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ANVERS

21 H 05

Cassiopée se hâtait dans la rue à la recherche d’un endroit où se cacher. Trois hommes la suivaient depuis son départ de l’hôtel. Elle tenait précieusement le sac plastique contenant la lampe dragon au creux de son bras gauche, lampe qu’elle avait d’abord soigneusement enveloppée dans du papier bulle.

De tous les côtés, s’élevaient des immeubles en briques rouges et des maisons peintes en blanc donnant sur des rues pavées désertes. Ella passa rapidement devant une place tranquille, les trois hommes à cinquante mètres derrière. Il n’y avait personne d’autre en vue. Elle ne pouvait pas les laisser lui prendre la lampe. Si elle la perdait, elle perdrait aussi le fils de Sokolov.

« Par ici », entendit-elle.

Cotton Malone était de l’autre côté de la rue.

« J’ai eu ton message, dit Cotton. Je suis là. »

Il lui fit signe de s’approcher.

Elle courut, mais quand elle arriva au coin de la rue, il avait disparu.

Les trois hommes étaient toujours à ses trousses.

« Par ici. »

Elle regarda dans la ruelle étroite. Cotton était à cinquante mètres, lui faisant toujours signe d’avancer.

« Cassiopée, tu fais une erreur. »

Elle se retourna.

Henrik Thorvaldsen apparut.

« Tu ne peux pas l’aider, dit-il.

– J’ai la lampe.

– Ne lui fais pas confiance », dit-il encore, et l’instant d’après, le Danois avait disparu.

Elle scruta la rue et les immeubles. Les trois hommes ne s’étaient pas rapprochés davantage, et Cotton lui faisait toujours signe de venir.

Elle courut.

Cassiopée se réveilla.

Elle était couchée sur un banc dans le parc. Le jour avait décliné, et le ciel était couleur d’encre pâle. Elle avait dormi un bon moment. Elle regarda derrière elle, au-delà du tronc d’arbre. La Toyota était toujours garée au même endroit, et il n’y avait ni police ni rôdeurs en vue. Elle secoua la tête pour s’éclaircir les idées. Elle était bien plus fatiguée qu’elle ne le pensait. Le pistolet était sous son chemisier. Elle avait du mal à sortir de son rêve.

Ne lui fais pas confiance, avait dit Thorvaldsen.

À Cotton ?

Il était la seule personne présente.

Elle se trouvait à une bonne trentaine de minutes à pied du musée Van Egmond. La marche lui permettrait de s’assurer que personne ne la suivait. Elle aurait bien voulu se calmer et arrêter de se poser des questions, mais c’était impossible. Viktor Tomas l’avait perturbée.

Était-ce à lui qu’Henrik faisait allusion ?

Apercevant une fontaine, elle s’en approcha et but avec délices quelques longues gorgées.

Elle s’essuya la bouche et se redressa.

Ça suffisait.

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Malone descendit de l’hélicoptère de l’OTAN sur le tarmac du petit terrain d’aviation au nord d’Anvers, suivi par Stéphanie, puis par Ivan. C’est elle qui avait organisé ce bref vol depuis Copenhague.

Deux voitures avec chauffeurs attendaient.

« Services secrets, leur dit-elle. En provenance de Bruxelles. »

Ivan avait été peu bavard pendant le vol, se limitant à des banalités sur la télévision et le cinéma. Le Russe paraissait fasciné par les divertissements américains.

« Parfait, dit Malone. Nous voilà arrivés. Où est Cassiopée ? »

Une troisième voiture s’approchait, venant du bout du terminal, en passant devant des rangées de luxueux avions privés.

« Ce sont mes gens, dit Ivan. Il faut que je leur parle. »

La voiture s’arrêta, et le gros Russe s’en approcha en se dandinant. Deux hommes en descendirent.

Malone se rapprocha de Stéphanie et lui demanda :

« Il a des gens ici ?

– Apparemment.

– Avons-nous le moindre renseignement de source indépendante sur tout ça ? » interrogea-t-il encore doucement.

Elle secoua la tête.

« Pas le temps. J’aurai quelque chose demain au plus tôt.

– Autrement dit, nous sommes complètement à poil, en train de piloter sans visibilité.

– Ce n’est pas la première fois. »

Exact.

Ivan revint vers eux et leur dit tout en marchant :

« Nous avons problème.

– ça ne m’étonne pas, marmonna Malone.

– Vitt se déplace.

– En quoi est-ce un problème ? demanda Stéphanie.

– Elle échappe à ses ravisseurs. »

Malone était méfiant.

« Comment le savez-vous ? »

Ivan désigna les deux hommes à côté de la voiture.

« Ils surveillent et voient.

– Pourquoi ne l’ont-ils pas aidée ? »

Mais il connaissait la réponse.

« Vous voulez qu’elle vous mène à la lampe.

– C’est une opération de renseignement, dit Ivan. J’ai boulot à faire.

– Où est-elle ?

– Tout près. En route vers un musée. Le musée Van Egmond. »

Malone commençait à s’énerver.

« Comment savez-vous cela, nom de Dieu ?

– Nous y allons.

– Non », dit Malone.

Le visage d’Ivan se figea.

« Moi, j’y vais, déclara Malone. Seul. »

Ivan esquissa un sourire.

« Je suis mis en garde sur vous. On dit que vous êtes cavalier seul.

– Alors vous savez à quoi vous en tenir, écartez-vous de mon chemin. Je vais retrouver Cassiopée. »

Ivan se tourna vers Stéphanie.

« Vous prenez les commandes maintenant ? Vous pensez que je vais permettre ça ?

– Écoutez, dit Malone, en répondant à la place de Stéphanie. Si j’y vais seul, j’ai bien plus de chances de retrouver ce que vous voulez. Vous vous pointez avec votre équipe de casseurs et vous aurez que dalle. Cassiopée est une pro. Elle va se planquer. »

Il l’espérait en tout cas.

Ivan enfonça un doigt dans la poitrine de Malone.

« Pourquoi est-ce que je vous fais confiance ?

– Je me pose la même question à votre propos. »

Le Russe sortit un paquet de cigarettes de sa poche et en mit une entre ses lèvres. Il trouva des allumettes et en craqua une.

« J’aime pas ça.

– Tant pis pour vous. Vous voulez que le travail soit fait. Je le fais.

– D’accord, dit Ivan en soufflant la fumée. Trouvez-la. Mettez la main sur ce que nous voulons. »

Il montra la voiture.

« Ils connaissent bonne direction.

– Cotton, dit Stéphanie. Je vais m’arranger pour qu’on te laisse un peu tranquille. La police d’Anvers sait ce qui se passe, mais elle ne sait pas où. Je dois leur assurer qu’il n’y aura pas de dégâts matériels, à part peut-être une fenêtre ou une porte cassée. Contente-toi de la retrouver et fiche le camp.

– ça ne devrait pas poser de problème.

– Je sais que ça ne devrait pas poser de problème, mais tu as une certaine réputation.

– Ce n’est pas un site classé au Patrimoine mondial, n’est-ce pas ? Je ne détruis que ceux-là, non ?

– Tu entres et tu sors, d’accord ? »

Malone se tourna vers Ivan.

« Dès que je suis en contact avec elle, j’appelle Stéphanie. Mais je devrai tenir compte de l’avis de Cassiopée. Elle ne voudra peut-être pas de partenaires. »

Ivan leva un doigt.

« Elle ne voudra peut-être pas partenaires, mais elle aura partenaires. Cette affaire plus importante que garçon de quatre ans.

– C’est justement pourquoi vous restez ici. Il suffirait de dire ça pour qu’elle disparaisse. »

Il n’avait aucune intention de refaire l’erreur qu’il avait faite à Paris avec Thorvaldsen. Cassiopée avait besoin de son aide et elle l’aurait. Inconditionnellement, et sans rien lui cacher.

Ivan pouvait bien aller au diable.