre et du goût d’un riche propriétaire. Pendant quelques jours, cet endroit pouvait constituer une cachette idéale.

Elle se précipita dans le boudoir, s’avança vers le meuble et ouvrit les portes. La lampe était exactement à l’endroit où elle l’avait posée. N’ayant rien pour la porter, elle se dit qu’elle trouverait un sac plus tard et que le mieux était finalement de prendre un train directement pour Copenhague. Une fois là-bas, elle pourrait décider de la suite.

Elle sortit la lampe.

Une tête de dragon sur un corps de tigre, avec des ailes. Elle avait remarqué chez Pau Wen que la lampe contenait une espèce de liquide et que son goulot était bouché avec de la cire.

Un bruit retentit derrière elle.

Elle fit volte-face.

Tout paraissait figé dans le noir.

À trois mètres, deux silhouettes apparurent dans l’embrasure de la porte menant dans le hall. Une troisième se matérialisa et bloqua l’autre sortie à sa droite.

Des pistolets se profilèrent, braqués sur elle.

« Posez la lampe », dit l’un des deux hommes en anglais.

Elle se demanda si elle n’essaierait pas de sortir en tirant, puis décida que c’était idiot.

Elle ne pourrait pas se débarrasser des trois hommes.

« Le pistolet aussi », dit la voix.